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Les maladies à transmission vectorielle, c’est-à-dire des maladies humaines provoquées par des parasites, des virus ou des bactéries transmis par des vecteurs arthropodes, sont responsables de plus de 17% des maladies infectieuses dans le monde, et provoquent plus d’un million de décès chaque année. Les moustiques constituent de loin le principal vecteur de ces maladies, parmi lesquelles on peut citer le paludisme, le chikungunya, le virus Zika ou la fièvre jaune.
Ces maladies sont-elles en augmentation à travers le monde, et notamment en France, comme les gros titres de l’actualité semblent le suggérer ? Comment s’en protéger, quelles stratégies ont fait leur preuve contre les piqûres de moustiques ? Suffit-il simplement de mettre du répulsif anti-moustiques ou bien de télécharger une application sur son smartphone pour repousser ces insectes ? Canal Détox se penche sur ces questions.
Un plus grand nombre de cas, plus dispersés
Récemment, c’est plutôt le virus du Nil occidental[1] qui a fait la une de l’actualité, se propageant dans le sud de la France, avec l’apparition d’un cas autochtone[2] pour la première fois dans le territoire de la Nouvelle-Aquitaine. La région s’était déjà illustrée l’an dernier avec un premier cas autochtone du virus Usutu, un virus à ARN considéré comme émergent.
De manière générale, les maladies transmises par les moustiques sont en hausse en Europe et en France depuis plusieurs années, avec une accélération très nette en 2022. En effet, cette année-là, il y a eu 66 cas autochtones de dengue en France métropolitaine, soit le double du nombre de cas cumulés sur les quinze années précédentes. Alors que la dengue est la maladie virale transmise par les moustiques la plus répandue dans le monde, la reprise du trafic aérien et les flux de voyageurs ont aussi favorisé l’augmentation du nombre de cas importés (272 cas au total).
Par ailleurs, les cas de dengue sont aujourd’hui beaucoup plus dispersés géographiquement, ils ne sont plus uniquement circonscrits au pourtour méditerranéen. Notons que la population de moustiques tigres, responsable de la transmission de la dengue mais aussi du virus Zika et du Chikungunya a été identifiée dans 71 départements ce qui représente un plus grand risque de la diffusion de ces maladies sur tout le territoire.
Nous sommes donc dans une situation où le nombre de cas de maladies à transmission vectorielle est de plus en plus important, avec un risque de propagation à des régions où les moustiques n’étaient traditionnellement pas présents. Le réchauffement climatique serait un facteur aggravant à la fois parce qu’un climat chaud est propice au développement des moustiques et parce que des températures élevées favorisent la multiplication des virus au sein des moustiques.
Traitements et prévention : quelles stratégies ?
Si des traitements existent pour certaines maladies transmises par les moustiques, l’arsenal thérapeutique demeure encore limité dans la plupart des cas. Ainsi par exemple, le seul vaccin contre le virus du Nil occidental disponible est à destination des chevaux mais pas de l’humain, tandis que pour la dengue, le degré d’efficacité de la vaccination varie d’une personne à l’autre.
La prévention des piqûres est dans ce contexte une stratégie incontournable pour réduire la transmission et l’impact de ces maladies. Elle passe notamment par l’utilisation de protections individuelles, dont l’usage de vêtements amples couvrants et de moustiquaires traitées avec des insecticides dans les zones endémiques, mais aussi de répulsifs anti-moustiques.
Par exemple, depuis 2005, plus de 2 milliards de moustiquaires imprégnées d’insecticide ont été distribuées dans le monde pour prévenir le paludisme. Toutes ces moustiquaires ont été traitées avec une seule classe d’insecticide : les pyréthrinoïdes. En 2015, une modélisation publiée dans Nature a souligné que ces moustiquaires ont été à l’origine de la plupart des reculs des cas de paludisme observés entre 2005 et 2015, en particulier dans les zones de transmission modérée à élevée. Toutefois, depuis 10 ans, cette progression a nettement ralenti. Cela s’explique notamment parce que les moustiques sont désormais résistants aux pyréthrinoïdes dans de nombreuses régions, ce qui implique l’utilisation de moustiquaires traitées avec d’autres ingrédients actifs. Dans le même temps, la liste des insecticides autorisés s’est réduite, des données scientifiques ayant montré l’impact délétère de certains produits sur l’environnement.
Un autre axe très important de la prévention consiste à lutter contre les lieux de ponte des moustiques, en particulier à agir pour limiter le nombre de points d’eau stagnante, qui sont propices au développement et à la diffusion de moustiques dans le périmètre proche (les moustiques n’étant pas capables de voler plus d’une centaine de mètres).
De nombreux répulsifs olfactifs sont également disponibles sur le marché, notamment des produits à appliquer sur la peau (sprays, crèmes…) ou à diffuser dans l’environnement immédiat (bougies, prises électriques…). Si ces produits ont montré leur efficacité pour réduire les piqûres de moustiques, il s’agit tout de même de produits chimiques qu’il convient de ne pas utiliser en trop grande quantité. Par ailleurs, ils n’ont pas le même degré d’efficacité pour tout le monde (voir encadré à la suite de l’article), et la protection qu’ils confèrent est limitée dans le temps.
Face à cela, la recherche sur de nouveaux répulsifs est en plein essor, mais certaines dérives sont observées. L’une des plus notables, actuellement, est la popularité grandissante d’applications smartphones à télécharger, qui diffuseraient des ondes à basse fréquence pour repousser les moustiques. Cette idée de combattre les moustiques par le son et les ondes n’est pas nouvelle, et basée sur un argument simple : ces dispositifs seraient efficaces parce qu’ils imiteraient les ondes sonores produites par les battements d’ailes des moustiques mâles ou des libellules. Or les moustiques femelles qui piquent les humains, seraient repoussées par ce son, dans le premier cas parce qu’elles ne s’accouplent qu’une seule fois dans leur vie, dans le second parce que la libellule est leur prédateur.
Cependant, les données scientifiques ne sont actuellement ni assez nombreuses ni assez solides pour confirmer une quelconque efficacité de ce type de répulsif, d’autant que les ondes qui pourraient éventuellement être entendues par les moustiques femelles sont trop puissantes pour être reproduites par un smartphone.
Déjà en 2010, une revue de littérature sur dix études solides, publiée par l’organisation Cochrane, soulignait une absence de preuves concernant l’utilité de répulsifs anti-moustiques fondés sur les ondes, et allait même jusqu’à juger inutile la poursuite de recherches sur le sujet. Depuis, aucune étude n’est venue contredire ces conclusions avec des données plus robustes, mais ces applications – qui ont rarement été testées et validées en laboratoire -continuent à être téléchargées régulièrement.
Les experts déconseillent donc leur utilisation, au mieux parce qu’elles n’ont pas d’utilité, au pire parce qu’elles peuvent procurer un faux sentiment de protection, qui conduit les utilisateurs à négliger d’autres approches pour se protéger des piqûres.
Qu’est-ce qui attire les moustiques ? Nous ne sommes pas tous égaux face aux piqûres de moustiques ! Parce qu’il existe de nombreuses espèces différentes, que certains climats sont plus propices que d’autres à leur prolifération… Mais aussi et surtout car nous pouvons leur sembler plus ou moins attirants. Sur ce dernier point, de nombreuses études scientifiques renseignent justement sur la susceptibilité individuelle aux piqûres. Parmi les éléments « attractifs » documentés, on retrouve l’odeur : l’olfaction étant le principal sens par lequel les moustiques localisent leurs hôtes cibles. Les insectes seraient sensibles à divers composés organiques volatils présents sur la peau de l’humain, et dans sa transpiration (ex. ammonium, acide lactique…), ainsi qu’au CO2 qu’il rejette en respirant… Et comme nous sommes tous différents, l’intensité de la libération de ces composés « attractifs » varie selon les individus, ce qui explique que certains ont de plus grandes chances d’être piqués ! Les facteurs génétiques impliqués sont par ailleurs bien documentés par la littérature, d’autant qu’il est établi que la signature olfactive humaine propre à chacun est partiellement déterminée par des facteurs génétiques, notamment les allèles de l’antigène leucocytaire humain (HLA). En outre, le régime alimentaire peut faire changer l’odeur corporelle : des scientifiques ont ainsi étudié les effets de la consommation de certains aliments sur l’attirance des moustiques. Contrairement à ce qu’on peut lire sur internet, rien ne prouve que l’ail et la vitamine B n’éloignent les moustiques ; alors que la consommation de bananes ou de bière pourrait augmenter cette attraction. Par ailleurs les femmes enceintes libéreraient plus encore de composés attractifs que les autres individus. Il en serait de même pour les personnes atteintes de paludisme et porteuses du Plasmodium, qui peuvent donc, en se faisant piquer à nouveau, être à l’origine de la transmission de la maladie. Toutes ces observations indiquent, qu’en plus de varier d’un individu à l’autre, l’attractivité humaine peut être modifiée en fonction des changements physiologiques et métaboliques observés chez un individu particulier… Au-delà de cette susceptibilité individuelle, sur laquelle on ne peut malheureusement pas toujours agir, les scientifiques ont récemment découvert que certaines couleurs chaudes apparentées à celles de la peau humaine, comme le rouge, le noir et l’orange, sont perçues comme plus attirantes par les insectes. Se vêtir de bleu, de vert ou de violet pourrait donc permettre de passer un peu plus inaperçu.
Texte rédigé avec le soutien de Yannick Simonin, chercheur au sein de l’unité Inserm Pathogenèse et contrôle des infections chroniques et émergentes (unité 1058 Inserm/Université de Montpellier/EFS)
[1] Maladie virale transmise par les moustiques du genre Culex qui se contaminent exclusivement au contact d’oiseaux infectés. Les oiseaux sont les réservoirs du virus.
[2] On parle de cas autochtone quand une personne a contracté la maladie sur le territoire national et n’a pas voyagé en zone contaminée dans les 15 jours précédant l’apparition des symptômes.