Menu

Les bactériophages, vers une alternative ciblée aux antibiotiques

Représentation d’un phage fixé sur une bactérie. © Adrien BernheimReprésentation d’un phage fixé sur une bactérie. © Adrien Bernheim

Avec l’essor des antibiotiques dans les années 1930, la phagothérapie (c’est à dire l’utilisation de virus appelés bactériophages dans la lutte contre les infections bactériennes) a été abandonnée. Aujourd’hui, la montée de l’antibiorésistance rend le traitement des infections bactériennes de plus en plus difficile et la phagothérapie suscite à nouveau l’intérêt des médecins et des chercheurs malgré sa complexité de mise en œuvre due à la très grande diversité et spécificité des bactériophages. C’est ainsi que des scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Inserm, de l’AP-HP et de l’Université Paris Cité ont développé un nouvel outil susceptible de choisir, de façon simple et efficace, le meilleur cocktail de bactériophages possible pour un patient donné. Pour cela, ils ont élaboré et entraîné un modèle à base d’intelligence artificielle capable de sélectionner sur mesure des bactériophages en se basant uniquement sur le génome des bactéries ciblées. Les résultats de ces travaux ont été publiés le 31 octobre 2024 dans la revue Nature Microbiology, et ouvrent la voie à des phagothérapies personnalisées pour combattre des infections bactériennes résistantes aux antibiotiques.

Certaines bactéries, comme Escherichia coli, se montrent de plus en plus résistantes aux antibiotiques classiques et deviennent ce que l’on appelle des « superbactéries ». Pour contourner ces résistances, qui représentent un problème de santé publique majeur, des équipes de recherche explorent la voie de la phagothérapie. Le principe : utiliser des virus, appelés phages ou bactériophages, qui n’infectent que des bactéries pour éliminer de façon ciblée celles pathogènes pour l’homme.

« La phagothérapie a été inventée par le chercheur pasteurien Félix d’Hérelle dans les années 1920 puis a été abandonnée avec l’essor des antibiotiques à la fin des années 1930, beaucoup plus simples et économiques à fabriquer et à utiliser. Aujourd’hui, seuls quelques pays de l’Europe de l’Est, comme la Géorgie, utilisent encore la phagothérapie, tandis que dans les pays occidentaux, des phages à « large spectre » sont utilisés ponctuellement de façon compassionnelle pour traiter des infections chroniques multirésistantes aux antibiotiques(1), quand plus aucun médicament autorisé n’est efficace, rappelle Baptiste Gaborieau, co-premier auteur de l’article, médecin réanimateur à l’Hôpital Louis Mourier (AP-HP) et chercheur dans le laboratoire IAME (Université Paris Cité-Inserm). Depuis une vingtaine d’années, grâce à sa promotion par l’OMS(2) et plus récemment la mise en place d’essais cliniques notamment européens, la phagothérapie suscite à nouveau l’intérêt. »

L’un des défis est de savoir quel bactériophage sera efficace pour lutter contre une infection donnée, sachant que chaque phage ne peut infecter que certaines souches(3) bactériennes. Dans le sol ou l’eau où les phages sont présents naturellement, ils circulent jusqu’à trouver la bonne cible. C’est ainsi que des scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Inserm, de l’AP-HP et de l’Université Paris-Cité, ont décidé d’étudier de plus près les interactions bactéries-phages afin de savoir s’il était possible de prédire l’efficacité d’un bactériophage sur une souche bactérienne donnée. La première étape a donc consisté en la création d’une base de données de qualité avec d’un côté 403 souches de bactéries Escherichia coli et de l’autre 96 bactériophages. Un travail qui aura nécessité plus de deux ans d’efforts.

« Nous avons mis en contact les phages avec les bactéries en culture et observé quelles bactéries étaient tuées. Nous avons étudié 350 000 interactions et réussi à identifier, au niveau du génome des bactéries, les caractéristiques susceptibles de prédire l’efficacité des phages, résume Aude Bernheim, principale autrice de l’étude et responsable du laboratoire Diversité moléculaire des microbes à l’Institut Pasteur.

« Contrairement à ce que l’on pensait initialement, ce sont les récepteurs à la surface des bactéries et non leurs mécanismes de défenses qui déterminent en premier lieu la capacité des bactériophages à pouvoir ou non infecter les bactéries, et qui présagent de leur efficacité », poursuit Florian Tesson, co-premier auteur de l’article et doctorant dans les laboratoires Diversité moléculaire des microbes à l’Institut Pasteur et IAME à l’Université Paris Cité-Inserm.

Grâce à cette analyse précise et complète des mécanismes d’interaction entre les bactéries et les phages, les bio-informaticiens de l’équipe ont pu concevoir un programme d’intelligence artificielle optimisé et efficace. Ce dernier se base sur l’analyse du génome des bactéries, et plus particulièrement sur l’analyse des régions impliquées dans le codage des récepteurs membranaires de la bactérie, porte d’entrée des phages.

« Nous ne sommes pas ici devant une «  boîte noire « , et c’est ce qui fait la force de notre modèle à base d’IA. Nous savons exactement comment il fonctionne, ce qui nous aide à améliorer ses performances », souligne Hugo Vaysset co-premier auteur de l’article et doctorant au laboratoire Diversité moléculaire des microbes à l’Institut Pasteur.

Après plus de deux ans de conception et d’entraînement, l’IA a ainsi été capable de prédire correctement l’efficacité des bactériophages face aux bactéries E. coli de la base de données dans 85 % des cas, simplement en analysant l’ADN des bactéries.

« C’est un résultat qui surpasse nos attentes », avoue Aude Bernheim.

Pour aller plus loin, les chercheurs ont testé leur modèle sur une nouvelle collection de souches bactériennes d’E. coli responsable de pneumonies et ont sélectionné, pour chacune d’entre elles, un « cocktail » sur mesure de trois bactériophages. Dans 90 % des cas, les bactériophages choisis sur mesure par l’IA ont réussi leur mission et détruit les bactéries en présence. Cette méthode, facilement utilisable dans les laboratoires de biologie hospitalière, ouvre la voie dans les années à venir à une sélection personnalisée et rapide de traitements par bactériophages en cas de diagnostic d’infection bactérienne à Escherichia coli très résistants aux antibiotiques.

« Nous devons encore tester le comportement des phages dans différents environnements, mais la preuve de concept est faite. Nous espérons pouvoir l’étendre à d’autres bactéries pathogènes, car notre IA a été conçue pour s’adapter facilement à d’autres cas de figure, et offrir dans le futur des traitements de phagothérapie personnalisés », conclut Aude Bernheim.

 

  1. En France, les phages peuvent être utilisés dans le cadre d’une Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) nominative
  2. https://www.who.int/europe/fr/news/item/25-06-2024-building-evidence-for-the-use-of-bacteriophages-against-antimicrobial-resistance
  3. Groupe de bactéries ayant des caractéristiques communes au sein d’une espèce donnée

Vers une meilleure compréhension des cancers hématologiques associés à la grossesse

femme enceinte© Photo de freestocks sur Unsplash

Les équipes des départements d’hématologie clinique et biologique, de gynécologie obstétrique, de pharmacovigilance, de réanimation médicale, d’infectiologie, ainsi que de l’unité de recherche clinique de l’hôpital Cochin-Port Royal AP-HP, de l’université Paris Cité, de l’Inserm, et du réseau HEMAPREG, coordonnées par Monsieur Pierre Pinson et les Docteurs Ismael Boussaid et Rudy Birsen, ont mené une étude sur les cancers hématologiques associés à la grossesse. Les résultats de cette étude d’HEMAPREG ont fait l’objet d’une publication parue le 7 octobre 2024 dans la revue The Lancet Haematology

La survenue d’un cancer hématologique (hémopathie maligne) en cours de grossesse représente une situation qui pose des défis diagnostiques et thérapeutiques. Il s’agit en effet de concilier deux impératifs : le traitement optimal de la maladie maternelle et considérer les risques auxquels peut être exposé le fœtus. Etant donné la rareté de ces évènements, les données disponibles qui permettent de prendre les décisions médicales et d’informer les femmes et leurs familles sont actuellement limitées.

L’étude d’HEMAPREG est fondée sur une cohorte nationale issue du Système National des Données de Santé (SNDS). Elle a plusieurs objectifs clés, dont l’évaluation de l’incidence des hémopathies malignes survenant pendant la grossesse en France, l’analyse des complications maternelles et obstétricales mais aussi l’obtention des données épidémiologiques robustes qui pourraient orienter les pratiques médicales et guider la prise en charge et l’information de ces femmes dans ce contexte clinique complexe.

L’étude a inclus toutes les femmes en France dont les grossesses ont pris fin entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2022. Ont été exclues les grossesses se terminant par une fausse couche ou une interruption volontaire de grossesse dont la prise en charge n’était pas hospitalière, ainsi que les femmes ayant des antécédents d’hémopathies malignes avant la grossesse.

Entre 2012 et 2022, en France, sur un total de 9 996 523 grossesses, 1 366 cas de cancers hématologiques associés à la grossesse ont été identifiés, ce qui représente une fréquence de 13,66 pour 100 000 grossesses. Parmi ceux-ci, 413 cas ont été diagnostiqués pendant la grossesse, avec une fréquence de 4,13 pour 100 000 grossesses, et 953 cas dans l’année suivant la grossesse, soit 9,53 pour 100 000 grossesses​. L’étude montre également un taux plus élevé de naissances prématurées pour ces femmes (45,2 %) par rapport aux femmes sans hémopathie (6,6 %).

Cette étude montre par ailleurs que les femmes atteintes d’hémopathies malignes pendant la grossesse avaient la même probabilité de survie à long terme que les femmes atteintes d’hémopathies malignes et non enceintes. Ainsi, le fait d’être enceinte au moment du diagnostic n’impacte pas négativement la survie à long terme de ces patientes.

Ces résultats mettent en évidence l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire dans des centres spécialisés, afin de garantir une gestion optimale de ces situations à haut risque. Cette étude constitue également une ressource pour les professionnels de santé confrontés à ces cas, en fournissant des informations essentielles pour mieux informer les femmes et les impliquer dans les décisions thérapeutiques et la planification des soins, favorisant ainsi une prise en charge éclairée et partagée.

Le réseau HEMAPREG est composé de chercheurs et de soignants impliqués dans la prise en charge des femmes atteintes d’hémopathies malignes survenant pendant la grossesse ou dans l’année qui suit. Il a pour objectif de réaliser et de promouvoir la recherche fondamentale, translationnelle et clinique sur ces maladies, d’améliorer la prise en charge et le traitement de ces patientes.

Une supplémentation en vitamine pourrait améliorer certains symptômes d’une myopathie sévère

Coupes de muscles de souris sauvage (WT) ou dépourvues de MTM1 (KO), sans (eau) ou avec une supplémentation en précurseur de vitamine K. La coloration permet d’apprécier que la taille des fibres musculaires des souris sans MTM1 augmente jusqu’à une taille normale avec la supplémentation. Coupes de muscles de souris sauvage (WT) ou dépourvues de MTM1 (KO), sans (eau) ou avec une supplémentation en précurseur de vitamine K. La coloration permet d’apprécier que la taille des fibres musculaires des souris sans MTM1 augmente jusqu’à une taille normale avec la supplémentation. © Charlotte Gineste, IGBMC, Illkirch

La myopathie myotubulaire est une maladie génétique rare due à des mutations d’un gène, le gène MTM1. Une étude menée chez l’animal par des chercheurs de l’Inserm du CNRS et de l’université de Strasbourg à l’IGBMC, en collaboration avec des équipes américaines apporte des précisions sur les mécanismes sous-jacents de cette maladie. Ces travaux, publiés dans la revue Science, suggèrent qu’une supplémentation en vitamine K pourrait améliorer certains symptômes de la maladie, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives thérapeutiques.

La myopathie myotubulaire, aussi appelée « myopathie centronucléaire liée au chromosome X », est une maladie génétique rare et sévère affectant les nouveau-nés et enfants. Elle touche environ un enfant sur 50 000. Liée à une mutation sur le gène MTM1 situé sur le chromosome X, elle se manifeste par une altération de la taille et de la forme des fibres musculaires. Les principaux symptômes sont une faiblesse musculaire généralisée et une détresse respiratoire.

Il n’y a pas de thérapie à l’heure actuelle et les connaissances sur la myopathie myotubulaire sont encore parcellaires. Grâce à une collaboration entre les équipes de Jocelyn Laporte, directeur de recherche Inserm à l’IGBMC et Llyod Trotman à Cold Spring Harbor (USA), les mécanismes de cette maladie ont néanmoins pu être précisés. Les scientifiques ont notamment mis en évidence qu’une supplémentation en vitamine pro-oxydante pourrait améliorer les symptômes de la maladie dans un modèle animal.

Les effets d’une supplémentation en vitamine K

Dans la myopathie myotubulaire, la perte de la protéine MTM1, liée à la mutation du gène du même nom, entraîne un surplus d’un lipide appelé PI3P. Dans ce contexte, les scientifiques s’intéressent à une enzyme, la kinase VPS34, qui pourrait être l’une des clés pour comprendre ce mécanisme. En effet, on sait que VPS34 produit ce lipide et s’oppose à l’action de la protéine MTM1. Elle pourrait donc être un levier à exploiter pour tenter d’agir sur la maladie.

Dans cette étude, les scientifiques ont commencé par montrer que l’action de VPS34 peut être bloquée par un mécanisme d’oxydation. Fort de ce constat, ils ont cherché à déterminer si ce « blocage » pouvait avoir un effet pour corriger la myopathie myotubulaire.

Pour cela, ils se sont intéressés à une vitamine bien connue, la vitamine K, qui est naturellement présente dans les légumes verts à feuilles (tels que chou vert, épinards et chou frisé), l’huile de soja et de colza. En effet, cette vitamine à des propriétés oxydantes.

Les scientifiques ont donc ajouté un précurseur de la vitamine K à l’alimentation de souris modèles de myopathie myotubulaire. Ils ont montré que cette supplémentation en vitamine améliore significativement l’espérance de vie de ces souris ainsi que la masse et l’organisation musculaire, et par voie de conséquence leur fonction motrice.

« Ces résultats encourageants chez l’animal nous confortent dans l’idée qu’agir sur la kinase VPS34, via la supplémentation en vitamine K, pourrait être une piste prometteuse pour améliorer les symptômes de la maladie », explique Jocelyn Laporte.

Ces résultats devront maintenant être validés dans des études plus larges et des essais cliniques. A terme, ils pourraient conduire à recommander la supplémentation en vitamine K pour les patients atteints de myopathie myotubulaire, dans l’espoir notamment d’améliorer leur motricité et leur autonomie.

Une nouvelle approche thérapeutique prometteuse pour les patients atteints de malformations artérioveineuses

malformations artérioveineusesCoimmunofluorescence phospho-ERK (rouge), Green Fluorescent Protein (cyan) et DAPI sur coupe de rate de souris porteuses d’une mutation endothéliale KRAS G12C © Guillaume Canaud

Les équipes de l’unité de médecine translationnelle et thérapies ciblées de l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, de l’Inserm, de l’université Paris Cité au sein de l’Institut Necker–Enfants Malades, coordonnées par les professeurs Guillaume Canaud (Université Paris Cité, AP-HP) et Laurent Guibaud (Hospices Civils de Lyon, Centre de référence des anomalies vasculaires superficielles), ont mené une étude montrant un effet prometteur du médicament anticancéreux sotorasib pour les malformations artérioveineuses secondaires à une mutation du gène KRAS de type G12C. Les résultats ont fait l’objet d’une publication parue le 17 juillet 2024 dans la revue New England Journal of Medicine.

Une malformation artérioveineuse (MAV) résulte de connexions anormales entre les artères et les veines. Les MAV sont fréquemment associées à des symptômes de type douleurs, saignements, insuffisance cardiaque, déformité esthétique ou à des compressions d’organes. Ces malformations progressent en général au fil du temps. Les MAV sont dans la plupart des cas d’origine génétique, soit « germinales » donc familiales, soit sporadiques dues à une mutation génétique localisée. Dans nombre de ces derniers cas, le gène responsable est le gène KRAS, un gène impliqué dans la croissance, la prolifération et la survie cellulaire. Il existe différents types de mutation KRAS. Pour le moment, aucun traitement médicamenteux n’est approuvé dans ces pathologies.

Le sotorasib, développé par le laboratoire Amgen, est un médicament anticancéreux utilisé pour traiter un type de cancer du poumon, le cancer du poumon non à petites cellules (CBNPC) avancé, présentant une mutation du gène KRAS, la mutation KRAS G12C. Le médicament cible ainsi de manière sélective la protéine KRAS p.G12C.

Les équipes des Professeurs Guibaud et Canaud ont identifié la présence d’une mutation KRAS G12C chez deux patients adultes ayant des MAV sévères et sans ressource thérapeutique. Ils ont alors décidé de créer deux modèles de souris développant des malformations vasculaires secondaires à une mutation KRAS G12C afin de mieux comprendre la physiopathologie de ces malformations. Les modèles précliniques ont en grande partie récapitulé les malformations observées chez l’homme. Grace à ces deux modèles, ils ont ensuite testé et démontré l’efficacité du sotorasib pour prévenir le développement des malformations vasculaires et améliorer significativement la survie des souris.

Fort de ces résultats, les Professeurs Guibaud et Canaud ont obtenu une autorisation d’utilisation du sotorasib par le laboratoire Amgen pour l’administrer à ces deux patients dans le cadre de leur prise en charge thérapeutique. Dans les semaines suivants le début du traitement, les deux patients ont noté une amélioration nette de leurs symptômes (arrêt des saignements, cicatrisation d’ulcérations cutanées chroniques, disparition de la douleur et récupération d’une surdité), une réduction cliniquement visible de la malformation. Ce dernier résultat a ensuite d’ailleurs été confirmé par IRM. Après 2 ans de suivi, les patients n’ont pas développé de résistance au traitement.

Ce travail démontre l’intérêt d’obtenir un diagnostic moléculaire pour ce type de maladies rares et la possibilité de repositionner des médicaments très ciblés développés pour d’autres indications, comme les chercheurs l’avaient fait précédemment pour l’alpelisib dans le syndrome de CLOVES et les syndromes apparentés.

Ces résultats devront être confirmés par des études à venir sur un nombre plus important de patients. Ces repositionnements médicamenteux ouvrent de nouveaux champs thérapeutiques, en particulier pour les MAV, pour lesquelles ces médicaments pourraient être combinés à une prise en charge chirurgicale ou en radiologie interventionnelle.

Syndrome de Cloves : Quand l’étude d’une maladie rare permet d’avancer sur des maladies plus répandues

Glomérulonéphrite proliférativeBiopsie rénale montrant une glomérulonéphrite proliférative chez un patient ayant un lupus. Immunofluorescence: Phospho-AKT (vert), Néphrine (rouge) et DAPI (bleu) © Guillaume Canaud

L’équipe de recherche Médecine Translationnelle et Thérapies Ciblées, dirigée par le professeur Guillaume Canaud à l’Institut Necker-Enfants Malades (Université Paris Cité, AP-HP, Inserm), internationalement reconnue pour avoir identifié l’alpelisib comme traitement potentiel du syndrome de Cloves et des syndromes apparentés, vient de mettre au jour une nouvelle application pour ce médicament sur une pathologie plus fréquemment répandue : la glomérulonéphrite proliférative. Cette maladie rénale, pouvant conduire à une insuffisance rénale terminale, touche notamment certains patients atteints de lupus, une maladie auto-immune. Ce travail vient d’être publié dans la revue Journal of Clinical Investigation.

Le syndrome de Cloves, ou syndrome de surcroissance dysharmonieuse, est dû à une mutation du gène PIK3CA. Ce gène, présent dans toutes les cellules, régule la croissance et la multiplication des cellules normales. Une mutation sur ce gène entraîne un excès de prolifération de cellules et de tissus dans l’organisme. Bien identifiée dans le syndrome de Cloves, la mutation du gène PIK3CA se retrouve aussi dans d’autres pathologies.

L’histoire de cette découverte débute lorsqu’un patient atteint du syndrome de Cloves, et suivi par le Pr G. Canaud, également néphrologue, développe une insuffisance rénale sévère secondairement à une glomérulonéphrite proliférative. En cherchant la cause de cette glomérulonéphrite, le Pr G. Canaud et son équipe mettent en évidence dans certaines cellules rénales du patient, la présence de la même mutation du gène PIK3CA que dans le syndrome de Cloves.

Partant de cette identification, l’équipe de recherche crée un modèle pré-clinique de souris porteuses de cette mutation PIK3CA dans certaines cellules du rein. Les chercheurs observent alors que les souris développent une glomérulonéphrite proliférative semblable à celle du patient et que celle-ci est améliorée par un traitement par alpelisib.

Cette découverte des mécanismes en jeu dans différentes formes d’une maladie rénale assez répandue, et l’utilisation potentielle d’inhibiteurs pharmacologiques de PIK3CA ouvrent la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques.

L’embryon humain doit son premier changement de forme à la contraction de ses cellules

Embryon humain au stade blastocysteEmbryon humain au stade blastocyste prêt à s’implanter. L’enveloppe du noyau des cellules est visible en bleu et le cytosquelette d’actine en orange. © Julie Firmin et Jean-Léon Maître (Institut Curie, Université PSL, CNRS UMR3215, INSERM U934)

La compaction de l’embryon humain, étape indispensable à son développement dans ses premiers jours de formation, est impulsée par la contraction de ses cellules. C’est ce que viennent de découvrir des scientifiques du CNRS, de l’Institut Curie, de l’Inserm, de l’AP-HP et du Collège de France. Ces résultats, à paraitre dans Nature le 1er mai 2024, contredisent le présupposé rôle moteur de l’adhésion des cellules embryonnaires dans ce phénomène et ouvrent la voie à une amélioration des techniques de fécondation in vitro.

Chez l’espèce humaine, la compaction des cellules embryonnaires est une étape cruciale au bon développement de l’embryon. Le quatrième jour après la fécondation, les cellules se rapprochent les unes des autres avant de donner à l’embryon sa première forme. Une compaction défaillante empêche la formation de la structure qui garantit son implantation dans l’utérus maternel. Cette étape est donc particulièrement surveillée avant toute implantation d’embryon en procréation médicalement assistée (PMA).

En s’intéressant aux mécanismes en jeu dans ce phénomène encore mal connu, une équipe de recherche interdisciplinaire1 menée par des scientifiques du laboratoire Génétique et biologie du développement (CNRS/Inserm/Institut Curie) a fait une découverte surprenante : la compaction de l’embryon humain est impulsée par une contraction des cellules embryonnaires. Les difficultés de compaction ne seraient donc pas dues à un manque d’adhérence entre les cellules embryonnaires, contrairement à ce qui était supposé jusqu’alors, mais à des défauts de contractilité des cellules. Si ce mécanisme avait déjà été identifié chez la mouche, le poisson zèbre ou la souris, c’est une première chez l’espèce humaine.

En améliorant notre compréhension des premières étapes du développement embryonnaire humain, l’équipe de recherche espère contribuer au perfectionnement des techniques d’identification des embryons fécondés in vitro dans le cadre de PMA, alors que près d’un tiers des inséminations sont aujourd’hui infructueuses2.

Ces résultats ont été obtenus en cartographiant les tensions à la surface de cellules embryonnaires humaines. Les scientifiques ont également testé les effets d’une inhibition de la contractilité ou de l’adhésion des cellules, et analysé la signature mécanique de cellules embryonnaires à la contractilité défaillante.

Embryon humain au stade 4 cellules.Embryon humain au stade 4 cellules. L’ADN des cellules est visible en rouge et leur cytosquelette d’actine en bleu. La cellule de droite vient de séparer son génome en deux et s’apprête à se diviser. © Julie Firmin et Jean-Léon Maître

 

1 Ont également participé à ces travaux des scientifiques du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CNRS/Collège de France/Inserm), du Service de biologie de la reproduction – CECOS (AP-HP), de l’Institut Cochin (CNRS/Inserm/Université Paris Cité).

2 Source : Agence de la biomédecine

Obésité : privilégier les omégas 3 pour prévenir les risques associés à la maladie

Microglies (en jaune, cellules immunitaires du cerveau)

Microglies (en jaune, cellules immunitaires du cerveau), activées par la nature pro-inflammatoire d’un régime enrichi en huile de tournesol (microscopie à fluorescence). © Clara Sanchez/Inserm

L’obésité est un problème de santé publique majeur, qui touche près de 650 millions d’adultes dans le monde[1]. Cette maladie est souvent associée à une inflammation systémique et cérébrale ainsi qu’à des troubles de l’anxiété ou cognitifs, comme par exemple des déficits de mémoire. Dans une nouvelle étude, des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Université Côte d’Azur, au sein de l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire, ont essayé de comprendre plus précisément la manière dont l’alimentation pouvait entraîner l’obésité, ainsi que les comorbidités qui lui sont associées. Ils se sont intéressés plus spécifiquement aux acides gras oméga 6 (ω6) et oméga 3 (ω3), explorant les effets sur la santé de divers régimes alimentaires avec des ratios d’acides gras variables (voir encadré ci-dessous). Leurs résultats indiquent un qu’un régime enrichi en ω6 (dans ce cas précis, en huile de tournesol) est fortement associé à des altérations du métabolisme, de l’inflammation et des fonctions cognitives, tandis qu’un régime enrichi en ω3 (ici, en huile de colza) présente certains effets préventifs. Ces travaux permettent d’envisager des interventions diététiques se fondant sur un faible rapport ω6/ω3 (en préférant donc plutôt l’huile de colza à l’huile de tournesol) pour lutter contre l’obésité et les troubles neurologiques qui lui sont associés. Ils sont publiés dans Brain Behavior and Immunity.

Selon l’OMS, depuis 1975, le nombre de cas d’obésité a presque triplé à l’échelle planétaire. La pathologie est associée à de nombreuses comorbidités (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, arthrose, cancers et troubles cognitifs) et à une mortalité élevée. Ses causes sont complexes et impliquent l’interaction de plusieurs facteurs. Une alimentation non équilibrée est néanmoins reconnue comme le facteur contributif majeur de la maladie.

Par ailleurs, de précédentes études[2] ont montré que l’obésité était associée non seulement à un dysfonctionnement métabolique, mais aussi à une inflammation chronique au niveau des organes périphériques (les tissus adipeux, le foie, les muscles squelettiques et le pancréas), ainsi qu’au niveau du système nerveux central (on parle alors de neuro-inflammation). Cette neuro-inflammation dans l’obésité se caractérise par l’augmentation de marqueurs pro-inflammatoires au niveau de la région de l’hypothalamus, région du cerveau connue pour contrôler le comportement alimentaire[3]. Cependant, la nature des lipides nutritionnels qui pourraient être responsables de cette neuro-inflammation n’a pas encore été élucidée.

Dans une nouvelle étude, des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Université Côte d’Azur se sont spécifiquement intéressés à certains acides gras essentiels au bon fonctionnement de notre organisme, et connus pour avoir des propriétés anti- et pro-inflammatoires : les omégas 3 et 6 (voir encadré ci-dessous). Leur objectif : mieux comprendre si dans le cadre d’un régime riche en lipides (dit « régime obésogène ») ces omégas 3 et 6 sont impliqués dans le phénomène de neuro-inflammation, et s’ils peuvent être associés au développement de l’obésité.

Leurs travaux partent par ailleurs du constat d’une tendance toujours plus forte dans les pays développés à une consommation excessive d’omégas 6, dont les propriétés inflammatoires sont bien documentées dans la littérature scientifique[4].

Omégas 3 et omégas 6 : l’importance de l’équilibre entre les acides gras

Omégas 3 et omégas 6 sont des acides gras essentiels au bon fonctionnement de notre organisme qui n’est pas en mesure de les produire ni de les synthétiser par lui-même. Ils doivent donc être apportés par l’alimentation, mais leur consommation doit respecter un certain équilibre (on parle de ratio oméga 6/oméga 3), afin de combiner les propriétés pro-inflammatoires des omégas 6 avec les propriétés anti-inflammatoires des omégas 3.

  • les acides gras oméga 6: par exemple les acides linoléique et gamma-linolénique se retrouvent dans de nombreuses huiles telles que celles de tournesol et de maïs ;
  • les acides gras oméga 3: par exemple les acides eicosapentaénoïque et docosahéxanoïque se retrouvent dans les poissons gras, ou l’acide alpha-linolénique dans les huiles telles que celles de lin, de chanvre, de colza, de noix ou de soja.

Les scientifiques ont évalué, dans des modèles animaux, les effets sur la santé de trois régimes alimentaires obésogènes – riches en lipides – présentant chacun un ratio d’acides gras variable.

Pour composer ces régimes spécifiques, les chercheurs ont utilisé des huiles végétales disponibles dans le commerce, à savoir de l’huile de colza (riche en oméga 3) et de l’huile de tournesol (riche en oméga 6). L’un contenait un ratio d’acides gras oméga 6/oméga 3 élevé, c’est-à-dire, très enrichi en omégas 6 et donc en huile de tournesol. Le second présentait un ratio intermédiaire, équilibré en omégas 3 et en omégas 6 ; le dernier était très enrichi en omégas 3, et donc en huile de colza.

Ils ont pu mesurer grâce à divers examens les effets variables de ces régimes sur la prise de poids et le stockage de graisse, la réponse au niveau de l’homéostasie glucidique[5], le développement de l’anxiété et troubles cognitifs, ainsi que l’inflammation du cerveau.

Au terme de l’expérience qui a duré jusqu’à 5 mois, les scientifiques ont ainsi pu observer (résultats résumés dans le schéma ci-dessous) :

  • une altération du métabolisme, de la neuro-inflammation et des fonctions cognitives, notamment une augmentation de l’anxiété et des troubles de la mémoire spatiale chez les souris obèses soumises au régime enrichi en omégas 6, et donc en huile de tournesol ;
  • un effet protecteur du régime enrichi en omégas 3, riche en huile de colza, sur la prise de poids, la régulation de l’homéostasie glucidique et le développement de troubles cognitifs.

« Alors qu’on attribuait jusqu’alors à l’obésité l’augmentation de l’état inflammatoire, dans cette étude nous montrons que l’état inflammatoire dépend du type de régime auquel est exposé l’animal. Autrement dit, c’est le fait d’être nourri avec un régime riche en omégas 6 qui est responsable des phénomènes inflammatoires observés et non l’obésité elle-même », explique Clara Sanchez, chercheuse post-doctorante à l’Inserm, première autrice de l’article.

« Cette étude montre aussi pour la première fois l’effet protecteur contre l’obésité et les phénomènes inflammatoires associés que peut présenter un régime enrichi en lipides, à condition de favoriser la consommation d’omégas 3. Ces travaux permettent d’envisager des interventions diététiques se fondant sur un faible rapport ω6/ω3 pour lutter contre l’obésité et les troubles neurologiques qui lui sont associés », explique Carole Rovère, chercheuse Inserm dernière autrice de l’article.

Dans leur découverte, les scientifiques ont par ailleurs observé chez ces souris, une modification de la forme de certaines cellules du cerveau situées dans l’hypothalamus, les microglies, qui semblent s’activer en réponse à un régime riche en omégas 6. Leurs travaux consisteront désormais à mieux comprendre le rôle spécifique de ces cellules dans l’obésité.

 

[1]OMS, 2016

[2]Gregor et Hotamisligil, 2011 ; Thaler et al., 2012

[3] Baufeld et al., 2016 ; Cansell et al., 2021 ; De Souza et al., 2005 ; Le Thuc et Rovère, 2016 ; Salvi et al., 2022

[4] L’OMS préconise de consommer cinq omégas 6 pour un oméga 3. Alors qu’au sein des sociétés occidentales, ce rapport explose – il serait 3 fois supérieur aux recommandations actuelles d’omégas 6.

[5]L’homéostasie glucidique est un état d’équilibre entre les apports (absorption intestinale suite à un repas ou production de glucose par le foie) et l’utilisation de glucose (entrée de glucose et utilisation dans les organes).

De nouvelles découvertes sur la sénescence cellulaire ouvrent des pistes thérapeutiques dans la lutte contre les maladies liées au vieillissement

cellules sur-exprimant l’enzyme GK

L’augmentation de l’activité de l’enzyme Glycerol Kinase (GK) à elle seule est capable d’arrêter la prolifération cellulaire et démarrer un programme de sénescence. La coloration bleue des cellules est un biomarqueur de la sénescence. Sur cette image, on voit des cellules sur-exprimant l’enzyme GK. © Khaled Tighanimine/équipe Mario Pende.

La sénescence cellulaire est un processus physiologique qui a été associé dans de nombreux travaux aux maladies liées au vieillissement. Néanmoins, les mécanismes biologiques de la sénescence et la manière dont celle-ci pourrait constituer une cible thérapeutique d’intérêt pour lutter contre ces pathologies demeurent encore assez mal compris. Dans une nouvelle étude publiée dans Nature Metabolism, des scientifiques de l’Inserm, d’université Paris Cité et du CNRS au sein de l’Institut Necker Enfants Malades, ont identifié des changements métaboliques, c’est-à-dire des modifications de l’utilisation de l’énergie par les cellules, associés à la sénescence. Cette étude suggère aussi que ces changements métaboliques, qui entrainent l’accumulation de graisse dans la cellule, pourraient être une cible thérapeutique prometteuse dans les maladies liées au vieillissement.

La sénescence cellulaire est un processus physiologique qui entraîne une modification des fonctions de la cellule et un arrêt irréversible de ses divisions. Elle est induite par une exposition aiguë ou chronique de l’organisme à des signaux de stress physiologique (comme par exemple des dommages causés à l’ADN, le vieillissement, l’oncogénèse[1]…).  Il est aujourd’hui bien établi que l’accumulation de cellules sénescentes dans l’organisme contribue aux maladies liées à l’âge, mais on ne comprend pas encore entièrement son rôle dans l’initiation de ces pathologies ni tous les mécanismes sous-jacents impliqués.

Pour accroitre les connaissances sur le sujet, le chercheur Inserm Mario Pende et ses collègues s’intéressent depuis plusieurs années, notamment dans le cadre du programme scientifique AgeMed (voir encadré), aux changements métaboliques qui s’opèrent au niveau des cellules lors du processus de sénescence.

En effet, la sénescence est caractérisée par une inflammation et une reprogrammation métabolique, c’est-à-dire par une modification de l’utilisation de l’énergie par les cellules.

« Comprendre les changements métaboliques qui interviennent au niveau des cellules pendant le vieillissement est donc clé, car cela pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour cibler la sénescence et en retirer des avantages pour la santé » explique Mario Pende.

Dans leur nouvelle étude, les scientifiques ont d’abord eu recours à des approches de transcriptomique (l’analyse de l’ensemble des molécules d’ARN résultant de la transcription du génome) et de métabolomique (l’analyse des métabolites, petits composés organiques issus de l’organisme) pour étudier ces changements in vitro, dans des cellules sénescentes soumises à différents stress.

En combinant ces différentes méthodes, ils ont pu identifier une « signature » métabolique distincte associée à la sénescence. Dans les cellules sénescentes, ils ont en effet constaté qu’il y avait une accumulation de plusieurs métabolites : le lactate, l’alpha ketoglutarate, le glycérol-3-phosphate (G3P) et la phosphoéthanolamine (PEtn). Ces accumulations résultent de modifications dans l’activité de certaines enzymes (dont une enzyme appelée « glycérol kinase »). Ces résultats ont ensuite été confirmés dans d’autres types cellulaires et sur des modèles animaux.

« En combinaison avec d’autres mesures, cette signature métabolique pourra être utilisée comme biomarqueur du vieillissement cellulaire et ainsi permettre son suivi pendant la vie d’un individu », souligne Mario Pende.

Dans la seconde partie de l’étude, les scientifiques ont aussi cherché à moduler les changements métaboliques qu’ils avaient observés, afin de voir s’ils pouvaient réduire les effets délétères de la sénescence sur la santé. En utilisant des molécules qui inhibent l’activité de l’enzyme glycérol kinase, ils ont constaté une réduction de l’inflammation liée à la sénescence tout en diminuant l’accumulation de graisses dans les cellules (les triglycérides).

« Nous ne sommes pas parvenus à redémarrer le cycle cellulaire et à pousser les cellules sénescentes à se multiplier à nouveau. En revanche, nous avons pu observer clairement une diminution des marqueurs inflammatoires associés au processus de sénescence. Nos résultats indiquent donc globalement que réguler le changement métabolique observé dans les cellules sénescentes pourrait être une stratégie prometteuse pour cibler la sénescence cellulaire dans les maladies liées au vieillissement », conclut Mario Pende.

[1] La conversion d’une cellule normale en cellule cancéreuse

Ces travaux ont fait l’objet d’un dépôt de brevet par Inserm Transfert.

Le programme transversal AgeMed de l’Inserm

L’équipe dirigée par Mario Pende est membre actif du programme de recherche AgeMed, qui vise à décrypter les mécanismes cellulaires impliqués dans le processus de vieillissement. Les équipes de Eric Gilson, Oliver Bischof and Bertrand Friguet ont aussi participé à cette étude.

L’objectif est d’identifier des voies cellulaires et des cibles moléculaires qui permettront, dans un second temps, de développer des pratiques médicales innovantes pour prévenir et guérir les maladies liées à l’âge.

Plus d’informations sur inserm.fr : https://www.inserm.fr/nous-connaitre/programme-transversal-agemed/

Diabète de type 2 : découverte d’un nouveau marqueur biologique de risque cardiovasculaire

Cellule bêta pancréatique humaineImage issue du magazine Science & Santé, janvier-février 2013, rubrique Grand angle, p30. Cellule bêta pancréatique humaine. Les noyaux des cellules sont colorés en bleu et l’insuline contenue dans les cellules est en rouge.

Un nouveau marqueur pronostic de risque cardiovasculaire chez les personnes atteintes de diabète de type 2 (DT2) a été identifié par des scientifiques de l’Inserm, de l’Université Paris Cité et du CNRS à l’Institut Necker Enfants malades à Paris. L’équipe dirigée par le chercheur Inserm Nicolas Venteclef a montré que la quantité de globules blancs circulants dans le sang, ainsi que certains sous-types, sont associés au risque d’accident vasculaire cérébral ou d’infarctus du myocarde à dix ans. Ce résultat paru dans Circulation Research pourrait permettre de dépister les individus atteints de DT2 les plus à risque pour accroître la prévention. Un brevet a été déposé en ce sens par l’équipe fin 2023.

Les personnes atteintes de diabète de type 2 (DT2) ont environ deux fois plus de risque de présenter un accident cardiovasculaire associé à l’athérosclérose au cours de leur vie, comme un infarctus du myocarde ou un accident vasculaire cérébral. L’athérosclérose est une maladie caractérisée par la présence de plaques le long de la paroi des artères susceptibles de se rompre et d’obstruer le flux sanguin.

Identifier les sujets qui sont le plus à plus risque de développer cette maladie parmi les personnes diabétiques de type 2, demeure très difficile. En effet, les scores prédictifs à dix ans qui intègrent plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires comme l’âge, le tabagisme ou encore le taux de cholestérol sont peu fiables lorsqu’ils sont appliqués à cette population, y compris en tenant compte de facteurs spécifiques au diabète de type 2 (durée du diabète, hémoglobine glyquée HbA1c…). Il est donc important d’identifier de nouveaux facteurs prédictifs pour cette population spécifique.

Dans une nouvelle étude, l’équipe du chercheur Inserm Nicolas Venteclef, à l’institut Necker Enfants Malades (Inserm/Université Paris Cité/CNRS), s’est intéressée à une catégorie de globules blancs circulant dans le sang, les monocytes, qui sont directement impliqués dans l’apparition et la progression de l’athérosclérose. En évaluant leur quantité dans le sang et les sous-types présents chez les patients atteints de DT2, les chercheurs ont souhaité vérifier si ces paramètres pouvaient constituer des marqueurs associés au risque cardiovasculaire.

En effet, dans le cas de l’athérosclérose, les monocytes circulant dans le sang sont « recrutés » au niveau de la paroi interne des artères. Là, ils se différencient en macrophages, des cellules capables de capturer le « mauvais cholestérol » et de produire des molécules inflammatoires. Plus les macrophages s’accumulent, plus ils captent de lipides, plus l’inflammation est importante et plus la plaque d’athérome croît. À terme, ces plaques peuvent entraîner la lésion de la paroi artérielle, obstruer le vaisseau ou se rompre.

Un travail sur trois cohortes de patients

Pour ce travail, l’équipe s’est appuyée sur trois cohortes de patients DT2. Tout d’abord, à partir de la cohorte AngioSafe-2[1] incluant 672 diabétiques de type 2, les chercheurs ont constaté que le taux de monocytes circulants était positivement corrélé à l’importance des plaques d’athérome et donc au risque d’accident cardiovasculaire lié à l’athérosclérose, indépendamment de l’âge et de la durée du diabète. Autrement dit, plus il y a de monocytes circulants, plus le risque d’accident cardiovasculaire est élevé.

Ce premier résultat a été confirmé auprès d’une seconde cohorte appelée GLUTADIAB, comprenant 279 personnes atteintes de diabète de type 2. Ce travail a également inclus l’analyse moléculaire des monocytes circulants dans ces deux cohortes et a permis d’identifier certains sous-types de monocytes prédominants chez les sujets DT2 à haut risque cardiovasculaire.

Restait à comprendre comment les scientifiques pouvaient utiliser ce résultat pour prédire le risque cardiovasculaire. Une troisième cohorte appelée SURDIAGENE qui suit des personnes atteintes de diabète de type 2[2] a permis aux auteurs de disposer du taux de monocytes circulants totaux pour 757 patients suivis en prévention cardiovasculaire. En corrélant ces taux avec les cas de survenue d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral dans la cohorte, ils ont pu mettre en évidence que les personnes atteintes de diabète de type 2 qui ont un nombre de monocytes supérieur à un certain seuil (0,5 × 109/L) auraient un risque cinq à sept fois plus élevé d’événement cardiovasculaire dans les dix ans par rapport à celles ayant un nombre de monocytes inférieur à ce seuil.

Forts de ces résultats, les scientifiques ont déposé un brevet protégeant leur découverte. Ils travaillent à présent à l’élaboration d’un capteur électronique qui permettrait d’effectuer le dosage des monocytes circulants à partir du prélèvement d’une goutte de sang[3] en les classant par sous-types de monocytes. L’objectif à terme est d’inclure cette analyse dans les scores pronostics du risque cardiovasculaire déjà existants, pour identifier les patients diabétiques de type 2 les plus à risque et améliorer la prévention.

Ces travaux ont fait l’objet d’un dépôt de brevet par Inserm Transfert.

 

[1] recrutés dans les services de diabétologie des hôpitaux Lariboisière et Bichat Claude Bernard AP-HP

[2] Suivis dans le service d’endocrinologie du CHU de Nantes

[3] en partenariat avec l’Institut public PRINT’UP

Découverte du rôle d’un régulateur cérébral impliqué dans des maladies psychiatriques

Il était communément admis que des familles de récepteurs synaptiques transmettaient des messages excitateurs et d’autres inhibiteurs vis-à-vis des neurones. © Adobe Stock

Dans le cerveau, un récepteur supposément excitateur appelé GluD1 se révèle contre tout attente jouer un rôle majeur dans le contrôle de l’inhibition des neurones. Des altérations dans le gène GluD1 étant retrouvées dans un certain nombre de troubles neurodéveloppementaux et de maladies psychiatriques comme les troubles du spectre autistique (TSA) ou la schizophrénie, cette découverte ouvre la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques pour lutter contre les déséquilibres entre transmissions neuronales excitatrices et inhibitrices associés à ces maladies. Ce travail, publié dans Science, est le fruit de collaborations de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’ENS au sein de l’Institut de biologie de l’ENS (IBENS, Paris) avec le laboratoire de Biologie moléculaire du MRC à Cambridge au Royaume-Uni.

La complexité du fonctionnement du cerveau révèle bien des surprises. Alors qu’il était communément admis que dans l’activité cérébrale, des familles de récepteurs synaptiques (situés à l’extrémité d’un neurone) transmettaient des messages excitateurs et d’autres inhibiteurs vis-à-vis des neurones, une étude copilotée par les chercheurs Inserm Pierre Paoletti et Laetitia Mony à l’Institut de Biologie de l’ENS rebat les cartes.

Pour bien comprendre de quoi il retourne, revenons aux fondamentaux. Une synapse « excitatrice » déclenche la création d’un message nerveux sous forme de courant électrique si un récepteur à sa surface peut se fixer à un neurotransmetteur excitateur présent dans l’espace interneuronal, le plus souvent du glutamate. On parle d’excitation neuronale. Une synapse « inhibitrice » empêche au contraire cette excitation neuronale en libérant un neurotransmetteur inhibiteur, souvent le GABA. On parle d’« inhibition neuronale ». Ainsi, la famille de récepteurs à glutamate (iGluR) et celle des récepteurs à GABA (GABAAR) ont a priori des rôles opposés.

Toutefois, un sous-type de récepteur au glutamate appelé GluD1 intriguait les scientifiques. En effet, alors qu’il est censé avoir un rôle excitateur, celui-ci est préférentiellement retrouvé au niveau de synapses inhibitrices. Cette observation, effectuée par l’équipe de la chercheuse Inserm Cécile Charrier à l’Institut de Biologie de l’ENS en 2019, avait interpellé la communauté scientifique car le gène GluD1 est souvent associé à des troubles du neurodéveloppement comme l’autisme ou à des maladies psychiatriques de type troubles bipolaires ou schizophrénie, dans les études génétiques de population humaine. Comprendre le rôle de ce récepteur représente donc un enjeu de taille. Pour y voir plus clair, l’équipe de Pierre Paoletti a étudié ses propriétés moléculaires et sa fonction, à partir de cerveaux de souris, au niveau de l’hippocampe où il est fortement exprimé.

Un rôle atypique 

Les chercheurs savaient déjà que contrairement à son nom, le récepteur GluD1 ne peut pas se lier au glutamate. Mais dans cette étude, ils ont eu la surprise de constater qu’il fixait le GABA. L’équipe de Radu Aricescu à Cambridge a même décrit dans la publication la structure atomique fine du site d’interaction de GluD1 avec le GABA, grâce à une technique appelée cristallographie aux rayons X[1].

Son rôle dans le cerveau n’est donc a priori pas excitateur de l’activité neuronale mais inhibiteur. En prenant en compte ce résultat, peut-on toujours dire qu’il s’agit d’un récepteur appartenant à la famille des récepteurs à glutamate ?

« C’est en effet une interrogation mais toutes les analyses de phylogénie (les liens de parenté entre gènes et protéines) et les données structurales montrent qu’il en fait bien partie. En revanche, il est possible que certaines mutations acquises au cours de l’évolution aient profondément modifié ses propriétés fonctionnelles », explique Pierre Paoletti.

Autre curiosité, ce récepteur ne fonctionne ni comme un récepteur « classique » du glutamate ni comme un récepteur du GABA. Les deux provoquent en effet l’ouverture de canaux dans la membrane cellulaire permettant le passage d’ions responsables de l’excitation ou de l’inhibition du neurone. Le récepteur GluD1, lui, ne permet l’ouverture d’aucun canal. Son activité résulte d’autres mécanismes internes à la cellule qui restent à clarifier.

Enfin, ce travail suggère un rôle régulateur majeur de GluD1 vis-à-vis des synapses inhibitrices. En effet, lorsqu’il est activé par la présence de GABA, la synapse inhibitrice voit son efficacité augmenter. Cela se traduit par une réponse inhibitrice plus importante qui perdure pendant des dizaines de minute.

« Autrement dit, GluD1 renforce le signal d’inhibition. Peut-être en favorisant le recrutement de nouveaux récepteurs GABA à la synapse ? On peut en tout cas parler de régulateur clé », explique Laetitia Mony.

Pour les scientifiques ayant contribué à ce travail, cette découverte marque une véritable avancée.

« Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension des déséquilibres entre messages excitateurs et inhibiteurs dans le cerveau en cas de troubles neurodéveloppementaux et de maladies psychiatriques comme les TSA ou encore la schizophrénie, ou dans des maladies comme l’épilepsie caractérisée par une hyper excitabilité neuronale. Dans un second temps, il sera important d’étudier si GluD1 peut constituer une cible thérapeutique intéressante pour rétablir un meilleur équilibre et réduire les symptômes dans ces maladies », concluent-ils.

 

[1] Il s’agit d’une technique d’analyse physicochimique qui se fonde sur la diffraction des rayons X par la matière pour connaître sa composition moléculaire et sa structure en 3D.

fermer