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Une piste thérapeutique pour réduire les effets secondaires d’une chimiothérapie

Effet convergent du cisplatine et du KW6002 sur les cassures double brin de l’ADN dans des cellules tumorales pulmonaires. Le bleu correspond aux noyaux des cellules et le rouge à une protéine qui marque les dommages à l’ADN. © Dewaeles et al.

Le cisplatine est une chimiothérapie indiquée pour lutter contre les tumeurs dans de nombreux cancers. Elle s’accompagne toutefois d’effets secondaires importants, en particulier une toxicité au niveau des reins qui peut entraîner une insuffisance rénale aiguë. Par ailleurs, les patients traités par le cisplatine rapportent aussi souvent souffrir de douleurs neuropathiques importantes. Des scientifiques de l’Inserm, de l’université et du CHU de Lille, du CNRS et de l’Institut Pasteur de Lille, au sein des laboratoires CANTHER[1] et Lille Neuroscience & Cognition, en collaboration avec des chercheurs de l’université d’état du Michigan (États-Unis) ont identifié un médicament qui pourrait changer la donne pour les patients. Déjà autorisée contre la maladie de Parkinson, cette molécule appelée istradefylline pourrait non seulement réduire les effets délétères de la chimiothérapie mais aussi améliorer ses propriétés anti-tumorales. Ces résultats devront maintenant être consolidés dans le cadre d’un essai clinique. L’étude est publiée dans The Journal of Clinical Investigation.

Le cisplatine est une chimiothérapie utilisée dans le traitement de plusieurs cancers, dont le cancer des poumons, des ovaires ou encore des testicules. Si son efficacité anti-tumorale est avérée, cette thérapie s’accompagne également d’effets secondaires, notamment de douleurs intenses (neuropathie périphérique) et de dommages pour les reins, qui peuvent aller jusqu’à une insuffisance rénale aiguë dans un tiers des cas. A l’heure actuelle, il n’existe pas de solution spécifique pour limiter ces problèmes qui touchent de nombreux patients exposés au cisplatine.

Afin d’améliorer leur prise en charge, le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques constitue donc un axe de recherche majeur pour de nombreux scientifiques.

C’est le cas des équipes menées par Christelle Cauffiez, David Blum et Geoffroy Laumet des laboratoires CANTHER (Inserm/ /CNRS/Université de Lille/CHU de Lille), Lille Neuroscience & Cognition (Inserm/Université de Lille/CHU de Lille) et du Département de Physiologie de l’Université d’État du Michigan qui ont identifié une molécule capable de réduire les effets secondaires du cisplatine, tout en préservant, voire en augmentant ses propriétés anti-tumorales.

Un médicament pour la maladie de Parkinson

Les scientifiques se sont intéressés à un médicament appelé « istradefylline » qui a déjà été approuvé aux États-Unis et au Japon pour le traitement de la maladie de Parkinson. Ce médicament fonctionne en bloquant des récepteurs à la surface de nos cellules, les récepteurs de l’adénosine.

L’équipe de David Blum, qui travaille sur les pathologies neurodégénératives s’était déjà aperçue que ces récepteurs sont en quantité augmentée dans le cerveau des patients en contexte pathologique et que ce phénomène est impliqué dans le développement de ces maladies. Or, une augmentation similaire des récepteurs de l’adénosine a également été observée par l’équipe de Christelle Cauffiez au niveau rénal lorsque l’organisme est exposé au cisplatine.

Face à ce constat, les scientifiques ont donc décidé de travailler ensemble pour tester les effets de l’istradefylline afin de déterminer si le fait de bloquer ces récepteurs permet de réduire les effets délétères du cisplatine.

Des résultats à confirmer dans un essai clinique

Leurs expériences, menées à partir de modèles animaux et cellulaires ont effectivement suggéré le rôle bénéfique de l’istradefylline. En effet, chez les souris exposées à cette chimiothérapie, la molécule agit en réduisant non seulement les dommages causés aux cellules rénales mais également la douleur induite par le cisplatine.

En outre, la capacité du cisplatine à réduire la croissance tumorale était augmentée chez les animaux qui recevaient de l’istradefylline, ce qui a ensuite été confirmé dans les modèles cellulaires.

Avant d’envisager la généralisation de cette approche thérapeutique aux patients atteints de cancers, ces résultats devront d’abord être consolidés en organisant un essai clinique rigoureux. Néanmoins, le fait que l’istradefylline soit déjà utilisée chez l’humain pour traiter une autre pathologie constitue d’ores et déjà une perspective intéressante.

 « De fait, nous disposons déjà de nombreuses données issues d’essais cliniques qui montrent que cette molécule est sûre. S’il est nécessaire de mener une étude clinique afin de tester son efficacité pour réduire les effets secondaires de la chimiothérapie, la possibilité d’un repositionnement thérapeutique est une perspective prometteuse pour améliorer la prise en charge des patients à court terme », soulignent les chercheurs.

 

[1] Laboratoire Hétérogénéité, plasticité et résistance aux thérapies des cancers (CANTHER)

L’anesthésie générale dans l’enfance pourrait-elle avoir des conséquences cérébrales structurelles et comportementales ?

Ces travaux démontrent qu’une anesthésie générale précoce entraine des modifications cérébrales structurelles, fonctionnelles et comportementales à long terme. Crédits : Adobe Stock

Une étude publiée dans la revue internationale Anesthesia and Analgesia (2022) révèle les possibles conséquences cérébrales d’une exposition précoce à l’anesthésie générale en pré-clinique puis chez l’humain. Mené par des scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Caen Normandie avec le CHU de Caen Normandie, ce travail met en évidence une possible diminution localisée de volume de la substance grise associée à des modifications émotionnelles liée à une exposition précoce à l’anesthésie générale.

Trois études cliniques récentes, de haut niveau de preuve, ont montré qu’une exposition unique et courte à l’anesthésie générale pour une chirurgie dans la petite enfance ne modifierait pas les mesures de l’intelligence générale (quotient intellectuel). Néanmoins, une limite de ces trois études est de ne pas avoir évalué l’effet de cette exposition sur le cerveau. C’est tout l’enjeu de l’étude préclinique et clinique paru dans la revue Anesthesia and Analgesia, fruit d’une collaboration entre l’unité U1237 Physiopathology and Imaging of Neurological Disorders et le Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’enfant (UMR CNRS 8240), coordonnée par le Dr Jean-Philippe Salaün au Centre Hospitalier Universitaire Caen Normandie.

Les conséquences sur le cerveau d’une exposition précoce 

Chez l’animal, les chercheurs ont mis en évidence des modifications comportementales (régulation de la peur) associées à des modifications structurelles cérébrales en imagerie par résonance magnétique (diminution de 11 % du volume de matière grise périaqueductale) chez des souris exposées plusieurs fois à l’anesthésie générale en période post-natale. Chez l’humain, l’analyse rétrospective d’une cohorte de 102 enfants révèle des modifications au niveau cérébral (diminution de 6 % du volume du gyrus préfrontal droit) et au niveau comportemental (régulation de l’émotion) chez des enfants en bonne santé ayant bénéficié d’une seule anesthésie générale pour une chirurgie mineure dans l’enfance (âge moyen d’exposition : 4 ans). Les modifications cérébrales observées dans cette cohorte d’enfant étaient d’autant plus importantes que l’âge d’exposition à l’anesthésie pour chirurgie était précoce.

Si ces résultats ne permettent pas d’établir un lien de cause à effet entre l’exposition à l’anesthésie générale et les modifications cérébrales et comportementales observées, ils soulignent l’importance de mener rapidement des recherches afin d’évaluer les effets de l’anesthésie générale lors de la petite enfance sur le développement cérébral, cognitif et socio-émotionnel ultérieur de l’enfant et de l’adolescent. Ils invitent également les praticiens à une réflexion sur la période la plus propice pour mener une chirurgie au regard des effets potentiellement délétères de l’anesthésie générale sur le cerveau en développement. Ensuite, dès lors que l’indication opératoire est retenue, il faut déterminer la surveillance la plus adaptée de l’ensemble des paramètres vitaux pour ainsi optimiser la prise en charge per-anesthésique des enfants.

1 enfant sur 7 exposé à l’anesthésie générale avant 3 ans

L’incidence de l’anesthésie générale pour une chirurgie pédiatrique est en constante augmentation. Environ un enfant sur sept sera exposé à l’anesthésie générale avant l’âge de trois ans. Cet âge de trois ans correspond par ailleurs au seuil fixé en 2017 par la Food and Drug Administration (l’autorité américaine de régulation du médicament) en dessous duquel l’anesthésie générale pourrait avoir un impact sur le développement cérébral. Cette alerte faisait écho à plusieurs publications scientifiques de la fin des années 1990.

En effet, l’étude des conséquences de l’anesthésie générale dans l’enfance sur le cerveau a suscité l’intérêt de la communauté scientifique, des familles de patients et du grand public depuis la parution ces dernières années de travaux chez l’animal. Ces études démontrent qu’une anesthésie générale précoce entraine des modifications cérébrales structurelles, fonctionnelles et comportementales à long terme. Les premières études cliniques rétrospectives ne mettent pas systématiquement en évidence un effet délétère sur le développement cérébral de l’anesthésie générale précoce ce qui a contribué à entretenir une controverse sur la pertinence de limiter l’anesthésie générale chez l’enfant.

Dans le cerveau des procrastinateurs

Afin de décrypter le comportement de procrastination, une équipe de recherche a mené une étude auprès de 51 participants. © Adobe Stock

Une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Sorbonne Université et de l’AP-HP au sein de l’Institut du Cerveau à Paris vient de décrypter comment notre cerveau se comporte lorsque nous procrastinons. L’étude, menée chez l’humain, combine imagerie fonctionnelle et tests comportementaux et a permis aux scientifiques d’identifier une région du cerveau où se joue la décision de procrastiner : le cortex cingulaire antérieur. L’équipe a également mis au point un algorithme permettant de prédire la tendance à la procrastination des participants. Ces travaux sont publiés dans Nature Communications.

La procrastination, ou tendance à reporter des tâches qui nous incombent, constitue une expérience – souvent inconfortable voire culpabilisante – que nombre d’entre nous ont déjà éprouvée. Pourquoi alors, et dans quelles conditions, notre cerveau nous pousse-t-il à procrastiner ? Pour répondre à cette question, une équipe dirigée par Mathias Pessiglione, chercheur Inserm et Raphaël Le Bouc, neurologue à l’AP-HP, au sein de l’Institut du Cerveau (Inserm/CNRS/Sorbonne Université/AP-HP) a mené une étude auprès de 51 participants.

Afin de décrypter le comportement de procrastination, ces individus ont participé à un certain nombre de tests durant lesquels leur activité cérébrale était enregistrée par IRM. Chaque participant devait d’abord attribuer de manière subjective une valeur à des récompenses (des gâteaux, des fleurs…) et à des efforts (mémoriser un chiffre, faire des pompes…). Il leur a ensuite été demandé d’indiquer leurs préférences entre obtenir une petite récompense rapidement ou une grande récompense plus tard, ainsi qu’entre un petit effort à faire tout de suite ou un effort plus important à faire plus tard.

Les données d’imagerie ont révélé l’activation au moment de la prise de décision d’une région cérébrale appelée cortex cingulaire antérieur. Cette région a pour rôle d’effectuer un calcul coût-bénéfice en intégrant les coûts (efforts) et les bénéfices (récompenses) associés à chaque option.

La tendance à la procrastination a ensuite été mesurée par deux types de tests. Dans le premier, les participants devaient décider soit de produire un effort le jour même pour obtenir immédiatement la récompense associée, soit de produire un effort le lendemain et de patienter jusque-là pour obtenir la récompense. Dans le second, à leur retour chez eux, les participants devaient remplir plusieurs formulaires assez fastidieux et les renvoyer sous un mois maximum pour être indemnisés de leur participation à l’étude.

Les données fournies par les tests réalisés en IRM ont servi à alimenter un modèle mathématique dit « neuro-computationnel » de prise de décision, mis au point par les chercheurs.

« Notre modèle prend en compte les coûts et les bénéfices d’une décision, mais intègre également les échéances auxquelles ils surviennent, explique Raphaël Le Bouc. Par exemple, pour une tâche comme faire la vaisselle, les coûts sont liés à l’aspect long et rébarbatif de la corvée et les bénéfices au fait que l’on retrouve à son issue une cuisine propre. Laver la vaisselle est dans l’instant très pénible ; envisager de le faire le lendemain l’est un peu moins. De même, être payé immédiatement après un travail est motivant, mais savoir qu’on sera payé un mois plus tard l’est beaucoup moins. On dit que ces variables, le coût des efforts comme la valeur des récompenses, s’atténuent avec le délai, au fur et à mesure qu’ils s’éloignent dans le futur », ajoute le chercheur.

Ainsi, plus l’échéance est lointaine, moins l’effort paraît coûteux et moins la récompense paraît gratifiante.

« La procrastination pourrait être spécifiquement liée à l’impact du délai sur l’évaluation des tâches exigeant un effort. Plus précisément, elle peut s’expliquer par la tendance de notre cerveau à décompter plus vite les coûts que les récompenses », conclut Mathias Pessiglione.

À partir des informations sur l’activité de leur cortex cingulaire antérieur et des données recueillies lors des tests comportementaux, les chercheurs ont établi un profil motivationnel pour chacun des participants. Ce profil décrivait leur attirance pour les récompenses, leur aversion à l’effort, et leur tendance à dévaluer les bénéfices et les coûts avec le délai. Ce profil permettait donc d’estimer la tendance à procrastiner pour chacun des participants. Une fois alimenté avec les données spécifiques à chacun de ces profils, leur modèle s’est révélé capable de prédire le délai mis par chaque participant à renvoyer le formulaire rempli.

Ces recherches pourraient aider à développer des stratégies individuelles pour ne plus repousser sans cesse des corvées qui sont pourtant à notre portée. Elles permettraient ainsi d’éviter les effets pernicieux de la procrastination dans des domaines aussi variés que l’enseignement, l’économie et la santé.

Prévention des démences chez les seniors : la méditation toujours à l’étude

La méditation comme outil de prévention des démences et d’amélioration de la santé mentale et du bien-être des personnes âgées est l’une des pistes explorées par le programme de recherche européen Medit-Ageing, coordonné par l’Inserm © AdobeStock

La méditation comme outil de prévention des démences et d’amélioration de la santé mentale et du bien-être des personnes âgées est l’une des pistes explorées par le programme de recherche européen Medit-Ageing, coordonné par l’Inserm. Dans le cadre de ce programme, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm et de l’université de Caen Normandie, en collaboration avec des équipes françaises et européennes, ont observé l’impact d’un entraînement à la méditation de 18 mois sur certaines structures cérébrales impliquées dans la régulation de l’attention et des émotions, chez des personnes en bonne santé de plus de 65 ans. Leurs résultats, à paraître dans JAMA Neurology, témoignent d’un impact positif sur les capacités de régulation attentionnelles et socio-émotionnelles, mais ne montrent pas de bénéfices significatifs de la méditation sur le volume et le fonctionnement des structures cérébrales étudiées par rapport aux groupes contrôles. Ils invitent cependant à poursuivre les travaux de recherche sur l’ensemble du cerveau, sur des temps plus longs et avec davantage de participants.

Afin de prévenir la survenue de démences chez les personnes âgées, les stratégies d’intervention récentes sont pluridisciplinaires et orientées vers l’amélioration du mode de vie des seniors. Elles comprennent notamment de la stimulation cognitive, de l’activité physique, un régime alimentaire sain et des recommandations cardiovasculaires. Cependant, les facteurs psychoaffectifs comme la dépression, le stress ou l’anxiété ne font pas l’objet d’interventions préventives dédiées.

Un entraînement mental ciblant la régulation du stress et de l’attention – comme par exemple la méditation en pleine conscience –, s’est révélé un outil bénéfique dans la gestion des aspects cognitifs et émotionnels propres au vieillissement, en particulier pour réduire le stress, l’anxiété et la dépression.

De récents travaux ont rapporté que l’insula et le cortex cingulaire antérieur seraient des régions du cerveau spécifiquement sensibles à l’entraînement à la méditation. Ces régions cérébrales connectées l’une à l’autre sont impliquées notamment dans la conscience de soi, ainsi que le traitement et la régulation de l’attention, des émotions et de l’empathie. Chez les jeunes adultes, la méditation a déjà montré sa capacité à modifier structurellement (en volume par exemple) et fonctionnellement ces structures, en particulier chez des experts méditants qui ont plusieurs milliers d’heures de pratique.

L’insula et le cortex cingulaire antérieur sont spécialement sensibles au vieillissement. Il a été montré que, chez des personnes âgées expertes dans la pratique de la méditation, le volume de matière grise ainsi que le métabolisme du glucose (processus physiologique essentiel au bon fonctionnement du cerveau) étaient plus importants que chez des personnes ne pratiquant pas la méditation.

La méditation pourrait donc être une approche intéressante pour préserver les structures et fonctions cérébrales ainsi que les capacités cognitives, et par extension, pour prévenir les démences.

Une équipe de chercheuses et chercheurs du groupe de recherche européen Medit-Ageing, menée par la directrice de recherche Inserm Gaël Chételat du laboratoire Physiopathologie et imagerie des maladies neurologiques (Inserm/Université de Caen Normandie), en collaboration avec des équipes du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean-Monnet-Saint-Étienne), de l’University College de Londres, de l’université de Liège et de l’université de Genève, s’est intéressée au potentiel bénéfice physiologique, cognitif et émotionnel de la méditation chez les seniors.

Au sein de l’essai clinique Age-Well regroupant 136 participantes et participants de 65 ans ou plus sans pathologie connue, les chercheurs ont mesuré l’impact d’une intervention de méditation de 18 mois sur le volume et la perfusion tissulaire (processus physiologique d’alimentation d’un organe en nutriments et oxygène nécessaires à son métabolisme) de l’insula et du cortex cingulaire antérieur. Ils se sont également intéressés à certains paramètres cognitifs et socio-affectifs.

Trois groupes de participants ont été constitués afin de comparer l’éventuel bénéfice de la méditation par rapport à différents types d’interventions. Le premier groupe a suivi le protocole relatif à l’intervention de méditation (méditation de pleine conscience et méditation « d’amour et de compassion »), le second groupe constituant un groupe « contrôle actif » a suivi une période d’apprentissage de l’anglais et le troisième groupe constituant un groupe « contrôle passif » ne suivait aucune intervention.

À l’issue des 18 mois d’intervention, les chercheurs n’ont pas observé de différence significative de volume ou de perfusion du cortex cingulaire ou de l’insula chez le groupe pratiquant la méditation par rapport aux groupes contrôles.

« Le fait qu’aucune différence anatomique n’ait été observée entre ces deux groupes pourrait indiquer que, si la méditation peut modifier le volume de cerveaux plus jeunes et plus plastiques, 18 mois d’entraînement à la méditation ne sont pas suffisants pour modifier les effets du vieillissement, analyse Gaël Chételat. Par ailleurs, si les résultats de mesure du volume sont strictement négatifs, ceux de la perfusion montrent une tendance en faveur de la méditation qu’il pourrait être intéressant d’explorer sur un temps d’intervention plus long et/ou avec un échantillon de population plus important », précise la chercheuse.

L’équipe de recherche a par conséquent mis en place un suivi sur 4 ans des participants à cet essai, pour analyser les éventuels effets à long terme.

À l’inverse, des différences significatives ont été observées sur des mesures comportementales entre le groupe de méditation et celui d’apprentissage de l’anglais, avec une meilleure régulation de l’attention et des capacités socio-émotionnelles chez les participants au groupe de méditation.

« La pratique de la méditation montre ici son réel bénéfice sur la santé mentale des personnes âgées, avec une amélioration significative de paramètres propres au bien-être et à l’épanouissement, mais aussi au maintien des capacités attentionnelles et socio-émotionnelles rapportées par les participants », ajoute Antoine Lutz, responsable de l’axe Méditation de l’étude.

 Des mesures et analyses plus spécifiques vont être conduites au sein de l’essai Age-Well pour améliorer la compréhension de ces mécanismes. Elles pourraient permettre de déterminer les mesures les plus sensibles à la pratique de la méditation et d’étudier les mécanismes de ses effets.

 

Pour en savoir plus sur l’actualité de la recherche médicale autour de la conscience, retrouvez le dossier « Conscience : la moduler pour mieux la soigner » dans le numéro 54 du magazine de l’Inserm

Kétamine et dépression : un mécanisme de l’effet antidépresseur dévoilé

La dépression est le trouble psychiatrique le plus fréquent. Crédits : Adobe Stock

Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Sorbonne Université et médecins de l’AP-HP à l’Institut du Cerveau ont identifié l’un des mécanismes d’action de la kétamine qui permet d’expliquer ses effets antidépresseurs. L’équipe a testé ce traitement innovant, utilisé habituellement comme anesthésique, chez des patients atteints de dépression résistante d’intensité sévère. Grâce à la kétamine, ces derniers présentaient une capacité accrue à dépasser les croyances négatives qu’ils ont sur eux-mêmes et sur le monde – qui constituent un des symptômes de la maladie – lorsque des informations positives leurs étaient présentées. Ces résultats, publiés dans la revue JAMA Psychiatry, ouvrent de nouvelles pistes thérapeutiques dans la prise en charge des troubles de l’humeur résistants aux antidépresseurs.

La dépression est le trouble psychiatrique le plus fréquent : on estime que 5 à 15 % de la population française fera un épisode dépressif caractérisé au cours de sa vie. Toutes les tranches d’âge et tous les milieux sociaux sont touchés.

La maladie se caractérise par une tristesse et une perte des sensations hédoniques ne s’améliorant pas lors de l’expérience d’événements positifs. Les patients déprimés développent progressivement des croyances négatives sur eux-mêmes, le monde et le futur, évoluant parfois vers des idées suicidaires. Ces croyances négatives demeurent même lorsque le patient reçoit des informations positives.

Environ un tiers des personnes souffrant de dépression ne répondent pas aux antidépresseurs les plus couramment prescrits, conduisant au diagnostic de dépression résistante au traitement (TRD). Pour ces personnes, la recherche de nouveaux traitements efficaces une priorité.

La kétamine, un anesthésique couramment utilisé, a montré un effet sur la dépression résistante. Alors que les traitements antidépresseurs classiques mettent du temps avant d’agir (en moyenne trois semaines), la kétamine entraine un effet antidépresseur rapide, seulement quelques heures après son administration. Les mécanismes associés à cet effet antidépresseur d’action rapide sont encore méconnus.

Dans le but d’identifier ces mécanismes, le Dr. Hugo Bottemanne et l’équipe de recherche codirigée à l’Institut du Cerveau par le Pr. Philippe Fossati et la Dr Liane Schmidt, chercheuse Inserm, ont coordonné une étude clinique portant sur 26 patients résistants aux antidépresseurs (TRD) et 30 sujets contrôle.

Dans le protocole proposé, les patients et les sujets sains devaient d’abord estimer la probabilité de survenue dans leur vie de 40 évènements « négatifs » (par exemple, avoir un accident de voiture, être atteint d’un cancer, ou perdre son portefeuille).

Après avoir été informés des risques réels de leur survenue dans la population générale, patients et sujets sains étaient à nouveau interrogés pour estimer la probabilité que ces évènements surviennent dans leur vie. L’équipe de recherche s’est intéressée à la mise à jour des croyances face aux informations que les participants avaient reçues. Elle a montré que les sujets sains avaient tendance à mettre davantage à jour leurs croyances initiales après avoir reçu des informations factuelles et positives, ce qui n’était pas le cas dans la population de patients déprimés.

Dans la suite de l’étude, les patients TRD ont reçu trois administrations de kétamine à une posologie subanesthésique (0.5 mg/kg en 40 minutes) en une semaine. Seulement quatre heures après la première administration, la capacité des patients à mettre à jour leurs croyances face à des informations positives était accrue. Ils devenaient moins sensibles aux informations négatives, et retrouvaient une capacité à mettre à jour leurs connaissances comparable à celle des sujets témoins.

Par ailleurs, l’amélioration des symptômes dépressifs après le traitement par kétamine était prédite par ces changements dans la mise à jour des croyances, suggérant qu’il y aurait un lien entre l’amélioration clinique et les modifications de ce mécanisme cognitif. « Autrement dit, plus la capacité de mise à jour des croyances des patients était augmentée, plus l’amélioration des symptômes était importante », expliquent les chercheurs.

En conclusion, dans cette étude, les patients atteints de dépression résistante aux antidépresseurs présentent une diminution significative de leurs symptômes et deviennent plus réceptifs aux expériences « positives » après une semaine de traitement à la kétamine.

Ces travaux mettent pour la première fois en évidence un mécanisme cognitif potentiellement impliqué dans la temporalité d’action précoce de la kétamine. Ils ouvrent la voie vers de nouvelles recherches de thérapies antidépressives modulant les mécanismes de mise à jour des croyances.

Nouvelles pistes pour réduire les complications à long terme chez les enfants nés prématurés

Certains neurones à GnRH (vert) expriment la NOS1 (rouge) au cours de leur migration du nez vers le cerveau pendant la vie fœtale. Les cellules doublement marquées GnRH + NOS1 apparaissent en jaune. © Vincent Prévot/Inserm

Les enfants nés prématurément ont un risque plus élevé de souffrir de troubles cognitifs et sensoriels mais aussi d’infertilité à l’âge adulte. Dans une nouvelle étude, une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, au sein du laboratoire Lille neuroscience et cognition, soulève des pistes intéressantes pour améliorer leur pronostic. En menant des travaux sur une maladie rare appelée hypogonadisme hypogonadotrope congénital, les scientifiques ont en effet découvert le rôle clé d’une enzyme et le potentiel thérapeutique du neurotransmetteur qu’elle synthétise – le monoxyde d’azote – pour réduire le risque de complications à long terme en cas de prématurité. Les résultats sont décrits dans Science Translational Medicine. L’équipe de recherche a par ailleurs lancé un essai clinique au CHU de Lille en partenariat avec un hôpital d’Athènes (Grèce) pour aller plus loin et mesurer l’effet du monoxyde d’azote chez des enfants prématurés.

L’hypogonadisme hypogonadotrope congénital est une maladie rare qui se caractérise par un retard pubertaire ou une absence complète de puberté à l’adolescence, entraînant une infertilité. Certaines formes de la maladie sont dues à un défaut de production de l’hormone GnRH, qui est produite dans le cerveau et qui contrôle à distance, via différents intermédiaires, le développement et le fonctionnement des gonades mâles et femelles.

L’équipe de Vincent Prévot, directeur de recherche Inserm, est spécialiste des dialogues entre le cerveau et le reste de l’organisme.

Les scientifiques se sont ici intéressés à un neurotransmetteur régulant l’activité des neurones à GnRH, le monoxyde d’azote, et plus particulièrement à l’enzyme qui le synthétise, appelée NOS1.

« Le monoxyde d’azote supprime l’activité électrique des neurones à GnRH et module la libération de cette hormone, il n’était donc pas exclu qu’un défaut de fonctionnement de NOS1 soit à l’origine de cas d’hypogonadisme hypogonadotrope congénital », explique Vincent Prévot, coordinateur principal de cette étude.

Pour aller plus loin, son équipe a collaboré avec un laboratoire de Lausanne (Suisse) disposant d’une cohorte de 341 patients atteints de cette maladie. À partir d’échantillons d’ADN, ils ont recherché la présence de mutations rares sur le gène codant l’enzyme NOS1 et en ont trouvé cinq différentes qui pouvaient expliquer la maladie. Certains des individus concernés présentaient, en plus des problèmes de fertilité, des troubles sensoriels et cognitifs (perte d’audition ou d’odorat ou encore déficience intellectuelle).

Une application dans le contexte de la prématurité ?

L’étape suivante de l’étude a consisté à développer un modèle de souris déficientes en NOS1[1] pour mieux comprendre le rôle de cette enzyme. Les chercheurs ont retrouvé les problèmes de puberté, ainsi que des altérations sensorielles et neurologiques, telles qu’observées chez l’humain dans l’hypogonadisme hypogonadotrope congénital. Ils ont également constaté une exacerbation de la minipuberté chez ces animaux. La minipuberté survient chez tous les mammifères, juste après la naissance (entre un et trois mois chez l’humain), et déclenche une première activation par le cerveau de l’axe contrôlant la reproduction avant la « vraie » puberté à l’adolescence.

Les chercheurs ont ici constaté que le pic d’hormone sexuelle associé à cette minipuberté était deux fois plus important chez les souris déficientes en NOS1.

« Cela nous a interpellé car les nourrissons nés prématurément présentent également fréquemment une minipuberté plus intense que la normale. Et plus la prématurité est importante, plus le risque de complications neurosensorielles et mentales à l’âge adulte l’est aussi », rappelle Konstantina Chachlaki, chercheuse Inserm, première auteure de l’étude.

Forts de ces observations, les chercheurs ont testé l’administration de monoxyde d’azote chez les souris déficientes en NOS1 juste après leur naissance, pendant la période de minipuberté. Ils ont alors constaté la réversion de l’ensemble des symptômes développés par ces souris : les problèmes de puberté et les troubles sensoriels et neurologiques disparaissaient et ce, à long terme, pour le restant de leur vie.

Un essai clinique en cours

Ces résultats prometteurs pourraient permettre d’améliorer la prise en charge des enfants prématurés. Il se trouve que le monoxyde d’azote est également administré à certains enfants nés prématurément pour faciliter l’ouverture des bronches en cas de difficultés respiratoires.

« Face à cette concordance d’observations et de pratiques, nous avons décidé de mettre en place un essai clinique pour tester l’effet du monoxyde d’azote chez des enfants prématurés en étudiant les paramètres reproductifs et neurosensoriels », expliquent Vincent Prévot et Konstantina Chachlaki, qui coordonnent ensemble le projet européen miniNo dédié à étudier le rôle de la minipuberté chez les enfants nés prématurés. « L’administration de monoxyde d’azote à la naissance pourrait réduire le risque de complications reproductives, sensorielles et intellectuelles chez les enfants nés prématurément. C’est ce que nous allons tenter de vérifier après avoir fait ces découvertes étonnantes chez la souris », poursuivent-ils.

L’essai miniNO a été lancé au CHU de Lille en partenariat avec un hôpital d’Athènes (Grèce). L’objectif est de vérifier si les enfants bénéficiant de ce traitement ont une minipuberté puis une puberté normales et s’ils développent moins de complications sensorielles et neurologiques, par rapport à des enfants prématurés n’ayant pas reçu de monoxyde d’azote à la naissance.  L’objectif de l’essai clinique est d’inclure 120 patients sur les deux sites en 24 mois (Athènes et Lille).

[1] C’est-à-dire pour lesquelles le gène codant pour l’enzyme NOS1 était désactivé.

Maladie de Huntington : restaurer la transmission neuronale à la naissance pourrait prévenir l’apparition de la maladie à l’âge adulte

Neurones pyramidaux du cortex à 21 jours après la naissance dont l’activité et la morphologie sont similaires chez les souris contrôles et modèles de la maladie de Huntington alors qu’une semaine après la naissance des altérations sont observées. © Barbara Yal Braz (BY Braz)

Si les symptômes de la maladie de Huntington se manifestent généralement entre 30 et 50 ans, des travaux ont montré que la maladie impactait le développement cérébral dès le stade embryonnaire. Une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Inserm et de l’Université Grenoble Alpes, au sein du Grenoble Institut des Neurosciences, a mis en évidence, chez la souris, un impact de la maladie sur la qualité de la transmission nerveuse dans certains neurones très tôt après la naissance avec des conséquences anatomiques et comportementales. Ces travaux à paraître dans Science montrent aussi l’intérêt d’un traitement précoce avec une molécule favorisant la transmission nerveuse, qui restaure les défauts néonataux observés et retarde l’apparition de la maladie à l’âge adulte. Ils ouvrent ainsi de nouvelles pistes de recherche sur la prise en charge thérapeutique de la maladie de Huntington chez l’humain.

La maladie de Huntington est une maladie génétique rare et héréditaire du système nerveux central qui se manifeste par des troubles psychiatriques, cognitifs et moteurs qui s’aggravent progressivement. Elle est due à la mutation du gène codant pour une protéine nommée « huntingtine », essentielle au bon fonctionnement des neurones. La maladie se déclenchant tardivement – habituellement entre les âges de 30 et 50 ans, l’impact de la mutation de la huntingtine sur le neurodéveloppement pré- et postnatal a été jusqu’à présent peu étudié.

En 2020, Sandrine Humbert, directrice de recherche Inserm, a codirigé des travaux mettant en évidence des anomalies cérébrales dans des cerveaux d’embryons humains porteurs de la mutation responsable de la maladie de Huntington. Plusieurs fonctions régulées par l’activité neuronale apparaissaient impactées, suggérant une altération de la transmission nerveuse.

Forte de ces observations, l’équipe de Sandrine Humbert au Grenoble Institut des Neurosciences (Inserm/Université Grenoble-Alpes) s’est intéressée à la mise en place des circuits neuronaux et aux comportements cognitifs et sensori-moteurs chez des souriceaux modèles de la maladie de Huntington.

Les chercheuses et chercheurs ont observé différentes altérations chez les souriceaux Huntington : les neurones pyramidaux (voir encadré) de leur cortex cérébral présentaient des défauts morphologiques et de transmission synaptique, associés à des altérations du comportement. Toutefois, après 21 jours de vie, ils retrouvaient une physiologie et une morphologie apparemment similaires à celle des souris saines.

« Ces observations témoignent, dans la maladie de Huntington, de l’altération précoce de la transmission excitatrice des neurones pyramidaux, précise Sandrine Humbert, mais cette déficience temporaire est corrigée pendant le premier mois de vie. »

Pour autant ces compensations ne fonctionneraient qu’un temps puisqu’à partir de 4 à 5 semaines les souris Huntington développent certains signes de la maladie.

À propos des neurones pyramidaux

Ces neurones jouent un rôle majeur dans le contrôle des mouvements volontaires. Ils tiennent leur nom de leur corps triangulaire d’où partent de longues et nombreuses ramifications (appelées « dendrites ») leur donnant une forme rappelant un arbre (d’où l’expression « arbre dendritique ») et qui leur permet de recevoir des signaux excitateurs. À leur base, un long prolongement appelé « axone », permet de transmettre l’information nerveuse à d’autres neurones par son extrémité appelée « synapse ».

Les scientifiques ont ensuite émis l’hypothèse qu’une restauration des défauts transitoires observés au cours de la première semaine de vie pourrait influencer l’apparition de la maladie à l’âge adulte. Pour vérifier cette supposition, ils ont utilisé une molécule thérapeutique de la classe des ampakines, le CX516, connue pour faciliter la transmission nerveuse. Ce traitement néonatal a permis de restaurer l’activité neuronale et les capacités cognitives et sensori-motrices des souriceaux Huntington, et surtout, il les a empêchés de développer les signes caractéristiques de la maladie à l’âge adulte.

« Ces travaux montrent une altération précoce de la transmission nerveuse et de la morphologie des neurones du cortex cérébral dans la maladie de Huntington, associée à des altérations de comportements cognitif et moteur, précise Sandrine Humbert.  Contrecarrer ces déficits temporaires par traitement avec une ampakine au cours de la première semaine postnatale exerce des effets bénéfiques durables chez la souris, puisque les adultes ne développent pas la maladie », ajoute-t-elle.

Si ces résultats obtenus chez l’animal plaident en faveur d’un traitement précoce des personnes portant le gène de la maladie de Huntington pour modifier l’évolution de la maladie à l’âge adulte, ils invitent également à approfondir la compréhension du développement cérébral dans le contexte de cette pathologie. Ils appellent aussi à découvrir les liens entre les anomalies causées par la maladie et les mécanismes compensatoires mis en place par l’organisme avant l’apparition des symptômes.

Comment réagit notre cerveau quand nous explorons quelque chose de nouveau ?

Quel restaurant choisir ? Quel livre acheter ? Que faire ce week-end ? Répondre à ces questions nécessite d’explorer son environnement à la recherche d’informations pertinentes. © Adobe Stock

Dans un monde en perpétuel changement, prendre de bonnes décisions requiert de pouvoir explorer différentes stratégies et d’être capable d’identifier celle qui sera la plus adaptée. Des travaux menés par une équipe de neuroscientifiques de l’Inserm et du CNRS à l’École normale supérieure – PSL, en collaboration avec l’université d’Harvard (États-Unis), ont permis de caractériser ce processus cognitif en enregistrant les minuscules changements du champ magnétique émis par l’activité du cerveau humain. Selon les résultats de cette étude, l’exploration de notre environnement, ou le fait d’essayer une nouvelle stratégie, s’accompagne d’une élévation soutenue de l’attention qui se manifeste jusque dans le système nerveux périphérique. Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue eLife.

Dans quel restaurant aller manger ce soir ? Quel livre acheter ? Que faire ce week-end ? Répondre à ces questions, comme à des milliers d’autres, nécessite d’explorer son environnement à la recherche d’informations pertinentes – qu’il s’agisse de critiques de restaurants, d’avis littéraires ou de bulletins météo. Dans les laboratoires de recherche, l’étude des marqueurs comportementaux[1] et cérébraux de ce type d’exploration ne date pas d’hier. Cependant, les protocoles expérimentaux utilisés aujourd’hui ne permettent pas d’isoler les marqueurs spécifiques de l’exploration, car ils sont habituellement masqués par ceux d’autres processus cognitifs qui lui sont associés.

En effet, nous commençons à explorer notre environnement lorsque nos stratégies habituelles ne fonctionnent plus aussi bien qu’auparavant – soit parce que nous nous sommes lassés de notre restaurant habituel, soit parce que la météo du week-end a changé. Mais l’exploration coïncide également avec un changement de comportement. Il est donc difficile de déterminer si les marqueurs de l’exploration décrits dans les études précédentes sont réellement spécifiques de l’exploration elle-même, ou s’ils sont caractéristiques d’autres processus liés au changement de comportement qui se produisent en même temps.

Pour répondre à ce problème, les chercheurs et chercheuses ont développé un nouveau protocole expérimental permettant de dissocier pour la première fois l’exploration des autres processus cognitifs. Comment ? En comparant deux conditions identiques en tout point, excepté la possibilité d’explorer son environnement : la première condition permettait l’exploration libre, tandis que la seconde condition ne permettait que l’observation du même environnement – sans possibilité d’exploration cette fois.

L’équipe, dirigée par Valentin Wyart, directeur de recherche Inserm au sein du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (Inserm/ENS-PSL) et par Valérian Chambon, directeur de recherche CNRS au sein de l’Institut Jean-Nicod (CNRS/ENS-PSL), a testé ce nouveau protocole expérimental chez un groupe de volontaires dont l’activité magnétique cérébrale a été enregistrée.

 

Description du protocole

Dans ce protocole, les deux conditions prenaient la forme de jeux de cartes, de difficulté parfaitement identique d’un point de vue statistique. Dans les deux conditions, des paquets de cartes colorées étaient disposés devant les volontaires. Chaque paquet contenait des cartes de plusieurs couleurs, dans des proportions différentes.

Dans la première condition (d’exploration), les volontaires devaient tirer eux-mêmes des cartes dans les paquets disponibles, avec la possibilité de changer de paquet à chaque nouvelle carte, et avaient pour consigne de tirer un maximum de cartes d’une couleur « cible ».

Dans la seconde condition (d’observation), les mêmes volontaires n’avaient pas l’opportunité d’explorer eux-mêmes les paquets disponibles, puisque les cartes étaient cette fois tirées par l’expérimentateur, sans pouvoir identifier le paquet duquel elles avaient été tirées. Ils avaient pour consigne de le deviner.

« L’agentivité, c’est-à-dire le fait de pouvoir explorer son environnement, et plus généralement de le modifier, est une dimension essentielle mais hélas largement ignorée par les théories de la décision », explique Valérian Chambon. « En manipulant l’agentivité des volontaires testés grâce à notre protocole, nous avons montré que l’exploration est associée à une incertitude ressentie particulièrement élevée, ainsi qu’à une volonté d’essayer de nouvelles stratégies même si elles ne fonctionnent initialement pas très bien », poursuit Marion Rouault, première signataire de l’article et récemment recrutée comme chargée de recherche au CNRS à l’École normale supérieure – PSL.

Les enregistrements en magnétoencéphalographie(MEG), dont la résolution temporelle inférieure à la seconde est bien meilleure qu’en imagerie par résonance magnétique (IRM), ont montré que l’exploration est précédée par une suppression particulièrement marquée des ondes cérébrales dans la bande alpha, un effet bien connu de l’attention. Et ce n’est pas tout.

« En mesurant la dilatation pupillaire des volontaires testés ainsi que leur activité cardiaque, nous avons également observé que l’exploration est associée à une réponse pupillaire prolongée dans le temps, ainsi qu’à un retard des battements cardiaques au déclenchement de l’exploration », ajoute Marion Rouault.

Ces résultats indiquent que l’exploration s’accompagne d’une élévation soutenue de l’attention qui se manifeste jusque dans le système nerveux périphérique.

Ce protocole expérimental ouvre également de nouvelles pistes pour étudier certaines pathologies psychiatriques.

« Le trouble obsessionnel-compulsif est caractérisé par des troubles du comportement en situation d’incertitude, mais l’origine de ces troubles reste encore mal comprise, précise Valentin Wyart. Notre protocole expérimental pourrait expliquer certains de ces troubles par un déficit spécifique de l’exploration, et non par un déficit général de la prise de décision comme c’est souvent le cas », conclut-il.

 

[1] Un « marqueur comportemental » est un comportement caractéristique d’un processus cognitif. Par exemple, dans cette étude, une baisse brutale de confiance au moment d’un changement de comportement est un marqueur comportemental de l’exploration.

Une thérapie améliore les fonctions cognitives chez des patients porteurs de trisomie 21

La pompe, similaire à un pansement adhésif, est en train d’être placée sur le bras d’un patient. Ce dispositif médical permet de délivrer la GnRH de façon pulsatile en sous-cutané © 2022 CHUV Éric Deroze

 

Une équipe de l’Inserm au sein du laboratoire Lille neuroscience & cognition (Inserm/Université de Lille/CHU de Lille) et le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV, Lausanne) ont collaboré afin de tester l’efficacité d’une thérapie fondée sur l’injection de l’hormone GnRH, pour améliorer les fonctions cognitives d’un petit groupe de patients porteurs de trisomie 21. Les scientifiques de l’Inserm ont d’abord mis en évidence un dysfonctionnement des neurones à GnRH dans un modèle animal de la trisomie 21 et ses conséquences sur l’altération des fonctions cognitives associées à la maladie. Une étude pilote a ensuite été menée chez sept patients pour tester une thérapie basée sur l’injection pulsatile de GnRH, avec pour résultat une amélioration des fonctions cognitives et de la connectivité cérébrale. Cette étude fait l’objet d’une publication dans Science.

Le syndrome de Down, ou trisomie 21, touche environ une naissance sur 800 et se traduit par un éventail de manifestations cliniques, parmi lesquelles un déclin des capacités cognitives. Ainsi, en vieillissant, 77 % des personnes atteintes de trisomie 21 connaissent des symptômes proches de ceux de la maladie d’Alzheimer. Une perte progressive de l’olfaction, typique des maladies neurodégénératives, est également fréquente à partir de la période prépubère, et les hommes peuvent présenter des déficits de maturation sexuelle.

Un dysfonctionnement des neurones secrétant la GnRH identifié dans la trisomie 21

De récentes découvertes ont suggéré que les neurones exprimant l’hormone GnRH (Gonadotropin-Releasing Hormone), connus pour réguler la reproduction via l’hypothalamus, auraient aussi une action dans d’autres régions du cerveau avec un rôle potentiel sur d’autres systèmes, tels que celui de la cognition.

Partant de cette idée, le groupe de chercheurs du laboratoire Lille neuroscience & cognition, mené par Vincent Prévot, directeur de recherche Inserm, a étudié le mécanisme de régulation de la GnRH sur des souris modèles de la trisomie 21.

Le laboratoire a ainsi démontré que cinq brins de micro-ARN régulant la production de cette hormone et présents sur le chromosome 21 étaient dérégulés. Ce chromosome surnuméraire entraîne alors des anomalies dans les neurones secrétant la GnRH. Ces résultats ont été confirmés aux niveaux génétique et cellulaire. Les scientifiques de l’Inserm sont ainsi parvenus à démontrer que les déficiences cognitives et olfactives progressives de ces souris étaient étroitement liées à une sécrétion de GnRH dysfonctionnelle.

Restaurer la production de GnRH pour améliorer les fonctions cognitives

Les scientifiques de l’Inserm ont ensuite réussi à démontrer que la remise en fonction d’un système GnRH physiologique permettait de restaurer les fonctions cognitives et olfactives chez la souris trisomique.

Ces résultats chez la souris ont été discutés avec Nelly Pitteloud, professeure à la Faculté de biologie et médecine de l’Université de Lausanne et cheffe du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. Ce groupe est expert dans le diagnostic moléculaire et le traitement d’une maladie rare, la déficience congénitale de GnRH, se manifestant par une absence de puberté spontanée. Un traitement de GnRH pulsatile est prodigué à ces patients et patientes, afin de reproduire le rythme pulsatile naturel de la sécrétion de cette hormone permettant d’induire une puberté.

Les chercheurs ont donc décidé de tester l’efficacité d’un traitement de GnRH pulsatile sur les déficits cognitifs et olfactifs des souris trisomiques, selon un protocole identique à celui utilisé chez l’humain. Au bout de 15 jours, l’équipe a démontré une restauration des fonctions olfactives et cognitives chez les souris.

Le traitement de GnRH pulsatile améliore les fonctions cognitives et la connectivité neuronale chez un petit groupe de patients

Les scientifiques et médecins sont donc passés à l’étape suivante, et ont mené un essai clinique pilote sur des patients[1], afin d’évaluer les effets de ce traitement. Sept hommes porteurs de trisomie 21, âgés de 20 à 50 ans, ont reçu une dose de GnRH toutes les deux heures en sous-cutané pendant 6 mois, à l’aide d’une pompe placée sur le bras. Des tests de la cognition et de l’odorat ainsi que des examens IRM ont été réalisés avant et après le traitement.

D’un point de vue clinique, les performances cognitives ont augmenté chez 6 des 7 patients : meilleure représentation tridimensionnelle, meilleure compréhension des consignes, amélioration du raisonnement, de l’attention et de la mémoire épisodique.

En revanche, le traitement n’a pas eu d’impact sur l’olfaction. Ces mesures de l’amélioration des fonctions cognitives étaient associées à un changement de la connectivité fonctionnelle observée par imagerie cérébrale [2].

 

L’un des exemples les plus significatifs concerne l’évolution de la représentation d’objets en 3D par le dessin ci-dessus. À gauche, un cube dessiné avant le début du traitement. À droite, un lit dessiné 6 mois après par un des participants.

Ces données suggèrent que le traitement agit sur le cerveau en renforçant notamment la communication entre certaines régions du cortex.

« Le maintien du système GnRH semble jouer un rôle clé dans la maturation du cerveau et les fonctions cognitives », explique Vincent Prévot. « Dans la trisomie 21, la thérapie GnRH pulsatile est prometteuse, d’autant qu’il s’agit d’un traitement existant et sans effet secondaire notable », ajoute Nelly Pitteloud.

Ces résultats prometteurs justifient désormais le lancement d’une étude plus vaste – incluant des femmes – visant à confirmer l’efficacité de ce traitement pour les personnes atteintes de trisomie 21, mais aussi pour d’autres pathologies neurodégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer.

 

[1] Ces patients ont été adressés par la Pre Ariane Giacobino, responsable de la consultation Trisomie 21 aux Hôpitaux universitaires de Genève.

[2] Ces mesures ont été réalisées par le Département des neurosciences cliniques du CHUV.

La microscopie ultrasonore fonctionnelle : sonder l’activité du cerveau complet à l’échelle microscopique

Microscopie de localisation ultrasonore fonctionnelle du cerveau de rat. Alexandre Dizeux / Physics for Medicine Paris

Les ultrasons transforment le domaine de la neuroimagerie, grâce aux avancées technologiques réalisées au cours de la dernière décennie par le laboratoire Physique pour la Médecine (Inserm, ESPCI Paris – PSL, CNRS). L’introduction, en 2009, de l’imagerie fonctionnelle ultrasonore (fUS) a doté les neuroscientifiques d’une technologie unique portable, facile d’utilisation, et de coût raisonnable pour visualiser l’activité cérébrale avec une grande sensibilité. En 2015, une autre méthode, appelée microscopie de localisation ultrasonore (ULM), a permis de produire des images inédites du réseau vasculaire cérébral, révélant des vaisseaux sanguins de quelques micromètres de diamètre.

Aujourd’hui, en 2022, les équipes de recherche du laboratoire Physique pour la Médecine obtiennent des résultats encore plus spectaculaires en combinant les avantages des deux méthodes : la microscopie de localisation ultrasonore fonctionnelle (fULM) capture l’activité cérébrale à travers le cerveau entier à l’échelle microscopique. L’étude vient d’être publiée dans la revue Nature Methods. Elle ouvre des perspectives futures majeures en clinique pour le diagnostic des pathologies cérébro-vasculaires, telles que les accidents vasculaires cérébraux, l’ensemble des maladies des petits vaisseaux, les risques de rupture des anévrismes ou encore les altérations vasculaires présentes très précocement dans les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer.

Les échographes – systèmes d’imagerie reposant sur l’utilisation d’ondes ultrasonores – permettent d’observer les organes à travers la peau, et leur usage est ainsi très répandu en imagerie diagnostique et suivi médical, notamment en obstétrique et en cardiologie. L’usage de l’échographie pour la neuroimagerie reste cependant limité à la détection de larges vaisseaux sanguins cérébraux (de plusieurs millimètres de diamètre). Se pencher sur des détails plus petits du réseau vasculaire cérébral représente pourtant un enjeu majeur en médecine, car de nombreuses maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, démence, etc.) sont maintenant connues pour être liées à des dysfonctions des petits vaisseaux sanguins cérébraux.

Couplage neuro-vasculaire : un dialogue entre les réseaux vasculaire et
neuronal

Les activités vasculaire et neuronale sont étroitement liées dans le cerveau : les vaisseaux sanguins alimentent les neurones en oxygène et en nutriments, et sont ainsi essentiels à l’activité neuronale. Cette interaction fondamentale, appelée couplage neuro-vasculaire, est exploitée pour la neuroimagerie : la détection de variations de flux sanguins renseigne sur l’activation neuronale.

L’imagerie fonctionnelle ultrasonore (fUS) le fait avec une très grande sensibilité, autrement dit elle permet de détecter de très subtiles variations de volume sanguin cérébral.

Elle apporte aussi les autres avantages inhérents à l’échographie, à savoir la capacité à imager de grands champs de vue couvrant l’entièreté du cerveau et à discerner des détails de quelques centaines de microns.

Pour détecter des vaisseaux sanguins plus petits, les chercheurs et chercheuses du laboratoire Physique pour la Médecine ont développé une technique appelée microscopie de localisation ultrasonore (ULM), qui atteint une résolution spatiale bien meilleure que l’échographie classique.

Imaginez une vue du ciel de Paris, sur laquelle vous essayez de discerner une route très étroite. La tâche peut s’avérer difficile. En revanche, si un vélo équipé d’une lampe circule sur cette route, vous apercevrez son halo et le centre du halo vous indiquera très précisément la position du vélo, révélant la position de la route étroite.

La microscopie de localisation repose sur ce même principe : la position d’un objet ponctuel brillant peut être localisée très précisément en repérant le centre de son halo. Dans le cas de la méthode ULM, les objets « brillants » sont des bulles de gaz bio-compatibles de quelques microns de diamètre, injectées dans la circulation sanguine.

En suivant ces bulles microscopiques voyageant dans la circulation sanguine, on peut localiser les vaisseaux sanguins avec une résolution microscopique, et ce à travers les larges champs de vue de l’imagerie ultrasonore.

En accumulant les trajectoires de millions de microbulles, les scientifiques ont reconstruit des images uniques de l’anatomie de la microvasculature du cerveau entier de rongeurs d’abord, et de patients ensuite, comme démontré dans de précédentes études (Demené et al., Science Translational Medicine 2017; Demeulenaere et al.,eBioMedicine 2022). Cependant, la technique ULM n’est pas assez rapide
ni assez sensible pour capturer les variations dynamiques de flux sanguins liées à l’activité
neuronale.

Sonder l’activité cérébrale à l’échelle microscopique de manière non invasive

Dans la présente étude, publiée dans Nature Methods, l’équipe de recherche a franchi cet obstacle et a poussé bien plus loin l’analyse des trajectoires de microbulles au sein du réseau vasculaire cérébral d’un rat. Elle a non seulement imagé la microvasculature cérébrale, mais elle a également détecté l’activation neuronale en calculant le nombre et la vitesse des microbulles traversant chaque vaisseau sanguin : lorsqu’une région du cerveau s’active, le volume sanguin augmente localement sous l’effet du couplage neuro-vasculaire, dilatant les vaisseaux sanguins et ouvrant le passage à de plus nombreuses bulles. En d’autres termes, il devient possible d’extraire des informations dynamiques des données ULM.

Traquer les microbulles ne sert pas seulement à localiser les micro-vaisseaux, mais également à sonder l’activité fonctionnelle à l’échelle des micro-vaisseaux.

Tous ces développements technologiques donnent naissance à une nouvelle modalité d’imagerie à part entière : la microscopie de localisation ultrasonore fonctionnelle (fULM), une combinaison unique de trois avantages majeurs (la quantification non-invasive de l’activité cérébrale, à résolution microscopique, et à travers le cerveau entier, le tout intégré dans un échographe facile d’utilisation et à coût relativement bas).

La démonstration du concept fULM marque une avancée décisive en neuroimagerie, mais elle n’est qu’un premier pas vers un vaste domaine d’applications en neuroscience.

Chacune des millions de microbulles imagées lors d’une acquisition fULM est porteuse de quantités d’informations physiologiques et biologiques qui restent à explorer. Les scientifiques vont maintenant s’atteler à exploiter, traiter et disséquer ces énormes quantités de données pour les relier aux mécanismes impliqués dans les maladies cérébro-vasculaires et neurodégénératives.

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