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Le « cerveau reptilien », siège de nos comportements primitifs, vraiment ?

Le « cerveau reptilien » est un concept censé expliquer nos comportements primitifs – des besoins les plus élémentaires comme s’alimenter ou se reproduire jusqu’à nos pulsions les plus violentes. Il n’est pas rare de voir le terme utilisé dans les ouvrages de développement personnel, par des publicitaires se targuant de cibler la part reptilienne de notre […]

Le 05 Juil 2022 | Par INSERM (Salle de presse)

La notion de cerveau reptilien s’inscrit plus largement dans la théorie du « cerveau triunique », aujourd’hui invalidée. Crédits : Adobe Stock

Le « cerveau reptilien » est un concept censé expliquer nos comportements primitifs – des besoins les plus élémentaires comme s’alimenter ou se reproduire jusqu’à nos pulsions les plus violentes. Il n’est pas rare de voir le terme utilisé dans les ouvrages de développement personnel, par des publicitaires se targuant de cibler la part reptilienne de notre cerveau pour vendre leurs produits, ou encore par de pseudo-thérapeutes qui souhaitent nous aider à apprivoiser le « crocodile en nous ».

La notion de cerveau reptilien s’inscrit plus largement dans la théorie du « cerveau triunique » développé par le neurobiologiste Paul MacLean dans les années 1960.

Cette théorie générale de l’organisation du cerveau rapporte à une part archaïque de notre héritage évolutif un ensemble d’attitudes « primaires », par exemple l’instinct sexuel, l’instinct de survie, l’agressivité…

Plus précisément, le cerveau humain tel qu’il est aujourd’hui serait, selon cette théorie, composé de trois « couches ». Chacune se serait développée à des moments différents, et correspondrait à une étape de l’évolution de l’espèce humaine. Chacune contrôlerait un aspect spécifique de nos comportements. La plus ancienne de ces structures correspondrait ainsi à un cerveau hérité d’ancêtres reptiliens, siège des comportements primaires, tandis que les deux autres, développés plus récemment, seraient dédiées d’une part aux émotions et d’autre part à la cognition.

Bien que la théorie ait rapidement été considérée comme erronée par la communauté scientifique, elle n’en a pas moins connu une grande popularité auprès du public, qui persiste encore à ce jour. Canal Détox fait le point sur les fondements de cette idée qui a soutenu l’interprétation de nombreux travaux de recherche en psychologie développés postérieurement.

 

Les limites d’un modèle très populaire

Si le modèle développé par Paul MacLean et le concept de « cerveau reptilien » ont connu une telle popularité, c’est peut-être parce qu’il permet d’expliquer simplement des comportements humains jugés complexes et qu’il permet de compléter les théories freudiennes développées et devenues également populaires au cours du XXe siècle. La théorie de MacLean a d’ailleurs longtemps été considérée comme valide par une partie de la communauté médicale, jusqu’à la fin des années 1980.

Cependant, plusieurs aspects problématiques avaient été très vite pointés du doigt, en particulier du point de vue de la biologie de l’évolution et des neurosciences. Tout d’abord, il est incorrect de dire que le cerveau a évolué par étapes successives, avec ajout de nouvelles « couches » plus complexes, au cours du temps. Au contraire, les différents groupes de vertébrés ont divergé les uns des autres à des moments différents des temps géologiques. Il n’y a donc pas de fondement à l’idée selon laquelle l’évolution des vertébrés a consisté à superposer des structures cérébrales plus récentes sur des structures cérébrales plus anciennes, pour rendre compte de l’émergence d’une cognition complexe.

Le cerveau humain n’est pas constitué de structures complexes superposées à un « cerveau de reptile » au fonctionnement moins complexe : il se compose plutôt de structures homologues à celles des autres vertébrés, mais différentes par leurs tailles relatives et par certains aspects de leur organisation.

Par ailleurs, il n’existe pas de circuits purement émotionnels ou purement cognitifs dans le cerveau. Les connaissances acquises dans le domaine de la neurologie et de la neurobiologie permettent au contraire de dire que les fonctions cérébrales dépendent de réseaux interdépendants et non pas de structures cérébrales distinctes, qui fonctionnent de façon isolée les unes des autres.

Aussi, si la théorie du cerveau reptilien est bien erronée, il n’en est pas moins important de poursuivre les recherches scientifiques pour mieux comprendre comment les différentes régions du cerveau sont connectées et pour étudier leurs dysfonctionnements. A terme, cela pourrait ouvrir de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques dans le domaine de la psychiatrie, pour des patients atteints de pathologies variées, de la dépression à la schizophrénie.

 

Pour aller plus loin : Lire l’ouvrage de Sébastien Lemerle, « Le cerveau reptilien, sur la popularité d’une erreur scientifique » (CNRS éditions, 2020).

Texte rédigé avec le soutien de Philippe Vernier, directeur de recherche CNRS, directeur de l’Institut des Sciences du Vivant Frédéric Joliot (CEA) et Xavier Leinekugel, chercheur Inserm, Laboratoire U1249

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