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Travailler en horaires décalés nuit à la santé, vraiment ?

Travailler de nuit comporterait-il des risques pour la santé ? La question est régulièrement soulevée dans les médias. Il faut dire que le sujet, plus général, du sommeil et de son impact sur le bien-être suscite beaucoup d’intérêt et concerne tout le monde. À commencer par le monde de la recherche, où de nombreuses équipes mènent […]

Le 25 Mar 2022 | Par INSERM (Salle de presse)

Le travail en horaires décalés, de nuit, est associé à des risques. Crédits : Unsplash

Travailler de nuit comporterait-il des risques pour la santé ? La question est régulièrement soulevée dans les médias. Il faut dire que le sujet, plus général, du sommeil et de son impact sur le bien-être suscite beaucoup d’intérêt et concerne tout le monde. À commencer par le monde de la recherche, où de nombreuses équipes mènent des travaux pour mieux comprendre les liens qui existent entre santé et sommeil.

Les scientifiques se penchent tout particulièrement sur la santé des personnes ayant des rythmes de travail décalés (notamment les travailleurs de nuit) ou régulièrement confrontées au décalage horaire (par exemple, les personnels navigants des compagnies aériennes). Depuis peu, ils s’intéressent aussi au phénomène de « jet lag social », qui s’observe chez ceux qui décalent de plusieurs heures leur sommeil entre le week-end et la semaine.

Ces individus, qui sont dans une situation que l’on pourrait qualifier de « décalage horaire chronique », connaissent une désynchronisation sur le long terme de leur horloge biologique interne, ce qui engendre des problèmes de santé.

Parmi les priorités de recherche à l’heure actuelle : mieux identifier les comportements et les mécanismes biologiques sous-jacents qui expliquent le développement de pathologies, mais aussi proposer une prise en charge plus adaptée des individus afin de réduire les risques.

 

Horloge biologique, rythme circadien… de quoi parle-t-on ?

Toutes nos fonctions biologiques sont régulées par le système circadien, ayant un rythme proche de 24 heures. Cette rythmicité endogène est imposée à l’organisme par une « horloge interne » qui se trouve dans l’hypothalamus, dans le cerveau, et par un ensemble d’horloges locales en périphérie de l’organisme (rétine, cœur, foie, poumon, muscle, tissu adipeux…).

Concrètement, « l’horloge » présente dans le cerveau est constituée de deux structures qui se situent à la base de l’hypothalamus – les noyaux suprachiasmatiques – et qui contiennent chacune environ 10 000 neurones dont l’activité électrique oscille sur environ 24 heures.

Le décalage horaire ou le fait de travailler en horaires décalés entraîne une désynchronisation de cette horloge biologique interne, qui n’est plus en phase avec les cycles activité-repos et veille-sommeil. Cela induit des troubles des rythmes circadiens qui peuvent avoir des conséquences sur nos différentes fonctions biologiques, du sommeil au métabolisme, en passant par le fonctionnement du système cardiovasculaire, du système immunitaire, de la division cellulaire et de la réparation des tissus… À plus long terme, cela peut se traduire par le développement de différentes pathologies.

 

Plus d’informations :

C’est dans l’air : passage à l’heure d’été

 dossier « Chronobiologie » sur inserm.fr

dossier du magazine n35 de l’Inserm

 

 

Perturbations pour la santé

Historiquement, les premières études portant sur les personnes qui pratiquaient le travail de nuit avaient déjà montré des perturbations de l’organisme à plusieurs niveaux. Cependant, la qualité méthodologique de ces travaux laissait à désirer et il était impossible de parvenir à des conclusions robustes.

En 2007, les choses ont évolué : un rapport du Centre international de recherche sur le cancer a montré que le travail de nuit associé à une désynchronisation circadienne est probablement carcinogène. Ces travaux ont été suivis, en 2012, d’un rapport de la Haute Autorité de santé confirmant ce résultat, puis en 2016 d’une large expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (présidée par Claude Gronfier, Inserm) qui conclut qu’une situation de décalage horaire chronique est un facteur de risque avéré de somnolence, de troubles du sommeil et de survenue du syndrome métabolique, et un facteur de risque probable de cancer, de troubles de la santé psychique, d’obésité et de surpoids, de diabète de type 2, et de maladies coronariennes (infarctus).

Les résultats de ce travail concluaient aussi à un risque possible d’hypertension artérielle et d’accidents vasculaires cérébraux, et que le travail de nuit conduit à une accidentologie augmentée (au travail et sur la route).

Il ne fait donc aujourd’hui plus de doute que le décalage horaire chronique induit une désynchronisation circadienne délétère pour la santé. Mais d’autres questions demeurent.

Par exemple, pourquoi certains travailleurs de nuit s’en sortent-ils mieux que d’autres ? Est-ce que cela signifie qu’il existe des facteurs de protection qui permettent d’éviter les risques liés au décalage horaire ? Et à terme, pourrait-on développer des stratégies thérapeutiques visant à éviter les perturbations de l’horloge biologique et à resynchroniser le système circadien ? 

 

La piste de la lumière

Sur ce dernier point, une piste régulièrement explorée est celle de l’utilisation de la lumière comme traitement, s’agissant du plus puissant synchroniseur de l’horloge circadienne. Des travaux récents, portés en partie par des équipes Inserm, soulignent que des expositions à la lumière à des moments très précis ont des effets bénéfiques très rapides sur la physiologie du sommeil et les fonctions non visuelles de l’organisme telles que la sécrétion de mélatonine (hormone contrôlée par l’horloge circadienne et impliquée dans la régulation du sommeil), le reflexe pupillaire, l’activité cérébrale, la température et le système cardiovasculaire, même à des niveaux très faibles de lumière.

Néanmoins, il ne s’agit pour le moment que d’observations réalisées en laboratoire et non en vie réelle. Des études épidémiologiques sont nécessaires afin d’évaluer leur efficacité dans des conditions chroniques de décalage horaire.

Autre approche qui intéresse les chercheurs : le développement des stratégies de médecine circadienne. Tout un pan de la recherche vise à évaluer si certains traitements pourraient être plus efficaces s’ils étaient donnés à certains moments de la journée ou si les doses étaient adaptées selon l’horloge biologique interne de chaque individu. L’efficacité de ces approches est avérée dans le traitement du cancer. Elle apparaît comme une approche de médecine personnalisée d’avenir.

 

Texte rédigé avec le soutien de Claude Gronfier, chercheur Inserm, Centre de recherche en neurosciences de Lyon.

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