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Comment le microbiote stimule la croissance

Visualisation du microbiote intestinal humain (rouge) au sein de la couche de mucus (verte) située à la surface de l’intestin. © Benoit Chassaing/Institut Cochin

Le microbiote intestinal est aujourd’hui considéré comme un organe à part entière. Une équipe pilotée par des scientifiques du CNRS et de l’ENS de Lyon, en collaboration avec l’Université Claude Bernard Lyon 1, l’Inserm, et l’Inrae ont travaillés sur ce sujet dans une publication à paraître dans la revue Science. Les scientifiques ont découvert, chez l’animal, comment une bactérie du microbiote pouvait stimuler la croissance juvénile dans des conditions nutritionnelles appauvries.

L’activité du microbiote est essentielle à une vie en bonne santé mais elle reste encore mal comprise. Dans de précédentes études, l’équipe de recherche avait révélé que le microbiote intestinal joue un rôle important dans la croissance des jeunes individus chez des espèces aussi distantes que l’insecte drosophile ou la souris domestique.

En particulier, une souche de la bactérie Lactiplantibacillus plantarum (LpWJL) est particulièrement efficace pour stimuler la croissance juvénile de ces animaux dans des conditions nutritionnelles appauvries. Dans cette nouvelle étude, l’équipe de recherche internationale1 dirigée par des scientifiques de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (CNRS/ENS de Lyon) a identifié l’un des mécanismes par lequel cette bactérie agit sur la croissance de souriceaux en sous-nutrition après le sevrage2.

L’administration quotidienne par voie orale de la bactérie LpWJL à ces souriceaux stimule localement la maturation de l’épithélium intestinal ce qui soutient la production d’hormones (insuline et IGF-13) essentielles à une croissance saine.

Les scientifiques ont identifié une molécule produite par la bactérie et un composant majeur des parois cellulaires bactériennes : le muramyldipeptide. Cette molécule est suffisante pour stimuler la production d’insuline et d’IGF-1 en se fixant à NOD2, un récepteur présent sur les cellules de l’épithélium intestinal chez la souris.

microbiote

La bactérie LpWJL améliore la croissance de souris sous-alimentées via la reconnaissance du muramyldipeptide de sa paroi et la signalisation intestinale NOD2. © Amélie Joly

 

Ces résultats établissent que le muramyldipeptide et son récepteur NOD2 contribuent à atténuer des retards de croissance liés à une sous-nutrition chronique.

Ces travaux permettent d’envisager chez les enfants en sous-nutrition chronique des interventions bactériennes couplées à des interventions nutritionnelles afin d’améliorer leur dynamique de reprise de croissance. Enfin, ils offrent aussi des perspectives d’études sur d’autres populations nécessitant une nutrition optimisée telle que les personnes âgées ou les sportifs de haut-niveau.

 

1 En France, ont également participé des scientifiques du laboratoire Microbiologie intégrative et moléculaire (CNRS/Institut Pasteur), de l’Institut Micalis (Inrae/Agroparistech/Université Paris-Saclay), du laboratoire Physiologie cellulaire (Inserm/Université de Lille), du laboratoire Carmen (Inserm/Inrae/ Université Lyon Claude Bernard Lyon 1), du Service de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques des Hospices civils de Lyon. A l’étranger, ces recherches ont impliqué des scientifiques de l’Académie des sciences de République tchèque et de l’European Molecular Biology Laboratory (Allemagne).

2 Phase de développement post-natal correspondant à la fin de l’alimentation par le lait maternel et au début de l’alimentation autonome.

3 Le facteur de croissance IGF-1 (Insulin-like Growth Factor 1), produit principalement par le foie, présente une structure chimique proche de celle de l’insuline mais des fonctions distinctes. L’IGF-1 stimule la croissance tissulaire et squelettique et l’insuline régule le métabolisme énergétique nécessaire à la croissance.

Un facteur sanguin impliqué dans la dépression

Petit groupe de cellules souches nerveuses isolées chez la souris et cultivées in vitro observées au microscope confocal. (LaminB1 en vert, Sox2 en rouge) © Unité Perception et mémoire – Institut Pasteur

Le processus de vieillissement est souvent lié à l’apparition de troubles cognitifs, d’états dépressifs ou encore de perte de mémoire. Des scientifiques de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm ont découvert que l’administration de la protéine GDF11, déjà connue pour régénérer les cellules nerveuses murines, améliore les capacités cognitives et par ailleurs diminue les états dépressifs chez des souris âgées. Ils ont également mis en évidence le mécanisme d’action de cette protéine dans différents modèles murins. Les scientifiques ont ensuite approfondi ces résultats sur la dépression, et ont montré que chez l’humain, le taux de GDF11 est inversement lié aux épisodes dépressifs. Les résultats de cette étude sont parus dans la revue Nature Aging le 2 février 2023.

Le processus de vieillissement est souvent lié à l’apparition de troubles neurologiques : déclin cognitif, perte de mémoire ou encore troubles de l’humeur comme la dépression. Des études précédentes ont montré que le facteur de croissance « GDF11 », une protéine présente dans le sang, avait un effet bénéfique sur les perceptions olfactives et sur le processus de génération de nouvelles cellules dans le cerveau de souris âgées. Le mécanisme d’action de GDF11 dans le cerveau restait encore inconnu.

Des chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm ont découvert que l’administration sur le long terme de la protéine GDF11 à des souris âgées, améliore leurs capacités de mémorisation et atténue significativement les troubles du comportement liés à un état dépressif, leur permettant de retrouver un comportement similaire à des souris plus jeunes.

Les scientifiques ont poursuivi leur étude dans différents modèles murins âgés ou bien présentant des troubles du comportement lié à un état dépressif ainsi que dans des cultures de neurones in vitro, ce qui leur a permis d’identifier le mécanisme d’action moléculaire de GDF11. Ils ont en effet découvert que l’administration de GDF11 active au niveau du cerveau le processus naturel de nettoyage intracellulaire, appelé « autophagie », et l’élimination des cellules sénescentes. La protéine GDF11 augmente ainsi le renouvellement de cellules dans l’hippocampe de manière indirecte et restaure l’activité neuronale.

Afin de mieux comprendre le lien entre les troubles dépressifs et la protéine GDF11 chez l’humain, les scientifiques de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm, en collaboration avec des scientifiques de l’université McMaster, ont quantifié la protéine dans le sérum sanguin d’une cohorte internationale de jeunes patients atteints de troubles dépressifs. Ils ont observé que les taux de GDF11 sont significativement plus bas chez ces patients. Par ailleurs, en mesurant les taux de cette protéine à différents stades, les scientifiques ont observé une fluctuation du taux en fonction de l’état dépressif.

« Ce travail apporte des preuves cliniques reliant les niveaux faibles sanguins de GDF11 aux troubles de l’humeur chez des patients atteints de dépression » indique Lida Katsimpardi, chercheuse dans l’unité Perception et mémoire à l’Institut Pasteur, affiliée à l’Inserm au sein de l’Institut Necker Enfants Malades et co-dernière auteure de l’étude. « A l’avenir, cette molécule pourrait être utilisée pour diagnostiquer, tel un biomarqueur, des épisodes dépressifs. Elle pourrait également servir de molécule thérapeutique pour le traitement des dysfonctions cognitives et affectives. » conclue-t-elle.

Protéger le microbiote de l’effet néfaste des additifs alimentaires grâce à une bactérie

microbiote colon

Section montrant l’interaction du microbiote et de l’épithélium intestinal au niveau du colon. En bleu, le mucus sécrété par l’épithélium intestinal pour se protéger contre le microbiote. En rose, les noyaux des cellules de l’épithélium. © Noëmie Daniel/Inserm

Les émulsifiants sont des additifs alimentaires utilisés pour améliorer la texture et prolonger la durée de conservation des aliments. On les retrouve dans de nombreux plats transformés (crèmes glacées, gâteaux emballés, sauces…), bien que leurs effets néfastes sur l’équilibre intestinal aient été démontrés. Dans une nouvelle étude, des scientifiques de l’Inserm, du CNRS et d’Université Paris Cité à l’Institut Cochin à Paris ont aspiré à contrecarrer les effets délétères induits par la consommation d’émulsifiants en fortifiant l’épithélium intestinal via son repeuplement par une bactérie naturellement présente dans l’intestin : Akkermansia muciniphila. Ajouter cette bactérie au microbiote intestinal permettrait d’empêcher les dommages causés par la consommation d’agents émulsifiants. Ces données, publiées dans le journal Gut, confirment le potentiel grandissant d’Akkermansia muciniphila en tant que probiotique.

Des millions de personnes consomment des agents émulsifiants quotidiennement. Ces produits figurent parmi la liste des additifs alimentaires les plus largement utilisés par l’industrie agroalimentaire. Et pour cause, ils permettent d’améliorer la texture des aliments et de prolonger leur durée de conservation. Par exemple, des émulsifiants comme la lécithine et les polysorbates garantissent la texture onctueuse des crèmes glacées industrielles et évitent qu’elles ne fondent trop rapidement une fois servies.

De précédents travaux menés par l’équipe de Benoît Chassaing, chercheur Inserm à l’Institut Cochin (Inserm/CNRS/Université Paris Cité), ont montré que la consommation de certains agents émulsifiants entraînait l’altération du microbiote intestinal[1] et son interaction avec l’appareil digestif. Ces altérations du microbiote conduisent à une inflammation intestinale chronique et à des dérégulations métaboliques. Plus précisément, ces recherches ont montré que la consommation d’émulsifiants alimentaires induisait la capacité de certains éléments du microbiote à rentrer en contact étroit avec l’épithélium – la première ligne de défense de l’appareil digestif qui normalement est stérile.

 Dans cette nouvelle étude, les chercheurs ont voulu contrecarrer les effets délétères induits par la consommation d’émulsifiants en fortifiant l’épithélium intestinal. Pour cela, ils se sont intéressés plus spécifiquement à la bactérie Akkermansia muciniphila, qui, naturellement présente dans l’intestin, a déjà révélé avoir un impact sur les interactions du microbiote avec le reste de l’organisme.

Par ailleurs, on sait que la quantité de cette bactérie se retrouve diminuée suite à la consommation d’agents émulsifiants.

Des groupes de souris ont ainsi reçu des agents émulsifiants par le biais de leur alimentation, supplémentée ou non avec une dose quotidienne d’Akkermansia muciniphila. Les scientifiques ont observé que, tandis que la consommation d’agents émulsifiants alimentaires était suffisante pour induire une inflammation chronique associée à des altérations du métabolisme et à une hyperglycémie, les souris recevant Akkermansia muciniphila étaient totalement protégées contre de tels effets. L’administration d’Akkermansia muciniphila a aussi été suffisante pour prévenir l’ensemble des altérations moléculaires normalement induites par la consommation d’agents émulsifiants, et notamment le rapprochement des bactéries de la paroi de l’épithélium.

« Ce travail conforte la notion que l’utilisation d’Akkermansia muciniphila en tant que probiotique pourrait être une approche pour maintenir la santé métabolique et intestinale contre les stress modernes tels que les agents émulsifiants qui promeuvent l’inflammation intestinale chronique, et les conséquences néfastes qui en résultent. De plus, cela suggère que la colonisation intestinale par Akkermansia muciniphila pourrait prédire la propension individuelle à développer des désordres intestinaux et métaboliques suivant la consommation d’émulsifiants : plus la présence de la bactérie est importante, plus l’individu serait protégé des effets néfastes des additifs alimentaires sur le microbiote », explique Benoît Chassaing, dernier auteur de l’étude.

[1] Ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent dans l’intestin.

Une nouvelle perspective thérapeutique de la prééclampsie

Les cellules d’origine placentaire sont marquées en bleu (noyaux), et les espèces réactives de l’oxygène produites par les mitochondries sont marquées en rouge par fluorescence. Le niveau de ces espèces est altéré lors de la prééclampsie. © Laurent Chatre, Institut Pasteur / CNRS

La prééclampsie est une maladie qui affecte le placenta lors de la grossesse, et qui est dangereuse à la fois pour le fœtus et pour la mère. Des chercheurs et chercheuses de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et du CNRS proposent une nouvelle thérapie, testée chez deux modèles rongeurs, qui corrige les défauts identifiés dans ces cellules du placenta et restaure le poids placentaire et le poids fœtal. Le traitement a permis de corriger au niveau maternel la pression artérielle ainsi que l’excès de protéines dans les urines et les anomalies cardiovasculaires qui caractérisent la prééclampsie. Ces travaux ont été publiés le 30 juillet dans la revue Redox Biology.

Avec environ 2 à 8 % des femmes enceintes qui en souffrent dans le monde, la prééclampsie est une dysfonction du placenta au cours de la grossesse. Cette pathologie peut avoir des complications mortelles, avec plus de 50 000 morts maternelles par an, et indirectement plus d’un million de morts fœtales ou périnatales dans le monde. Hypertension artérielle, protéinurie (présence importante de protéines dans les urines), anomalie de la coagulation dans le placenta, anomalies cardiovasculaires chez la mère et retard de croissance fœtale sont des symptômes clés de la prééclampsie. La prééclampsie a aussi des effets sur le long terme chez la mère, plusieurs années après la grossesse, au niveau cardiovasculaire, rénal, cérébral et hépatique. Le traitement actuellement recommandé pour la prééclampsie, avec toutes ses limites, est la prise préventive d’aspirine par les patientes à risque. Ce traitement a pour effet de faire baisser l’état pro-coagulant dans le placenta et de soulager partiellement le réseau vasculaire.

La prééclampsie est caractérisée par un placenta défectueux, à cause de trophoblastes dysfonctionnels. Les trophoblastes sont des cellules spécifiques du placenta qui contribuent à organiser et gérer le réseau vasculaire au bénéfice de l’apport en oxygène, nutriments, et autres éléments essentiels à la croissance fœtale. Au niveau moléculaire, la prééclampsie se caractérise par une aggravation incontrôlée du stress oxydatif avec la production en excès de différentes espèces réactives, dont celles de l’oxygène et de l’azote. Il existe une composante génétique : le premier gène identifié impliqué dans les formes familiales de prééclampsie est celui du facteur de transcription STOX1, qui contrôle l’expression de milliers de gènes, en particulier ceux qui interviennent dans la production du monoxyde d’azote (NO). Dans un modèle de souris transgénique, la forte accumulation de STOX1 dans le placenta induit un syndrome prééclamptique. Le monoxyde d’azote, puissant agent vasodilatateur qui permet de dilater les vaisseaux sanguins afin de favoriser les afflux vers le placenta, est mobilisé vers la production de molécules potentiellement toxiques (stress nitrosatif) dans la prééclampsie, et vient à manquer au réseau vasculaire placentaire, ce qui a pour effet d’impacter le fonctionnement des trophoblastes, le réseau vasculaire, ainsi que de déstabiliser d’autres espèces réactives. Un cercle vicieux s’installe alors et provoque un stress oxydatif/nitrosatif incontrôlable aux multiples complications affectant aussi les cellules des vaisseaux sanguins maternels, avec des conséquences éventuellement mortelles.

Le NO est produit par une famille d’enzymes, les oxyde nitrique synthases (NOS). Trouver un moyen de restaurer la production de NO dans le placenta à travers les NOS pourrait constituer une nouvelle thérapie pour traiter efficacement la prééclampsie. Un moyen a été proposé grâce au fruit d’une collaboration de plusieurs années entre l’équipe du Dr. Daniel Vaiman (Institut Cochin, Inserm/CNRS/Université Paris Cité) et l’équipe du Dr. Miria Ricchetti (Département de biologie du développement et cellules souches, Institut Pasteur/CNRS), avec le Dr. Laurent Chatre*, ainsi qu’une équipe américaine du Mississipi. Ces travaux se sont basés à la fois sur des trophoblastes surexprimant STOX1, ainsi que sur deux modèles rongeurs de prééclampsie, l’un qui mime les formes précoces via la surexpression placentaire de STOX1, et l’autre mimant les formes tardives de prééclampsie par occlusion partielle de l’aorte abdominale basse. Ces travaux ont mis en évidence une cascade d’évènements qui a finalement permis de proposer une nouvelle thérapie. Le traitement des trophoblastes avec le BH4 (ou tétrahydrobioptérine, un cofacteur qui stabilise l’enzyme NOS produisant le NO) a permis de corriger les défauts identifiés dans ces cellules. Plus important encore, l’administration de BH4 sur les deux modèles précliniques de rongeurs a permis de restaurer le poids placentaire et le poids fœtal. Enfin, sur le modèle préclinique précoce STOX1 avec une importante hypertension artérielle et protéinurie, le traitement BH4 a permis de corriger au niveau maternel la pression artérielle, l’excès de protéines dans les urines et les anomalies cardiovasculaires. Les résultats suggèrent même que le traitement serait efficace pour contrer les effets à long terme de la prééclampsie sur les mères (anomalies vasculaires cérébrales, rénales, cardiaques, hépatiques).

Ces travaux sont la première pierre vers le développement d’une thérapie de la prééclampsie. En effet, ces travaux ont aussi montré, avec des analyses génétiques (transcriptomiques) des placentas traités avec le BH4, que le BH4 corrige l’expression de nombreux gènes perturbés par l’excès de STOX1, et ce de manière différente des dérégulations induites par l’aspirine dans le placenta. En conclusion, il est proposé que le traitement combinant le BH4 et l’aspirine pourrait être une solution thérapeutique ultime pour de nombreux cas de prééclampsie. Cette hypothèse reste à valider par des études cliniques.

*Auparavant chercheur CNRS à l’Institut Pasteur, Dr. Laurent Chatre est depuis septembre 2018 chercheur CNRS dans le laboratoire Imagerie et stratégies thérapeutiques pour les cancers et tissus cérébraux (CNRS/Université de Caen Normandie).

Nouvelle étape pour comprendre l’impact de l’acide valproïque sur le développement du système nerveux

Organoïdes cérébraux humains en culture. L’organoïde de droite a été exposé à l’acide valproïque en culture, tandis que l’organoïde de gauche ne l’a pas été. La coloration pour le marqueur de sénescence (couleur bleue) montre que l’acide valproïque induit la sénescence cellulaire dans l’organoïde traité. © Muriel RHINN

 

L’acide valproïque est un médicament utilisé pour traiter l’épilepsie, les troubles bipolaires et d’autres maladies psychiatriques. Si la prise de ce traitement par les femmes enceintes a été associée à des troubles du développement et de la cognition chez les enfants exposés au cours de la grossesse, les mécanismes par lesquels il provoque ces problèmes demeurent mal compris. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’Université de Strasbourg à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) ont mené des expériences sur des organoïdes cérébraux humains et dans des modèles animaux, pour y voir plus clair. Leurs résultats suggèrent que l’acide valproïque induit une sénescence cellulaire[1] excessive dans les cellules souches du cerveau embryonnaire, et que cela explique en partie certains défauts du développement neural ainsi que certaines caractéristiques physiologiques de l’exposition au médicament, comme la microcéphalie. Ces travaux de recherche sont publiés dans le journal Plos Biology.

L’acide valproïque (VPA) est un médicament largement prescrit pour traiter l’épilepsie, les troubles bipolaires, la migraine ainsi que d’autres maladies. Cependant, ce traitement est tératogène s’il est pris pendant la grossesse : les futures mères courent un risque considérablement accru de donner naissance à des enfants présentant certains défauts de développement (troubles neurodéveloppementaux, déficiences cognitives ou encore malformations congénitales). En 2018, l’Agence européenne de médecine a recommandé que l’acide valproïque ne soit plus prescrit aux femmes enceintes. 

On estime toutefois qu’actuellement, en France, entre 17 000 et 30 000 enfants souffrent d’un certain niveau de déficience cognitive ou de troubles du spectre autistique (TSA) suite à l’exposition in utero à ce médicament. Indépendamment de ces troubles, certains bébés exposés développent aussi des malformations congénitales, comme par exemple la microcéphalie[2] ou encore le spina bifida[3]. Entre 2000 et 4000 enfants seraient concernés par ce type de problèmes.

Alors que ces données sont bien connues et confirmées par de nombreuses études, les mécanismes sous-jacents qui expliquent l’impact de l’acide valproïque sur le développement sont encore mal documentés. Il apparaît nécessaire d’étudier comment le VPA provoque ces anomalies au niveau cellulaire et moléculaire.

 

Sénescence dans le cerveau

Le chercheur Inserm Bill Keyes et son équipe à l’IGBMC (Inserm/CNRS/Université de Strasbourg) ont découvert que l’acide valproïque active un processus de sénescence cellulaire qui entraîne un arrêt du développement des cellules du cerveau au stade embryonnaire. Souvent une réponse au vieillissement, ou aux maladies liées à l’âge, la sénescence est l’arrêt irréversible du cycle cellulaire, qui aboutit à la mort des cellules.

Pour parvenir à ces résultats, les scientifiques ont d’abord étudié des embryons de souris exposés à l’acide valproïque. Ils ont identifié une forte sénescence dans les cellules neuroépithéliales, les précurseurs embryonnaires du cerveau, qui a pour conséquence une diminution du nombre de neurones à l’origine d’une altération du développement cérébral.

Ensuite, ils ont observé des résultats similaires dans des cellules neuroépithéliales humaines grâce à l’utilisation d’organoïdes, des structures utilisées pour simuler le développement du cerveau humain.

La sénescence pendant le développement

Bill Keyes et son équipe étudient depuis plusieurs années la sénescence. Ce processus biologique est habituellement plutôt associé au vieillissement et aux maladies liées à l’âge. Cependant, les recherches de l’équipe ont montré il y a 10 ans que la sénescence pouvait dans certains cas toucher certaines cellules au moment du développement embryonnaire, avec des effets bénéfiques.

L’hypothèse des scientifiques est la suivante : initiée au mauvais moment du développement, la sénescence peut en revanche être associée à des troubles cognitifs ou du développement neural. Leur étude sur l’acide valproïque a été menée dans ce contexte, alors que leurs travaux du laboratoire visent à mieux comprendre les liens entre le développement et la sénescence.

 

Identifier une protéine clé

Pour aller plus loin et mieux comprendre comment ce processus de sénescence délétère se met en place, les scientifiques ont mené des études génétiques sur les souris et ont ainsi montré l’implication d’une protéine appelée p19Arf.

Ils ont aussi mis en évidence que le déclenchement de cette sénescence dans les cellules neuroépithéliales, sous le contrôle de p19Arf, est associé à des défauts de développement du système nerveux et à la microcéphalie mais pas à d’autres anomalies qui sont parfois causées par le médicament, comme le spina bifida.

« Nous montrons que l’acide valproïque provoque une sénescence abusive dans le cerveau. Ces résultats permettent de mieux comprendre une des manières dont l’acide valproïque agit sur le système nerveux au moment du développement embryonnaire et cause certains des défauts qui peuvent être observés chez les bébés exposés. Cependant d’autres études permettront d’approfondir ce travail pour identifier d’autres mécanismes impliqués », souligne Bill Keyes, chercheur Inserm, dernier auteur de l’étude.

L’équipe souhaite à présent continuer à étudier la sénescence dans d’autres modèles pour comprendre le rôle de ce processus dans d’autres troubles du développement. « La découverte que l’activation atypique de la sénescence dans l’embryon peut perturber le développement soulève la possibilité qu’elle puisse également contribuer à des défauts dans des contextes de développement au-delà de ceux que nous avons étudiés ici », conclut Muriel Rhinn, première auteure de l’étude et chercheuse CNRS.

[1] La sénescence est l’arrêt irréversible du cycle cellulaire, qui aboutit à la mort des cellules.

[2] Malformation congénitale où la tête du bébé est plus petite en comparaison avec celles des bébés du même sexe et du même âge.

[3] Anomalie de la fermeture du tube neural qui aurait dû avoir lieu normalement entre le 21ème et le 28ème jour de grossesse.

Infertilité : nouvelles pistes pour comprendre les effets délétères de la chimiothérapie

immunomarquage

Image représentative d’un immunomarquage sur une coupe de testicule de souris. Le marquage rouge permet de visualiser les cellules germinales indifférenciées et le marquage vert correspond à la détection de la protéine GFP reflétant l’expression du récepteur TGR5 dans ce modèle d’étude. ©David Volle/Inserm

L’infertilité est un problème de santé publique affectant des millions de couples en France. Parmi les causes possibles, la chimiothérapie a été pointée du doigt comme ayant des effets particulièrement délétères sur la fertilité des femmes comme sur celle des hommes. Comprendre les mécanismes à l’origine de ces effets négatifs est une priorité afin de mieux les prévenir et de restaurer la fertilité chez les survivants du cancer. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’université Clermont Auvergne se sont intéressés à un récepteur que l’on retrouve sur les cellules germinales masculine à l’origine des gamètes. L’objectif : mieux comprendre son rôle dans l’infertilité causée par une exposition à la chimiothérapie. Les résultats, publiés dans le journal Advanced Science, ouvrent la voie à une meilleure compréhension de l’infertilité masculine et au développement de traitements pour réduire les risques de stérilité en cas de chimiothérapie.

Près de 3,3 millions de Français sont directement touchés par l’infertilité. Celle-ci peut concerner aussi bien les hommes que les femmes et n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Il s’agit aujourd’hui d’un problème de santé publique majeur[1].

Si les causes de l’infertilité sont nombreuses, il est actuellement bien établi que les traitements contre le cancer, et notamment la chimiothérapie, peuvent avoir des effets particulièrement délétères sur la fertilité masculine et féminine. Alors que les thérapies anticancéreuses ont connu des améliorations ces dernières années, il devient urgent de se pencher sur cette problématique, car un nombre croissant de survivants du cancer va être concerné par des problèmes d’infertilité.

Depuis près de 15 ans, le chercheur Inserm David Volle et son équipe au sein du laboratoire Génétique, reproduction et développement (Inserm/CNRS/Université Clermont Auvergne) tentent de mieux comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents de l’infertilité. Une partie de leurs travaux s’intéresse à l’impact de la chimiothérapie sur la fertilité masculine, avec l’objectif à plus long terme d’identifier des pistes pour contrer les effets néfastes de ce traitement.

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs et chercheuses se sont intéressés à des récepteurs présents à la membrane des cellules, appelés TGR5, pour comprendre leur rôle dans les effets délétères de la chimiothérapie.

Les récepteurs TGR5 sont très étudiés dans le contexte des maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité. Ils sont en effet activés par les acides biliaires, des molécules produites au niveau du foie qui régulent certaines fonctions physiologiques, dont la glycémie et la dépense énergétique.

De précédents travaux de l’équipe avaient toutefois montré que ces récepteurs sont aussi présents au niveau des cellules germinales, les cellules à l’origine des gamètes. Dans des modèles de souris mimant une maladie hépatique, avec des taux d’acides biliaires élevés, les scientifiques avaient constaté que les récepteurs TGR5 sur les cellules germinales étaient activés, ce qui était associé à une augmentation de la stérilité chez les animaux.

Mort des cellules germinales

Pour aller plus loin et comprendre l’impact des TGR5 sur la fertilité dans le contexte de la chimiothérapie, les scientifiques ont ici exposé des souris à un agent de chimiothérapie appelé busulfan. Ils ont alors montré que la chimiothérapie induit la mort d’une partie des cellules germinales chez des souris saines, affectant ainsi leur fertilité. « Le fait que ce soit les cellules germinales, encore indifférenciées, qui soient touchées est particulièrement problématique car l’on touche à la réserve des cellules produisant les gamètes. Cela peut réduire leur renouvellement et contribuer à l’infertilité post-chimiothérapie », souligne David Volle.

En revanche, chez des souris qui ont été génétiquement modifiées pour que les récepteurs TGR5 soient absents, les effets de la chimiothérapie sur les cellules germinales sont atténués. Cela se traduit par un retour accéléré de la fertilité chez ces souris traitées au busulfan par rapport aux souris témoins.

« Notre étude a donc permis de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans les impacts délétères des chimiothérapies sur les cellules germinales et la fertilité. En effet, ces résultats démontrent que les récepteurs TGR5 jouent un rôle important dans les effets délétères de la chimiothérapie sur l’infertilité », ajoute David Volle.

A plus long terme, l’objectif serait de développer des méthodes pour moduler l’activation des récepteurs TGR5 de manière ciblée au sein des cellules germinales, afin de protéger ces dernières et de restaurer la fertilité après la chimiothérapie.

L’idée serait aussi d’évaluer si ces données peuvent être extrapolées dans d’autres contextes pathologiques où l’activité des récepteurs TGR5 pourrait être modulée telles que l’obésité ou le diabète, des pathologies connues pour altérer la fertilité.

Par ailleurs, en parallèle de ces travaux, l’équipe a constaté que même lorsque la fertilité était maintenue chez les souris exposées à la chimiothérapie, la qualité des gamètes était affectée. Les scientifiques s’attachent donc désormais à comprendre les impacts sur les cellules germinales tant au niveau quantitatif que qualitatif pour limiter les troubles de la fertilité, mais également les conséquences à plus long terme sur la descendance des animaux.

 

[1] La publication d’un rapport demandé par le ministre de la Santé et le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Famille, en Février 2022 dessine les contours d’une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sur_les_causes_d_infertilite.pdf

Comprendre la capacité du poisson-zèbre à reconstituer sa nageoire ouvre des pistes pour les progrès de la médecine régénérative

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Le poisson-zèbre, aussi appelé Danio rerio, est une espèce tropicale couramment utilisée dans les laboratoires de recherche en tant qu’organisme modèle. © Adobe Stock

 

Dans le règne animal, plusieurs espèces partagent l’extraordinaire capacité de régénérer leurs membres ou leurs appendices suite à une amputation. Parmi elles, le poisson-zèbre est particulièrement étudié dans les laboratoires de recherche, en raison de sa capacité à régénérer sa nageoire caudale. Ce phénomène est rendu possible par la formation d’un blastème, une structure transitoire composée de cellules indifférenciées, qui amorce et contrôle la régénération du tissu. Mieux comprendre les cellules qui composent le blastème et décrypter leurs interactions, c’est ouvrir la voie à une meilleure compréhension des processus de régénération, avec l’ambition de développer des applications cliniques dans le domaine de la médecine régénérative. Dans une étude publiée dans Nature Communications, des scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Montpellier ont fait un pas en avant vers cet objectif, en identifiant au sein du blastème, la population cellulaire qui orchestre le processus de régénération chez le poisson-zèbre.

Le poisson-zèbre, aussi appelé Danio rerio, est une espèce tropicale couramment utilisée dans les laboratoires de recherche en tant qu’organisme modèle, depuis la fin des années 1990. Il présente en effet de nombreux intérêts pour les scientifiques, tels que la transparence de l’embryon et son développement externe, plus facile à observer que celui des mammifères. Par ailleurs, 70% des gènes présents chez l’Homme trouvent un homologue chez le poisson-zèbre. Cette conservation génétique avec les autres vertébrés fait du Danio rerio, un modèle de choix pour décrypter plusieurs processus biologiques majeurs et leur conservation au fil de l’évolution.

De manière surprenante, le poisson-zèbre est aussi capable de régénérer sa nageoire caudale lorsque celle-ci a été amputée, grâce à la formation transitoire d’une masse de cellules appelée « blastème ».

Au stade larvaire, cette structure assure la régénération de l’appendice sectionné en seulement trois jours : de quoi susciter l’intérêt de la communauté scientifique, car la compréhension des mécanismes qui sont associés à ce processus pourrait ouvrir la voie à des applications multiples dans le domaine de la médecine régénérative.

Cependant, seules quelques cellules du blastème avaient été décrites jusqu’ici et les mécanismes biologiques sous-jacents demeuraient mal documentés. Dans leurs précédents travaux, Farida Djouad, directrice de recherche à l’Inserm, et son équipe avaient mis en évidence le rôle inédit des macrophages, cellules du système immunitaire, lors de la formation du blastème des poissons-zèbres. L’équipe avait ainsi prouvé que les macrophages orchestrent les processus inflammatoires nécessaires à la prolifération des cellules du blastème et à la régénération de la nageoire caudale.

 

Identifier la cellule chef d’orchestre de la régénération

Dans leur nouvelle étude, ces chercheurs ont été plus loin dans l’exploration du blastème et ont révélé l’implication majeure d’une nouvelle population cellulaire, les cellules dérivées de la crête neurale[1]. Ces cellules sont présentes chez tous les vertébrés, y compris chez l’espèce humaine, et jouent notamment un rôle clé dans le développement de l’embryon.

Les scientifiques ont déployé plusieurs approches méthodologiques pour observer et suivre le devenir des cellules du blastème. En combinant notamment l’imagerie confocale en temps réel et la technologie de séquençage de cellule unique (single cell RNA-seq)[2] sur des larves de poisson-zèbre, l’équipe de Montpellier est parvenue à démontrer que les cellules dérivées de la crête neurale orchestrent le processus de régénération de la nageoire, en dialoguant avec les macrophages et avec les autres cellules du blastème afin de contrôler et de réguler leur réponse. Ce dialogue se fait notamment via un facteur clé appelé NRG1 (Neuregulin 1).

Interactions entre les macrophages (en rouge) et les cellules de la crête neurale (en vert) au cours de la régénération de la nageoire caudale de la larve de zebrafish. © Farida Djouad

L’ensemble de ces données permet d’aller plus loin dans la compréhension des processus de régénération et de leur activation chez le poisson-zèbre. En s’appuyant sur ces résultats, l’objectif suivant sera de comprendre pourquoi les mammifères, qui pourtant possèdent aussi des macrophages et des cellules dérivées de la crête neurale, ne parviennent pas à régénérer leurs appendices comme le poisson-zèbre.

« Nous continuons ces travaux sur d’autres modèles de vertébrés, notamment la souris, afin de mieux comprendre à quel moment du développement embryonnaire les mammifères perdent cette capacité de régénération, et pour quelle raison, tout en focalisant notre intérêt sur le rôle des cellules dérivées de la crête neurale », explique Farida Djouad.

 « Les travaux menés sur plusieurs modèles animaux capables de régénération ont pour but d’identifier « LA » cellule chef d’orchestre, commune à tous les processus de régénération. Une meilleure compréhension de son rôle, et surtout des facteurs qu’elle sécrète pourrait ouvrir la voie à de nouvelles pistes pour promouvoir la régénération de certains tissus dans le traitement de maladies dégénératives comme l’arthrose par exemple ».

 

[1] La crête neurale des vertébrés est une structure embryonnaire transitoire, impliquée dans le développement, capable de produire nombre de tissus de la face et du crâne, en particulier le squelette cartilagineux et ostéo-membraneux, les méninges, les parois vasculaires du système carotidien externe et interne, le derme… Source : Académie de médecine

[2] Le séquençage de cellule unique s’appuie sur un ensemble de méthodes de biologie moléculaire pour analyser l’information génétique (ADN, ARN, épigénome…) à l’échelle d’une seule cellule.

Les cellules souches hématopoïétiques se déforment pour se différencier

Le réseau de microtubules (en jaune) d'une CSH (à gauche) s'est "branchée" sur une cellule de la moelle osseuse (à droite).

Le réseau demicrotubules (en jaune) d’une CSH (à gauche) s’est « branchée » sur une cellule de la moelle osseuse (à droite). © Manuel Thery/CEA

 
Une équipe conjointe CEA et Inserm, avec le soutien de l’Hôpital Saint-Louis, de l’Université Paris Diderot et de la Fondation Bettencourt Schueller, a pu observer le début de la différenciation de cellules souches en cellules du sang. En s’appuyant sur une « moelle osseuse sur puce », les chercheurs ont mis en contact des cellules souches avec d’autres types de cellules présentes dans la moelle osseuse. Résultat : certaines d’entre elles changent de forme et d’architecture intérieure. Une découverte inattendue qui ouvre des pistes nouvelles pour étudier de nombreuses maladies du sang. Les résultats de cette étude paraissent dans The journal of Cell Biology lundi 1er novembre.

Les cellules souches
hématopoiétiques (CSH), présentes dans la moelle osseuse, sont à l’origine de toutes les cellules du sang (macrophages, lymphocytes, neutrophiles, globules rouges, plaquettes, etc.). Le moindre défaut dans ce processus de différenciation peut entrainer des maladies graves (leucémies, déficit immunitaire, lymphopénies, myélodisplasies). Mais ces erreurs sont difficiles à étudier car les CSH opèrent au cœur de la moelle osseuse, un terrain difficile à observer en raison de l’opacité de l’os.
 
Pour y parvenir, les chercheurs du CEA ont mis au point une puce microfluidique transparente avec différents compartiments contenant chacun des types cellulaires présents dans la moelle. Or, en y injectant les CSH via des micro-canaux, les chercheurs ont découvert que celles-ci se déplacent et rendent « visite » aux cellules qui tapissent la structure de l’os.
Puce microfluidique
 
En zoomant sur la structure interne des CSH, les chercheurs constatent que le noyau des CSH non différenciées ou destinées à devenir des lymphocytes (voie lymphoïde) est entouré de façon homogène par les constituants du cytosquelette (microtubules). En revanche, le noyau des CSH destinées à devenir des macrophages ou des cellules dendritiques (voie myéloïde) est comme étranglé et fortement déformé. Les biologistes montrent alors que l’architecture intérieure des cellules dirige la différenciation des CSH (publication précédente).

Lorsque les CSH arrivent au contact des cellules de la moelle osseuse, il se produit un phénomène totalement inattendu : elles s’ancrent et s’allongent en réorganisant totalement leur architecture intérieure.

Pour mieux comprendre ce nouveau mécanisme de « polarisation » des CSH sur les cellules osseuses, les chercheurs ont réalisé une nouvelle puce comprenant un réseau de micropuits, permettant le contact entre une cellule de moelle et une CSH uniques. La polarisation des CSH peut alors être observée sous différents angles.

Cette découverte, ainsi que le développement de « moelles osseuses sur puce » qui l’a permise, ouvrent de toutes nouvelles voies de recherche sur les maladies liées à des dysfonctionnements des cellules souches hématopoïétiques, et en particulier les leucémies.

Les cellules souches leucémiques se polarisent-elles normalement au contact de la moelle ? Si ce n’est pas le cas, quel est l’impact de ce défaut sur la prolifération des cellules cancéreuses ? Les puces permettront d’analyser l’effet de nouveaux composés sur la migration, l’ancrage, la polarisation et la prolifération des cellules souches et des cellules tumorales et ainsi d’identifier de futurs médicaments.

De nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients porteurs d’anomalies lymphatiques liées à une mutation du gène PIK3CA

Anatomie 3d du système lymphatique © Fotalia

Anatomie 3d du système lymphatique © Fotalia

 

L’équipe du service de néphrologie-transplantation rénale adultes de l’hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, de l’Inserm et d’Université de Paris a mené des travaux, coordonnés par le Pr Guillaume Canaud, qui ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients porteurs d’anomalies lymphatiques liées à une mutation du gène PIK3CA.

Les résultats de cette étude ont fait l’objet d’une publication le 6 octobre 2021 au sein de la revue Science Translational Medicine.

Les malformations lymphatiques, anciennement appelées lymphangiomes, sont des malformations du système lymphatique qui peuvent être localisées (cutanées, sous cutanées ou muqueuses) ou plus rarement étendues à l’ensemble du corps. Elles sont le plus souvent congénitales et visibles avant l’âge de 2 ans. Elles sont fréquemment localisées dans les régions axillaire et cervicale. Ces malformations peuvent s’accompagner de « poussées inflammatoires » douloureuses, de compression d’organes, notamment de la trachée nécessitant alors la mise en place d’une trachéotomie, d’épanchements diffus dans la plèvre ou d’infection grave. Elles peuvent parfois menacer le pronostic vital. Ces malformations ont très souvent un important retentissement esthétique et un fort impact sur l’insertion des patients dans la société.

Dans l’immense majorité des cas, les malformations lymphatiques sont dues à une mutation du gène PIK3CA acquise au cours du développement embryonnaire (in utero). Les traitements actuels reposent sur des scléroses percutanées guidées par la radiologie et/ou des chirurgies souvent délabrantes. Elles peuvent être associées à des soins de support tels que des corticoïdes pour traiter les poussées inflammatoires, des antalgiques, des antibiotiques, une assistance respiratoire nocturne et un soutien nutritionnel et psychologique. Dans certains cas, un traitement immunosuppresseur, la rapamycine sirolimus, est utilisé avec une efficacité variable. Il n’y a aucun traitement approuvé dans cette indication pour le moment.

Le travail de recherche qui vient d’être publié dans la revue Science Translational Medicine ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour ces patients porteurs d’anomalies lymphatiques liées à une mutation du gène PIK3CA.

De nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients porteurs d’anomalies lymphatiques liées à une mutation du gène PIK3CA  >> voir la vidéo

 

 

L’équipe a créé le premier modèle murin porteur d’une mutation du gène PIK3CA spécifiquement dans les vaisseaux lymphatiques qui récapitule les différents types de malformations lymphatiques présentées par les patients. Ce modèle expérimental peut développer selon les besoins des malformations très localisées ou au contraire très diffuses.

L’équipe a ensuite identifié l’alpelisib (BYL719), inhibiteur spécifique de PIK3CA, et démontré son rôle comme molécule thérapeutique d’intérêt dans ce modèle préclinique. Fort de résultats très prometteurs chez l’animal, les chercheurs ont ensuite traité six patients, trois enfants et trois adultes, présentant des malformations lymphatiques sévères secondaires à une mutation PIK3CA, ayant résisté aux traitements conventionnels. 

En six mois, le traitement par alplesib s’est accompagné d’une amélioration des symptômes des patients (douleurs, poussées inflammatoires, suintements, gêne à la déglutition…) et d’une réduction de 48% du volume des malformations mesurées en IRM. Comme précédemment rapporté dans une autre indication, le traitement a été bien toléré.

Ce travail, grâce au nouveau modèle expérimental créé, permet de mieux comprendre la physiopathologie des malformations lymphatiques mais ouvre surtout de nouvelles perspectives thérapeutiques très prometteuses.

Ce travail de recherche a été soutenu par :

-European Research Council (CoG 2020 grant number 101000948 and PoC-2016 grant number 737546)

-Agence Nationale de la Recherche – Programme d’Investissements d’Avenir (ANR-18-RHUS-005)

-Agence Nationale de la Recherche – Programme de Recherche Collaborative (19-CE14-0030-01).

-CLOVES SYNDROME COMMUNITY (West Kennebunk,USA)

-Emmanuel BOUSSARD Foundation (London, UK)

-Fondation DAY SOLVAY (Paris, France) Fondation TOURRE (Paris, France)

-Fondation BETTENCOURT SCHUELLER (Paris, France)

-Fondation Simone et Cino DEL DUCA (Paris, France)

-Fondation Line RENAUD-Loulou GASTE (Paris, France)

-Fondation Schlumberger pour l’Éducation et la Recherche (Paris, France)

-Inserm

-Assistance Publique – Hôpitaux de Paris

-Université de Paris

-Et de nombreux autres généreux donateurs

La persistance de cellules mémoires B résistantes au rituximab contribue aux rechutes des patients adultes atteints de thrombopénie immunologique

lymphocytes B

Image d’un centre germinatif persistant (rate de souris, 4 mois après immunisation), comportant des lymphocytes B ou cellules B à mémoire (vert), en forte interaction avec des cellules folliculaires dendritiques (CD35, rouge), et des cellules T helper folliculaires (CD4, bleu). ©Inserm/Reynaud, Claude-Agnès

Des équipes du Pr Matthieu Mahévas du centre de référence des cytopénies auto-immunes de l’adulte et de l’Institut Mondor de Recherche Biomédicale (hôpital Henri-Mondor AP-HP/Inserm/Université Paris-Est Créteil), du Pr Jean-Claude Weill et du Dr Claude-Agnès Reynaud au sein de l’Institut Necker-Enfants Malades (Inserm/CNRS/Université de Paris) ont étudié la présence de lymphocytes B mémoires auto réactifs avant et après traitement par rituximab de patients adultes atteints de thrombopénie immunologique (PTI), une maladie auto-immune rare.

Les résultats de cette étude, qui fait l’objet d’une publication dans la revue Science Translational Medicine le 14 avril 2021, montrent notamment qu’une fraction des lymphocytes B mémoires auto-réactifs envers les antigènes plaquettaires résiste au traitement par rituximab, persiste dans la rate pendant plusieurs mois et participe aux rechutes. La découverte de ces cellules pourrait ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques.    

Les patients atteints de maladies auto-immunes médiées par les cellules B, telles que la thrombopénie immunologique (PTI), peuvent bénéficier d’un traitement par l’anticorps anti-CD20, ciblant les cellules B, le rituximab. Une proportion importante de patients rechute cependant après ce traitement.

Les équipes du Pr Matthieu Mahévas du service de médecine interne de l’hôpital Henri-Mondor AP-HP (Pr Godeau et Pr Michel), de l’unité de recherche « Transfusion et maladies du globule rouge » de l’Institut Mondor de Recherche Biomédicale (UPEC/Inserm), du Pr Jean-Claude Weill et du Dr Claude-Agnès Reynaud de l’Institut Necker-Enfants Malades (Inserm/CNRS/Université de Paris), en collaboration avec de nombreux cliniciens du Centre National des cytopénies auto-immunes de l’adulte (CERECAI), ont cherché à comprendre pourquoi en étudiant la présence de lymphocytes B mémoires réactifs envers les plaquettes dans la rate de patients splénectomisés pour une rechute de thrombopénie immunologique après un traitement par rituximab.

Plusieurs approches expérimentales innovantes ont été menées par les Dr Crickx et Chappert afin de déterminer le phénotype, le programme transcriptionnel et la spécificité de ces cellules B capables de secréter des anticorps anti-plaquettes dans la rate des patients lors des rechutes. Ces travaux ont permis de mettre en évidence que des cellules nouvellement générées après reconstitution lymphocytaire B et des cellules mémoires ayant résisté au traitement participaient aux rechutes.

Il apparait ainsi que ces cellules pathogéniques, résistantes au rituximab, ont perdu l’expression du CD20 à leur surface mais conservées l’expression du CD19, spécifiquement exprimée par les lymphocytes B, qui pourrait donc constituer une nouvelle cible thérapeutique potentielle dans cette maladie.

La persistance de la mémoire immunitaire est généralement étudiée pour le bénéfice qu’elle apporte en termes de protection anti-infectieuse. Ce travail démontre que des cellules mémoires peuvent également persister durant des périodes de rémission d’une maladie auto-immune et contribuer aux rechutes ultérieures, suggérant de nouvelles voies à explorer pour favoriser des rémissions prolongées au cours des maladies auto-immunes.

Ces travaux ont bénéficié d’un financement ANR (Auto-Immuni-B – ANR-18-CE15-0001).
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