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Des chercheurs parviennent à reproduire une leucémie pédiatrique à partir de cellules humaines non-cancéreuses

Détection de la fusion ETO2-GLIS2 dans des cellules leucémiques de patients. Le signal rouge correspond au locus ETO2, le signal vert correspond au locus GLIS2 et le signal jaune indique la présence de la fusion ETO2-GLIS2.© Thomas Mercher

L’équipe Inserm dirigée par Thomas Mercher à Gustave Roussy a réussi à modéliser pour la première fois le développement d’une leucémie aiguë myéloïde en partant de cellules souches pluripotentes induites normales. Ces travaux permettent une meilleure caractérisation des mécanismes génétiques et épigénétiques à l’œuvre, et donc une meilleure compréhension de cette maladie au pronostic peu favorable. Ces résultats ont été publiés dans la revue Blood.

La leucémie aiguë myéloïde (LAM) pédiatrique est un type de cancer qui touche les enfants et les adolescents. Elle se caractérise par une production excessive de cellules immatures, appelées « blastes », qui ne parviennent pas à se différencier en cellules fonctionnelles. Ces cellules s’accumulent dans la moelle osseuse, empêchant la formation normale de cellules sanguines saines. Il existe plusieurs sous-types de LAM. L’une des plus agressives, associée à une résistance aux traitements et à un pronostic particulièrement défavorable, est la leucémie aiguë mégacaryoblastique (LAM7), généralement diagnostiquée entre 0 et 2 ans.

Les jeunes patients atteints par une leucémie, et plus généralement par un cancer pédiatrique, sont porteurs de fusions oncogéniques spécifiques. Il s’agit d’anomalies qui apparaissent lorsque deux gènes différents, situés à des endroits distincts du génome, fusionnent pour former un nouveau gène hybride, produisant une protéine anormale capable de favoriser la croissance incontrôlée de cellules. La fusion oncogénique ETO2::GLIS2 est particulièrement répandue chez les nourrissons atteints par une leucémie aiguë mégacaryoblastique, et résulte d’une inversion du chromosome 16. Bien que de précédentes études aient démontré que cette fusion génétique peut induire la leucémie, aucune n’avait jusqu’alors été en mesure de décrire les étapes précoces de la transformation d’une cellule humaine saine en cellule leucémique dans cette indication.

Recours aux cellules souches pluripotentes induites

L’article publié dans la revue Blood se base sur les travaux menés au sein de l’équipe de recherche « Biologie des leucémies pédiatriques »[i] rattachée au programme Pediac, localisée à Gustave Roussy et dirigée par le chercheur Inserm Thomas Mercher. Pour modéliser et mieux comprendre la transformation d’une cellule saine en une cellule leucémique, les chercheurs ont utilisé des cellules souches pluripotentes induites, ou iPSC. Ces dernières sont issues du corps humain, comme les cellules de la peau, puis reprogrammées en laboratoire. Une fois reprogrammées, ces cellules deviennent pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles peuvent donner naissance à une grande variété de types cellulaires, tel que des cellules du cœur, du cerveau, ou du sang.

Sur ces iPSC normales, les chercheurs ont d’abord recréé l’anomalie du chromosome 16, retrouvée dans les cellules leucémiques de patients et responsable de la fusion oncogénique ETO2::GLIS2, grâce à la technique CRISPR/Cas9, dite des « ciseaux moléculaires » qui coupent l’ADN à des endroits précis. Une fois l’inversion chromosomique réalisée, ces iPSC ont été différenciées en progéniteurs hématopoïétiques, des cellules qui se retrouvent normalement dans la moelle osseuse et qui ont la capacité de produire toutes les cellules sanguines.

« In vitro, ces cellules hématopoïétiques issues d’iPSC avec la fusion ont montré des anomalies dans leur différenciation, et ont été capables in vivo de provoquer une leucémie semblable à celle observée chez les patients atteints d’une leucémie aiguë mégacaryoblastique. Des résultats confirmés par des analyses de cytométrie en flux et des gènes exprimés dans de nombreuses cellules étudiées individuellement », détaille Thomas Mercher. « Nous avons ainsi pu, pour la première fois, étudier des stades très précoces du développement tumoral, afin de mieux caractériser cette maladie », poursuit-il.

Rôle du gène DLX3

Enfin, la modélisation in vitro de la leucémie aiguë mégacaryoblastique a permis de mettre en évidence le rôle clé joué par le gène DLX3 dans le développement de cette maladie. Ce dernier est activé par la fusion oncogénique ETO2::GLIS2, et possède un rôle central au début de la transformation des cellules saines en cellules leucémiques.

Les chercheurs de l’équipe de Thomas Mercher ont mis en avant que DLX3 modifie l’accessibilité de certaines régions du génome, venant faciliter l’action d’autres gènes liés à la leucémie. Ainsi, dans ce modèle issu de cellules iPSC modifiées, le blocage de DLX3 a stoppé l’apparition de la leucémie.

« En clinique, nous n’avons pas encore la possibilité de cibler le gène DLX3. Mais nos travaux ouvrent la voie à de futures avancées dans ce sens. De plus, comme il n’existe pour le moment pas de technique de diagnostic précoce pour les leucémies aiguës mégacaryoblastiques, ces observations réalisées en laboratoire pourraient amener au développement de méthodes moléculaires capables de détecter plus précocement cette leucémie pour mieux la prendre en charge », conclut Thomas Mercher.

 

[1] L’équipe « Biologie des leucémies pédiatriques » est intégrée à l’unité « Dynamique moléculaire de la transformation hématopoïétique » (Inserm – Gustave Roussy – Université Paris Saclay) localisée à Gustave Roussy.

Cellules allo-CAR-T : un pas de plus vers des thérapies cellulaires standardisées et accessibles

cellule cancéreuse réalisée en 3D. crédits : FotoliaCellule cancéreuse réalisée en 3D © Fotalia

Dans le cadre des projets de développement de thérapies cellulaires allogéniques (issues d’un donneur sain), des chercheurs de l’Institut Curie, de Gustave Roussy, du CNRS et de l’Inserm, ont identifié une combinaison de gènes à cibler pour réduire la destruction des cellules injectées par le système immunitaire des patients, obstacle majeur de ces nouveaux traitements. Publiés dans Nature Biomedical Engineering, ces premiers résultats ouvrent la voie à un développement académique de cellules CAR-T standardisées à l’efficacité renforcée.

Les thérapies par cellules CAR-T (Chimeric Antigen Receptor T cells) représentent une approche innovante et personnalisée en cancérologie, particulièrement efficace contre certains cancers du sang, tels que les leucémies et les lymphomes. Cette technique repose sur la modification génétique (CAR) de lymphocytes T, des cellules du système immunitaire, pour leur rendre leur capacité à éliminer les cellules cancéreuses. Les lymphocytes T modifiés peuvent être issus du patient lui-même, ou d’un donneur sain – on parle alors de cellules CAR-T allogéniques. Ces dernières présentent plusieurs avantages, notamment en termes d’accessibilité, de coût, de standardisation, de même que leur qualité est homogène.

Cependant, comme pour toute injection d’un corps étranger, dans le cas des greffes par exemple, il existe un risque de rejet. Contourner cet obstacle médical et scientifique majeur est tout l’objet de cette étude. Grâce à la technique d’édition CRISPR à l’échelle du génome développée par le Dr Laurie Menger (chercheuse Inserm, cheffe d’une équipe de recherche Inserm/Gustave Roussy centrée sur les cellules CAR-T), les chercheurs ont testé 18 400 gènes en même temps et ainsi identifié les cibles majeures permettant la résistance au rejet dans un hôte non compatible (allogénique). Parmi ces cibles, le gène FAS, codant pour un récepteur membranaire impliqué dans la mort cellulaire.

« Notre utilisation systématique des « ciseaux moléculaires » CRISPR-Cas9 et l’interrogation in vivo des gènes candidats, nous ont permis de mieux comprendre la biologie impliquée dans le rejet cellulaire allogénique et d’accélérer la découverte des cibles améliorant la persistance et l’efficacité des thérapies cellulaires », explique le Dr Laurie Menger.

Le Dr Silvia Menegatti, chercheuse postdoctorale à l’Institut Curie dans l’équipe du Dr Sebastian Amigorena, directeur de recherche CNRS et chef d’équipe dans l’unité Immunité et cancer (Institut Curie, Inserm, Université-PSL U932) a ensuite apporté la preuve de concept et de faisabilité de l’approche en établissant des modèles de validation complexes impliquant des cellules  CAR-T.

« Notre objectif dans cette étude était d’identifier des gènes des cellules injectées qui pourraient agir en réduisant cette réponse du système immunitaire de l’hôte, tout en limitant la croissance tumorale. Il serait ainsi possible de produire des lymphocytes T modifiés pour traiter des patients avec des systèmes immunitaires différents. On appelle ces lymphocytes des cellules allo-CAR-T  » explique le Dr Silvia Menegatti.« Nous avons observé l’intérêt de la désactivation de deux gènes : B2M, démontré dans de précédentes études, et un nouveau gène, FAS », poursuit-elle. « En effet, quand l’expression du gène FAS est bloquée dans les cellules CAR-T, leur survie dans l’hôte est plus longue, indiquant que le système immunitaire de celui-ci met plus de temps pour les détruire. C’est dans un groupe de cellules allo-CAR-T, où nous avons bloqué l’expression de FAS et d’un autre gène appelé CD3, que nous avons observé la meilleure efficacité de contrôle de la croissance des cellules tumorales leucémiques dans notre modèle » continue Silvia Menegatti.

« J’ai ensuite établi une collaboration avec l’université du Minnesota et l’équipe du Dr Moriarty, pour valider nos cibles en développant une technologie d’édition du génome précise, hautement efficace et fiable pour l’injection chez les patients, le base-editing », poursuit le Dr Laurie Menger.

Ces résultats suggèrent que la modification génétique de FAS dans les cellules allo-CAR-T améliorerait leur efficacité et réduirait leur destruction dans l’hôte, ouvrant ainsi la voie de potentielles applications cliniques très prometteuses.

« Les approches et technologies que nous avons développées dans cette étude pourront conduire à un transfert réel des résultats de recherche vers la clinique, de manière à proposer des thérapies innovantes, rapides et accessibles aux patients dans les années à venir » conclut le Dr Sebastian Amigorena.

Immunothérapie : combiner les données pour mieux prédire l’efficacité

Cancer du poumon, modélisation en 3D crédits Fotalia© Fotolia

Comment améliorer la prédiction de la réponse à l’immunothérapie dans le cancer du poumon non à petites cellules ? Des chercheurs de l’Institut Curie, de l’Inserm et de Mines Paris-PSL ont relevé ce défi en combinant différents types de données d’examens (génomiques, radiomiques, anatomopathologiques, cliniques) au sein d’algorithmes d’intelligence artificielle inédits. Une première, qui vient d’être publiée dans la revue Nature Communications.

Dans la grande majorité des cancers du poumon (plus précisément dans les cancers du poumon non à petites cellules[1]), l’immunothérapie est prescrite en première ligne pour 85 % des patients. Or, certains y répondent et d’autres non. Réussir à prédire l’efficacité de ce traitement représente donc un enjeu crucial afin de gagner du temps sur l’évolution de la maladie, éviter des effets secondaires inutiles et réduire les coûts. Des scientifiques de l’Institut Curie, de l’Inserm et de Mines Paris-PSL, se sont lancés dans un projet pionnier, financé par la Fondation Arc[2] et PR[AI]RIE[3], à la recherche de nouveaux biomarqueurs prédictifs.

Pionnier d’abord en termes d’organisation : 16 chercheurs de l’Institut Curie, de l’Inserm et de Mines Paris-PSL, aidés de nombreux collègues et issus de divers domaines (imagerie, intelligence artificielle, pathologie, radiomique, biologie de la tumeur…) ont collaboré de manière transdisciplinaire autour de mêmes jeux de données.

Pionnier ensuite en termes de résultats : cette équipe est parvenue à identifier la meilleure combinaison de données pour prédire la réponse à l’immunothérapie dans le cancer du poumon non à petites cellules.

La preuve de l’intérêt de la multimodalité

« En collaboration avec l’équipe du Pr Nicolas Girard, chef du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie, nous avons recueilli, pour 317 patients, des données transcriptomiques, c’est-à-dire d’expression du génome ; des données de radiomique, donc d’imagerie ; des données d’anatomopathologie de la tumeur ; et enfin des données cliniques », détaille le Dr Emmanuel Barillot, directeur de l’unité Oncologie computationnelle (U1331, Institut Curie, Inserm). « Nous avons ainsi découvert que les algorithmes qui combinent les données de trois ou quatre de ces modalités prédisent toujours mieux la réponse au traitement que ceux n’en utilisant qu’une ou deux. Cette preuve de l’intérêt de la multimodalité n’avait pas encore été rapportées pour le cancer du poumon non à petites cellules ».

Mieux encore, les scientifiques ont repéré les modalités les plus prédictives et les ont reliées à des mécanismes biologiques.

« Nous avons par exemple observé que le transcriptome fournit des informations de bonne qualité, notamment parce qu’il permet de quantifier les cellules dendritiques – dont l’action dans la réponse à l’immunothérapie est déjà connue », poursuit le chercheur.

 

L’espoir d’une application prochaine en clinique

Des découvertes qui auront un impact à court mais aussi à long terme.

« Nos prochaines recherches vont s’attacher à intégrer encore plus de données dans nos algorithmes pour vérifier la fiabilité des prédictions et l’améliorer encore », annonce Nicolas Captier, premier auteur de l’étude et doctorant dans l’équipe Biologie des systèmes du cancer de l’Institut Curie. « Et à terme, l’espoir est de pouvoir utiliser de tels algorithmes pour l’élaboration de la stratégie thérapeutique. »

La pratique exigera pour sa mise en place une étroite collaboration avec les médecins : un processus qui devrait être facilité par la capacité des chercheurs de l’Institut Curie à travailler de manière translationnelle avec les équipes de l’Ensemble hospitalier.

[1] Ces cancers représentent plus de 80 % des cancers du poumon et regroupent les adénocarcinomes (60 % des cas), les carcinomes épidermoïdes (30 % des cas) et les carcinomes à grandes cellules (plus rares).

[2] Fondation pour la recherche sur le cancer

[3] L’un des quatre instituts français d’intelligence artificielle qui rassemble l’Université PSL, comprenant l’Institut Curie, ainsi que l’Université Paris Cité, le CNRS, l’Inria, l’Institut Pasteur, et des acteurs industriels majeurs comme Google et Meta.

Vers une meilleure compréhension des cancers hématologiques associés à la grossesse

femme enceinte© Photo de freestocks sur Unsplash

Les équipes des départements d’hématologie clinique et biologique, de gynécologie obstétrique, de pharmacovigilance, de réanimation médicale, d’infectiologie, ainsi que de l’unité de recherche clinique de l’hôpital Cochin-Port Royal AP-HP, de l’université Paris Cité, de l’Inserm, et du réseau HEMAPREG, coordonnées par Monsieur Pierre Pinson et les Docteurs Ismael Boussaid et Rudy Birsen, ont mené une étude sur les cancers hématologiques associés à la grossesse. Les résultats de cette étude d’HEMAPREG ont fait l’objet d’une publication parue le 7 octobre 2024 dans la revue The Lancet Haematology

La survenue d’un cancer hématologique (hémopathie maligne) en cours de grossesse représente une situation qui pose des défis diagnostiques et thérapeutiques. Il s’agit en effet de concilier deux impératifs : le traitement optimal de la maladie maternelle et considérer les risques auxquels peut être exposé le fœtus. Etant donné la rareté de ces évènements, les données disponibles qui permettent de prendre les décisions médicales et d’informer les femmes et leurs familles sont actuellement limitées.

L’étude d’HEMAPREG est fondée sur une cohorte nationale issue du Système National des Données de Santé (SNDS). Elle a plusieurs objectifs clés, dont l’évaluation de l’incidence des hémopathies malignes survenant pendant la grossesse en France, l’analyse des complications maternelles et obstétricales mais aussi l’obtention des données épidémiologiques robustes qui pourraient orienter les pratiques médicales et guider la prise en charge et l’information de ces femmes dans ce contexte clinique complexe.

L’étude a inclus toutes les femmes en France dont les grossesses ont pris fin entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2022. Ont été exclues les grossesses se terminant par une fausse couche ou une interruption volontaire de grossesse dont la prise en charge n’était pas hospitalière, ainsi que les femmes ayant des antécédents d’hémopathies malignes avant la grossesse.

Entre 2012 et 2022, en France, sur un total de 9 996 523 grossesses, 1 366 cas de cancers hématologiques associés à la grossesse ont été identifiés, ce qui représente une fréquence de 13,66 pour 100 000 grossesses. Parmi ceux-ci, 413 cas ont été diagnostiqués pendant la grossesse, avec une fréquence de 4,13 pour 100 000 grossesses, et 953 cas dans l’année suivant la grossesse, soit 9,53 pour 100 000 grossesses​. L’étude montre également un taux plus élevé de naissances prématurées pour ces femmes (45,2 %) par rapport aux femmes sans hémopathie (6,6 %).

Cette étude montre par ailleurs que les femmes atteintes d’hémopathies malignes pendant la grossesse avaient la même probabilité de survie à long terme que les femmes atteintes d’hémopathies malignes et non enceintes. Ainsi, le fait d’être enceinte au moment du diagnostic n’impacte pas négativement la survie à long terme de ces patientes.

Ces résultats mettent en évidence l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire dans des centres spécialisés, afin de garantir une gestion optimale de ces situations à haut risque. Cette étude constitue également une ressource pour les professionnels de santé confrontés à ces cas, en fournissant des informations essentielles pour mieux informer les femmes et les impliquer dans les décisions thérapeutiques et la planification des soins, favorisant ainsi une prise en charge éclairée et partagée.

Le réseau HEMAPREG est composé de chercheurs et de soignants impliqués dans la prise en charge des femmes atteintes d’hémopathies malignes survenant pendant la grossesse ou dans l’année qui suit. Il a pour objectif de réaliser et de promouvoir la recherche fondamentale, translationnelle et clinique sur ces maladies, d’améliorer la prise en charge et le traitement de ces patientes.

Des scientifiques identifient des cellules immunitaires à l’origine de cancers

Illustration médicale en 3D de l'anatomie masculine - Cancer du côlon ; côlon descendant.Environ 30 % des cancers apparaissent à la suite d’une inflammation chronique localisée. C’est notamment le cas de certains cancers colorectaux, de l’intestin grêle, du foie ou encore du pancréas. © Adobe Stock

Près d’un cancer sur trois se développe à la suite d’une inflammation chronique, dont l’origine reste incomprise. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de l’université Claude-Bernard Lyon 1 et du Centre Léon Bérard au Centre de recherche en cancérologie de Lyon[1], ont identifié des lymphocytes impliqués dans les processus inflammatoires et qui seraient en cause dans la génération de ces cancers. Ce travail ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques et de prévention. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Immunology.

Environ 30 % des cancers apparaissent à la suite d’une inflammation chronique localisée. C’est notamment le cas de certains cancers colorectaux, de l’intestin grêle, du foie ou encore du pancréas. De nombreuses questions demeuraient toutefois en suspens pour mieux comprendre le développement de ces cancers. Une ou plusieurs cellules immunitaires sont-elles à l’origine du processus inflammatoire conduisant aux cancers ? Si oui, de quelles cellules s’agit-il ?

Répondre à ces interrogations est l’un des objectifs de Julien Marie[2], directeur de recherche à l’Inserm, et de son équipe au Centre de recherche en cancérologie de Lyon  (Inserm/CNRS/Université Claude-Bernard Lyon 1/Centre Léon Bérard) afin de mieux comprendre la manière dont la maladie est initiée.

Les chercheurs et chercheuses se sont intéressés tout particulièrement à une population de cellules immunitaires, les lymphocytes TH17, qui sont déjà connus pour être impliqués dans de nombreuses maladies inflammatoire, comme la sclérose en plaques ou encore la maladie de Crohn.

Des cellules à l’origine de cancers

L’hypothèse était que les lymphocytes TH17 ne constituent pas une population homogène, mais qu’ils peuvent en fait être divisés en plusieurs sous-groupes. En utilisant des approches dites de « séquençage de l’ARN à cellule unique », les scientifiques ont démontré cette hétérogénéité des cellules TH17 au sein de l’intestin.

« Plus précisément, dans cette étude, nous montrons pour la première fois qu’il existe en fait huit sous-types de lymphocytes TH17 ayant des rôles distincts. L’un d’entre eux a un rôle tumorigénique, c’est-à-dire que lorsque certains freins d’activation sont levés, il va contribuer au développement de cancers. Au contact de ces cellules TH17, les cellules de l’intestin qui étaient pourtant saines jusqu’ici vont devenir cancéreuses », explique Julien Marie.

Les scientifiques ont ensuite montré que cette population tumorigénique est accrue chez des patients à fort risque de cancer. Enfin, ils ont aussi identifié qu’une protéine, la cytokine TGFβ, est capable d’inhiber la formation des TH17 tumorigéniques.

« Cette étude peut interroger les cliniciens sur l’utilisation, sur une période longue des immunothérapies chez des patients atteints de cancer, un traitement qui vise à stimuler les lymphocytes », souligne Julien Marie.

En effet, si ces thérapies ont transformé la prise en charge en oncologie, elles sont aussi connues pour entrainer de l’inflammation chronique intestinale. Il est donc important de s’interroger, pour un patient donné, sur les risques que l’immunothérapie s’accompagne de l’émergence de lymphocytes TH17 tumorigéniques qui pourraient à terme donner lieu au développement d’un autre cancer. Par ailleurs, cette étude pose les bases pour le développement de nouvelles thérapies préventives du cancer en bloquant l’apparition du sous-type de TH17 mis en cause par les scientifiques dans ce travail.

[1]Ont également participé à ces travaux des scientifiques de l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier).

[2]Julien Marie est lauréat du Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française.
Créé par la fondation Bettencourt Schueller en 2000, ce prix a récompensé 78 laboratoires français et plus de 900 chercheurs jusqu’en 2021.

Vaincre la leucémie en ciblant ses cellules souches

Cellule cancéreuse réalisée en 3D © Fotalia

La leucémie aigüe myéloïde est l’un des cancers les plus mortels. En cause, la grande résistance aux traitements des cellules souches leucémiques qui en sont à l’origine. Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE), des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et de l’Inserm a fait une avancée majeure en identifiant certaines des particularités génétiques et énergétiques de ces cellules, notamment un processus spécifique d’utilisation du fer. Ce dernier a aussi pu être bloqué par les scientifiques, entraînant la mort ou l’affaiblissement des cellules souches leucémiques sans atteindre les cellules saines. Ces résultats, publiés dans Science Translational Medicine, ouvrent la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.

La leucémie aigüe myéloïde (LAM) est le cancer du sang et de la moelle osseuse le plus fréquent chez l’adulte. Provoqué par une accumulation de cellules immatures, qui détruisent et remplacent rapidement les cellules saines du sang (les globules rouges, blancs, et les plaquettes), il s’avère fatal pour la moitié des personnes touchées de moins de 60 ans, et pour 85% d’entre elles passé cet âge.

Ce pronostic négatif s’explique notamment par la présence de cellules souches leucémiques (CSL) dites «dormantes» ou «quiescentes», qui échappent aux chimiothérapies disponibles. Souvent invisibles, elles peuvent, après un traitement a priori concluant, se «réveiller» et réactiver la maladie. Développer des thérapies les ciblant directement est donc un enjeu majeur de recherche. Les mécanismes qui les régissent sont cependant mal compris.

En identifiant des caractéristiques génétiques et métaboliques propres aux CSL, sur lesquelles il est possible d’agir, une équipe de l’UNIGE, des HUG et de l’Inserm fournit de nouveaux éléments de compréhension, mais aussi d’action, pour lutter contre la maladie. Ces résultats, publiés dans Science Translational Medicine, ouvrent la voie à une nouvelle cible thérapeutique et à son application clinique.

Une signature génétique distinctive

«Grâce à des techniques avancées de bio-informatique, et en collaboration avec l’équipe du Dr Petros Tsantoulis du Département d’oncologie des services d’oncologie et d’oncologie de précision des HUG, nous avons tout d’abord établi que ces cellules quiescentes contiennent une signature génétique unique à 35 gènes. Lors de l’utilisation de cette signature dans de larges bases de données cliniques de patientes et patients atteints de LAM, nous avons pu montrer que cette signature était fortement liée au pronostic de la maladie», explique Jérôme Tamburini, professeur associé au Département de médecine et au Centre de recherche translationnelle en onco-hématologie (CRTOH) de la Faculté de médecine de l’UNIGE ainsi qu’au Swiss Cancer Center Léman (SCCL), et médecin adjoint hospitalo-universitaire au Service d’oncologie des HUG, qui a dirigé ces travaux.

Bloquer un «nutriment» spécifique

L’étude met également en évidence une différence métabolique entre les cellules souches leucémiques dormantes et actives. De manière générale, pour survivre, les cellules déclenchent des réactions chimiques qui permettent de dégrader certains nutriments, et ainsi produire de l’énergie. Cela passe aussi par l’«autophagie», un processus d’auto-élimination des déchets qui, en cas d’absence de nutriments extérieurs, leur permet de continuer de s’alimenter. Les scientifiques ont découvert que les cellules souches leucémiques dormantes dépendent de la «ferritinophagie», une forme spécifique d’autophagie ciblant la ferritine, qui est la principale molécule de stockage du fer.

«Ce processus est médié par une protéine appelée NCOA4. Il contrôle la disponibilité du fer dans les cellules. En inhibant cette protéine, génétiquement ou chimiquement, nous avons observé que les cellules leucémiques, en particulier les cellules souches dormantes, sont davantage susceptibles de mourir, tandis que les cellules souches sanguines saines restent intactes», révèle le chercheur Inserm Clément Larrue, ancien post-doctorant dans le groupe de Jérôme Tamburini, actuellement chercheur post-doctorant au Centre de Recherches en Cancérologie de Toulouse, et premier auteur de l’étude.

Vers des essais cliniques

Des expériences menées avec des modèles murins ont confirmé que le blocage de la protéine NCOA4 réduit la croissance des tumeurs, la viabilité et l’auto-renouvellement des cellules souches leucémiques. Cibler la ferritinophagie, par cette voie d’inhibition, pourrait donc constituer une stratégie thérapeutique prometteuse. Le composé utilisé pour bloquer NCOA4 est en phase précoce de développement pour des essais cliniques à venir, sous la direction de l’un des co-auteurs de l’étude, Jun Xu, professeur à l’Université Sun Yat-Sen en Chine.

Pour l’équipe de l’UNIGE, la suite des travaux consistera à explorer plus avant les mécanismes de la ferritinophagie et son rapport avec la mitophagie, un autre mécanisme clé de régulation des CSL. Cette nouvelle étape de recherche est soutenue par la Ligue Suisse contre le cancer.

Après un cancer du sein, les inégalités sociales se creusent

cancer du seinUne équipe franco-suisse met en lumière l’impact à long terme des inégalités socio-économiques sur la qualité de vie des femmes ayant eu un cancer du sein. © Photo Angiola Harry sur Unsplash

Dans le domaine de la santé, les inégalités peuvent apparaître à tous les niveaux chez les femmes atteintes d’un cancer du sein: prévention, dépistage, diagnostic, traitement et survie. Mais qu’en est-il de leur qualité de vie? En suivant pendant 2 ans près de 6000 patientes, une équipe franco-suisse de l’Université de Genève (UNIGE), des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), de l’Inserm et de Gustave Roussy montre que leur statut socio-économique a un impact majeur et durable, en dépit d’une prise en charge médicale identique. Ces résultats qui font partie l’étude CANTO promue par UNICANCER, à lire dans le Journal of Clinical Oncology, appellent à une meilleure prise en compte des déterminants socio-économiques dans les programmes de soutien aux femmes atteintes d’un cancer du sein.

Les déterminants sociaux et économiques (comme le revenu ou le niveau d’éducation) ont un impact sur la manière dont les individus font face à la maladie et constituent l’une des principales causes des inégalités en matière de santé. En oncologie, les inégalités socio-économiques sont présentes tout au long du continuum de soins, de la prévention au diagnostic, traitement et survie.

« On ignorait néanmoins l’impact des inégalités économiques sur la qualité de vie des personnes atteintes d’un cancer du sein », explique José Sandoval, oncologue au Département d’oncologie des HUG et chercheur dans les départements de médecine et santé et médecine communautaires de la Faculté de médecine de l’UNIGE, premier auteur de cette étude. « C’est ce que nous avons voulu quantifier chez ces femmes, au moment du diagnostic, mais aussi dans les deux années qui suivent. »

Près de 6 000 femmes suivies pendant deux ans

Les 5900 femmes qui ont participé à cette étude, soignées en France, ont eu un cancer du sein précoce (sans métastase), un cancer fréquent et dont plus de 80% des femmes guérissent.

« De nombreuses femmes recevaient un traitement lourd la première année suivant leur diagnostic — comme une chirurgie suivie d’une
chimiothérapie — puis une hormonothérapie la deuxième année. Nous les avons suivies sur deux ans afin d’analyser l’évolution des différences de qualité de vie sur le moyen terme », souligne Gwenn Menvielle, directrice de recherche à l’Inserm et à Gustave Roussy, qui a dirigé ces travaux.

L’équipe de recherche a examiné cinq domaines de la qualité de vie – la fatigue, l’état général, l’état psychique, la santé sexuelle et les effets secondaires, en regard de plusieurs indicateurs socio-économiques: niveau d’études, revenu du foyer en tenant compte du nombre de personnes dans le foyer, et situation financière perçue. La combinaison de ces éléments a permis de déterminer un score où 0 indique l’absence d’inégalités.

Les inégalités augmentent rapidement

Au diagnostic, les inégalités de qualité de vie entre les deux extrêmes socio-économiques sont notables, avec un score de 6,7. Le score augmente à 11 pendant le traitement, puis se maintient à 10 deux ans après le diagnostic, soit à un niveau plus élevé qu’à l’annonce du diagnostic.

« Si on s’attendait à une certaine inégalité au début de la maladie, le fait que ces inégalités augmentent rapidement et perdurent autant constitue une surprise », analyse José Sandoval. « L’impact sur la qualité de vie est beaucoup plus prononcé chez les femmes moins favorisées, quelles que soient les caractéristiques biologiques de leur cancer, leur âge ou le traitement reçu. »

Pourquoi ? Les réponses sont à chercher non pas au niveau du traitement, similaire pour toutes les femmes, mais probablement dans tous les éléments de soutien autour de la prise en charge médicale.

« Avoir le temps, l’argent et l’accès à l’information pour prendre soin de soi et trouver des ressources de soutien et mieux gérer les effets secondaires physiques et psychologiques de la maladie sera probablement plus facile pour les femmes de statut socio-économique élevé que pour, par exemple, une mère de famille monoparentale à faible revenu, sans relais pour ses enfants », souligne José Sandoval. « Or, ces éléments influent sur la maladie et ses conséquences pour la santé physique et psychique des patientes. »

Mieux prendre en compte les inégalités

L’accès égalitaire aux soins n’est donc pas synonyme d’absence d’inégalité. Le contexte socio-économique peut avoir un impact majeur sur l’état de santé, au même titre que les caractéristiques biologiques.

« Lorsque l’on parle d’oncologie de précision, il faudrait prendre en compte la personne dans son ensemble, y compris dans sa dimension sociale », ajoutent les auteurs. « Nos données concernent des femmes soignées en France, un pays pourtant très égalitaire en matière d’accès aux soins. Dans des pays sans système de santé universel, ces inégalités risquent d’être encore plus prononcées. »

Ces résultats font partie de l’étude CANTO: étude des toxicités chroniques des traitements anticancéreux chez les malades porteurs de cancer localisé. Cette recherche est financée par le gouvernement français dans le cadre du programme «Investissements d’avenir» géré par l’Agence nationale de la recherche (ANR), subvention n° ANR-10-COHO-0004.  

Cancer du sein : une étude évalue le temps de retour à l’emploi des femmes après traitement à partir de données de l’Assurance Maladie

ruban rose© Photo de Angiola Harry sur Unsplash

Après combien de temps les femmes traitées pour un cancer du sein reprennent-elles leur travail ? Jusqu’à maintenant, peu de données existaient au niveau national sur cet aspect important du parcours de soin des patientes. Une étude réalisée par des chercheuses et chercheurs de l’Université Claude Bernard Lyon 1, de l’Inserm, de l’Université Gustave Eiffel et des Hospices civils de Lyon, basée sur des données de l’Assurance Maladie, a permis de quantifier ce phénomène, éclairant la diversité des situations vécues par ces femmes. Les résultats sont publiés dans la revue Clinical Breast Cancer.

Depuis quelques années, le diagnostic du cancer du sein s’est beaucoup amélioré. Plus de 60 000 femmes sont diagnostiquées chaque année en France, favorisant une meilleure prise en charge médicale. Davantage de patientes surmontent le cancer et un aspect du soin de plus en plus prioritaire consiste à les accompagner à améliorer leur qualité de vie à long terme. Parmi les nombreux éléments en jeu, le retour au travail constitue une étape importante.

Pendant un arrêt de travail, puis pendant la reprise de travail, beaucoup de facteurs entrent en jeu. Il s’agit d’une expérience très personnelle, plus ou moins complexe et plus ou moins bien vécue selon chaque situation.

« Le médecin conseil m’a convoquée après 3 mois de temps partiel thérapeutique, et je l’ai vécu comme un rendez-vous culpabilisant », raconte ainsi l’une des participantes[1] interrogées dans le cadre de l’étude TRAVERSÉE (Trajectoires de soin et de retour au travail après le diagnostic d’un cancer du sein : les données SNDS au service de l’accompagnement).

Ce projet scientifique coordonné par Alexandra Dima, chercheuse en psychologie de la santé, a eu justement pour objectif de développer des indicateurs et des méthodes d’analyse destinés à mieux rendre compte de la diversité de situations de patientes.

« Il est de la responsabilité des services publics d’organiser au mieux le retour au travail des femmes après le traitement d’un cancer du sein. Pour cela, nous avons besoin de mieux comprendre leurs trajectoires et comment ces femmes l’ont vécu », explique-t-elle. Et d’ajouter « qu’une meilleure connaissance de ces trajectoires aiderait également les professionnels de santé à mieux planifier les parcours de soins, et les patientes à mieux gérer leur équilibre entre vie personnelle et professionnelle ».

Dans le cadre du projet de recherche TRAVERSÉE, des scientifiques du Laboratoire de recherche en Santé Publique RESHAPE (Université Claude Bernard Lyon 1/Inserm) et de l’Unité Mixte de Recherche Épidémiologique et de Surveillance Transport Travail Environnement UMRESTTE (Université Claude Bernard Lyon 1/Université Gustave Eiffel), ainsi que des Hospices Civils de Lyon, ont eu accès à des données de l’Assurance Maladie, une des sources de données du Système National de Données de Santé. En s’appuyant sur des informations telles que les congés de maladie compensés par des indemnités journalières et les pensions d’invalidité, ils ont notamment établi des statistiques sur le temps de retour au travail des femmes après un cancer du sein.

Pour ce faire, les chercheurs ont notamment intégré un groupe de représentantes des patientes et professionnels de santé dans la formulation, la contextualisation et l’interprétation des méthodes et statistiques établies. Un aspect innovant du projet.

Les résultats de l’étude, publiés dans la revue Clinical Breast Cancer, indiquent que la moitié des femmes sont retournées au travail au cours de la première année suivant le diagnostic. Environ 4 femmes sur 10 sont revenues plutôt au cours de la deuxième année après une période de travail à temps partiel. En revanche, environ 1 femme sur 10 a connu des périodes d’arrêt complet de travail se prolongeant sur 3 ans depuis le diagnostic. C’est en particulier auprès des femmes, dont la période de retour au travail est particulièrement longue, qu’il faut penser différemment l’accompagnement, pointe l’étude.

« Les méthodes mises en œuvre dans cette base de données nationale permettent une compréhension globale des trajectoires de retour au travail et de certains facteurs associés. Ces informations détaillées permettent ainsi aux cliniciens d’offrir un soutien personnalisé aux patientes et de concevoir des interventions ciblées qui facilitent un retour au travail réussi », concluent les auteurs de ces travaux.

Les scientifiques, représentantes des patientes et professionnels de santé qui ont participé à l’étude encouragent fortement les patientes à se faire accompagner dans cette étape importante de leur parcours professionnel.

[1] Un groupe de représentantes des patientes a participé en tant qu’expertes au projet TRAVERSÉE

Un groupe de représentantes des patientes et professionnels de santé a contribué à valoriser les connaissances acquises lors de cette étude sous forme de vidéos.

Sur les méthodes : https://youtu.be/fmnlwO0eSJs
Sur les résultats : https://youtu.be/vxeAY3ZjPlg

Propagation des cancers : cibler les plaquettes pour contrer les métastases ?

Microscopie électronique à balayage. On observe comment les plaquettes (en bleu/violet) s’attachent à deux cellules tumorales (en rouge) dans un modèle pré-clinique de souris. © Maria Jesus Garcia Leon (unité 1109 Inserm/Université de Strasbourg)

Et si nos plaquettes sanguines[1], actrices majeures du maintien de l’intégrité de notre système circulatoire, n’étaient pas systématiquement de notre côté ? Des équipes de recherche de l’Inserm, de l’Université de Strasbourg et de l’Établissement français du sang se sont penchées sur le rôle des plaquettes dans le processus de formation des métastases. Leurs résultats suggèrent que les plaquettes, en se fixant spécifiquement aux cellules cancéreuses circulantes, favoriseraient leur survie dans la circulation sanguine, mais également au sein des métastases. Ces travaux, parus dans Nature Communications, montrent en outre que l’utilisation de traitements permettant de cibler la liaison entre les plaquettes et les cellules cancéreuses pourrait permettre de lutter contre la formation des métastases, sans présenter le même risque hémorragique[2] que les antiplaquettaires classiques.

Une métastase est une tumeur dite « secondaire » formée généralement à partir de cellules cancéreuses qui se sont détachées d’une première tumeur (dite « primaire ») avant de migrer via les vaisseaux lymphatiques ou sanguins et de s’installer dans une autre partie du corps, propageant ainsi le cancer d’origine. Au cours de leur dissémination, ces cellules cancéreuses entrent en contact les plaquettes sanguines qui s’avèrent des alliées inattendues : en se liant aux cellules cancéreuses, elles vont favoriser leur survie face aux cellules immunitaires présentes dans l’environnement sanguin et les aider à sortir de la circulation pour atteindre leur lieu de métastase.

Toutes les cellules cancéreuses ne bénéficient cependant pas de la même protection de la part des plaquettes car certaines s’y lient plus facilement que d’autres. Cette préférence dicte leur capacité à survivre dans la circulation, à cibler certaines régions vasculaires et donc leur aptitude à ensuite créer des métastases. Par ailleurs, des analyses fines des métastases pulmonaires ont montré que les plaquettes s’y retrouvaient également en nombre et pourraient par conséquent y jouer un rôle différent ou complémentaire de celui qu’elles ont dans les vaisseaux sanguins.

Deux équipes de recherche dirigées par les chercheurs Inserm Jacky Goetz, au sein du laboratoire Immunologie et rhumatologie moléculaire (Inserm/Université de Strasbourg) et Pierre Mangin, au sein du laboratoire Biologie et pharmacologie des plaquettes sanguines : hémostase, thrombose, transfusion (Inserm/Établissement français du sang/Université de Strasbourg), se sont donc intéressées aux moments auxquels les plaquettes intervenaient lors de la migration des cellules cancéreuses pour favoriser la survie et la dissémination de ces dernières. Elles se sont également penchées sur la façon de contrer cette alliance sans avoir recours aux médicaments antiplaquettaires classiques, qui, en altérant l’arrêt du saignement, présentent un effet secondaire de risque hémorragique.

Dans un modèle de souris, les chercheuses et chercheurs ont artificiellement induit des chutes contrôlées du nombre de plaquettes à différents stades de la formation de métastases pulmonaires. Ils ont ainsi pu observer qu’en supprimant précocement les plaquettes (lorsqu’elles sont encore seulement en circulation dans le sang), on limitait la sortie du vaisseau sanguin des cellules cancéreuses ayant une grande affinité pour celles-ci et qu’on inhibait ainsi la formation de métastases. Les cellules cancéreuses se liant faiblement aux plaquettes étaient elles aussi impactées, mais seulement lorsque le taux de plaquettes était diminué plus tardivement, alors que les métastases pulmonaires étaient déjà formées.

« Ces observations suggèrent qu’en plus de protéger les cellules cancéreuses dans la circulation sanguine, les plaquettes pourraient aussi les protéger contre le système immunitaire de manière plus tardive, c’est-à-dire au sein même des métastases, et les y aider à proliférer, précise Jacky Goetz. Nos travaux futurs chercheront donc à comprendre comment les plaquettes colonisent les métastases en croissance. »

Mais comment contourner la problématique du risque hémorragique associé aux traitements antiplaquettaires ?

Une première piste pourrait être incarnée par une protéine particulière, retrouvée spécifiquement à la surface des plaquettes : la glycoprotéine VI (GPVI). De précédents travaux ont suggéré que d’une part elle pourrait moduler l’activité pro-métastatique des plaquettes et que d’autre part son utilisation ne génèrerait pas de saignements. L’expression de cette protéine peut être inhibée grâce au glenzocimab, une molécule actuellement en évaluation chez des patients dans le cadre du traitement des accidents vasculaires cérébraux. En utilisant le glenzocimab dans leur modèle animal, les scientifiques ont observé qu’il permettait de réduire efficacement le développement des métastases pulmonaires déjà établies, et ceci sans altération de l’arrêt du saignement.

« Ces observations viennent renforcer l’idée d’une contribution des plaquettes à la formation des métastases après la sortie des cellules cancéreuses de la circulation, détaille Pierre Mangin. En outre, nos travaux mettent en lumière les possibilités de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques qui, contrairement aux traitements antiplaquettaires classiques, ne perturberaient pas l’arrêt du saignement et pourraient ainsi être envisagés en oncologie, notamment pour réduire la progression de métastases pulmonaires. Nos deux équipes travaillent actuellement à l’exploration de ce potentiel », ajoute le chercheur.

Cette étude, réalisée dans des modèles animaux expérimentaux, permet de réconcilier des données antérieures contradictoires sur le rôle des plaquettes dans le processus métastatique.

« Des études chez l’être humain, par exemple sur des cohortes de patients exposés au long cours aux antiplaquettaires pour des indications cardiovasculaires, ou encore évaluant l’efficacité de traitements oncologiques chez des patients sous antiplaquettaires, pourraient être d’excellents indicateurs pour vérifier ces résultats », conclut Jacky Goetz.

 

[1]Les plaquettes ou thrombocytes présentes dans le sang ne sont pas des cellules à proprement parler, mais des fragments de cellules géantes de la moelle osseuse : les mégacaryocytes. Elles sont des actrices majeures de l’arrêt rapide du saignement (hémostase). Ainsi, un taux de plaquettes trop bas, peut entraîner des troubles de l’arrêt du saignement et donc un risque hémorragique (en cas de blessure par exemple).

[2] Voir note 1

Nouvelles pistes thérapeutiques pour améliorer le traitement du cancer de l’ovaire

© Cellule cancéreuse réalisée en 3D, Fotalia

En étudiant pour la première fois les effets de la chimiothérapie sur certaines cellules du micro-environnement tumoral[1], une équipe de l’Institut Curie et de l’Inserm menée par le Dr Fatima Mechta-Grigoriou franchit une étape dans la compréhension des mécanismes de résistance à la chimiothérapie chez des patientes atteintes de cancer de l’ovaire. En effet, les scientifiques sont parvenus à identifier une population de fibroblastes (cellules de soutien) capable d’inhiber l’action antitumorale de certaines cellules immunitaires même après le traitement. Publiés dans Nature Communications, ces résultats ouvrent la voie à de potentielles applications thérapeutiques anti-cancéreuses.

Environ 70% des cancers de l’ovaire sont dits « séreux de haut grade »[2] et présentent un pronostic sévère. Optimiser les traitements et développer de nouvelles stratégies constituent donc des enjeux de scientifiques et médicaux majeurs. Aujourd’hui, les scientifiques s’intéressent à une population cellulaire spécifique : les fibroblastes, des cellules hétérogènes présentes dans l’ensemble de l’organisme au niveau des tissus conjonctifs (qui assurent la cohésion des autres tissus de l’organisme). Les fibroblastes associés au cancer (CAF) participent au maintien du microenvironnement tumoral, considéré comme un moteur important dans le développement de la maladie (par exemple en favorisant la propagation de métastases). Comprendre le rôle et l’évolution des CAF pendant la maladie et son traitement est donc essentiel pour trouver des approches thérapeutiques plus efficaces contre le cancer.

 

L’effet de la chimiothérapie sur les fibroblastes associés au cancer

Au sein de l’unité Cancer, hétérogénéité, instabilité et plasticité (Inserm, Institut Curie), l’équipe dirigée par le Dr Fatima Mechta-Grigoriou[3], a évalué l’effet d’un traitement par chimiothérapie sur quatre populations de CAF préalablement identifiées dans les cancers ovariens séreux de haut grade. Les chercheuses et chercheurs ont réussi à distinguer plusieurs catégories de CAF : certains, bénéfiques, bloqueraient le développement tumoral, tandis que d’autres, néfastes, participeraient à la croissance du cancer. Les scientifiques ont observé qu’une importante proportion de CAF néfastes est inactivée à la suite d’un traitement par chimiothérapie. Cependant, une proportion variable de ces CAF néfastes reste activée en dépit de la chimiothérapie, avec un impact sur l’efficacité du traitement.

 

Les CAF et le système immunitaire

L’équipe a voulu aller plus loin et s’est intéressée à l’interaction entre ces CAF néfastes et le système immunitaire. Ses résultats révèlent que la population de CAF néfastes bloque l’activité antitumorale de cellules immunitaires essentielles : les lymphocytes T CD8+. Ainsi, cibler ces CAF néfastes résiduels, en combinaison avec la chimiothérapie, pourrait améliorer le pronostic des patientes atteintes de cancer de l’ovaire.

« Ces résultats suggèrent qu’une approche thérapeutique ciblant spécifiquement ces CAF néfastes résiduels, en complément d’une chimiothérapie, pourrait augmenter l’activité antitumorale des lymphocytes T CD8+ et améliorer le traitement du cancer et le pronostic des patientes » explique le Dr Fatima Mechta-Grigoriou. « A l’Institut Curie, nous menons actuellement le projet de Recherche Hospitalo-Universitaire CASSIOPEIA qui porte sur ces mêmes populations de CAF pour lutter contre les métastases et la résistance au traitement dans les cancers du sein triple négatif. »

cancer -CAF néfastes (ANTXR1, en rouge) et de protéines intracellulaires YAP1

Marquage des populations de CAF néfastes (ANTXR1, en rouge) et de protéines intracellulaires YAP1 (en vert) dans des cellules avant et après traitements. Après la chimiothérapie, on observe la présence résiduelle de YAP1 en vert qui pourrait être ciblée pour augmenter l’efficacité de la chimiothérapie. Barres d’échelle, 50 μm

 

Les fibroblastes au-delà du cancer

Des résultats publiés récemment[4] par la même équipe ont également mis en évidence un rôle des fibroblastes dans le développement des maladies rénales chroniques, cause majeure de mortalité dans le monde. En s’accumulant, ces fibroblastes induisent des dysfonctionnements rénaux. Les scientifiques ont ainsi montré que la présence au diagnostic de fibroblastes particuliers était prédictive d’un pronostic défavorable chez le patient.

« Les diverses populations de fibroblastes sont impliquées à différents stades du développement pathologique dans le cancer, mais apparaissent aussi de façon nouvelle et intrigante dans d’autres pathologies, ce qui élargit considérablement notre domaine de recherche », conclut le Dr Fatima Mechta-Grigoriou.

On définit par microenvironnement tumoral, l’ensemble des cellules ou constituants biologiques (vaisseaux sanguins, cellules immunitaires, fibroblastes, molécules de signalisation, matrice extracellulaire) qui sont situés autour des cellules cancéreuses et qui interagissent fortement avec elles.

 

[1] On définit par microenvironnement tumoral, l’ensemble des cellules ou constituants biologiques (vaisseaux sanguins, cellules immunitaires, fibroblastes, molécules de signalisation, matrice extracellulaire) qui sont situés autour des cellules cancéreuses et qui interagissent fortement avec elles.

[2] Le cancer de l’ovaire séreux de haut grade est un sous-type qui se développe à partir des cellules épithéliales.

[3] L’équipe Stress et cancer à l’Institut Curie est dirigée par le Dr Fatima Mechta-Grigoriou, directrice de recherche de classe exceptionnelle à l’Inserm.

[4] Cohen et al., 2024, WNT-dependent interaction between inflammatory fibroblasts and FOLR2+ macrophages promotes fibrosis in chronic kidney disease, Nature Communications, 2024 Jan 25;15(1):743. doi: 10.1038/s41467-024-44886-z.

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