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Les crises environnementales, responsables de l’émergence de nouvelles épidémies, vraiment ?

Dans certaines régions du monde, l’extension des terres agricoles associée à la déforestation signifie que des espèces animales sauvages sont plus à risque d’entrer en contact avec le bétail et avec les humains, et donc de transmettre d’éventuels virus. © Adobe Stock Inconnue il y a encore un an, la Covid-19 a touché en quelques […]

Le 20 Nov 2020 | Par INSERM (Salle de presse)

Dans certaines régions du monde, l’extension des terres agricoles associée à la déforestation signifie que des espèces animales sauvages sont plus à risque d’entrer en contact avec le bétail et avec les humains, et donc de transmettre d’éventuels virus. © Adobe Stock

Inconnue il y a encore un an, la Covid-19 a touché en quelques mois l’ensemble des régions du monde. En Europe, la deuxième vague de la pandémie s’accélère. Et les scientifiques sont inquiets : si la recherche pour développer de nouveaux traitements et des vaccins sûrs et efficaces contre cette maladie progresse rapidement, ils n’excluent pas que d’autres virus encore non documentés émergent dans les années à venir et se diffusent à travers le monde.

Un nombre croissant de travaux souligne que les activités humaines à l’origine de la dégradation de la biodiversité et du changement climatique constitueraient un facteur majeur dans l’accélération des épidémies. Un constat partagé par un rapport de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) publié au mois d’octobre 2020. Pour mieux comprendre le lien entre crises écologiques, maladies émergentes et pandémies, Canal Détox fait le point sur l’état des connaissances.

Origine des pandémies

La grande majorité des maladies émergentes ayant donné lieu à des épidémies sont des zoonoses, c’est-à-dire que des pathogènes d’origine animale en sont à l’origine. C’est le cas par exemple de Zika ou encore de la maladie d’Ebola pour laquelle plusieurs études ont confirmé que les chauves-souris étaient des réservoirs du virus.

Dans les précédentes épidémies de coronavirus, il a été montré que la chauve-souris constitue également le réservoir du virus comme par exemple pour l’épidémie de SRAS au début des années 2000. Un hôte intermédiaire, lui-même infecté par ces chauves-souris, est nécessaire à la transmission de ces virus chez l’humain. C’est le cas de la civette palmiste masquée pour le SRAS-CoV, vendue sur les marchés et consommée en Chine, et du dromadaire pour le MERS-CoV. Dans le cas de la pandémie de Covid-19, si l’on est bien certain qu’il s’agit d’une zoonose, le réservoir viral n’a pas encore été clairement identifié. Dans la publication Emerging Infectious Diseases, des chercheurs viennent de montrer le potentiel pour les chiens viverrins d’être infectés par les SARS-CoV-2, émettant ainsi l’hypothèse qu’il pourrait s’agir d’un hôte intermédiaire.

Le Global Virome Project, ambitieuse initiative portée par plusieurs équipes de scientifiques sur 10 ans, estime que près de 1,7 million de virus encore inconnus existent chez les mammifères et les oiseaux, dont plus de 500 000 seraient en capacité d’infecter l’espèce humaine. Or, depuis plusieurs décennies, les épidémies de maladies infectieuses émergentes touchant l’humain s’accélèrent. Une étude de référence sur le sujet, publiée dans le journal Nature en 2008, montrait déjà la fréquence accrue de l’émergence de ces pathologies et leur potentiel épidémique depuis la deuxième moitié du xxe siècle, identifiant 335 nouvelles maladies infectieuses survenues entre 1940 et 2004. Parmi elles, plus de 60 % étaient des zoonoses. Une tendance qui n’a cessé de se renforcer ces 20 dernières années avec des épidémies plus nombreuses et plus fréquentes comme l’indique le graphique ci-dessous, issu de l’étude Climate variability and outbreaks of infectious diseases in Europe parue en 2013. Ces travaux ont illustré l’évolution du nombre de maladies ayant connu des dynamiques épidémiques entre 1950 et 2010.

Évolution du nombre de maladies ayant enregistré au moins un épisode épidémique entre 1950 et 2009 (d’après GIDEON, dans M&M)

Activités humaines et biodiversité

Cette accélération de la fréquence des épidémies pourrait être en partie due aux activités humaines qui modifient l’environnement et augmentent la probabilité d’une rencontre entre humains et pathogènes. Le récent rapport de l’IPBES suggère ainsi que 30 % des maladies émergentes identifiées depuis 1960 ont été causées par des modifications dans l’aménagement du territoire au détriment de zones sauvages et par l’exploitation des terres à des fins agricoles. Des travaux parus dans Biological Conservation en août 2020 renforcent cette idée : l’augmentation de la quantité de bétail sur la planète est positivement corrélée à un nombre accru d’espèces en voie de disparition ainsi qu’à une augmentation du nombre d’épidémies humaines au cours des dernières décennies.

Dans certaines régions du monde, l’extension des terres agricoles associée à la déforestation signifie que des espèces animales sauvages sont plus à risque d’entrer en contact avec le bétail et avec les humains, et donc de transmettre d’éventuels virus. La transmission du virus Nipah en Malaisie à la fin du siècle dernier en est un bon exemple : l’habitat naturel des chauves-souris du genre Pteropus porteuses du virus y a été détruit par la déforestation, poussant ces animaux à s’installer dans les vergers à proximité d’espèces domestiquées. Le bétail a été infecté en consommant des fruits exposés aux chauves-souris et contenant le virus, puis a à son tour infecté l’humain.

Des données supplémentaires suggèrent aussi un lien entre fréquence accrue des épidémies entre 1990 et 2016, déforestation dans les zones tropicales et expansion de zones agricoles, notamment pour les plantations de palmiers à huile.

De même, le trafic et la vente d’animaux sauvages semblent aussi avoir accéléré l’exposition humaine à ces pathogènes. L’interdiction de la vente d’animaux exotiques pourrait s’avérer nécessaire pour prévenir de futures pandémies similaires à celle que nous vivons actuellement.

Réchauffement climatique

Le réchauffement climatique pourrait aussi se révéler problématique dans certains cas. Pour illustrer ce point, on peut notamment souligner que la hausse des températures a été impliquée dans l’émergence et la diffusion de l’encéphalite à tiques dans plusieurs pays européens. Certains travaux soulignent aussi que le changement climatique est associé à un risque pandémique futur dans la mesure où il pourrait accélérer les déplacements d’espèces sauvages qui constituent de potentiels réservoirs viraux ainsi que les mouvements de populations, augmentant ainsi la diffusion des maladies.

Pour de nombreux chercheurs, la surveillance et la prévention de futures épidémies sont donc étroitement liées à une action plus robuste pour mieux protéger l’environnement des activités humaines et réduire les effets les plus délétères du réchauffement climatique.

Le constat d’un lien entre crise écologique, changement climatique et épidémies constitue par ailleurs un argument pour continuer à promouvoir l’approche One Health qui aborde de façon systémique et unifiée la santé publique humaine ainsi que la santé animale et environnementale aux échelles locale, nationale et planétaire. La création du Haut Conseil Une seule santé, sur le modèle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) répond à cet impératif. Elle a été annoncée en novembre 2020 à l’occasion de l’ouverture du Forum de Paris sur la paix.

Texte rédigé avec le soutien de Claire Lajaunie, chercheuse Inserm au sein du Laboratoire population environnement développement (LPED – UMR 151)

Pour plus d’informations : voir la conférence en ligne sur le sujet https://www.arb-idf.fr/article/webinaire-sante-et-biodiversite ainsi que le chapitre 14 du livre « Biodiversity Conservation in Southeast Asia » (Routledge, 2017).

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