Menu

Cancer du pancréas : la bioélectricité éclaire la communication intercellulaire au sein de la tumeur

Illustration 3D du pancréas © Fotalia

Décrypter les relations entre les cellules cancéreuses et l’écosystème tumoral est un défi majeur pour comprendre le développement de la maladie et identifier des pistes thérapeutiques dans l’adénocarcinome pancréatiques (AdKP), l’un des cancers solides les plus agressifs, avec un taux de survie à 5 ans inférieur à 10%.

Dans cette étude, les équipes d’Olivier Soriani Professeur à Université Côte d’Azur (Nice, iBV, Institut de Biologie Valrose) et Richard Tomasini, Directeur de recherche Inserm (Marseille, CRCM, Centre de Recherches sur le Cancer) dévoilent comment un canal potassique (SK2) stimule la formation des métastases en sensibilisant les cellules cancéreuses aux signaux du microenvironnement tumoral. Ces travaux sont prochainement publiés dans la revue GUT.

Le cancer du pancréas ou adénocarcinome pancréatique (AdKP) est un cancer dont le pronostic demeure grave avec un taux de survie à 5 ans inférieur à 10%. C’est une tumeur solide dont la structure particulière est en partie responsable de la résistance aux traitements. Elle est en effet constituée de cellules cancéreuses peu nombreuses (<20% des cellules) dispersées au sein d’un compartiment très dense, peu vascularisé, le stroma, majoritairement constitué de cellules fibroblastiques associées au cancer (CAF).

Éléments clefs du stroma, les CAF sont issus de fibroblastes normaux, cellules de soutien naturellement présentes dans le pancréas. Sous l’influence des cellules tumorales, ces fibroblastes prolifèrent, sécrètent des signaux chimiques et des protéines qui forment un réseau, la matrice extracellulaire. Cet environnement très particulier contrôle en retour les cellules tumorales en stimulant leur fonctions pro-invasives. Plus agressives, les cellules cancéreuses forment des métastases qui vont coloniser des organes distants, et en particulier le foie.

La compréhension des voies de communication entre les cellules tumorales et les CAF représente un défi majeur pour permettre le développement de nouveaux traitements.

Quels sont donc les acteurs du dialogue entre les CAF et les cellules tumorales ?

L’équipe d’Olivier Soriani a focalisé ses recherches sur une famille de protéines encore peu étudiée dans le cadre de la recherche sur le cancer, celle des canaux ioniques, qui regroupe plus de 300 membres.

Un canal ionique est une protéine intégrée dans la membrane des cellules, autorisant le passage de petites molécules chargées électriquement, les ions. Le passage des ions à travers les canaux ioniques induit de petits courants qui déterminent un champ électrique à travers la membrane des cellules vivantes. Ce phénomène de « bioélectricité » est à la base de la transmission de l’information dans de nombreux organes tels que le système nerveux, le cœur, les muscles, ou encore le système endocrinien.

Trois questions sont au départ de cette étude : Les canaux ioniques sont-ils impliqués dans le dialogue entre les CAF et les cellules cancéreuses ? Si oui, sont-ils capables de contrôler le comportement des cellules cancéreuses ? Enfin, peut-on cibler ces canaux spécifiquement dans la tumeur à des fins thérapeutiques, sans altérer le fonctionnement normal des autres organes ?

Pour répondre à ces interrogations, les chercheurs de Nice de l’équipe d’Olivier Soriani, spécialistes des canaux ioniques, se sont associés à l’équipe marseillaise de Richard Tomasini, reconnue pour ses travaux sur le rôle des CAF dans le cancer du pancréas.

Dans un premier temps, ils ont montré que la stimulation des cellules cancéreuses par des CAF prélevés chez des patients, induit dans les cellules tumorales, un courant électrique généré par l’ouverture d’un canal ionique particulier, le canal potassique SK2. De plus, des expériences sur des cellules tumorales en culture indiquent que l’inhibition de l’activité du canal SK2 protège ces dernières de l’influence pro-invasive des CAF. Ces résultats sont confirmés in vivo, puisque les CAF ne sont plus capables d’induire la formation de métastases dans le foie de souris-modèles déficientes pour le canal SK2.

Enfin, l’analyse de banques de tumeurs du pancréas humaines montre que l’expression du canal SK2 est associée aux métastases hépatiques.

Par quel mécanisme le canal SK2 est-il capable d’augmenter la réponse des cellules tumorales à l’influence des CAF ?

Les chercheurs ont observé que les CAF, en sécrétant certaines protéines nécessaires à la formation de la matrice extracellulaire (collagène et fibronectine), stimulaient dans les cellules cancéreuses une voie de signalisation primordiale dans l’agressivité tumorale : la voie dépendante de l’AKT, une enzyme qui régule l’activité de nombreuses protéines cellulaires. L’exploration fine de cette voie par les chercheurs niçois a révélé deux faits majeurs : tout d’abord, le canal SK2 est une cible directe de l’AKT : c’est par cette voie que le canal est activé en présence des CAF. Ensuite, le canal se comporte comme un amplificateur de signal dont l’activité augmente considérablement l’efficacité de la voie AKT, et donc la sensibilité des cellules aux signaux pro-métastatiques émis par les CAF. L’utilisation de techniques de microscopie quantitative a d’ailleurs permis de montrer que la stimulation des cellules tumorales par les CAF provoquait le couplage physique entre SK2 et AKT.

Comment agir sur SK2 sans altérer la fonction du canal dans les tissus sains (cerveau, vaisseaux sanguins, cœur) ?

L’équipe d’Olivier Soriani s’intéresse depuis plusieurs années à une protéine auxiliaire de nombreux canaux ioniques : SigmaR1. SigmaR1 est une protéine intracellulaire exprimée dans tous les tissus. Silencieuse dans des conditions normales, elle s’active dans les tissus lésés pour accompagner des protéines –partenaires, contribuant ainsi à la survie des cellules en état de stress. De cette manière, SigmaR1 contribue à ralentir la progression ou à limiter la mort cellulaire dans des pathologies telles que les maladies neurodégénératives, les accidents vasculaires cérébraux, ou encore l’infarctus du myocarde.

En analysant des tumeurs prélevées chez des patients atteints de cancer du pancréas, Olivier Soriani et Richard Tomasini ont remarqué que la distribution de SigmaR1 se superposait très exactement à celle de du canal SK2.

Dans cette configuration, SigmaR1 était-elle susceptible de contribuer à la mobilisation de SK2 dans les cellules cancéreuses du pancréas ? La réponse est positive : la présence de SigmaR1 est même absolument nécessaire à la stimulation de SK2 par les CAF, et pour cause : c’est SigmaR1 qui pilote l’association physique entre AKT et le canal SK2 !

Les chercheurs niçois et marseillais se sont alors tournés vers Patricia Melnyk, chimiste lilloise spécialisée dans la synthèse de petites molécules de type ligands pour des cibles impliquées dans les pathologies du SNC, parmi elles, SigmaR1. Les résultats obtenus avec l’un des ligands sigma qu’elle développe dans son laboratoire sont extrêmement prometteurs : cette molécule inhibe, dans les cellules cancéreuses, l’activation de SK2 par les CAF en empêchant l’association AKT/SK2 via SigmaR1.

Mais les résultats les plus spectaculaires ont été observés in vivo, dans un modèle de souris modifiées génétiquement pour développer spontanément des cancers du pancréas.

Les chercheurs ont constaté la disparition totale des lésions tumorales dans le pancréas des souris traitées avec le ligand sigma ; en parallèle, la survie des animaux traités progresse considérablement, et ceci même si le traitement est mis en place après l’apparition des premières tumeurs.

Ces travaux démontrent pour la première fois le rôle des canaux ioniques dans le dialogue entre les cellules tumorales et les acteurs de leur écosystème. Des études complémentaires permettront de préciser la place de cette nouvelle voie thérapeutique utilisant des ligands sigma comme adjuvant aux traitements de référence ou comme traitement de première ligne. Les perspectives offertes par ces résultats pourraient s’élargir à d’autres cancers dans lesquels le rôle du stroma est prédominent (cancer du sein ou du colon).

 

Schéma décrivant le mécanisme par lequel la Fibronectine (FN) et le Collagène 1 (Col1) sécrétés par les fibroblastes associés au cancer (CAFs) stimulent l’axe de signalisation β-1-intégrine-EGFR-AKT via le canal SK2.

Panneau supérieur : Cible directe de l’AKT, le canal exerce une boucle de rétroaction positive de l’axe de signalisation stimulé de façon paracrine par les CAFs. La présence du canal au sein du complexe augmente la sensibilité des cellules cancéreuses du pancréas (PCC) à la FN et au Col1, renforçant la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT) et la formation des métastases.

Panneau inférieur : La protéine chaperon SigmaR1 conditionne l’association locale entre le canal et ses partenaires et peut être spécifiquement ciblée par de petites molécules exogènes (ligands sigma, 1(S)) pour inhiber la communication intercellulaire entre les CAFs et les PCC, ce qui abolit la formation des métastases et augmente la survie in vivo.

L’azithromycine après une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques augmenterait la rechute des hémopathies malignes

Sang circulant dans une artère (Globules rouges) © AdobeStock

 

Des équipes du service d’hématologie greffe de l’hôpital Saint Louis AP-HP, de l’Inserm et d’Université Paris Cité ont décrypté les mécanismes biologiques associés aux rechutes hématologiques des patients recevant de l’azithromycine à la phase précoce d’une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Les résultats de cette étude, coordonnée par le Dr David Michonneau ont fait l’objet d’une publication le 19 août 2022 au sein de la revue Blood.

L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques1 est un traitement curatif majeur des hémopathies malignes (un groupe hétérogène de cancers des cellules sanguines et de leurs précurseurs).

Elle est compliquée dans près de 50% des cas par une réaction immunitaire sévère des cellules du greffon dirigée contre les tissus du receveur, appelée réaction du greffon contre l’hôte (GVHD). L’atteinte pulmonaire de la GVHD est l’une des plus sévères.

Entre 2014 et 2015, un essai clinique randomisé contre placebo, en double aveugle (ALLOZITHRO), à promotion AP-HP, impliquant la plupart des centres de greffe français, et coordonné par le Pr Bergeron, avait évalué chez 465 malades allogreffés, l’intérêt d’un antibiotique, l’azithromycine, administré au tout début du processus de la greffe dans la prévention de la GVHD pulmonaire2. Cet essai a été interrompu prématurément en décembre 2016, en raison de l’augmentation du risque de décès observé chez les patients ayant reçu de l’azithromycine en lien avec une rechute hématologique.

Les résultats de cette étude avaient alors conduit l’Agence européenne des médicaments (EMA) et la Food and Drug Administration (FDA) en 2018 à émettre une mise en garde quant à l’utilisation de ce médicament dans ce contexte.

Une étude complémentaire avait de plus conclu à l’augmentation du risque de cancers solides secondaires chez les patients ayant reçu de l’azithromycine plus tardivement après la greffe3. L’analyse clinique des données à 5 ans pour les patients inclus dans l’étude ALLOZITHRO est désormais en cours.

L’ensemble de ces résultats a alors conduit à poser des hypothèses physiopathologiques devant être vérifiées notamment du fait de la large utilisation de l’azithromycine dans d’autres contextes.

L’équipe de recherche du Dr Michonneau a alors étudié les échantillons sanguins de 240 des 465 patients qui avaient été inclus dans l’étude ALLOZITHRO, grâce à la collection biologique nationale multicentrique Cryostem.

Les chercheurs ont montré que le système immunitaire des patients exposés à l’azithromycine évalués dans cette étude était caractérisé par une diminution de 20% des lymphocytes T et par un épuisement de leurs fonctions effectrices4, ainsi que par des altérations du métabolome5 plasmatique et intracellulaire, en particulier des voies du métabolisme énergétique. Ainsi, 9 populations immunitaires et 50 métabolites significativement modifiés par la prise d’azithromycine étaient également associés à la rechute.

L’étude des transcriptomes6 de plus de 60 000 cellules uniques a montré une inhibition de l’expression des gènes impliqués dans le cycle cellulaire, des voies de l’inflammation et du métabolisme énergétique (métabolisme des acides gras, glycolyse et phosphorylation oxydative).

In vitro, l’exposition des lymphocytes T à l’azithromycine inhibait leurs principales fonctions : prolifération cellulaire, synthèse de cytokines et diminuait la capacité de cellules CAR-T à éliminer des cellules tumorales.

L’azithromycine inhibait les voies de signalisation mTOR7 et du récepteur des cellules T (TCR) ainsi que la glycolyse lors de l’activation des lymphocytes T.

Après 5 jours d’exposition, l’azithromycine altérait également la chaine respiratoire mitochondriale.

Ces résultats ont mis en évidence que l’azithromycine pourrait inhiber directement la réponse immunitaire anti-tumorale et favorise ainsi la survenue de cancer ou de rechute chez les patients exposés à cet antibiotique.

 

[1] Les cellules souches hématopoiétiques (CSH), présentes dans la moelle osseuse, sont à l’origine de toutes les cellules du sang (macrophages, lymphocytes, neutrophiles, globules rouges, plaquettes, etc.).

[2] Bergeron et al., JAMA, 2017

[3] étude rétrospective bi-centrique franco-américaine – Azithromycin Use and Increased Cancer Risk among Patients with Bronchiolitis Obliterans after Hematopoietic Cell Transplantation, ScienceDirect

[4] grâce à l’étude de la métabolomique, de la transcriptomique et de la protéomique

[5] ensemble complet des molécules présentes dans une cellule

[6] ensemble des molécules d’ARN messager d’une cellule 

[7] mammalian target of rapamycin : contrôleur central de la croissance cellulaire en réponse aux facteurs de croissance et aux nutriments

Étude transversale de l’intérêt de la télésurveillance des rythmes circadiens pour la santé des travailleurs de nuit

Des altérations importantes des horloges biologiques chez les personnels hospitaliers travaillant de nuit ont été relevées grâce à un dispositif innovant de télémédecine. © Jeanne Rouillard on Unsplash

Les équipes du service d’oncologie médicale de l’hôpital Paul Brousse AP-HP, de l’Inserm,  de l’Université Paris-Saclay, et de l’Universite de Warwick (Grande-Bretagne) coordonnées par le Pr Francis Lévi, ont étudié les effets du travail de nuit, à l’aide d’un capteur thoracique innovant. Les résultats de cette étude ont été publiées le 27 juin 2022 dans la revue eBioMedicine.

Le travail de nuit concerne 15 à 30% des travailleurs en Europe. Il est associé à une augmentation significative du risque de cancer chez les femmes pré-ménopausées (risque relatif de 1,36), selon une revue de la littérature scientifique internationale de référence1.

Deux rapports exhaustifs de l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer vont dans le même sens (20102 et 20203) ; un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES, 20164) montre aussi une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires.

L’objectif de cette nouvelle étude était de trouver des indicateurs précoces permettant d’identifier les personnes les plus à risque afin de leur proposer des interventions préventives personnalisées. 

L’équipe de recherche a mesuré pendant une semaine les rythmes circadiens5 de l’activité-repos et de la température corporelle de 140 infirmières ou aides-soignantes volontaires de l’hôpital Paul-Brousse AP-HP, à l’aide d’un capteur thoracique connecté à une plateforme de santé digitale.

Des altérations importantes des horloges biologiques6 chez les personnels hospitaliers travaillant de nuit ont été relevées grâce à ce dispositif innovant de télémédecine, en comparaison de ceux travaillant de jour. Ces altérations persistent pendant les jours de repos chez près de 20% des personnels de nuit, et s’aggravent avec l’augmentation du nombre d’années de travail de nuit.

Ces perturbations des horloges biologiques pourraient constituer un signal précoce, annonciateur d’une augmentation de risque de cancer ou d’autres maladies chez les travailleurs de nuit.

Les résultats montrent que la télémédecine des rythmes circadiens permet une évaluation précise de plusieurs indicateurs de santé, intégrant le rythme circadien, l’activité physique, et la qualité du sommeil.

Le télé-monitoring des rythmes circadiens pourrait ainsi constituer un nouveau moyen automatisé de surveillance de la santé des travailleurs de nuit à l’échelle individuelle, et contribuer à une médecine de prévention personnalisée pour cette population.

 

[1] Cordina-Duverger E, Menegaux F, Popa A, Rabstein S, Harth V, Pesch B, et al. Night shift work and breast cancer: a pooled analysis of population-based case–control studies with complete work history. Eur J Epidemiol. 2018;33(4):369–79.

[2] https://publications.iarc.fr/116

[3] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33656825/ 

[4] https://www.anses.fr/fr/content/l%E2%80%99anses-confirme-les-risques-pour-la-sant%C3%A9-li%C3%A9s-au-travail-de-nuit

[5] Les rythmes circadiens désignent les fonctions cycliques de l’organisme déterminées par notre horloge biologique interne

[6] ensemble de 15 gènes dits de horloge circadienne, qui régulent le métabolisme et la prolifération des cellules ainsi que les périodes de veille et de sommeil au cours des 24 heures.

Des mécanismes épigénétiques spécifiques aux femmes pourraient contribuer à la progression tumorale

Photo d'imagerie en microscopie électronique montrant la transformation des cellules mammaires tumorales dans le cancer du sein

Transformation des cellules mammaires tumorales dans le cancer du sein. Crédits / Inserm – Xavier Coumoul

Des travaux décrivent le rôle épigénétique[1] d’un ARN non-codant dans le développement de tumeurs agressives, notamment dans le cancer du sein. L’étude, menée en collaboration entre l’Institut Curie, l’Inserm, le CNRS, l’Institut Paoli Calmettes, Aix-Marseille Université[2], vient d’être publiée dans la revue Cell. Ces résultats pourraient expliquer plus largement des biais de genre dans la prédisposition à certaines pathologies.

Tous les mammifères disposent de deux chromosomes sexuels. Les mammifères femelles possèdent deux chromosomes X, contrairement aux mâles qui ont un chromosome X et un Y. On connaissait déjà le rôle d’un ARN non-codant spécifique, appelé XIST, pour initier l’inactivation d’un des deux chromosomes X de la femelle. Le but de cette inactivation :  bloquer la double expression des gènes situés sur ce chromosome car celle-ci affecte la viabilité des cellules. Dans cette nouvelle étude, les scientifiques démontrent que XIST joue non seulement un rôle pour déclencher cette inactivation du chromosome X mais aussi pour la maintenir tout au long de la vie des cellules.

Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs et chercheuses ont étudié in vivo les effets de la suppression de XIST. Plusieurs techniques ont été utilisées pour cela. « Soit on a utilisé des outils génétiques pour bloquer l’expression de XIST, soit on a utilisé des techniques de CRISPR[3] pour interférer avec l’expression et on a rendu le gène de XIST silencieux », explique Raphaël Margueron, chercheur à l’Inserm et chef de l’équipe « Mécanisme de répression par les protéines Polycomb » à l’Institut Curie dans l’unité « Génétique et biologie du développement » (Institut Curie/CNRS/Inserm/Sorbonne Université).

La perte de XIST dans les lignées cellulaires étudiées[4] a un effet important sur l’homéostasie[5] du tissu mammaire et impacte le développement tumoral. Raphaël Margueron précise que « quand on étudie des tumeurs et qu’on regarde après coup quelles étaient les propriétés de ces tumeurs, on voit qu’il y a une tendance à ce que XIST soit absent des tumeurs du sein les plus agressives. Ainsi qu’une réactivation d’un certain nombre de gènes du X inactif ».

Des gènes réactivés et la transcription s’emballe

Parmi les gènes réactivés par la perte de XIST, les chercheurs ont mis en évidence le gène codant pour MED14, une sous-unité essentielle au sein du complexe protéique Médiator. Celui-ci joue un rôle dans le contrôle de l’expression des gènes. 

 

 

En conséquence, une augmentation de l’expression de MED14 va impacter l’activité de Médiator et contribuer à la perturbation de la différenciation des cellules souches mammaires[6]. Il s’agit potentiellement du résultat d’une augmentation de l’activation des enhancers (voir FOCUS ci-dessous).

En conclusion, la perte de XIST entraîne la réactivation de certains gènes (sur le chromosome X inactif) impliqués dans la différentiation des cellules et impacte le développement de cellules tumorales agressives. Ce mécanisme épigénétique étant spécifique à la présence de deux chromosomes X, ces résultats vont jouer un rôle majeur dans l’étude des prédispositions aux pathologies liées au genre de l’individu.

« Cette étude suggère que l’expression de XIST ainsi que de certains gènes liés au chromosome X pourraient être utilisés comme marqueurs de réponse à de nouvelles stratégies thérapeutiques », développe Christophe Ginestier, chef de l’équipe Inserm « Cellules Souches Epithéliales et Cancer » au Centre de recherche en cancérologie de Marseille.

 

Focus : Initiation de la transcription

« L’expression des gènes est contrôlée par les promoteurs mais aussi par des morceaux d’ADN, qui peuvent être assez distants du gène et du promoteur, qu’on appelle les enhancers. Il y a une communication entre les enhancers et les promoteurs. Le complexe Médiator intervient dans cette communication et permet aux enhancers de réguler finement l’expression des gènes. », explique Raphaël Margueron.

 

[1]  L’épigénétique est une discipline qui étudie les mécanismes intervenant dans la régulation des gènes, essentielle à l’action des cellules et au maintien de leur identité.

[2] Les travaux ont été menés dans l’unité de recherche « Génétique et biologie du développement » (Institut Curie, CNRS, Inserm, Sorbonne Université) par l’équipe « Mécanisme de répression par les protéines Polycomb » de Raphaël Margueron ; au Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille (CRCM / Inserm, CNRS, Aix-Marseille Université, Centre de Lutte Contre le Cancer de la région PACA-Institut Paoli-Calmettes) par l’équipe d’Emmanuelle Charaffe-Jauffret et de Christophe Ginestier et avec l’EMBL à Heidelberg (Edith Heard).

[3] La technique CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) consiste à interrompre ou suspendre l’expression d’un gène en le ciblant de manière précise.

[4] Le tissu mammaire contient des canaux composés de cellules basales et luminales. Les lignées cellulaires choisies permettent de reproduire cette hétérogénéité du tissu.

[5] Maintien de l’équilibre entre le milieu intérieur et extérieur.

[6] La différenciation est la capacité d’une cellule à acquérir une fonction propre. Une cellule souche peut devenir n’importe quelle cellule (musculaire, excrétrice, osseuse, etc.) mais c’est sa localisation (donc son environnement et les facteurs de transcription qu’on y trouve) qui va déterminer son devenir.

Cancers de l’enfant : de nouvelles perspectives prometteuses en immunothérapie

sarcome d’Ewing

En présence du facteur de transcription EWSR1-FLI-1 (gauche), les transcrits du gène NG3 (vert) – spécifiques du sarcome d’Ewing – sont abondants. Lorsque EWSR1-FLI-1 est diminué (droite), les transcrits NG3 disparaissent complètement. Les transcrits du gène FXR1 (rouge) – non dépendants de EWSR1-FLI-1 – restent, eux, présents. @ Kyra Bergman, Antoine Coulon

 

L’immunothérapie est en plein essor depuis ces dernières années, tant les bénéfices sont importants pour les patients et les recherches en cours, prometteuses. Toutefois, cette approche demeure le plus souvent inefficace pour lutter contre les cancers de l’enfant. Des scientifiques de l’Institut Curie, de l’Inserm et du CNRS viennent de mettre en évidence une nouvelle activité d’un facteur de transcription caractéristique du sarcome d’Ewing[1] : celui-ci induit l’expression de gènes hautement spécifiques à la tumeur. Une découverte qui pourrait ouvrir la voie à l’immunothérapie dans les sarcomes, et plus largement dans les tumeurs pédiatriques. Ces résultats ont été publiés le 11 mai 2022 dans la revue Molecular Cell, avec le soutien de la Ligue nationale contre le cancer.

L’immunothérapie est de plus en plus utilisée pour traiter les cancers, tant les bénéfices sont importants pour les patients. Ce traitement se caractérise par une grande efficacité et une espérance de vie prolongée, à travers le maintien de la réponse du système immunitaire au fil du temps. De nombreuses recherches prometteuses sont actuellement menées. Toutefois, l’immunothérapie connaît une limite principale. Elle demeure majoritairement inefficace pour le traitement des cancers pédiatriques. En effet, cette approche thérapeutique est fondée sur un concept clé : les mutations génétiques spécifiques aux tumeurs peuvent être identifiées comme non-soi par le système immunitaire. Or, dans les cancers de l’enfant, ces mutations sont peu nombreuses. Une étude menée par l’équipe du Dr Olivier Delattre, directeur de recherche Inserm à la tête de l’unité Cancer, Hétérogénéité, Instabilité et Plasticité (CHIP – Institut Curie/Inserm/Université de Paris), vient de mettre en évidence l’expression de gènes hautement spécifiques dans le sarcome d’Ewing1, et plus largement dans certains sarcomes et tumeurs pédiatriques.

L’altération génétique caractéristique des sarcomes présente une nouvelle activité

De nombreux cancers se caractérisent par des mutations génétiques particulières appelées « fusion de gènes » qui aboutissent à l’expression de protéines (facteurs de transcription) oncogènes. Près de 95 % des tumeurs d’Ewing sont dues à une fusion génétique caractéristique : le plus souvent, il s’agit d’une translocation[2] qui se produit entre les chromosomes 11 et 22 et aboutit à la synthèse d’une protéine anormale, le facteur de transcription EWS-FLI-1. Les fusions entre deux gènes se retrouvent dans un grand nombre de sarcomes, entraînant la présence de ces facteurs de transcription particuliers dits « chimériques[3] oncogènes ».

A l’origine de ces premières découvertes, l’équipe Diversité et plasticité des tumeurs de l’enfant dirigée par le Dr Delattre à l’Institut Curie fait un pas de plus dans la compréhension du rôle crucial de EWS-FLI-1. Les chercheurs révèlent que ce facteur de transcription spécifique au sarcome d’Ewing induit l’expression d’un ensemble de gènes dans des régions du génome qui sont normalement « silencieuses », autrement dit non transcrites. Leurs résultats indiquent que ces « néogènes » peuvent être traduits en peptides hautement spécifiques car fortement exprimés dans les cellules du sarcome d’Ewing, alors qu’ils sont absents des cellules normales de l’organisme.

Le rôle de ces facteurs de transcription dans les processus métastatiques est déjà connu mais il s’agit de la première fois qu’une telle activité est observée.

« L’existence de ces mutations génétiques particulières est retrouvée dans de nombreux cancers pédiatriques, laissant ainsi entrevoir la possibilité d’immunothérapies ciblant ces protéines spécifiques de la tumeur. Cette découverte pourrait s’avérer révolutionnaire pour la prise en charge des tumeurs de l’enfant qui constituent aujourd’hui la 2ème cause de mortalité chez les moins de 15 ans, » explique le Dr Olivier Delattre, directeur de recherche Inserm à la tête de l’unité Cancer, Hétérogénéité, Instabilité et Plasticité – CHIP (Institut Curie/INSERM/Université de Paris). « Il nous reste désormais à démontrer que ces nouvelles protéines identifiées peuvent constituer des cibles thérapeutiques réelles pour la mise au point d’immunothérapies. C’est l’objet des recherches que nous menons actuellement en collaboration avec l’unité Immunité et cancer (Institut Curie/Inserm/Université de Paris) dirigée par Ana-Maria Lennon et le Laboratoire d’Immunologie Clinique dirigé par le Dr Olivier Lantz à l’Institut Curie, » conclut le Dr Delattre.

Plus généralement, les auteurs de l’étude ont montré que des centaines de ces néogènes peuvent être détectés dans divers cancers caractérisés par des facteurs de transcription chimériques oncogènes. La grande spécificité et l’expression récurrente de ces peptides dans une grande diversité de sarcomes de l’enfant en font des cibles thérapeutiques prometteuses pour le développement d’immunothérapies dans le traitement des cancers pédiatriques.

La prise en charge des cancers pédiatriques à l’Institut Curie

Chaque année en France, environ 2 200 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont diagnostiqués. Si plus de 80% des enfants sont en vie cinq ans après le diagnostic, il reste crucial de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour ceux que l’on ne guérit pas encore et de diminuer les séquelles des traitements classiques. A l’Institut Curie, entre 300 et 400 jeunes patients sont pris en charge tous les ans par les équipes pluridisciplinaires du centre SIREDO (Soins, Innovation, Recherche, en oncologie de l’Enfant, l’aDOlescent et de l’adulte jeune) dirigé par le Dr Delattre. Avec le soutien des associations, elles mènent des travaux de recherche fondamentale, translationnelle, clinique, avec une forte spécialité sur les tumeurs solides : neuroblastome, médulloblastome, sarcome d’Ewing, rétinoblastome ou encore certaines tumeurs cérébrales.

 

[1] Deuxième tumeur osseuse maligne la plus fréquente après l’ostéosarcome chez les adolescents et les jeunes adultes, le sarcome d’Ewing se développe principalement dans les os du bassin, les côtes, les fémurs, les péronés et les tibias. A travers son fort pouvoir invasif, le sarcome d’Ewing peut entraîner l’apparition d’autres foyers cancéreux dans l’organisme, notamment au niveau des poumons, du squelette et de la moelle osseuse

[2] Réarrangement chromosomique qui implique l’échange réciproque de matériel chromosomique entre des chromosomes non homologues.

[3] Lorsqu’une seule séquence d’ADN provient de plusieurs transcriptions ou séquences parentes.

Infertilité : nouvelles pistes pour comprendre les effets délétères de la chimiothérapie

immunomarquage

Image représentative d’un immunomarquage sur une coupe de testicule de souris. Le marquage rouge permet de visualiser les cellules germinales indifférenciées et le marquage vert correspond à la détection de la protéine GFP reflétant l’expression du récepteur TGR5 dans ce modèle d’étude. ©David Volle/Inserm

L’infertilité est un problème de santé publique affectant des millions de couples en France. Parmi les causes possibles, la chimiothérapie a été pointée du doigt comme ayant des effets particulièrement délétères sur la fertilité des femmes comme sur celle des hommes. Comprendre les mécanismes à l’origine de ces effets négatifs est une priorité afin de mieux les prévenir et de restaurer la fertilité chez les survivants du cancer. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’université Clermont Auvergne se sont intéressés à un récepteur que l’on retrouve sur les cellules germinales masculine à l’origine des gamètes. L’objectif : mieux comprendre son rôle dans l’infertilité causée par une exposition à la chimiothérapie. Les résultats, publiés dans le journal Advanced Science, ouvrent la voie à une meilleure compréhension de l’infertilité masculine et au développement de traitements pour réduire les risques de stérilité en cas de chimiothérapie.

Près de 3,3 millions de Français sont directement touchés par l’infertilité. Celle-ci peut concerner aussi bien les hommes que les femmes et n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Il s’agit aujourd’hui d’un problème de santé publique majeur[1].

Si les causes de l’infertilité sont nombreuses, il est actuellement bien établi que les traitements contre le cancer, et notamment la chimiothérapie, peuvent avoir des effets particulièrement délétères sur la fertilité masculine et féminine. Alors que les thérapies anticancéreuses ont connu des améliorations ces dernières années, il devient urgent de se pencher sur cette problématique, car un nombre croissant de survivants du cancer va être concerné par des problèmes d’infertilité.

Depuis près de 15 ans, le chercheur Inserm David Volle et son équipe au sein du laboratoire Génétique, reproduction et développement (Inserm/CNRS/Université Clermont Auvergne) tentent de mieux comprendre les mécanismes biologiques sous-jacents de l’infertilité. Une partie de leurs travaux s’intéresse à l’impact de la chimiothérapie sur la fertilité masculine, avec l’objectif à plus long terme d’identifier des pistes pour contrer les effets néfastes de ce traitement.

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs et chercheuses se sont intéressés à des récepteurs présents à la membrane des cellules, appelés TGR5, pour comprendre leur rôle dans les effets délétères de la chimiothérapie.

Les récepteurs TGR5 sont très étudiés dans le contexte des maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité. Ils sont en effet activés par les acides biliaires, des molécules produites au niveau du foie qui régulent certaines fonctions physiologiques, dont la glycémie et la dépense énergétique.

De précédents travaux de l’équipe avaient toutefois montré que ces récepteurs sont aussi présents au niveau des cellules germinales, les cellules à l’origine des gamètes. Dans des modèles de souris mimant une maladie hépatique, avec des taux d’acides biliaires élevés, les scientifiques avaient constaté que les récepteurs TGR5 sur les cellules germinales étaient activés, ce qui était associé à une augmentation de la stérilité chez les animaux.

Mort des cellules germinales

Pour aller plus loin et comprendre l’impact des TGR5 sur la fertilité dans le contexte de la chimiothérapie, les scientifiques ont ici exposé des souris à un agent de chimiothérapie appelé busulfan. Ils ont alors montré que la chimiothérapie induit la mort d’une partie des cellules germinales chez des souris saines, affectant ainsi leur fertilité. « Le fait que ce soit les cellules germinales, encore indifférenciées, qui soient touchées est particulièrement problématique car l’on touche à la réserve des cellules produisant les gamètes. Cela peut réduire leur renouvellement et contribuer à l’infertilité post-chimiothérapie », souligne David Volle.

En revanche, chez des souris qui ont été génétiquement modifiées pour que les récepteurs TGR5 soient absents, les effets de la chimiothérapie sur les cellules germinales sont atténués. Cela se traduit par un retour accéléré de la fertilité chez ces souris traitées au busulfan par rapport aux souris témoins.

« Notre étude a donc permis de mieux comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans les impacts délétères des chimiothérapies sur les cellules germinales et la fertilité. En effet, ces résultats démontrent que les récepteurs TGR5 jouent un rôle important dans les effets délétères de la chimiothérapie sur l’infertilité », ajoute David Volle.

A plus long terme, l’objectif serait de développer des méthodes pour moduler l’activation des récepteurs TGR5 de manière ciblée au sein des cellules germinales, afin de protéger ces dernières et de restaurer la fertilité après la chimiothérapie.

L’idée serait aussi d’évaluer si ces données peuvent être extrapolées dans d’autres contextes pathologiques où l’activité des récepteurs TGR5 pourrait être modulée telles que l’obésité ou le diabète, des pathologies connues pour altérer la fertilité.

Par ailleurs, en parallèle de ces travaux, l’équipe a constaté que même lorsque la fertilité était maintenue chez les souris exposées à la chimiothérapie, la qualité des gamètes était affectée. Les scientifiques s’attachent donc désormais à comprendre les impacts sur les cellules germinales tant au niveau quantitatif que qualitatif pour limiter les troubles de la fertilité, mais également les conséquences à plus long terme sur la descendance des animaux.

 

[1] La publication d’un rapport demandé par le ministre de la Santé et le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance et des Famille, en Février 2022 dessine les contours d’une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sur_les_causes_d_infertilite.pdf

Cancer du côlon : comment la mutation du gène APC perturbe la migration des lymphocytes

Lymphocytes T humains

Lymphocytes T humains en migration générant une extension large au front et des protrusions adhésives allongées à l’arrière. Image obtenue par microscopie confocale à fluorescence : actine filamenteuse, rose ; protéine d’adhésion VLA4, bleu). © Institut Pasteur/Biologie Cellulaire des Lymphocytes. Image par Marta Mastrogiovanni.

Chez les patients atteints de polypose adénomateuse familiale, une maladie génétique qui prédispose au cancer du côlon, les mutations du gène APC induisent la formation de polypes intestinaux, mais réduisent aussi l’action du système immunitaire. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Institut Pasteur, de l’Inserm(1) et d’Université Paris Cité détaillent les mécanismes qui altèrent la structure des lymphocytes T et entravent leur migration jusqu’aux tumeurs à détruire. Cette découverte, publiée dans le journal Science Advancesle 13 avril 2022, apporte de nouveaux éléments sur la migration des cellules immunitaires, un processus clé de la défense immune antitumorale.

Comme son nom l’indique, la polypose adénomateuse familiale se transmet de génération en génération. En cause : des mutations du gène suppresseur de tumeur APC (Adenomatous polyposis coli). Les personnes qui héritent de ces mutations développent des centaines voire des milliers de polypes dans le côlon, dès l’adolescence, puis un cancer colorectal(2) à l’âge adulte si les polypes ne sont pas retirés chirurgicalement. « Comme il s’agit d’une maladie héréditaire, toutes les cellules de l’organisme portent la mutation et peuvent être affectées de différentes façons, rappelle Andrés Alcover, responsable de l’unité de Biologie cellulaire des lymphocytes à l’Institut Pasteur et co-senior auteur de l’étude. On sait aujourd’hui que ces mutations perturbent le fonctionnement des cellules du côlon mais aussi celles du système immunitaire ».

Dans de précédentes études, cette équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Inserm – soutenue financièrement par la Ligue Nationale Contre le Cancer depuis 2018(3) – a en effet pu démontrer le double impact des mutations du gène APC.

Non seulement, ces mutations empêchent les cellules de l’épithélium intestinal de se différencier correctement et les conduit à former des excroissances tissulaires (les polypes), mais elles altèrent aussi le fonctionnement des cellules du système immunitaire, pouvant les empêcher de lutter efficacement contre les polypes et les tumeurs. Deux mécanismes qui, ensemble, favorisent la croissance des tumeurs.

Afin de mieux comprendre ce qui empêche les cellules immunitaires de jouer leur rôle, les chercheurs ont décidé cette fois-ci d’observer de plus près les lymphocytes T dont la mission est d’aller détruire les tumeurs en les infiltrant. Pour ce faire, les biologistes et les médecins de recherche clinique de la plateforme ICAReB de l’Institut Pasteur, Drs Hélène Laude et Marie-Noëlle Ungeheuer, se sont rapprochés de l’association de patients POLYPOSES FAMILIALES France. Un nouveau projet de recherche clinique impliquant l’association a permis de recruter des patients volontaires pour effectuer des prélèvements sanguins. « Grâce à l’association, nous avons rencontré des patients, mais aussi des cliniciens spécialistes de la polypose. Nous avons beaucoup appris sur cette pathologie complexe, sur le vécu des malades et des familles, et les différents degrés de gravité de la maladie. Nous avons beaucoup apprécié la grande motivation de patients pour participer à l’étude et collaborer à la recherche ainsi que l’avis des spécialistes », tient à saluer Andrés Alcover.

Les lymphocytes T naturellement mutés présents dans le sang de ces patients ont été cultivés puis soumis à différentes expériences in vitro. Les chercheurs ont ainsi pu comparer, grâce à différents micro-dispositifs : des filtres, des canaux, des substrats protéiques et de couches de cellules endothéliales des vaisseaux sanguins, le comportement des lymphocytes malades avec celui de lymphocytes de volontaires sains.

Ils ont étudié la façon dont les lymphocytes se déplaçaient le long de surfaces biologiques similaires aux parois des vaisseaux sanguins, mais aussi la facilité avec laquelle ils arrivaient à écarter les cellules et à traverser des parois très serrées.

« Pour évoluer le long des parois des vaisseaux sanguins, les traverser et rejoindre les tumeurs à infiltrer, les lymphocytes sains changent de morphologie. Une sorte de grand pied adhésif, soutenu par le cytosquelette du lymphocyte, s’allonge dans le sens de migration. Cette polarisation est essentielle pour se déplacer dans la bonne direction, explique Marta Mastrogiovanni, chercheuse au sein de l’unité de Biologie cellulaire des lymphocytes à l’Institut Pasteur et première autrice de l’étude. Chez les lymphocytes mutés, les microtubules qui composent le cytosquelette sont désorganisés et les protéines d’adhésion moins nombreuses. Les cellules perdent leur polarité et leurs « muscles ». » 

Si les lymphocytes T mutés ne se déplacent pas forcément moins vite que les lymphocytes sains, ils adhèrent moins bien aux parois, ont plus de difficultés à se diriger dans une direction donnée et à franchir les parois. En sommes, ces travaux ont mis en évidence que leur migration était moins efficace. « Cette découverte est importante car la mobilité des cellules immunitaires est un processus clé de la défense immune anti-tumoraleOn sait que le système immunitaire est très important pour combattre les pathogènes mais on oublie parfois qu’il aide aussi à lutter contre les cellules cancéreuses », conclut Vincenzo Di Bartolo, chercheur au sein de l’unité de Biologie cellulaire des lymphocytes à l’Institut Pasteur et co-senior auteur de l’étude.

(1) Projet collaboratif : Institut Pasteur, Département d’Immunologie et Centre de Recherche Translationnel (CRT, ICAReB), et inter instituts : Pasteur, Cochin, Curie et Gilles de Gennes.

(2) La polypose adénomateuse familiale représente 1 % de tous les cancers colorectaux. 

(3) Financement Équipe Labellisée Ligue Nationale Contre le Cancer 2018-2022, Institut Pasteur et Inserm. Marta Mastrogiovanni a été financée par le Pasteur-Paris University International Doctoral Program et the European Union Horizon 2020 Research and Innovation Programme under the Marie Sklodowska-Curie grant agreement 665807, et La Ligue Contre Le Cancer, bourse doctorale 4e année de thèse.

Un nouveau traitement des rechutes leucémiques post-greffe

globules rouges

Les cellules souches hématopoïétiques sont fabriquées par la moelle osseuse sont à l’origine des différentes cellules du sang, dont les globules rouges. © AdobeStock

Les leucémies regroupent plusieurs types de cancer du sang qui affectent chaque année en France jusqu’à 10 000 personnes. Parmi les traitements proposés : la greffe de cellules souches hématopoïétiques. Ces cellules fabriquées par la moelle osseuse sont à l’origine des différentes cellules du sang. Malgré les succès de cette approche thérapeutique qui permet de remplacer des cellules cancéreuses par des cellules saines, environ 30% des patients vont rechuter après la greffe. Dans une nouvelle étude, des chercheurs de l’IMRB de la Faculté de Santé de l’UPEC en collaboration avec des chercheurs de l’Inserm et de l’AP-HP ont identifié une nouvelle cible pour traiter, par la simple utilisation d’un anticorps thérapeutique, les rechutes leucémiques post-greffe de cellules souches hématopoïétiques. Ces résultats sont publiés dans la revue Journal for Immunotherapy of cancer1.

Ce travail s’inscrit dans la continuité d’une première mondiale réalisée dans le service d’hématologie clinique de l’hôpital Henri-Mondor AP-HP, publiée en 2010. Dans cet essai clinique, les cellules T du donneur (un type de cellule immunitaire), avant d’être injectées aux patients pour traiter leur rechute, étaient « nettoyées » pour enlever les T régulateurs, d’autres cellules dont le rôle est de freiner les réponses immunitaires. Cette approche avait permis de réactiver le système immunitaire des patients au bénéfice d’un effet anti-leucémique2.

A la suite de cet essai, l’équipe de recherche « I-BIOT » menée par le Pr José Cohen a montré que si l’on bloquait à l’aide d’un anticorps thérapeutique une molécule appelée TNFR2, qui est fortement exprimée par les T régulateurs, ces cellules perdaient totalement leurs capacités de freinage de la réponse immunitaire au cours de la greffe de cellules souches hématopoïétiques3. Comme les rechutes sont dues à une réponse immunitaire anti-leucémique insuffisante, cette découverte ouvrait alors la porte vers un blocage contrôlé des T régulateurs pour réactiver le système immunitaire dans ce type de greffe. C’est ce qui a constitué le cœur du travail publié aujourd’hui.

De l’animal à l’Homme

« Nous avons dû d’abord développer chez la souris des conditions expérimentales appropriées qui imitent les patients ayant rechuté de leur hémopathie maligne initiale après une greffe de cellules souches hématopoïétiques », explique le Pr José Cohen.

Une fois mis au point, c’est dans ce modèle unique de rechute leucémique post-greffe que l’équipe a pu montrer la possibilité de bloquer l’effet des T régulateurs par un traitement anti-TNFR2, permettant de déclencher un effet anti-leucémique puissant. Plusieurs types de tumeurs ont été testés, dans plusieurs combinaisons génétiques et avec différents schémas d’administration des traitements anti-TNFR2. A chaque fois, cette approche thérapeutique fonctionne chez la souris.

Pour se rapprocher d’une application clinique, l’étape suivante a consisté à tester avec succès la faisabilité de cette approche dans un modèle utilisant cette fois-ci des cellules humaines injectées chez la souris immuno-déficiente. « En parallèle, nous avons aussi étudié l’expression du TNFR2 sur les T régulateurs provenant de patients en rechute leucémique post-greffe » ajoute le Pr José Cohen. Dans tous les cas, l’expression du TNFR2 est massive sur ces cellules ce qui vient valider le fait que TNFR2 est bien la bonne cible chez ces patients pour bloquer les T régulateurs et amplifier ainsi une réponse anti-leucémique.

Des résultats encourageants

Ces résultats mettent en évidence le TNFR2 comme une nouvelle molécule cible pour le développement d’immunothérapies destinées à traiter les rechutes des cancers du sang. Un anticorps thérapeutique pourrait alors être utilisé soit directement chez les patients greffés en rechute, soit pour améliorer les stratégies d’injection de cellules T du donneur qui sont aujourd’hui réalisées pour traiter ces rechutes.

Plus largement, d’autres études ont montré que le TNFR2 peut être directement exprimé par les cellules tumorales et être donc la cible d’un traitement anti-TNFR2. Les résultats de l’équipe ouvrent donc aussi la porte à de nouvelles perspectives pour amplifier les réponses anti-tumorales contre les cancers solides. En ciblant non seulement les cellules tumorales mais aussi directement les T régulateurs, une seule molécule pourrait induire deux effets : détruire directement les cellules tumorales en réactivant en même temps le système immunitaire des patients. L’équipe est déjà sur le pont pour tester cette stratégie.

 

  1. Moatti et al. TNFR2 blockade of regulatory T cells unleashes an anti-tumor immune response after hematopoietic stem-cell transplantation. Journal for Immunotherapy of cancer.
  2. Maury S., et al. CD4+CD25+ regulatory T cell depletion improves the graft-versus-tumor effect of donor lymphocytes after allogeneic hematopoietic stem cell transplantation. Sci Transl Med. 2010;2(41):41ra52.
  3. Leclerc, M., et al., Control of GVHD by regulatory T cells depends on TNF produced by T cells and TNFR2 expressed by regulatory T cells. Blood, 2016. 128(12): p. 1651-9.

La consommation d’édulcorants serait associée à un risque accru de cancer

édulcorant artificiel

L’aspartame, un édulcorant artificiel bien connu, est par exemple présent dans plusieurs milliers de produits alimentaires à travers le monde. © Mathilde Touvier/Inserm

Les édulcorants permettent de réduire la teneur en sucre ajouté, ainsi que les calories qui y sont associées, tout en maintenant le goût sucré des produits. De nombreux aliments et boissons (sodas light, yaourts, sucrettes…) contenant des édulcorants sont consommés quotidiennement par des millions de personnes. Cependant, l’innocuité de ces additifs alimentaires fait l’objet de débats. Afin d’évaluer le risque de cancer lié aux édulcorants, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de INRAE, de l’Université Sorbonne Paris Nord et du Cnam, au sein de l’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN), ont analysé les données de santé et de consommation d’édulcorants de 102 865 adultes Français et Françaises participants à l’étude de cohorte NutriNet-Santé. Les résultats de ces analyses statistiques suggèrent une association entre la consommation d’édulcorants et un risque accru de cancer. Ils font l’objet d’une publication dans la revue PLOS Medicine.

Compte tenu des effets délétères de la consommation excessive de sucre sur la santé (par exemple, prise de poids, troubles cardiométaboliques, caries dentaires), l’Organisation mondiale de la santé recommande de limiter la consommation de sucres libres[1] à moins de 10 % de l’apport énergétique quotidien[2]. Alors, pour conserver dans les aliments le « goût sucré » tant recherché par les consommateurs du monde entier, l’industrie alimentaire a recours de plus en plus aux édulcorants artificiels. Il s’agit d’additifs alimentaires qui réduisent la teneur en sucre ajouté et les calories correspondantes tout en conservant le goût sucré. En outre, afin d’augmenter la saveur de certains aliments, les fabricants incluent ces édulcorants artificiels dans certains produits alimentaires qui ne contiennent traditionnellement pas de sucre ajouté (par exemple, les chips aromatisées).

L’aspartame, un édulcorant artificiel bien connu, est par exemple présent dans plusieurs milliers de produits alimentaires à travers le monde. Sa valeur énergétique est similaire à celle du sucre (4 kcal/g) mais son pouvoir sucrant est 200 fois plus élevé, ce qui signifie qu’une quantité beaucoup plus faible d’aspartame est nécessaire pour obtenir un goût comparable. D’autres édulcorants artificiels ne contiennent même pas de calories, par exemple l’acésulfame-K et le sucralose, qui sont respectivement 200 et 600 fois plus sucrants que le saccharose.

Alors que la cancérogénicité de certains additifs alimentaires a été suggérée par plusieurs études expérimentales, des données épidémiologiques solides associant la consommation quotidienne d’édulcorants à l’étiologie de diverses maladies font défaut. Dans une nouvelle étude, des chercheurs ont voulu examiner les associations entre la consommation d’édulcorants artificiels (totale et les plus souvent consommés) et le risque de cancer (global et par types de cancer les plus fréquents) dans une vaste étude en population. Ils se sont appuyés sur les données communiquées par 102 865 adultes participants à l’étude NutriNet-Santé (voir encadré ci-dessous), une cohorte en ligne initiée en 2009 par l’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN) (Inserm/Université Paris Nord/CNAM/INRAE), qui a également coordonné ce travail.

Les volontaires ont eux-mêmes déclaré leurs antécédents médicaux, données sociodémographiques, activité physique, ainsi que des indications sur leur mode de vie et leur état de santé. Ils ont également renseigné en détail leurs consommations alimentaires en transmettant aux scientifiques des enregistrements complets sur plusieurs périodes de 24 heures, incluant les noms et marques des produits. Cela a permis d’évaluer précisément les expositions aux additifs des participants, et notamment les apports en édulcorants.

Après avoir recueilli les informations sur le diagnostic de cancer au fil du suivi (2009-2021), les chercheurs et chercheuses ont effectué des analyses statistiques afin d’étudier les associations entre la consommation d’édulcorants et le risque de cancer. Ils ont également tenu compte de nombreux facteurs potentiellement confondants tels que l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, l’activité physique, le tabagisme, l’indice de masse corporelle, la taille, la prise de poids au cours du suivi, le diabète, les antécédents familiaux de cancer, ainsi que les apports en énergie, alcool, sodium, acides gras saturés, fibres, sucre, aliments complets et produits laitiers.

Les scientifiques ont constaté que, comparés aux non consommateurs, les personnes qui consommaient le plus d’édulcorants, en particulier d’aspartame et d’acésulfame-K avaient un risque plus élevé de développer un cancer, tous types de cancers confondus.

Des risques plus élevés ont été observés pour le cancer du sein et les cancers liés à l’obésité.

« Cette étude prospective à grande échelle suggère, en accord avec plusieurs études expérimentales in vivo et in vitro, que les édulcorants artificiels, utilisés dans de nombreux aliments et boissons en France et dans le monde, pourraient représenter un facteur de risque accru de cancer », explique Charlotte Debras, doctorante et première auteure de l’étude. Des recherches supplémentaires dans d’autres cohortes à grande échelle seront nécessaires pour venir reproduire et confirmer ces résultats.

« Ces résultats ne soutiennent pas l’utilisation d’édulcorants en tant qu’alternatives sûres au sucre et fournissent de nouvelles informations pour répondre aux controverses sur leurs potentiels effets néfastes sur la santé. Ils fournissent par ailleurs des données importantes pour leur réévaluation en cours par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et d’autres agences de santé publique dans le monde », conclut la Dr Mathilde Touvier, directrice de Recherche à l’Inserm et coordinatrice de l’étude.

L’étude NutriNet-Santé est une étude de santé publique coordonnée par l’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle (EREN, Inserm / INRAE / Cnam / Université Sorbonne Paris Nord), qui, grâce à l’engagement et à la fidélité de plus de 170 000 « Nutrinautes » fait avancer la recherche sur les liens entre la nutrition (alimentation, activité physique, état nutritionnel) et la santé. Lancée en 2009, l’étude a déjà donné lieu à plus de 200 publications scientifiques internationales.

Un appel au recrutement de nouveaux Nutrinautes est encore lancé afin de continuer à faire avancer la recherche sur les relations entre la nutrition et la santé.

En consacrant quelques minutes par mois pour répondre, via Internet, sur la plateforme sécurisée www.etude-nutrinet-sante.fr aux différents questionnaires relatifs à l’alimentation, l’activité physique et la santé, les participants contribuent à faire progresser les connaissances sur les relations entre l’alimentation et la santé. Par ce geste citoyen, chacun peut facilement devenir un acteur de la recherche et, en quelques clics, jouer un rôle important dans l’amélioration de la santé de tous et du bien-être des générations futures.

 

[1] Sucres ajoutés et naturellement présents dans les jus de fruits, sirops, miel.

[2] Organisation Mondiale de la Santé, 2015

Efficacité d’un nouveau traitement des patients atteints d’une maladie de Kaposi

© Anastasia Nelen on Unsplash

L’équipe du centre d’oncodermatologie de l’hôpital Saint-Louis AP-HP, de l’Inserm et d’Université Paris Cité, a testé l’efficacité d’un traitement par anti-PD1 chez des patients atteints d’une maladie de Kaposi dans une forme classique ou endémique. Les résultats de cette étude KAPKEY à promotion AP-HP/DRCI, coordonnée par le Dr Julie Delyon et le Pr Celeste Lebbé, ont fait l’objet d’une publication le 10 mars 2022 au sein de la revue The Lancet Oncology.

La maladie de Kaposi est une maladie proliférative chronique rare liée à une infection par l’herpès virus humain 8 (HHV8), apparentée aux sarcomes. La maladie de Kaposi classique survient chez les patients souvent âgés originaires de certaines régions (ex : bassin méditerranéen), alors que la forme endémique se développe essentiellement chez des sujets jeunes originaires d’Afrique subsaharienne.

Les patients atteints d’une maladie de Kaposi classique ou endémique nécessitant un traitement systémique étaient le plus souvent traités par interféron ou chimiothérapie1. Des études ont montré que l’immunothérapie par inhibiteurs de checkpoint était efficace dans le traitement d’autres cancers liés à des virus comme le carcinome à cellules de Merkel, l’expression d’antigènes viraux contribuant à rendre les cellules tumorales très immunogènes2. Quelques cas publiés de patients atteints d’un sarcome de Kaposi et traités par anti-PD-1 avaient suggéré l’intérêt de ce traitement, au prix d’effets secondaires parfois sévères3.

L’équipe a évalué l’efficacité et la tolérance du pembrolizumab (anti-PD-1) chez des patients atteints de maladie de Kaposi dans une forme classique ou endémique.

Cet essai multicentrique a été mené dans trois centres, à l’hôpital Lyon-Sud et dans deux hôpitaux de l’AP-HP : Saint-Louis et Avicenne.

17 patients atteints de la maladie de Kaposi dans une forme classique ou endémique, avec une atteinte au moins cutanée, en progression, évolutive et nécessitant un traitement systémique ont été inclus.

Les patients ont été traités par pembrolizumab à la dose de 200 mg toutes les trois semaines pendant six mois ou jusqu’à la survenue d’un effet secondaire sévère.

L’objectif de l’étude était d’analyser le taux de meilleure réponse objective clinique dans les 6 mois suivant les critères de l’AIDS Clinical Trial Group (ACTG).

Les résultats démontrent l’efficacité du pembrolizumab avec un taux de meilleure réponse objective de 71% (2 patients (12%) en réponse complète et 10 patients (59%) en réponse partielle). La tolérance du traitement a été conforme à celle attendue pour le pembrolizumab.

Ces travaux ont impliqué de nombreuses équipes de l’hôpital Saint-Louis AP-HP : les services de dermatologie, de biostatistique et information médicale, de pathologie, de génomique des tumeurs solides et pharmacologie, mais aussi les laboratoires d’immunologie et d’histocompatibilité et de virologie, le service d’immunologie de l’hôpital Robert Debré AP-HP ; ainsi que les équipes de la Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation (DRCI) de l’AP-HP.

Cette étude KAPKEY constitue le premier essai clinique publié démontrant l’efficacité d’un traitement par anti-PD1 chez des patients atteints d’une maladie de Kaposi classique ou endémique.

Une phase d’extension va débuter prochainement pour confirmer ces résultats et tenter de mieux évaluer la durée optimale de traitement. Si ces résultats sont confirmés dans d’autres essais, le traitement par anti-PD1 pourra être proposé aux patients atteints d’une maladie de Kaposi classique ou endémique, dans des situations qui requièrent un traitement systémique.

 

[1] Lebbe C, Garbe C, Stratigos AJ, et al. Diagnosis and treatment of Kaposi’s sarcoma: European consensus-based interdisciplinary guideline (EDF/EADO/EORTC). Eur J Cancer 2019; 114: 117–27.

[2] Nghiem PT, Bhatia S, Lipson EJ, et al. PD-1 blockade with pembrolizumab in advanced Merkel-cell carcinoma. N Engl J Med 2016; 374: 2542–52.

[3] Beldi-Ferchiou A, Lambert M, Dogniaux S, et al. PD-1 mediates functional exhaustion of activated NK cells in patients with Kaposi sarcoma. Oncotarget 2016; 7: 72961–77.

fermer