Il n’existe aujourd’hui pas de technique de dépistage de l’endométriose, que ce soit pour les femmes à risque ou en population générale. Crédits : Adobe Stock
Cet article reflète l’état des connaissances scientifiques en date de février 2022. Les connaissances scientifiques évoluant rapidement, il est possible que de nouvelles données viennent modifier une partie des conclusions mises en avant dans cet article.
L’endométriose est une maladie gynécologique répandue qui touche 1 femme sur 10. Pourtant, jusqu’à récemment, elle demeurait relativement mal connue du grand public. Néanmoins, la situation évolue, et le chef de l’État a annoncé en janvier 2022 le déploiement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose.
Dans ce contexte, l’annonce qu’un test salivaire avait été développé par la start-up lyonnaise Ziwig pour diagnostiquer rapidement et de manière non invasive l’endométriose n’est pas passée inaperçue. Si la société a qualifié son test « d’innovation mondiale » et a déjà largement communiqué auprès des médias, quelles informations apporte réellement la publication scientifique dans la revue Journal of Clinical Medicine dont les résultats sous-tendent cette communication ?
Ces résultats sont-ils aussi prometteurs qu’ils ont été présentés ? Peuvent-ils réellement changer la donne et permettre un diagnostic fiable, plus rapide et plus efficace pour les milliers de patientes touchées par la maladie ? Et d’autres études sont-elles nécessaires ? Canal Détox fait le point sur le contenu de l’étude sur laquelle s’appuie l’annonce du développement de ce test salivaire.
Des retards de diagnostic
L’endométriose est une maladie caractérisée par la présence anormale, en dehors de la cavité utérine, de fragments de tissu semblable à celui de la muqueuse de l’utérus. Ces fragments vont s’implanter et proliférer sur de nombreux organes sous l’effet de stimulations hormonales. Les principaux symptômes sont des douleurs (douleurs pelviennes notamment, surtout pendant les règles) et, dans certains cas, une infertilité.
Il n’existe aujourd’hui pas de technique de dépistage de la maladie, que ce soit pour les femmes à risque ou en population générale. Les patientes qui présentent des symptômes peuvent se voir proposer un examen clinique (examen gynécologique) qui permet ensuite d’orienter la prescription d’une échographie ou d’une IRM. Seuls ces examens couplés à une biopsie (lorsque celle-ci est possible) sont capables de donner des réponses fiables aux patientes.
Cette situation, associée à une connaissance insuffisante de l’endométriose par les professionnels de santé, engendre des retards de diagnostic importants, et explique qu’à l’heure actuelle, il s’écoule en moyenne un délai de 6 à 10 ans avant que le diagnostic ne soit définitivement posé. Disposer d’un test rapide, fiable et non-invasif pouvant être proposé aux femmes qui présentent des symptômes constituerait donc une avancée majeure.
Des résultats intéressants mais des limites méthodologiques
Dans l’étude publiée dans le Journal of Clinical Medicine, les scientifiques décrivent un test de diagnostic réalisable par voie salivaire, mis au point et testé à partir d’un échantillon de 200 femmes, dont 153 présentaient un diagnostic d’endométriose. Ils ont cherché à identifier chez les patientes des biomarqueurs qui seraient caractéristiques de la maladie. Dans ces travaux, ils sont parvenus à isoler 109 microARN qui seraient différentiellement exprimés chez les femmes atteintes d’endométriose par rapport aux patientes contrôles, et qui constitueraient donc une signature de la maladie.
Leur test, baptisé Endotest®, permettrait de vérifier la présence augmentée ou diminuée de ces microARN dans la salive et donc de déterminer si une femme serait ou non atteinte d’endométriose. L’étude précise par ailleurs que le test aurait une sensibilité de 96 %, c’est-à-dire qu’il permettrait d’identifier 96 % des patientes atteintes d’endométriose.
Sensibilité et spécificité d’un test de diagnostic
La sensibilité et la spécificité expriment la capacité d’un test à catégoriser les patients (négatifs ou positifs pour la maladie considérée).
- la sensibilité est la probabilité du résultat positif du test chez les sujets porteurs de la maladie. On parle aussi de « taux de vrais positifs » ;
- la spécificité est la probabilité du résultat négatif de test chez des patients non malades. On parle aussi de « taux de vrais négatifs ».
Cependant, l’étude comporte un certain nombre de limites méthodologiques, ce qui restreint la portée des résultats. Tout d’abord, elle n’a été réalisée que sur un petit échantillon de 200 femmes, dont les caractéristiques cliniques ne sont pas extrêmement détaillées. Ainsi, si les 153 femmes atteintes d’endométriose avaient toutes une « forme sévère » de la maladie surtout en matière de douleur, les manifestations cliniques dont elles souffraient ne sont pas précisément décrites.
Il convient de souligner que l’endométriose est loin d’être une maladie homogène. Les symptômes et le degré de sévérité varient fortement d’une personne à l’autre, d’autant qu’il s’agit d’une pathologie chronique, qui s’installe progressivement et de manière différenciée d’une patiente à l’autre.
Par ailleurs, l’Endotest® a été testé chez les mêmes patientes à partir desquelles les 109 microARNs avaient été définis. Il y a donc un risque que ce test ne fonctionne que dans ce contexte et pas chez de nouvelles patientes.
Difficile dans ces conditions de généraliser l’observation des auteurs. Trouver des biomarqueurs communs aux multiples formes d’endométriose constitue d’emblée une gageure. Affirmer avec certitude que les microARN, qui ont ici été identifiés dans un groupe bien particulier, peuvent être utilisés pour le diagnostic dans une population plus large devra être démontré dans un essai randomisé contrôlé sur de nouvelles patientes.
Perspectives à long terme
On peut aussi souligner que certaines femmes atteintes d’autres pathologies chroniques comme la maladie de Crohn pourraient présenter des signes d’inflammation similaires à ceux que l’on peut retrouver dans l’endométriose en matière d’expression de biomarqueurs. Il est donc possible que les profils de microARN de ces patientes soient aussi similaires à celui des femmes atteintes d’endométriose et qu’il soit difficile de distinguer ces maladies.
Là encore, des tests à plus grand échelle, incluant des femmes avec des symptômes variés et bien caractérisés, devraient donc être réalisés afin de voir si la sensibilité annoncée du test atteint toujours 96 % et si celui-ci peut réellement être généralisable à l’échelle de la population.
Enfin, autre limite : le coût du dispositif. Il s’agit d’un test non-invasif mais qui nécessite néanmoins une analyse en laboratoire afin d’identifier les microARN présents dans la salive. À l’heure actuelle, un tel procédé coûterait plusieurs centaines d’euros par patiente. Ce point peut toutefois être nuancé. D’une part, il est possible que la production d’un test à grande échelle diminue ces coûts, d’autre part, les coûts actuels des examens d’imagerie qui peuvent être proposés aux patientes pour le diagnostic sont eux aussi élevés.
Ces travaux ouvrent donc de nouvelles perspectives de recherche pour le dépistage de l’endométriose et permettent de mettre en lumière la problématique des retards de diagnostic. Néanmoins, en l’absence de données supplémentaires, il convient de rester prudent et de mener d’autres études pour s’assurer de la fiabilité et de la pertinence de l’approche pour le dépistage à grande échelle.
L’Inserm, un acteur clé de la recherche sur l’endométriose
Afin de placer la France aux avant-postes de la recherche et de l’innovation sur l’endométriose, le 1er comité de pilotage de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose qui s’est tenu le 14 février 2022, a confié à l’Inserm la mise en place d’un programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) doté de plus de 20 millions d’euros sur cinq ans. Il regroupera l’ensemble des meilleurs chercheurs de toutes les disciplines pouvant intervenir dans le champ de l’endométriose.
Les microARN, biomarqueurs prometteurs dans plusieurs domaines de la médecine
Les microARN sont de petits ARN produits par les cellules, non-codants, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas traduits en protéines. Depuis plusieurs années, les microARN contenus dans les fluides biologiques représentent de nouvelles pistes prometteuses pour la mise au point de biomarqueurs dans de nombreux champs de la médecine. Ils ont d’abord été étudiés dans les cancers.
Dans de nombreux contextes pathologiques, on constate une perturbation importante de l’expression des microARN dans les tissus concernés. La première démonstration d’un lien entre un microARN circulant et un cancer date de 2008, lorsqu’une étude auprès de patients atteints de lymphomes avait montré augmentation significative de trois microARN par comparaison à une population contrôle. Depuis, plusieurs études ont confirmé l’intérêt d’étudier les microARN dans de nombreuses autres maladies (dont les maladies cardiovasculaires par exemple).
Le lien qui existe entre contextes pathologiques et taux de certains microARN signifie que ces derniers sont des candidats biomarqueurs intéressants pour dépister plus précocement certaines maladies. L’environnement de recherche est particulièrement dynamique en oncologie. On peut citer par exemple le cancer du sein, pour lequel il a été montré qu’une augmentation du microARN miR-195 dans le sang apparaît de manière précoce au début de la maladie et survient chez les patientes porteuses de tumeurs de moins de 2 cm de diamètre.
Texte réalisé avec le soutien Daniel Vaiman, directeur de recherche Inserm à l’institut Cochin (équipe Des gamètes à la naissance).