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Des objets 3D d’une précision inégalée obtenus à partir d’ADN

C’est une petite révolution dans le domaine des nanotechnologies, un chercheur de l’Inserm[1] avec l’Université d’Harvard a réussi à créer des motifs en 3D d’un niveau de sophistication jamais obtenu et ce, grâce aux quatre bases de l’ADN : A, T, C et G. En pratique, ces chercheurs sont capables de créer des objets nanoscopiques (10-9 m) à partir de 30 000 séquences d’ADN qui vont s’auto assembler et se replier à la manière de briques LEGO®. A la clé, la fabrication de nouveaux outils adaptés à la taille de nos cellules. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature.

Les nanotechnologies représentent un domaine scientifique en pleine expansion notamment quand il s’agit de créer des matériaux avec des propriétés de plus en plus spécifiques. C’est le cas des nanotubes de carbone, par exemple, qui sont très solides tout en étant légers et dont les conductivités thermique et électrique sont très importantes. Mais, il existe un champ de recherche un peu moins connu : celui des nanotechnologies à base d’ADN. Elles ont pour objectif de modeler la matière vivante afin de pouvoir l’utiliser comme outil thérapeutique à une échelle compatible avec celle de la cellule humaine. Toutefois, cette technologie dites des  briques LEGO® à ADN, apparue en 2012 se heurtait encore à un obstacle : programmer suffisamment de séquences d’ADN pour créer des objets de plus en plus complexes.

Dans ce travail publié dans Nature, les chercheurs ont franchi un cap. Leurs objets sont fabriqués suivant la méthode des briques LEGO® à partir d’un million de bases d’ADN, une taille comparable à celle du génome d’une bactérie, alors que jusqu’à présent, les objets créés étaient composés d’un millier de bases seulement.

Alors comment ça marche ?

Cela repose sur l’existence de briques, telles celles des légos®, composées chacune de 52 bases d’ADN. Une des propriétés de l’ADN repose sur le fait que les bases nucléiques d’un brin d’ADN (A, T, C ou G) peuvent interagir avec celles d’un autre brin en s’appariant toujours de la même façon. La base A avec la T et la base C avec la G. Comme les légos®, toutes ces unités ont la même forme générale mais l’ordre des 52 bases à l’intérieur détermine quelles sont les briques qui vont pouvoir s’accoler entre elles et à quel niveau.

Il suffit ensuite de choisir la forme que l’on veut créer en la dessinant ou en la choisissant dans une base de motifs 3D (cube, ours, lapin, Möbius). Puis, chaque « voxel »[2] du dessin est traduit en brique d’ADN via un programme informatique conçu par les chercheurs et baptisé Nanobricks. « Nanobricks « code » l’ADN en indiquant à l’avance l’ordre des 52 bases de chaque brique qui seront utilisées par la suite. Cette étape détermine la manière dont les 30 000 motifs initiaux vont s’emboiter les uns aux autres pour qu’une seule structure 3D finale ne soit possible, » explique Gaétan Bellot, chercheur à l’Inserm et co-auteur de ces travaux.

Une fois ces étapes informatiques passées, les 30 000 séquences sont synthétisées en laboratoire puis mélangées dans un tube. Une première étape de dénaturation est réalisée à une température de 80°C où les 30 000 séquences d’ADN sont complètement déstructurées. Dans une seconde étape, le mélange est refroidit progressivement à 25°C au rythme de 0,5°C/heure, étape à laquelle l’auto assemblage s’effectue. Les molécules se replient spontanément et prennent une forme finale conforme au modèle 3D désiré. Dans cet article, 13 objets différents ont été réalisées par les chercheurs.

Pour réussir à faire des objets à partir de 30 000 séquences, il a fallu augmenter la diversité de séquences des briques d’ADN. En explorant différente taille de briques, les équipes de recherche ont pu définir une taille de brique optimale (52 bases) qui permet à la fois de conserver une géométrie 3D similaire à une brique LEGO et d’augmenter la diversité de brique unique à 67 millions.

Ainsi, avec une plus grande diversité de briques unitaires, le niveau de sophistication des objets est plus important. Les chercheurs ont réussi à créer des objets possédant des cavités. Ce degré de précision est nécessaire pour réussir à concevoir des outils qui s’avèreront utiles et efficaces. « Avec une clé vous allez ouvrir une voiture, avec un outil ADN vous allez, par exemple, pouvoir construire une capsule dans laquelle vous pourrez introduire un médicament. Et si cet objet possède plusieurs cavités, vous allez pouvoir créer une réaction biologique en chaîne en fonction des produits présents dans chaque cavité. En s’inspirant du vivant, cette approche permettra de reproduire à l’échelle du nanomètre des solutions et inventions qui y sont produites après des millions d’années d’évolution”, explique Gaëtan Bellot.

Cette méthode présente deux avantages. Le 1er, c’est que, contrairement aux processus d’assemblages industriels comme une chaîne de montage de voitures, cette technologie compresse toutes les étapes en une seule. C’est comme s’il suffisait de mettre les différents morceaux d’une voiture en présence les uns des autres pour qu’ils s’assemblent seuls. Le second c’est la rapidité, 30 000 pièces s’auto-assemblent en quelques heures en un objet dupliqué à un milliard d’exemplaires dans un même tube.

Contrairement aux nanotubes de carbones, les nanotechnologies à base d’ADN sont biocompatibles et peuvent être rapidement éliminées dans le corps humain ou dans l’environnement. Toutefois, même si les molécules d’ADN utilisées sont synthétiques et de fait non actives biologiquement, on ne peut pas exclure une interaction potentielle avec l’ADN présent dans les organismes vivants.


[1] De l’Institut de génomique fonctionnelle (Inserm/CNRS/Université de Montpellier)

[2] Un voxel : contraction des mots « volume » et « élément  » est un pixel en 3D

L’origine du syndrome des cheveux incoiffables identifiée

Surprised disheveled preschooler girl with long hair

(c) Fotolia

En 1973, le syndrome rare des cheveux incoiffables ou « pili trianguli et canaliculi », a été décrit par un dermatologue toulousain. Plus de 40 ans plus tard, Michel Simon, directeur de recherche Inserm et ses collaborateurs de l’Unité différenciation épidermique et autoimmunité rhumatoïde » (Inserm/CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier) en ont identifié la cause génétique. Ces résultats sont publiés dans la revue The American Journal of Human Genetics.

 

Le syndrome des cheveux incoiffables est une maladie rare des cheveux dont la prévalence est mal connue. Elle débute généralement pendant l’enfance entre 3 mois et 12 ans. Secs et désordonnés, les cheveux des enfants atteints deviennent progressivement blond argenté ou couleur paille. Les cheveux se dressent sur le cuir chevelu et poussent dans tous les sens. Il est impossible de les coiffer ou de les aplatir avec un peigne. En détail, l’analyse microscopique à balayage révèle une gouttière longitudinale sur toute leur longueur, avec une section triangulaire ou réniforme. Ce syndrome n’est toutefois pas invalidant et connaît une amélioration spontanée à la fin de l’enfance.

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Les chercheurs, en collaboration avec une équipe de l’Institut de génétique humaine de l’Université de Bonn et des médecins dermatologues ou généticiens de 7 pays différents, ont découvert que la maladie est due à des mutations récessives d’un trio de gènes qui concourent à la formation du cheveu : le gène codant pour un de ses composants structuraux, la trichohyaline (TCHH) ; ou deux gènes à l’origine d’enzymes qui la prennent pour cible à tour de rôle : la peptidyl-arginine désiminase 3 (PAD3) et la transglutaminase 3 (TGase3).

Par ailleurs, les chercheurs ont également montré, chez la souris, que l’inactivation du gène Pad3 altère la forme du pelage et des moustaches des animaux, comme cela avait déjà été rapporté concernant des souris dépourvues de TGase3.

En conclusion, l’absence de TCHH ou le défaut de la cascade biochimique qui aboutit à la rigidification de la tige pilaire sont responsables des anomalies de la formation du cheveu caractéristiques du syndrome des cheveux incoiffables ou « pili trianguli et canaliculi ».

« Ces résultats, en plus de décrire l’origine moléculaire de la maladie et de permettre un meilleur diagnostic, apportent de nouvelles connaissances sur le cheveu et les mécanismes de sa formation » conclut Michel Simon, directeur de recherche à l’Inserm.

Pour en savoir plus

Bien qu’extrêmement rare, le syndrome est connu depuis longtemps. Il a acquis sa notoriété par le célèbre personnage littéraire « Struwwelpeter » (Pierre L’ébouriffé) créé en 1845 par l’auteur d’histoires pour enfants Heinrich Hoffmann. Le livre a été traduit par la suite en anglais par Mark Twain dans « Slovenly Peter ». Bien qu’il ne l’ait jamais dit, on peut même penser que le réalisateur Tim Burton s’en est inspiré pour son film Edward aux mains d’argent (Edward Scissorhands).

Les gènes sauteurs : tous coupables ?

Les éléments transposables, aussi appelés « gènes sauteurs », sont des fragments d’ADN capables de se déplacer ou de se copier d’un endroit à un autre sur les chromosomes. Ils ont envahi le génome de la plupart des organismes vivants, des bactéries aux humains, en passant par les plantes. Lorsqu’ils sautent, ils provoquent des modifications complexes des gènes près desquels ou dans lesquels ils s’insèrent, ce qui peut modifier ou abolir leur fonction. Ce phénomène contribue à l’évolution et à l’adaptation des espèces.

Cependant, à plus court terme, les « gènes sauteurs » peuvent avoir des effets néfastes. Chez l’Homme, la seule famille actuellement active, les rétrotransposons de type LINE-1, est à l’origine de nouveaux cas de maladies génétiques, comme des hémophilies ou des dystrophies musculaires. C’est pourquoi leur activité est normalement strictement contrôlée. Cependant, dans près de la moitié des cancers épithéliaux, ils parviennent à échapper aux nombreux mécanismes de défense cellulaires qui protègent notre ADN, et ils sautent activement contribuant à l’émergence et à la progression des cancers. D’ailleurs de nombreuses études les utilisent comme biomarqueurs tumoraux à des fins diagnostiques ou pronostiques.

DNA Structure 

©fotolia

L’une des difficultés majeures soulevée par l’étude des « gènes sauteurs » est liée à leur nature extrêmement répétée. Notre ADN en contient des centaines de milliers de copies  presque identiques entre elles, et chaque individu possède des centaines de copies non répertoriées dans la carte de référence du génome humain. Aussi, jusqu’à présent, il était impossible de savoir si l’activation des « gènes sauteurs » résultait d’un dérèglement général conduisant à une mobilisation massive de toutes les copies, ou si, au contraire, seul un petit nombre d’entre elles parvenaient à échapper aux contrôles de protection. Grâce à une nouvelle approche, publiée dans la revue eLife, et intégrant séquençage à haut-débit, génomique, épigénomique et bioinformatique, l’équipe de Gaël Cristofari, chargé de recherche à l’Inserm, et ses collaborateurs de l’Unité 1081 « Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement de Nice (IRCAN) », sont parvenus à mesurer l’activité des « gènes sauteurs » dans des cellules normales ou cancéreuses à une résolution inégalée.

D’après leurs résultats, seul un petit nombre de copies seraient réellement coupables : celles situées dans des régions permissives de nos chromosomes.  Or ces régions seraient différentes selon les types cellulaires. Qui plus est, toutes ces copies actives ne sont pas présentes chez tous les individus !

« La notion importante ici, c’est que le petit groupe de LINE-1 qui échappe au contrôle est différent d’un type cellulaire à un autre: dans certains cancers, tel groupe est important, dans un autre type de cancer, ce sera un autre groupe de copies. Cette observation suggère qu’il y a derrière chaque groupe de LINE-1 un mécanisme et des signaux qui sont propres à un type d’organe ou de tissu particulier. » explique Gaël Cristofari.

Ces résultats permettent de mieux comprendre comment de nouvelles mutations peuvent apparaître, suggèrent l’existence de facteurs génétiques derrière ce phénomène, et apportent des données nouvelles pour utiliser de façon rationnelle les rétrotransposons LINE-1 comme biomarqueurs en cancérologie en se focalisant sur les copies actives dans un type cellulaire donné.

 

Ces travaux ont été rendus possibles grâce, notamment, au support financier de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, de la Fondation pour la Recherche Médicale, du Cancéropôle PACA, du Conseil Européen de la Recherche, de l’Agence Nationale de la Recherche (Labex Signalife), et du Groupement de Recherche sur les Eléments Transposable (CNRS, GDR 3546).

Les dessous de « l’effet cocktail » des perturbateurs endocriniens révélés

Des substances chimiques, qui prises isolément, sont sans danger pour l’Homme, peuvent devenir nocives lorsqu’elles sont mélangées. Trois équipes de recherche associant des chercheurs de l’Inserm et du CNRS [1] à Montpellier ont élucidé in vitro un mécanisme moléculaire qui pourrait contribuer à ce phénomène connu sous le nom « d’effet cocktail ». Cette étude est publiée dans la revue Nature Communications.

Nous sommes quotidiennement exposés à de multiples composés exogènes tels que des polluants environnementaux, des médicaments ou des substances provenant de notre alimentation. Certaines de ces molécules, appelées perturbateurs endocriniens, sont fortement suspectées d’interagir inopportunément avec des protéines régulatrices de nos cellules et d’induire de nombreux troubles physiologiques ou métaboliques (cancers, obésité, diabète, …). Par ailleurs, la combinaison de ces molécules dans les mélanges complexes avec lesquels nous sommes généralement en contact pourrait exacerber leur toxicité.

Dans un article à paraitre dans Nature Communications, les chercheurs dévoilent un mécanisme qui pourrait contribuer à cet effet de mélange pour lequel aucune explication rationnelle n’avait pour l’instant été apportée. Ils montrent que certains estrogènes comme l’éthinylestradiol (un des composants actifs des pilules contraceptives) et des pesticides organochlorés tels que le trans-nonachlor, bien que très faiblement actifs par eux-mêmes, ont la capacité de se fixer simultanément à un récepteur situé dans le noyau des cellules et de l’activer de façon synergique.

Les analyses à l’échelle moléculaire indiquent que les deux composés se lient coopérativement au récepteur, c’est-à-dire que la fixation du premier favorise la liaison du second.

Cette coopérativité est due à de fortes interactions au niveau du site de liaison du récepteur, de sorte que le mélange binaire induit un effet toxique à des concentrations largement plus faibles que les molécules individuelles.

Ces résultats obtenus in vitro constituent une preuve de concept qui ouvre la voie à un large champ d’études. Il existe effectivement dans notre environnement environ 150 000 composés dont l’action combinée pourrait avoir des effets inattendus sur la santé humaine au regard de leur innocuité reconnue ou supposée en tant que substances isolées. Si ces travaux sont confirmés in vivo, des retombées importantes sont attendues dans les domaines de la perturbation endocrinienne, la toxicologie et l’évaluation des risques liés à l’utilisation des produits chimiques.


Séparément, l’éthinylestradiol (EE2) et le trans-nonachlor (TNC) se lient seulement à forte concentration au récepteur des xénobiotiques (PXR) et sont des activateurs faibles de ce récepteur. Lorsqu’ils sont utilisés ensemble, les deux composés se stabilisent mutuellement dans la poche de liaison du récepteur. Le « ligand supramoléculaire » ainsi créé possède une affinité augmentée pour PXR, de sorte qu’il est capable d’induire un effet toxique à des doses auxquelles chaque composé est inactif individuellement. © Vanessa Delfosse, William Bourguet

[1]  Centre de Biochimie Structurale (CNRS UMR5048 – Inserm U1054), de l’Institut de Recherche en Cancérologie (Inserm U1194) et de l’Institut de Génomique Fonctionnelle (CNRS UMR5203 – Inserm U661)

Des bactéries intelligentes pour détecter les maladies

Un pas de plus vient d’être franchi dans le domaine de la biologie synthétique. Des équipes de chercheurs de l’Inserm et du CNRS de Montpellier, associées au CHRU de Montpellier et à luniversité de Stanford ont transformé des bactéries en espions détecteurs » capables de signaler une pathologie sur la simple présence dans lurine ou le sang de molécules caractéristiques. Pour réaliser cette prouesse, les chercheurs ont introduit l’équivalent d’un programme informatique dans l’ADN des cellules. Les bactéries ainsi programmées détectent notamment la présence anormale de glucose dans les urines de patients diabétiques. Ces travaux publiés dans la revue Science Translational Medicine marquent les premiers pas de lutilisation de cellules programmables pour le diagnostic médical.



Les bactéries ont mauvaise réputation et sont souvent considérées comme nos ennemis causant de nombreuses maladies comme la tuberculose ou le choléra. Cependant, elles peuvent aussi être des alliées comme en témoignent les travaux de plus en plus nombreux sur notre flore bactérienne, ou microbiote, qui joue un rôle majeur dans le fonctionnement de l’organisme. Depuis l’avènement des biotechnologies, les chercheurs ont modifié des bactéries pour produire des molécules thérapeutiques ou des antibiotiques. Dans ce nouveau travail, elles deviennent un véritable outil de diagnostic.

Le diagnostic in vitro est basé sur la présence dans les liquides physiologiques (sang, urine par exemple) de molécules caractéristiques d’une pathologie donnée. Du fait de sa non-invasivité et facilité d’usage, le diagnostic in vitro est un enjeu majeur pour la détection précoce des maladies ainsi que pour leur suivi. Cependant, les tests in vitro sont parfois complexes et nécessitent des technologies sophistiquées souvent uniquement disponibles dans les centres hospitaliers.

C’est à ce stade que les systèmes biologiques entrent en jeu. Les cellules vivantes sont de véritables nano-machines capables de détecter et traiter de nombreux signaux et d’y répondre. Elles représentent donc des candidats évidents pour le développement de nouveaux tests diagnostiques puissants. Encore faut-il leur fournir le « programme » adéquat pour réussir à leur faire accomplir les tâches souhaitées.

Pour cela, l’équipe de Jérôme Bonnet au Centre de Biochimie Structurale de Montpellier (Inserm/CNRS/Université de Montpellier) a eu l’idée d’utiliser des concepts de biologie synthétique[1] dérivés de l’électronique pour construire des systèmes génétiques permettant de “programmer” les cellules vivantes à la manière d’un ordinateur.

Le transcriptor : pièce maitresse de la programmation génétique

Le transistor est l’élément central des systèmes électroniques modernes. Il joue à la fois le rôle d’interrupteur et d’amplificateur de signal. En informatique, en combinant plusieurs transistors, il est possible de construire des « portes logiques », c’est à dire des systèmes répondant à différentes combinaisons de signaux selon une logique prédéterminée. Par exemple une porte logique “ET” à deux entrées produira un signal uniquement si deux signaux entrant sont présents. Tous les calculs effectués par les appareils électroniques que nous utilisons quotidiennement, comme les smartphones, reposent sur l’utilisation de transistors et des « portes logiques ».

Lors de son séjour postdoctoral à l’université de Stanford aux Etats-Unis, Jérôme Bonnet a inventé un transistor génétique, le transcriptor.

L’insertion d’un ou plusieurs transcriptors dans les bactéries les transforme en calculateurs microscopiques. Les signaux électriques utilisés en électronique sont remplacés par des signaux moléculaires contrôlant l’expression génétique. Ainsi, il est à présent possible d’implanter dans les cellules vivantes des “programmes” génétiques simples en réponse à différentes combinaisons de molécules[2].

Dans ce nouveau travail, les équipes de Jérôme Bonnet (CBS, Inserm U1054, CNRS, Université de Montpellier), de Franck Molina (SysDiag, CNRS) associées au professeur Eric Renard (CHRU de Montpellier) et de Drew Endy (Université de Stanford) ont appliqué cette nouvelle technologie à la détection de signaux pathologiques dans des échantillons cliniques.

Les échantillons cliniques sont des milieux complexes dans lesquels la détection de signaux est difficile. Les auteurs ont utilisé les capacités d’amplification du transcriptor pour détecter des marqueurs pathologiques présents même en très petite quantité. Ils ont aussi réussi à stocker plusieurs mois le résultat du test dans l’ADN des bactéries.

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Figure 1: Principe de l’utilisation de bactéries modifiées pour le diagnostic médical. ©J. Bonnet/ Inserm.

Les cellules deviennent ainsi capables de réaliser différentes opérations en fonction de la présence de plusieurs marqueurs, ouvrant la voie à des tests diagnostiques plus précis reposant sur la détection de “signatures” moléculaires.

Nous avons standardisé notre méthode puis confirmé la robustesse de nos systèmes bactériens synthétiques dans les échantillons cliniques. Nous avons aussi mis au point une technique rapide pour connecter le transcriptor à de nouveaux systèmes de détection. Tout ceci devrait faciliter la réutilisation de notre système précise Alexis Courbet, étudiant en thèse et premier auteur de l’article.

Les auteurs ont connecté au transistor génétique un système bactérien répondant au glucose et détecté la présence anormale de glucose dans les urines de patients diabétiques.

Nous avons déposé les éléments génétiques utilisés dans ce travail dans le domaine public pour permettre leur libre réutilisation par dautres chercheurs publics ou privés[3]” précise Jérôme Bonnet.

Nos travaux se concentrent à présent sur lingénierie de systèmes génétiques artificiels pouvant être modifiés à la demande pour détecter différentes molécules marqueurs de maladie ajoute-t-il. Dans le futur, ces travaux pourraient aussi être appliqués à l’ingénierie de la flore microbienne pour le traitement de diverses pathologies, notamment les maladies intestinales.

Ces travaux ont bénéficié du soutien financier de l’Inserm, du CNRS, du Centre Stanford-France pour la recherche interdisciplinaire, de l’université de Stanford. Jérôme Bonnet est lauréat du programme Atip-Avenir, et est soutenu par la fondation Bettencourt-Schueller.

[1] Disponible sur : https://biobricks.org/bpa/

[2] Bonnet et al. Science, 2013

[3] Qui vise à l’ingénierie rationnelle de systèmes et fonctions biologiques artificiels

 

La structure fine du ribosome humain dévoilée

Une équipe de l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC – CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) vient de mettre en évidence, à l’échelle atomique, la structure tridimensionnelle du ribosome humain complet et les interactions fines qui y ont lieu. Ces résultats, obtenus grâce à une technologie unique en France, ouvrent la voie à de nouvelles explorations sur certains effets secondaires des antibiotiques et, à terme, pour le traitement de maladies liées aux dysfonctionnements du ribosome et à la dérégulation de la synthèse des protéines. Ces travaux sont publiés dans Nature le 22 avril 2015.

Les ribosomes sont de grands complexes constitués de protéines et d’ARN repliés ensemble qui, au sein des cellules de tous les êtres vivants, interviennent comme des nano-machineries moléculaires dans l’expression des gènes et la bio-synthèse des protéines. La structure des ribosomes de différentes espèces était déjà précisément connue à l’échelle atomique, mais déterminer celle particulièrement complexe du ribosome humain restait un défi majeur à relever.

L’équipe de Bruno Klaholz, à l’IGBMC (CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) vient de visualiser la structure atomique du ribosome humain complet avec une résolution supérieure à 3 angströms (0,3 nanomètres). Le modèle obtenu représente les 220 000 atomes qui constituent les deux sous-unités du ribosome et permet, pour la première fois, d’explorer son agencement en détail, de voir et d’identifier les différents acides aminés et nucléotides en 3 dimensions. Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés aux différents sites de liaison et aux interactions fines qui y ont lieu. Leurs travaux révèlent par exemple qu’après avoir livré les acides aminés qu’ils transportaient, les ARN de transfert continuent à interagir avec le ribosome dans un site particulier (le site de sortie des ARNt). Ils mettent également en lumière la dynamique des deux sous-unités du ribosome qui tournent légèrement sur elles-mêmes au cours du processus de bio-synthèse des protéines, entrainant un fort remodelage de la configuration 3D de la structure à leur interface.

Ces résultats ont été rendus possibles par un ensemble de technologies de pointe. Les échantillons, hautement purifiés puis congelés, ont été visualisés par cryo-microscopie électronique. Cette méthode permet de travailler sur des objets figés dont l’orientation ne change pas et dont la structure et les fonctions biologiques sont préservées. Une combinaison de traitement d’images et de reconstruction 3D appliquée aux images obtenues par le cryo-microscope électronique nouvelle génération de l’IGBMC – unique en France – a abouti à ce degré de précision rare.

Cette connaissance fine de la structure et de la dynamique du ribosome humain complet ouvre la voie à de nouvelles explorations majeures. Il est désormais envisageable d’étudier les effets secondaires de certains antibiotiques, destinés à s’attaquer aux ribosomes bactériens, qui peuvent cibler « par erreur » le ribosome humain. La constitution d’un répertoire des sites de liaison existants est une première étape pour augmenter la spécificité des molécules thérapeutiques et éviter qu’elles ne se fixent au mauvais endroit. A terme, ces résultats pourront également être utilisés pour la mise au point de traitement de maladies liées aux dysfonctionnements du ribosome et à la dérégulation de la synthèse des protéines. Dans le cas des cancers par exemple, pouvoir cibler les ribosomes des cellules malades permettrait de réduire leurs taux de synthèse de protéines.Klaholz

Exemple d’éléments tridimensionnels qui ont pu être distingués au sein de la structure atomique du ribosome humain complet (en encadré). La résolution (de l’ordre de l’angström) permet de déterminer s’il y a interaction ou non entre les différents éléments. © H. Khatter, A.G. Myasnikov, S. K. Natchiar & B.P. Klaholz

Ostéoporose : comment préserver l’équilibre entre formation et destruction de l’os ?

La plupart des traitements actuels contre la perte osseuse pathologique suppriment les ostéoclastes, les cellules destructrices de l’os, afin de limiter la dégradation osseuse. Toutefois, ils empêchent également la formation osseuse, celle-ci étant stimulée par la présence des ostéoclastes. Des chercheurs du CNRS, de l’Inserm et des universités de Montpellier et de Jean Monnet – Saint-Etienne[1] ont développé une nouvelle approche afin d’empêcher l’activité des ostéoclastes sans affecter leur viabilité. Cette dernière consiste à désorganiser le système d’ancrage sur l’os des ostéoclastes, à l’aide d’un petit composé chimique, C21. Ce traitement innovant permet de protéger les souris de la perte osseuse caractéristique de maladies ostéolytiques[2] comme l’ostéoporose post-ménopausique, la polyarthrite rhumatoïde et les métastases osseuses, ceci sans que la formation osseuse soit affectée. Ces travaux sont publiés le 3 février 2015 dans Nature communications.
Culture d'ostéoclastes

Culture d’ostéoclastes – Culture in vitro d’ostéoclastes sur un substrat osseux, avec des cellules médullaires (moelle osseuse). © Inserm/Boivin, Georges

L’os est un tissu très dynamique, se détruisant et se reconstruisant en permanence. Ce dynamisme est assuré grâce à une bonne coordination entre les cellules qui détruisent le « vieil » os, les ostéoclastes, et celles qui le reconstruisent, les ostéoblastes. Dans le cas de certaines maladies, la destruction de l’os par les ostéoclastes prend le dessus sur la formation osseuse par les ostéoblastes. L’enjeu pour les chercheurs est donc de contrôler l’activité des ostéoclastes pour éviter une trop grande destruction de l’os conduisant à l’ostéoporose. Or, l’activité des ostéoblastes est stimulée par la présence des ostéoclastes. Il est donc essentiel de trouver des traitements contre l’ostéoporose qui empêchent l’activité des ostéoclastes sans affecter leur viabilité.

Pour détruire l’os, les ostéoclastes utilisent des structures cellulaires particulières, les podosomes, organisés en anneau grâce au cytosquelette d’actine. Ces derniers agissent comme des « boutons pressions » entre l’os et l’ostéoclaste en formant une « ventouse » au sein de laquelle l’os est dégradé. Les chercheurs ont démontré que le facteur d’échange[3] Dock5 active une petite enzyme, la GTPase Rac, pour organiser le cytosquelette d’actine et permettre la formation de l’anneau de podosomes. En utilisant plusieurs modèles de souris présentant différentes situations de perte osseuse pathologique (ostéoporose post-ménopausique, polyarthrite rhumatoïde et métastases osseuses), les scientifiques ont révélé que l’administration d’un composé synthétique nommé C21, qui inhibe Dock5, empêche l’activité des ostéoclastes en bloquant l’effet « ventouse » qui leur permet de dégrader l’os. Les ostéoclastes restant présents, le maintien de la formation osseuse pendant le traitement est assuré.

Ces résultats valident ainsi, chez la souris, l’inhibition pharmacologique de Dock5 comme une nouvelle voie thérapeutique. Les chercheurs souhaitent désormais développer de nouveaux composés inhibiteurs de Dock5, autres que C21, afin de continuer à lutter contre les maladies ostéolytiques tout en préservant la formation osseuse.

[1] Du Centre de recherche de biochimie macromoléculaire (CNRS/Université de Montpellier), du Laboratoire d’enzymologie et biochimie structurale (CNRS), de l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier (Inserm/Université de Montpellier) et du Laboratoire de biologie intégrative du tissu osseux (Inserm/Université Jean Monnet – Saint-Étienne).

[2] Maladies liées à la destruction du tissu osseux.

[3] Protéine impliquée dans la cascade de réaction qui permet d’activer l’enzyme GTPase.

Maladie de Huntington : le potentiel thérapeutique de la triheptanoïne confirmé

Une équipe de chercheurs de l’Inserm dirigée par Fanny Mochel et située à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Inserm/CNRS/UPMC/AP-HP) vient de démontrer le potentiel thérapeutique de la triheptanoïne chez dix patients atteints de la maladie de Huntington. Les dérivés de ce triglycéride de composition unique, en améliorant le métabolisme énergétique du cerveau, pourraient ralentir l’évolution de la maladie. Ces travaux sont publiés dans la revue Neurology.
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Etude de la maladie de Huntington. Image de microscopie à balayage de la couche épendymaire d’une souris modèle de la maladie de Huntington. © Inserm/Saudou, Frédéric

La maladie de Huntington est une maladie génétique qui touche environ 5 000 personnes en France auxquelles s’ajoutent 10 000 individus à risque. La mutation du gène codant pour la protéine Huntingtine a pour conséquence une dégénérescence progressive des neurones, en particulier les régions impliquées dans le contrôle du mouvement, entrainant ainsi des problèmes neurologiques, moteurs, cognitifs et psychiatriques importants. Une perte de poids est également constatée chez les patients à un stade précoce de la maladie malgré des apports alimentaires normaux voir augmentés. Ces deux observations (dégénérescence des neurones et perte de poids) ont conduit les chercheurs à émettre l’hypothèse d’un défaut énergétique chez ces patients qui pourrait jouer un rôle important dans le déclenchement et la progression des symptômes de la maladie.

Pour valider cette hypothèse, les chercheurs devaient réussir à mesurer les fluctuations énergétiques dans le cerveau en fonction de certains états d’activation cérébrale. Pour cela, il leur a fallu mettre au point des technologies permettant de doser des composés reflétant le fonctionnement énergétique du cerveau de façon dynamique.

« On s’est aperçu que les variations du rapport de concentration entre deux composés énergétiques riches en phosphore (Pi/PCr) traduisaient parfaitement ce dysfonctionnement énergétique cérébral » explique Fanny Mochel qui a coordonné ce travail.

D’un point de vue pratique, la mesure de ce rapport a été réalisée par spectroscopie par RMN[1]. Tout en enregistrant leur production énergétique cérébrale, il a été demandé à neuf patients et treize volontaires sains de réaliser un « effort » cérébral simple conduisant leur cerveau à consommer de l’énergie. Pour cela, ils ont été soumis à un stimulus visuel sous forme d’un damier clignotant pendant quelques minutes.

Le rapport Pi/PCr était clairement diminué chez les malades comparés aux personnes contrôles traduisant une altération de leur métabolisme cérébral à faire face à cet effort. Une fois ce biomarqueur validé, les chercheurs ont alors eu la possibilité de tester l’efficacité de traitements potentiels pour rétablir un métabolisme cérébral correct.

Un essai clinique pilote…

Dix patients atteints de la maladie de Huntington ont pris pendant un mois, un traitement à base de triheptanoïne, un triglycéride (sous forme d’huile à ingérer au cours des repas) afin d’améliorer leur métabolisme énergétique cérébral. A la fin de cet essai thérapeutique, leur profil énergétique était normalisé. Le choix de ce traitement ne s’est pas fait au hasard, puisqu’il avait déjà fait ses preuves chez des malades atteints de maladies rares incapables d’utiliser certains lipides présents dans l’alimentation. L’idée était de compenser le dysfonctionnement énergétique généralisé par un apport supplémentaire de métabolites spécifiques capables de ré-enclencher le bon fonctionnement énergétique de l’organisme. La nouveauté de l’approche proposée par le Dr Mochel est d’appliquer ce concept de traitement énergétique à des pathologies touchant le cerveau comme la maladie de Huntington.

… Avant un essai à plus large échelle.

Sur la base de ces résultats, les chercheurs vont initier en début d’année 2015 une étude en France et aux Pays-Bas, en double aveugle d’une durée d’un an chez une centaine de patients avec comme critères d’évaluation des paramètres cliniques et d’imagerie.

« La complexité de la maladie nous oblige à concevoir des approches thérapeutiques complémentaires de façon à cibler différentes facettes de la maladie : génétique, métabolique, inflammatoire, etc. Utilisées ensemble, ces approches auront probablement les meilleures chances de succès comme c’est le cas dans d’autres pathologies plus fréquentes. » conclut Fanny Mochel.


Ces résultats, protégés par des brevets, ont récemment fait l’objet d’un accord de concession de licence négocié et signé par l’ICM (Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière) et Inserm Transfert avec la société américaine Ultragenyx qui va lancer une nouvelle étude clinique dans le domaine de la maladie de Huntington.

 

[1] La spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN) est une méthode non invasive d’étude de la biochimie et du métabolisme du système nerveux central. Elle permet la quantification précise de plusieurs dizaines de molécules. (Source CEA)

Un mécanisme d’élimination des protéines localisées par erreur dans le noyau cellulaire

Une collaboration internationale coordonnée par le Centre allemand de recherche contre le cancer (Université d’Heidelberg), associant en France des chercheurs de l’Institut de Génétique et Développement de Rennes (CNRS/Université de Rennes 1) sous la direction de Gwenaël Rabut, chercheur à l’Inserm, ainsi que des équipes suédoise et canadienne vient de mettre en évidence un nouveau mécanisme moléculaire qui permettrait aux cellules de détruire les protéines localisées par erreur dans leur noyau. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature.

Les processus biologiques sont loin d’être parfaits. Malgré des millions d’années de perfectionnement, les mécanismes moléculaires qui assurent le fonctionnement des êtres vivants font de nombreuses erreurs qui, si elles ne sont pas détectées et corrigées, peuvent avoir de graves conséquences. Par exemple, de nombreux cancers ont pour origine des erreurs de copie de notre matériel génétique. De même, un mauvais repliement de certaines protéines neuronales entraîne la formation d’agrégats toxiques qui perturbent le fonctionnent du système nerveux et provoquent des maladies neurodégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson.

Pour éviter d’en arriver là, les cellules ont mis en place des mécanismes moléculaires complexes qui contrôlent la qualité des protéines et éliminent celles qui sont défectueuses. Ces mécanismes sont localisés et mis en œuvre principalement dans le cytoplasme (compartiment des cellules où les protéines sont synthétisées).
En travaillant sur plusieurs facteurs impliqués dans le contrôle de qualité des protéines, les chercheurs se sont aperçus que certains d’entre eux étaient également localisés dans le noyau des cellules (le compartiment qui renferme le matériel génétique) et qu’ils permettaient de dégrader des protéines anormalement présentes dans ce compartiment.

cellule

Lors de cette étude, les chercheurs de l’Institut de génétique et de développement de Rennes (dont Gwenaël Rabut, chercheur Inserm, coordinateur et responsable du projet à Rennes et Ewa Blaszczak, doctorante, co-première auteure de l’article) ont pu observer que ces facteurs impliqués dans le contrôle de qualité des protéines interagissaient entre eux au niveau du noyau et qu’ils entraînaient l’ubiquitylation (l’étape précédant la dégradation) d’une protéine localisée par erreur dans le noyau.

En utilisant une méthode d’observation basée sur un décalage de fluorescence des protéines d’intérêt développée à l’Université d’Heidelberg, les chercheurs ont pu identifier une vingtaine de protéines dont la dégradation dépendait des facteurs de contrôle de la qualité localisés dans le noyau. Comme plusieurs de ces protéines sont normalement localisées dans le cytoplasme, et qu’elles s’accumulent au niveau du noyau lorsqu’elles ne sont plus dégradées, les chercheurs proposent que ce système de contrôle de qualité serve à éliminer non seulement des protéines défectueuses, mais aussi les protéines localisées par erreur dans le noyau.

Ces découvertes ont été réalisées en utilisant un organisme modèle, la levure de boulanger, mais il est vraisemblable que des mécanismes similaires existent également chez l’homme.

Des virus pirates pris à leur propre piège ?

Pour infecter une cellule hôte et se multiplier, certains virus comme celui de l’hépatite C infiltrent les ribosomes, véritables usines d’assemblage des protéines présentes dans chacune de nos cellules. Les protéines virales sont ainsi produites au détriment des protéines cellulaires. Des scientifiques strasbourgeois ont démontré que l’un des 80 composants du ribosome est indispensable à l’infection par certains virus sans être essentiel au fonctionnement normal des cellules. Cette découverte, qui pourrait déboucher sur le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques, a été réalisée par des chercheurs du laboratoire Réponse immunitaire et développement chez les insectes (CNRS) et de l’Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques (Inserm/Université de Strasbourg)1, avec notamment le soutien de l’ANRS. Elle fait l’objet d’une publication dans la revue Cell le 20 novembre 2014.

Une infection virale peut être traitée en bloquant certains constituants du virus. Cependant, ceux-ci sont bien moins nombreux que les protéines cellulaires de l’hôte avec lesquelles ils interagissent. De plus ces facteurs mutent beaucoup plus facilement et échappent ainsi aux traitements. C’est pourquoi les virologistes cherchent à mettre au point des antiviraux ciblant ces protéines (ou facteurs) cellulaires. Seul bémol, mais de taille : les facteurs ciblés par cette stratégie jouent souvent un rôle important dans la cellule, entraînant des effets secondaires.

Dans cette optique, un groupe de chercheurs strasbourgeois a identifié un constituant cellulaire prometteur, baptisé RACK1, faisant partie du ribosome, sorte d’usine cellulaire où sont assemblées les protéines. RACK1 pourrait devenir la cible de nouveaux types de traitements antiviraux puisqu’il s’est révélé nécessaire à l’infection des cellules par certains virus, mais non essentiel pour le fonctionnement normal des cellules.

Véritable chaîne de montage, le ribosome assemble les acides aminés selon un enchaînement dicté par le message génétique (contenu dans les molécules d’ARN messager). La stratégie employée par de nombreux virus pour se multiplier consiste à infiltrer le ribosome de la cellule infectée de manière à forcer la fabrication de leurs propres protéines, au détriment des protéines cellulaires. Ainsi, ils fabriquent de nouvelles particules virales, qui iront infecter d’autres cellules… Ces travaux montrent que, parmi les quelques 80 sous-unités qui composent le ribosome, RACK1 constitue une porte d’entrée pour plusieurs virus, dont celui de l’hépatite C. Plus remarquable : la plupart des ARN messagers cellulaires peuvent être traduits en protéines dans un ribosome sans RACK1, alors que cette sous-unité est indispensable à la traduction des ARN – et donc à la propagation – de certains virus.

Les chercheurs ont réalisé cette découverte en travaillant sur la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster). Des mouches adultes dépourvues de RACK1 survivent normalement, tout en ne pouvant plus être infectées par certains virus d’insectes. Le même constat a été fait sur des cellules humaines en culture : l’absence de RACK1 ne compromet pas leur survie ni leur multiplication, mais empêche l’infection par le virus de l’hépatite C. Et ceci pourrait être valable pour d’autres virus ayant la même stratégie de piratage des cellules2 (virus de la polio, de la fièvre aphteuse, entérovirus…).

Cette découverte ouvre donc de nouvelles perspectives thérapeutiques basées sur le blocage de ce point de connexion du virus sur le ribosome de la cellule. Le fait que ce mécanisme soit utilisé par des virus de nature très différente permet d’envisager la mise au point de traitements à large spectre d’action applicables aux infections virales des insectes, des animaux et de l’homme.

Cependant, si la protéine RACK1 est conservée chez des espèces aussi différentes que la drosophile et l’homme, elle n’est sans doute pas complètement inutile pour ces organismes. De fait, si les adultes sont viables, les larves de drosophiles et les embryons de souris dépourvus de RACK1 ne peuvent dépasser un certain stade de développement. Cela signifie que certains ARN messagers cellulaires, utilisés dans des situations particulières, ont besoin de RACK1 pour leur traduction. Décrypter les conditions dans lesquelles RACK1 est utile aux cellules est donc fondamental avant de pouvoir l’utiliser comme cible thérapeutique.

Au niveau fondamental, ces résultats montrent que la traduction des ARN en protéines est plus complexe qu’on ne le pensait. Ils ouvrent des perspectives pour comprendre « le code ribosome » (se superposant au code génétique et aux autres mécanismes de régulation de l’expression des gènes) : selon la composition et la structure du ribosome, certains ARN seraient sélectivement traduits, d’autres non. Les indices en faveur d’un tel code s’accumulent… reste à le décrypter.

Ces travaux ont notamment bénéficié du soutien de l’ANRS (France REcherche Nord&sud Sida-hiv Hépatites), de la FRM (fondation pour la recherche médicale), de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer et de l’Institut Hospitalo-Universitaire de Strasbourg Mix-Surg.

1 en collaboration avec les laboratoires Architecture et réactivité de l’ARN (CNRS) et Spectrométrie de masse biologique et protéomique (CNRS/ESPCI ParisTech).

2 Ces virus ont évolué afin de contourner les stratégies antivirales des cellules. Leurs ARN contiennent un motif interne (appelé IRES : internal ribosome entry site) qui recrute les ribosomes.

virus DCV drosophila CNRS - Jean luc imler

Préparation de virus DCV (Drosophila C virus), utilisés dans l’étude. © Jean-Luc Imler

Cette image est disponible à la photothèque du CNRS, rf.srnc@euqehtotohp.

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