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Des comprimés d’iode pour se protéger des radiations, vraiment ?

  Depuis quelques jours, on ne compte plus les articles de presse qui décrivent une ruée des consommateurs dans les pharmacies, pour acquérir des comprimés d’iode (iodure de potassium). Dans le contexte de la guerre en Ukraine, certains pensent en effet que la prise de ces comprimés pourrait les protéger des effets biologiques et cliniques […]

Le 14 Mar 2022 | Par INSERM (Salle de presse)

Coupe de thyroïde vue au microscope. 1  colloïde 2 cellules folliculaires 3 cellules endothéliales. Crédits : Wikicommons

 

Depuis quelques jours, on ne compte plus les articles de presse qui décrivent une ruée des consommateurs dans les pharmacies, pour acquérir des comprimés d’iode (iodure de potassium). Dans le contexte de la guerre en Ukraine, certains pensent en effet que la prise de ces comprimés pourrait les protéger des effets biologiques et cliniques d’une irradiation en cas d’attaque nucléaire, et notamment les prémunir contre le risque de cancers de la thyroïde. 

Sur quoi cela se fonde-t-il ? Quels sont les risques sanitaires liés à l’iode radioactif ? Qu’est-ce que l’iodure de potassium et à quoi cet élément chimique peut-il servir ? Canal Détox fait le point.

 

Iodure de potassium face au risque nucléaire

Un accident nucléaire, comme par exemple à Tchernobyl ou à Fukushima, est associé à plusieurs effets délétères sur la santé, liés aux particules et aux rayonnements émis ainsi qu’à plusieurs produits de fission majeurs qui se dégage dans l’atmosphère et notamment l’iode 131.

La thyroïde, petite glande située à la base du cou nécessaire à la production d’hormones spécifiques, est le seul organe qui fixe l’iode. Ainsi, tout comme l’iode naturel, l’iode 131 peut se fixer sur la thyroïde. Un tel effet est essentiellement dû à l’ingestion des produits de consommation contaminés après un accident nucléaire, qui peuvent être vecteurs de l’iode 131, comme par exemple le lait, l’eau ou certains végétaux. Ceux-ci contribuent à la contamination de toute la chaine alimentaire. La meilleure façon de ne pas être contaminé est d’être vigilant vis-à-vis des aliments que l’on consomme.

La fixation d’un élément radioactif sur la thyroïde via la consommation de ces produits peut causer des cancers de cet organe. Il faut toutefois noter que ce risque est surtout significatif pour des thyroïdes qui se développent rapidement, c’est-à-dire celle des enfants. Ainsi, environ 6500 cas de cancers de la thyroïde chez les enfants ont été documentés à Tchernobyl. Pour les adultes, la thyroïde, plus mature, a un développement naturel très lent et le risque de cancer de la thyroïde est donc beaucoup moins élevé.

Quelle est la logique qui sous-tend la prise des comprimés d’iode (iodure de potassium) dans un contexte d’accident nucléaire ? Comme la thyroïde ne fait pas la différence entre iode stable et iode radioactif, l’idée est de « saturer » la thyroïde avec de l’iode stable afin qu’elle ne puisse plus absorber des quantités supplémentaires d’iode – qu’il soit stable ou radioactif. Pour être efficace, cette saturation doit se faire rapidement, de façon massive et en respectant la posologie détaillée dans le tableau suivant :  

Iodure de potassium

Les comprimés d’iodure de potassium sont fabriqués en France  par la Pharmacie Centrale des Armées. Les comprimés sont aujourd’hui dosés à 65 mg (50 mg d’iode).

Posologie pour les comprimés de 65 mg :

  • Adultes (seulement si recommandé) et enfants de plus de 12 ans : 2 comprimés.
  • Enfants de 3 à 12 ans : 1 comprimé.
  • Enfants de 1 mois à moins de 3 ans : ½ comprimé, peut être dissous si besoin dans eau, lait, jus de fruit.
  • Nouveau-nés (< 1 mois) : 16 mg d’iodure de potassium soit 1/4 de comprimé.

La prise d’un seul comprimé d’iodure de potassium représente un apport de 50 mg d’iode, soit plus de 500 fois les besoins quotidiens de la thyroïde (l’OMS recommande un apport journalier de 90 µg jusqu’à 5 ans, 120 µg de 6 à 12 ans, de 150 µg pour les 13 ans et plus et de 250 µg pour les femmes enceintes et allaitantes). La thyroïde est d’autant plus avide d’iode que la personne est carencée.

 

En cas d’accident nucléaire ou radiologique, les comprimés qui seraient prédistribués à la population ne doivent être pris que sur instruction formelle des autorités compétentes.

Il convient aussi de rappeler que, comme évoqué précédemment, peu de cancers de la thyroïde se manifestent chez les adultes. Lorsque c’est le cas, le taux de mortalité demeure généralement faible.

La protection de la thyroïde par la saturation en iode stable avec un comprimé n’aurait réellement un intérêt que pour les enfants et les adultes jeunes pour qui le risque de cancer est plus élevé, et encore, dans un laps de temps spécifique. En effet, la prise de ces comprimés ne serait efficace qu’entre 1 à 2 h avant l’émission radioactive et jusqu’à quelques heures après. L’administration pourrait être répétée en cas d’exposition prolongée aux iodes radioactifs sur recommandation des autorités.

Pour les adultes après l’âge de 40 ans, les conséquences potentiellement délétères d’une saturation massive en iode stable de la thyroïde dépassent les bénéfices. En effet, elle peut conduire à une dérégulation de l’organe et de sa production d’hormones. Par exemple, en rendant la thyroïde hyperactive (hyperthyroïdie), des troubles de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle peuvent survenir ainsi que des excès d’angoisse ou des bouffées de chaleur. Mais paradoxalement, un excès d’iode sur le long terme peut aussi produire une baisse d’activité de la thyroïde (hypothyroïdie) avec une baisse des fonctions vitales avec une prise de poids, une altération de la peau et des troubles de la mémoire.

Par ailleurs, une consommation raisonnable et régulière de produits riches en iode permet d’atteindre les apports journaliers nécessaires pour tous les âges mais ne peut remplacer les 50 mg d’iode saturant en cas d’accident de centrale nucléaire. En effet, pour les atteindre, il faudrait manger 25 kg de coquillages, 50 kg de poisson ou 100 kg d’œufs ou de fromage sur la même période.

Notons enfin que dans le cas d’une explosion atomique, la quantité d’iode radioactif émise étant très inférieure par rapport à un accident de centrale nucléaire, le bénéfice d’une prise de comprimé d’iode reste négligeable.

Quelques ressources utiles : 

Site de l’autorité de sûreté nucléaire : https://www.asn.fr/

Site de l’IRSN : https://www.irsn.fr/FR/Pages/Home.aspx

Etude de l’Inserm : https://www.inserm.fr/actualite/radiotherapie-risques-pour-thyroide/

 

Texte rédigé avec le soutien de Nicolas Foray, directeur de recherche Inserm et Michel Bourguignon, professeur émérite de Biophysique et Médecine Nucléaire, Université Paris Saclay (UVSQ)

U1296  « Radiations : Défense, Santé, Environnement »

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