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Un cœur de porc pour tous, vraiment ?

Le premier patient au monde à avoir reçu une greffe de cœur d’un porc génétiquement modifié a survécu deux mois. David Bennett, 57 ans, atteint d’une insuffisance cardiaque au stade terminal et d’une arythmie, avait été opéré le 7 janvier 2022 à titre compassionnel alors qu’il n’existait plus d’autre solution thérapeutique alternative à lui proposer. […]

Le 25 Mai 2022 | Par INSERM (Salle de presse)

Le premier patient au monde à avoir reçu une greffe de cœur d’un porc génétiquement modifié a survécu deux mois. David Bennett, 57 ans, atteint d’une insuffisance cardiaque au stade terminal et d’une arythmie, avait été opéré le 7 janvier 2022 à titre compassionnel alors qu’il n’existait plus d’autre solution thérapeutique alternative à lui proposer.

Dans le jargon scientifique, l’opération subie par ce patient américain s’appelle une xénogreffe (ou xénotransplantation). Il s’agit d’un acte chirurgical qui vise à transplanter à un patient un greffon sain (ici un organe entier, le cœur), provenant d’une espèce biologique différente de celle du receveur. Elle diffère ainsi de l’allogreffe (ou allotransplantation) dans laquelle le greffon provient de la même espèce que le receveur.

Face à une pénurie d’organes toujours plus importante, exacerbée notamment par la pandémie de Covid-19, les recherches portant sur la xénogreffe se sont multipliées. Le domaine peut en effet être considéré comme une alternative face au déséquilibre actuel existant entre un faible nombre d’organes disponibles et un grand nombre de patients en attente d’une transplantation.

Alors que cette première xénogreffe a fait l’objet de toutes les attentions médiatiques, suscitant parfois de faux espoirs, peut-on réellement considérer la xénotransplantation comme une avancée médicale majeure ? Quel avenir pour la xénogreffe ?

Canal Détox fait le point sur les limites et les réels progrès obtenus suite à cette xénogreffe.

L’aboutissement d’années de recherche 

Le concept de xénogreffe n’est pas nouveau, de nombreuses tentatives cliniques de transfert de l’animal à l’Homme ont eu lieu depuis trois siècles.

C’est d’ailleurs ainsi qu’aurait débuté l’histoire de la transfusion sanguine : le premier patient transfusé, en 1667, l’aurait été avec du sang… d’agneau. Ou encore, la première xénotransplantation de cornée (du porc à l’Homme) aurait été réalisée chez un patient en 1838, bien avant la première allotransplantation de cornée en 1905.

Les premiers essais concrets de xénogreffes répertoriés et concernant des organes entiers ont débuté dans les années 1960. En 1964, six patients atteints d’insuffisance rénale terminale ont été greffés de reins de chimpanzés. L’un d’entre eux, une institutrice de 23 ans, a survécu neuf mois après la xénogreffe. La même année, un patient américain a été transplanté d’un cœur de chimpanzé. Il est décédé dans les deux heures ayant suivi l’acte chirurgical. Puis en 1984, toujours aux États-Unis, Stephanie Fae Beauclair, surnommée Baby Fae, a été greffée d’un cœur d’une jeune femelle babouin à l’âge de 15 jours. Elle est décédée 21 jours après l’opération[1].

La modification génétique au cœur des recherches sur la xénogreffe

Comme dans le cas d’une allogreffe, l’obstacle le plus important à la xénotransplantation est le rejet de l’organe greffé par une cascade de mécanismes immunitaires. On parle de rejet hyper aigu, de rejet aigu ou de rejet chronique (voir encadré ci-dessous).

La prise de médicaments immunosuppresseurs[2] permet de réduire ce risque mais ne l’élimine pas. Le succès de la greffe dépend de la capacité à trouver un équilibre entre une immunosuppression suffisante (pour garantir l’absence de rejet lié à l’introduction dans le corps d’un organe considéré comme étranger) et la préservation des défenses de l’organisme pour lui permettre de prévenir et de combattre des infections. Le rejet chronique (ou sur le long terme) du greffon reste une problématique majeure.

Depuis quelques années, les travaux de recherche autour de la xénogreffe se fondent de plus en plus sur une approche génétique pour surmonter les questions relatives au rejet immédiat du greffon (ou hyper aigu). C’est d’ailleurs grâce à cette approche génétique que les médecins américains ont pu faciliter l’adaptation du cœur de porc à l’organisme du patient. En effet, ils ont réussi à supprimer l’expression de certains antigènes à la surface des cellules porcines, qui étaient jusqu’alors reconnues comme étrangères par le corps humain, empêchant ainsi la destruction immédiate de l’organe animal par le système immunitaire du patient greffé.

Ces résultats, combinés aux récentes avancées dans le domaine de la thérapie immunosuppressive ainsi qu’à d’autres approches de modification immunologique, ont permis d’augmenter le champ des possibles pour parvenir à surmonter le rejet hyper aigu de la xénogreffe.

Les différents types de rejets d’une greffe

Le rejet hyper aigu survient dans les minutes qui suivent la transplantation. Il correspond à la congestion massive et brutale de tout l’organe transplanté et à un arrêt brutal et définitif de sa fonction. Ce rejet est aujourd’hui évité par l’examen préalable de la compatibilité tissulaire du donneur et du receveur (système HLA). 

Le rejet aigu survient quelques jours après la greffe. Si l’immunité cellulaire est maîtrisée grâce à la prise d’immunosuppresseurs, l’immunité humorale médiée par les anticorps peut s’avérer problématique. Ces derniers reconnaissent les cellules du greffon et s’y fixent, déclenchant une cascade de réactions menant à leur destruction.

Le rejet chronique survient à plus long terme après la greffe. Au cours du temps, les greffons subissent des lésions et perdent progressivement leur fonctionnalité. Les mécanismes en cause, combinant réponse immunitaire, toxicité des médicaments immunosuppresseurs et d’autres phénomènes biologiques ou infectieux, font encore l’objet de recherches. 

Pour plus d’informations à ce sujet, lire le dossier : https://www.inserm.fr/dossier/transplantation-organes-greffe/

Quel avenir pour la xénogreffe ?

Dans un avenir proche, et dans le but de faire avancer la recherche sur la xénogreffe, il est important pour les scientifiques d’identifier les mécanismes impliqués dans le décès de David Bennet. De premières hypothèses formulées par l’équipe médicale, indiquent que le décès pourrait être lié à la présence d’un virus porcin dans le cœur de l’animal. Ce virus, appelé cytomégalovirus porcin, n’aurait pas été détecté avant la transplantation, et il aurait contribué à endommager le greffon animal provoquant ainsi un syndrome inflammatoire généralisé. Si cette hypothèse venait à être confirmée il est possible qu’une xénotransplantation de cœur exempt de virus puisse techniquement durer plus longtemps. Il serait toutefois nécessaire de faire appliquer un contrôle plus rigoureux des greffons avent leur transplantation.

À plus long terme, considérer la xénogreffe comme une alternative à la transplantation conventionnelle soulève des interrogations sur les plans éthique et juridique liées à l’utilisation d’animaux comme donneurs. Selon une étude menée auprès d’une centaine de patients greffés ou en attente de greffes, 30 % des interrogés refuseraient catégoriquement l’idée d’une xénotransplantation, 25 % poseraient des conditions avant d’accepter l’éventuelle xénogreffe et 45 % accepteraient sans condition.

Une autre limite à prendre en compte : le risque de zoonoses, ou dans ce cas précis de « xénozoonoses », des maladies infectieuses transmises des animaux aux humains dans des circonstances naturelles.

[1] Dans chacun des cas énoncés, les instances de santé américaines ont pu concéder aux chercheurs et médecins l’autorisation de procéder à l’acte chirurgical à titre compassionnel, avec l’accord des patients, puisqu’il n’existait aucune autre piste thérapeutique envisageable.

[2] Traitements qui limitent l’action du système immunitaire utilisés pour les maladies auto-immunes ou en cas de greffe.

Texte écrit avec le soutien de :

Alexandre Loupy, professeur de néphrologie et d’épidémiologie à l’hôpital Necker-Enfants malades et directeur de l’équipe Recherche en transplantation d’organes au PARCC (unité Inserm 970).

Patrick Nataf, professeur à l’université Paris Cité et chef du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Bichat

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