84 % des répondants d’une récente étude disaient être inquiets face au changement climatique. Crédits : Unsplash
La COP26 de novembre 2021 a été l’occasion pour de nombreux jeunes d’interpeller leurs gouvernements, pour leur demander de prendre des mesures plus rigoureuses en faveur du climat.
En septembre 2021, une étude acceptée dans la revue The Lancet Planetary Health s’était intéressée à cette population, menant une enquête auprès de plus de 10 000 adolescents et jeunes adultes (16-25 ans), dans 10 pays, pour comprendre leurs perceptions du changement climatique et la manière dont cela affectait leur santé mentale. Les résultats sont sans appel : 84 % des répondants disaient être inquiets face à ce phénomène (59 % très inquiets) et plus de la moitié se sentaient en colère, coupables ou impuissants. Ces chiffres ont permis de mettre en lumière un phénomène de plus en plus souvent évoqué ces dernières années : l’éco-anxiété.
Que signifie exactement le terme ? Quelles sont les données scientifiques disponibles sur le sujet ? Et quelles sont les solutions qui peuvent être apportées ? Canal Détox se penche sur cette question très présente dans l’actualité.
Jusqu’ici, il n’existe pas encore de définition de l’éco-anxiété qui fasse l’objet d’un consensus, notamment d’un point de vue médical. Il est ainsi important de souligner qu’il ne s’agit ni d’un syndrome, ni d’un diagnostic psychiatrique officiel et que l’éco-anxiété ne figure pas dans le DSM-5[1], outil majeur de classification des troubles mentaux. Toutefois, dans un rapport, l’American Psychological Association (APA) a bien défini l’éco-anxiété comme « a chronic fear of environmental doom », c’est-à-dire la peur chronique d’une catastrophe environnementale.
Pour la plupart des chercheurs, il est donc important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une maladie mentale, mais d’une anxiété qui serait en fait une réponse rationnelle et saine face à la gravité des problématiques environnementales. Il conviendrait donc de ne pas « pathologiser » l’éco-anxiété.
Des idées reçues battues en brèche
L’idée que les individus qui souffrent d’éco-anxiété sont en fait des personnes particulièrement anxieuses, sans que cela ne soit spécifique au changement climatique, a souvent été évoquée. Pour elles, le changement climatique serait simplement un prétexte à manifester leur anxiété.
Cependant, plusieurs études suggèrent que cela n’est pas le cas. Une étude dans The Journal of Climate change and Health a ainsi identifié que les personnes les plus vulnérables à l’éco-anxiété se définissent principalement par leur âge ou par leur connexion particulière à la nature, et non par une anxiété exacerbée. Il s’agit principalement des enfants et des jeunes adultes ainsi que des populations indigènes. D’autres travaux menés à Sciences Po Grenoble montrent que les « éco-anxieux » sont une population majoritairement jeune, urbaine, féminisée et éduquée, mais sans trouble d’anxiété particulier.
Une étude à paraître dans la revue Current Psychology menée auprès de 284 jeunes adultes (18-35 ans) s’intéresse à l’anxiété associée au changement climatique. Elle confirme que dans ce groupe, le phénomène du changement climatique est spécifiquement à l’origine de symptômes anxieux et/ou dépressifs
Le rôle des médias
Autre idée reçue : une couverture médiatique anxiogène à propos du changement climatique serait à l’origine de l’éco-anxiété. Cet argument est développé dans l’ouvrage What We Think About When We Try Not To Think About Global Warming[2], qui montre que certaines communications très alarmistes sur le changement climatique peuvent s’avérer être contre-productives. Ainsi, partager des informations sur lesquelles les individus n’ont aucune capacité à agir peut créer de l’anxiété et paralyser l’action, puisque cela confronte les personnes à leur impuissance.
Cependant, parler de changement climatique de manière concrète dans les médias, en présentant des solutions qui peuvent être prises au niveau individuel et collectif, permet au contraire de lutter contre l’anxiété. Dans l’étude à paraitre dans Current Psychology, les chercheurs montrent d’ailleurs que participer à des actions collectives en faveur du climat est le meilleur rempart contre l’anxiété.
Faire évoluer la recherche
Ces données dessinent des pistes pour la prise en charge des individus qui souffrent d’éco-anxiété, soulignant que la réponse à un problème de société comme le changement climatique doit davantage être sociétale que médicale.
Dans ce contexte, les recherches menées sur le sujet sont de plus en plus souvent inscrites dans les communautés. L’idée est de travailler directement au contact des populations affectées par le changement climatique, soit du fait de leur lieu de vie, soit du fait de leur jeune âge. Ces recherches favorisent des solutions locales et déclinables d’un pays à l’autre. Soutenir les actions climatiques des plus jeunes augmente leur faculté d’action (agentivité) et leur permet de moins souffrir d’éco-anxiété.
Étudier l’éco-anxiété chez les enfants
Le concept d’éco-anxiété est surtout étudié chez les adolescents et les adultes car il n’est pas aussi simple d’interroger les enfants sur leurs perceptions du phénomène. Dans ses travaux, la pédopsychiatre et chercheuse Inserm Laelia Benoit s’est intéressée à plus de 100 enfants à partir de 6 ans vivant aux États-Unis, en France et au Brésil.
Elle montre que si les enfants ne semblent pas être anxieux, la problématique du changement climatique les préoccupe tout de même et qu’ils se posent des questions.
« Lorsque les enfants savent que leurs parents agissent au quotidien en faveur du climat, ils se sentent rassurés. Cependant, de nombreux parents font des gestes écologiques (réduire leurs déchets, éviter d’utiliser la voiture…) sans expliquer leur motif aux enfants, par crainte de les inquiéter. C’est une erreur. Les enfants sont ravis de comprendre les choix de leurs parents et ils sont enthousiastes à l’idée d’aider eux aussi la planète. Parler ensemble de ce sujet difficile peut renforcer le lien parent-enfant. Au contraire, s’ils ont l’impression à l’adolescence que leur famille n’est pas intéressée par l’écologie – puisque c’est un sujet tabou – ils se sentiront trahis par la génération précédente et nourriront de la rancœur », explique la chercheuse.
[1] Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Association américaine de psychiatrie, 2015
[2] What We Think About When We Try Not To Think About Global Warming Toward a New Psychology of Climate Action, Per Espen Stoknes, Chelsea Green Publishing, 2015