Menu

La lecture : un vrai travail d’équipe dans le cerveau

Combien de neurones devons-nous solliciter pour lire une phrase ? Cette tâche, simple en apparence, mobilise de nombreux neurones dans des parties du cerveau éloignées les unes des autres. Comment alors mettre en commun l’activité de ces différents neurones pour déchiffrer les mots, leur donner un sens et comprendre une phrase ? A Lyon, l’équipe Inserm dirigée par Jean-Philippe Lachaux au sein de l’Unité Inserm 1028 « Centre de recherche en Neurosciences » a mis en évidence la façon dont ces différentes parties du cerveau dialoguent à distance.
Ces travaux sont publiés dans la revue The Journal of Neuroscience

Pour lire et comprendre une phrase comme celle-ci, plusieurs régions de notre cerveau doivent intervenir pour reconnaitre le sens de chaque mot, leur associer une forme sonore et construire progressivement le sens du texte. Chaque région a plus spécifiquement en charge un aspect de la lecture, mais aucune ne travaille seule dans son coin. Le travail se fait à plusieurs grâce à des interactions intenses permettant à chaque aire cérébrale d’échanger avec les autres à longue distance. Comme souvent dans le cerveau, le tout est plus que la somme des parties. Il restait toutefois une zone d’ombre importante dans la compréhension de ces mécanismes : la forme prise par ces interactions neuronales à longue distance. Sans cette donnée essentielle, il n’était pas possible de savoir, dans le cerveau, qui travaille avec qui et à quel moment, ni pendant la lecture ni d’ailleurs pendant aucune autre activité cognitive.

Des chercheurs de l’Inserm au sein Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, du Collège de France et du C.H.U de Grenoble viennent d’observer pour la première fois ces interactions neuronales. Pour y parvenir, les groupes dirigés par Jean-Philippe Lachaux, Alain Berthoz et Philippe Kahane ont mesuré directement l’activité électrique produite par les neurones dans le cerveau de personnes occupées à lire. Les résultats montrent que les composantes rapides de l’activité neuronale mesurée dans les aires de la lecture varient de façon corrélée lorsque ces dernières doivent interagir, notamment lors de l’accès au sens du texte.

Ces composantes rapides, qualifiées d’activité gamma avaient déjà été signalées par cette même équipe comme étant d’excellents ‘biomarqueurs’ du traitement de l’information dans le cortex : elles n’apparaissent effectivement au sein d’une population neuronale que lorsque celle-ci participe à l’activité cognitive du moment. Cette découverte laissait présager que lorsque deux régions cérébrales communiquent pour traiter conjointement une information, l’activité gamma que l’on peut y mesurer varie de la même façon dans le temps. C’est précisément ce qu’a montré cette étude. Bien que ces conclusions ne concernent que la lecture pour l’instant, la même signature devrait permettre de suivre le dialogue entre les différentes parties du cerveau lors d’états cognitifs très divers, car les communications neuronales à distance semblent jouer un rôle central dans toute la cognition humaine, pour former une perception cohérente et intelligible du monde qui nous entoure.

Ces recherches devraient également fournir de nouvelles clefs pour comprendre, entre autres, les déficits cognitifs associés à de nombreuses pathologies neurologiques, comme l’épilepsie.

Dans le cerveau d’une personne occupée à lire, plusieurs régions cérébrales interagissent pour accéder au sens du texte. Ces interactions viennent d’être observées pour la première fois sous la forme de corrélations fortes entre les fluctuations de l’activité électrique haute fréquence produite par les neurones pendant l’analyse de chaque phrase (ici entre l’activité des régions frontales et temporales de l’hémisphère gauche).

Cancer du foie : premiers résultats de séquençage à haut débit obtenus en France

Depuis 2009, la France mène un grand essai pilote sur le cancer du foie dans le cadre du projet International Cancer Genome Consortium (ICGC). Ce projet vise à séquencer le génome des tumeurs de plusieurs milliers de patients afin de mieux comprendre, pour une cinquantaine de cancers différents, le rôle des altérations génétiques dans leur développement. Les travaux menés par l’équipe de Jessica Zucman-Rossi (Unité Inserm 674 « Génomique fonctionnelle des tumeurs solides » mixte avec l’Université Paris Descartes) ont révélé 4 gènes n’ayant jamais été décrits dans les tumeurs du foie et qui présentent pourtant des altérations fréquentes. Ces gènes, nommés ARID1A, RPS6KA3, IRF2 et NFE2L2 sont impliqués dans des processus importants qui conduisent à la naissance de tumeurs au niveau du foie.
Ces travaux sont publiés le 6 mai 2012 dans la revue Nature Genetics.

Coordonnée par l’INCa et l’Inserm, la participation française à l’ICGC porte sur 4 programmes concernant un type particulier de cancer du sein, les cancers agressifs de la prostate, le sarcome d’Ewing et le cancer du foie.

Cellules Hep3B : Marquage fluorescent de la N-cadhérine en rouge et Phalloidine en vert de cellules de lignée d'hépatome Hep3B inactivées pour le gène HNF1A. Les noyaux sont marqués en bleu par le Dapi.

© Inserm, Zucman-Rossi, Jessica

Cellules Hep3B : Marquage fluorescent de la N-cadhérine en rouge et Phalloidine en vert de cellules de lignée d’hépatome Hep3B inactivées pour le gène HNF1A. Les noyaux sont marqués en bleu par le Dapi.

Le cancer du foie est la 3ième cause de mortalité dans le monde. Il apparait souvent chez des personnes dont le foie est déjà touché par des pathologies telles qu’une hépatite B ou C, la consommation excessive d’alcool, des surcharges en fer ou l’obésité ; ces pathologies pouvant conduire au développement d’une cirrhose du foie.

En France, une étude pilote incluant une première série de 24 carcinomes hépatocellulaires dans le cadre du consortium ICGC de séquençage de l’ensemble du génome a démarré en 2009. Le but de cette étude menée par Jessica Zucman-Rossi était de mettre en évidence de nouveaux gènes responsables de la formation de ces tumeurs du foie (suppresseurs de tumeur et/ou à l’inverse oncogènes).

Grâce à de nouvelles techniques de séquençage du génome, les chercheurs ont pu établir que le code génétique des personnes atteintes d’un cancer du foie présentait souvent des modifications : les bases G étant remplacées par des bases T. Ces mutations semblent spécifiques et significativement associées aux cancers du foie. Ceci suggère fortement, en dehors d’une cirrhose du foie préexistante, l’implication d’un agent toxique qui entrainerait des mutations dans l’ADN de ces patients.
Dans les zones tropicales, des composés comme l’aflatoxine B1 sont déjà bien connus pour de tels effets cancérigènes. De nouvelles données épidémiologiques et toxicologiques restent à établir pour déterminer précisément quels pourraient être ces agents génotoxiques chez ces patients vivant en France.

Identification de 4 nouveaux gènes impliqués dans les tumeurs du foie

L’analyse de l’ensemble des mutations observées a révélé 4 nouveaux gènes n’ayant jamais été décrits dans les tumeurs hépatiques et qui présentent pourtant des altérations génétiques récurrentes ; ARID1A, RPS6KA3, IRF2 et NFE2L2. Afin de comprendre leur rôle, ces 4 gènes, ainsi que 10 autres, ont été testés sur des échantillons de 125 tumeurs hépatiques.

D’un point de vue physiologique, certaines de ces mutations génétiques altéreraient deux voies de signalisation connues des scientifiques : la voie WNT/β-Caténine et celle de la P53.

D’autres, par ailleurs, sont impliquées dans l’activation de la voie du stress oxydatif, de l’interferon ou de la signalisation RAS qui entrainent des bouleversements de l’état cellulaire.

Enfin, chez les patients avec une intoxication alcoolique chronique, les gènes de remodelage des chromosomes (qui stabilisent l’ADN) sont fréquemment altérés ce qui en fait des contributeurs majeurs de la tumorigenèse hépatique.

Pour Jessica Zucman-Rossi, « cette étude révèle de nouveaux gènes suppresseurs de tumeurs et oncogène impliqués dans la carcinogenèse hépatique. De nouvelles pistes sont à explorer pour utiliser dans le futur de nouveaux médicaments ciblant ces altérations génétiques et ainsi améliorer et adapter le traitement des patients en fonction des anomalies génomiques identifiées dans leur tumeur. »

Ce travail a été coordonné et financé par l’INCa dans le cadre du Plan cancer 2009-2013 en collaboration étroite avec la Ligue nationale contre le cancer et l’Inserm.

Notes

(1) qui est basé sur quatre bases ATCG
(2) L’aflatoxine est une toxine secrétée par un champignon (Ascomycète aspergillus flavus) fréquente sur diverses graines en condition chaude et humide. C’est un agent oncogène puissant, en particulier sur le foie, et un inhibiteur de la synthèse des ARNm.

L’Institut national du cancer partenaire français du consortium international ICGC
L’International Cancer Genome Consortium (ICGC) constitue un des programmes globaux de recherche biomédicale les plus ambitieux depuis le projet Génome Humain (http://www.icgc.org/). Initié en 2008, le programme ICGC, qui regroupe actuellement 14 pays, a pour objectif d’établir une description complète des altérations génomiques, transcriptomiques et épigénomiques de 50 types et/ou sous-types de cancers considérés comme les plus préoccupants aux plans clinique et sociétal.
25 000 génomes de cancers doivent ainsi être séquencés et analysés, et les résultats implémentent progressivement une base de données accessible aux chercheurs du monde entier. Le catalogue des altérations génomiques spécifiques de chaque type de cancer permettra le développement d’investigations fonctionnelles sur les mécanismes de la cancérogénèse conduisant à de nouvelles stratégies de prévention, de diagnostic et de traitement.
Les organisations membres et les centres qui prennent part à l’ICGC se sont engagés sur des normes relatives au respect du consentement éclairé et des règles éthiques communes afin de garantir que l’identité des participants aux études soit protégée.
L’Institut national du cancer (INCa) coordonne la contribution française à ce programme, avec des financements INCa-Inserm à hauteur de 5 M € par an.
Le programme ICGC est une opportunité pour consolider l’effort structurant engagé par l’INCa dans le domaine de la génomique à grande échelle.
En 2012 l’INCa et l’Inserm sont engagés sur 4 projets portant sur les cancers du foie, du sein HER2+, de la prostate et sur le sarcome de Ewing. Un cinquième programme sera engagé en 2012-2013.

CK2 : un rôle important dans la progression des tumeurs mammaires

Des chercheurs du CEA (1), de l’Inserm, du CNRS (2) et des universités Joseph-Fourier, d’Aix-Marseille et Claude Bernard Lyon 1, ont mis en évidence le rôle déterminant de la protéine CK2 dans la plasticité cellulaire épithéliale, notamment dans le cas de pathologies cancéreuses. En effet, une altération de l’activité de cette protéine implique des variations importantes dans la transformation des cellules épithéliales en cellules cancéreuses plus mobiles, à l’origine des métastases. Ces travaux, publiés en ligne le 7 mai par la revue Oncogene, révèlent donc un nouveau rôle pour cette protéine-kinase multi-fonctionnelle au niveau de la progression de tumeurs mammaires chez la femme.

Dans leur majorité, les tissus qui composent les organes du corps humain sont constitués d’un ensemble de cellules épithéliales (i) cohésives et polarisées reposant sur une membrane. Au cours du développement du cancer, certaines cellules épithéliales présentes dans la tumeur peuvent réactiver un mécanisme cellulaire appelé « Epithelial-to-Mesenchymal Transition » (EMT). Ce processus est responsable de l’évolution des cellules d’un état épithélial vers un état mésenchymateux caractérisé par une mobilité cellulaire accrue et une résistance à certains anticancéreux. Dans le cas d’une tumeur primaire, cette évolution peut conduire à la dispersion des cellules cancéreuses dans le corps et à l’apparition de métastases. Cette plasticité cellulaire (ii) est régulée par des voies de signalisation et des facteurs de transcription (iii) tels que le facteur Snail1.

Depuis quelques années, l’équipe dirigée par Claude Cochet (3) étudie l’implication de la protéine-kinase (iv) CK2 dans les pathologies cancéreuses. Cette enzyme est un complexe formé de l’association d’une sous-unité catalytique (CK2α) et d’une sous-unité régulatrice (CK2β). Cette équipe, en collaboration avec des chercheurs du CEA, de l’Inserm, du CNRS et des universités d’Aix-Marseille, Joseph-Fourier et Claude Bernard Lyon 1, a récemment mis en évidence qu’une dérégulation de l’activité de cette protéine, observée dans certains cancers du sein, est associée à l’expression de marqueurs de l’EMT. Plus précisément, les chercheurs ont montré qu’une diminution, dans des cellules épithéliales mammaires en culture, de l’expression de la sous-unité régulatrice CK2β, conduit à des changements caractéristiques de l’EMT : en perdant leur cohésion, certaines de ces cellules cancéreuses deviennent mobiles et migrent dans l’organisme. Des analyses cellulaires, biochimiques et transcriptomiques ont permis d’identifier Snail1 comme étant une cible de cette protéine-kinase. Par conséquent, en induisant la phosphorylation (v) de Snail1, l’activité de la protéine-kinase CK2 est nécessaire pour empêcher l’activation de l’EMT, et ainsi diminuer le risque de développement de métastases. Cette kinase est donc essentielle au maintien de l’état épithélial des cellules.

« Ces résultats illustrent l’importance de CK2β dans le contrôle de la plasticité cellulaire, précise Odile Filhol (4). Ils révèlent un mécanisme qui supprime l’EMT et maintient l’intégrité des cellules épithéliales ».

Au total, cette étude révèle que la protéine-kinase CK2 est un régulateur clé de l’homéostasie des cellules épithéliales. Grâce à ses propriétés de marqueur dans plusieurs types de cancers et à ses qualités en tant que cible thérapeutique, CK2 a acquis le statut d’un biomarqueur théranostique (vi) pertinent.

© A. Deshiere, O. Filhol-Cochet

Dans une cellule épithéliale, le facteur Snail1 sous sa forme phosphorylée est continuellement dégradé. En l’absence de la partie CK2b, et donc de phosphorylation, les cellules épithéliales passent alors d’un état épithélial à un état mésenchymateux, plus mobile.


Notes
(1) Institut de recherches en technologies et sciences pour le vivant, Laboratoire de biologie du cancer et de l’infection – Équipe Kinases essentielles dans les carcinomes rénaux BCI (Inserm/CEA), EDyP service (CEA).
(2) Centre de recherche en cancérologie de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Centre anticancéreux Léon Bérard).
(3) Equipe labellisée par la Ligue Nationale contre le Cancer.
(4) Chargée de recherche Inserm au sein de l’Unité mixte Inserm/CEA/UJF Biologie du Cancer et de l’Infection.

(i) Cellules qui forment le tissu de recouvrement de la surface du corps (peau et cavités).
(ii) Propriété des cellules à changer d’identité.
(iii) Protéines nécessaires à la transcription dans l’ensemble du règne vivant.
(iv) Protéine qui réalise des mécanismes cellulaires tels que la phosphorylation (ajout d’un groupement phosphate).
(v) Cf. note (iii)
(vi) Néologisme dérivant de la contraction de thérapeutique et de diagnostic. C’est l’utilisation du diagnostic in vitro pour orienter le traitement du patient. Devant une pathologie donnée, les cliniciens recherchent certains biomarqueurs qui informent sur les mécanismes physiopathologiques sous-jacents et permettent donc de choisir la ou les molécules les plus efficaces dans ce contexte.

fermer