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L’intensité de la douleur est contrôlée par l’horloge interne

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Selon les résultats de cette étude, l’intensité de la douleur varie sur 24 heures avec une intensité maximale ressentie entre 3 et 4 heures du matin. © Adobe Stock

Comme de très nombreuses fonctions de l’organisme, l’intensité de la douleur est contrôlée par l’horloge circadienne interne. C’est ce que vient de découvrir une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Inserm au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS). Elle montre qu’elle oscille sur 24 heures avec un pic la nuit et une baisse dans l’après-midi indépendamment de toute stimulation extérieure et du cycle veille-sommeil. Cette découverte pourrait aboutir à de nouvelles approches pour le traitement de la douleur. Ces travaux paraissent dans Brain.

Le niveau d’activité de nombreuses fonctions de l’organisme est régulé par une horloge interne calée sur un rythme d’environ 24 heures : le système veille/sommeil, la température corporelle, la pression artérielle, la production d’hormones, la fréquence cardiaque, mais aussi les capacités cognitives, l’humeur ou encore la mémoire. À cette longue liste, on peut désormais ajouter la douleur. L’équipe du chercheur Inserm Claude Gronfier au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, vient de montrer que c’est également son cas.

L’intensité de la douleur suit une courbe sinusoïdale sur 24 heures avec une intensité maximale entre 3 et 4 heures du matin et minimale autour de 15 et 16 heures l’après-midi, indépendamment du comportement et de tout facteur extérieur de l’environnement.

Pour le mettre en évidence, les chercheurs ont étudié douze jeunes adultes au laboratoire dans des conditions d’isolation temporelle et de constante routine. Ils les ont maintenus éveillés pendant 34 heures sans qu’aucun signal externe ni rythme environnemental ne leur parviennent : pas d’horaire, pas de repas à heure fixe mais une collation chaque heure, une température et une faible luminosité constantes, pas de changement de posture (position semi-allongée) et pas de rythme d’activité/repos. L’objectif était d’évaluer si la perception douloureuse était rythmique dans ces conditions, afin de pouvoir conclure qu’elle était contrôlée par l’horloge interne.  

Dans cette situation, les chercheurs ont exposé l’avant-bras des participants à une source de chaleur toutes les deux heures. D’une part les participants devaient indiquer quand le stimulus devenait douloureux lors de l’augmentation de la température, et d’autre part, ils devaient évaluer l’intensité de la douleur sur une échelle de 1 à 10 lors de l’application d’une température de 42, 44 ou 46 degrés Celsius. Deux approches complémentaires destinées à vérifier la concordance des résultats.

Une variation sur 24 heures

Les chercheurs ont observé chez tous les sujets une rythmicité de la sensation douloureuse, au cours des 24 heures. « Les résultats sont très homogènes avec une association extrêmement significative », explique Claude Gronfier. En outre, ils ont constaté, comme le clamaient de précédents travaux sans l’avoir démontré, que la sensibilité à la douleur augmentait de façon linéaire avec la dette de sommeil : plus la dette de sommeil est importante, plus l’intensité de la douleur ressentie l’est également.  « Il est souvent dit que le sommeil a une action antalgique. Mais en modélisant mathématiquement nos résultats, nous montrons que l’horloge interne est responsable de 80 % de la variation de la sensation douloureuse au cours de 24 heures, contre seulement 20 % pour le sommeil », clarifie-t-il.

Cette variation circadienne de la douleur a certainement une utilité physiologique selon Claude Gronfier. « On ne sait pas pourquoi la sensibilité est maximale au milieu de la nuit. On peut penser que l’évolution a mis cela en place afin d’être réveillé rapidement en cas de contact douloureux et d’éviter une menace vitale. Pendant la journée, l’individu est conscient de l’environnement et plus facilement sujet aux blessures ; ce signal d’alerte pourrait donc être moins nécessaire. » Cette découverte s’intègre dans le concept de la médecine personnalisée, et plus exactement de la médecine circadienne. Celle-ci est en train d’émerger et tient compte des rythmes biologiques dans la prise en charge des patients.

« D’après ces résultats, il est légitime de penser qu’améliorer la synchronisation des rythmes biologiques et/ou la qualité du sommeil chez des individus souffrant de douleurs chroniques pourrait participer à une meilleure prise en charge thérapeutique, estime Claude Gronfier. En outre, tout comme la chronothérapeutique du cancer a fait ses preuves avec une meilleure efficacité et une toxicité réduite en cas d’administration des médicaments à certains moments de la journée, adapter un traitement antalgique selon le même procédé en tenant compte du rythme biologique de chaque individu, pourrait accroître son efficacité tout en réduisant la dose nécessaire et les potentiels effets indésirables. Mais cette hypothèse reste à valider par des essais cliniques avant de pouvoir proposer cette approche chronobiologique aux patients », prévient-il.

Questionner l’application universelle des tests neurocognitifs

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Les interactions humaines sont permises par un ensemble de mécanismes neurocognitifs définis par la notion de « cognition sociale ». © Ryoji Iwata /Unsplash

Les interactions humaines sont permises par un ensemble de mécanismes neurocognitifs définis par la notion de « cognition sociale ». Afin de détecter les patients atteints de troubles de la cognition sociale, les spécialistes utilisent des tests d’évaluation validés internationalement. Or, ces tests sont pour la plupart développés dans des pays occidentaux industrialisés, ce qui peut questionner la pertinence de les généraliser à l’ensemble de l’humanité. Une équipe de recherche de l’Inserm, du CHU Lille et de l’Université de Lille au sein du laboratoire Lille Neuroscience & cognition s’est intéressée à l’impact des différences culturelles sur les performances à deux des tests neurocognitifs les plus utilisés à travers le monde, en comparant les résultats de presque 600 participants sains à travers 12 pays. Leur étude, à paraître dans Neuropsychology, pointe des différences notables de performances d’un pays à l’autre et invite à prendre davantage en compte les sciences sociales dans le développement des tests neurocognitifs.

La notion de « cognition sociale » désigne l’ensemble des processus cognitifs (perception, mémorisation, raisonnement, émotion…) qui interviennent dans les interactions sociales. Les troubles de la cognition sociale se retrouvent dans de nombreuses maladies comme la schizophrénie ou la maladie de Parkinson, et dans les troubles neurodéveloppementaux comme l’autisme. Ils sont à l’origine de difficultés interpersonnelles très incapacitantes qui impactent fortement la vie des patients et de leur entourage. Par conséquent, la détection, la qualité de l’évaluation et le traitement de ces troubles représentent un enjeu majeur pour les spécialistes en santé mentale.

Pour évaluer les capacités de cognition sociale et diagnostiquer un éventuel trouble, il existe des tests utilisés internationalement, qui mesurent ce qu’on appelle les « fonctions cognitives », c’est-à-dire les capacités qui nous permettent d’interagir efficacement avec d’autres personnes.

Or, ces tests cognitifs de référence ont, pour la plupart, été développés dans des démocraties occidentales et industrialisées. Leurs « normes » sont par conséquent définies en grande majorité à partir de profils de personnes blanches, aisées et à haut niveau d’éducation. Dans la mesure où ces personnes ne constituent que 12 % de l’humanité, leur surreprésentation dans le développement des tests neuropsychologiques questionne la pertinence de l’application de ces derniers à d’autres populations.

Une équipe de recherche dirigée par le chercheur Inserm Maxime Bertoux au sein du laboratoire Lille Neuroscience & cognition (Inserm/CHU Lille/Université de Lille) a cherché à déterminer si les différences culturelles ont un impact notable sur les résultats aux tests de cognition sociale les plus couramment utilisés. Pour cela, les chercheurs et chercheuses ont réalisé une vaste étude internationale sur 587 participants sains, de 18 à 89 ans, à travers 12 pays (Allemagne, Angleterre, Argentine, Brésil, Canada, Chili, Chine, Colombie, Espagne, France, Italie, Russie). Des neuropsychologues ont soumis les participants à deux types de tests évaluant des capacités considérées comme primordiales dans la cognition sociale.

Le premier, créé au Royaume-Uni, a pour objectif d’évaluer la capacité à décoder les règles sociales et à comprendre l’état mental d’un interlocuteur en demandant aux participants d’identifier dans divers petits scénarii, si l’un des protagonistes commet un « faux pas » social (par exemple, confondre un client avec un serveur dans un restaurant). Le second test, créé aux États-Unis, évalue la capacité à reconnaître les émotions exprimées par le visage d’un interlocuteur, en demandant aux participants d’identifier diverses expressions faciales sur des photographies.

Les résultats de l’étude montrent qu’une part importante des écarts de performance à ces deux tests (environ un quart pour le test du faux pas et plus de 20 % pour le test de reconnaissance des émotions) est à attribuer aux différences de nationalité entre les participants.

Les meilleures performances au test des faux pas sont obtenues par les participants anglais, sans que la traduction littérale de l’anglais vers la langue d’origine des autres participants n’ait d’impact sur les résultats.

Par exemple, 100 % des participants anglais considèrent comme un faux pas de confondre un client et un serveur dans un restaurant contre seulement 65 % des participants canadiens. Ou encore, alors que 100 % des participants anglais considèrent qu’il est normal de céder sa place dans un bus à une personne âgée, 21 % des participants chinois considèrent qu’il s’agit d’un faux pas.

Dans les résultats au test de reconnaissance des expressions faciales émotionnelles, la comparaison entre les pays révèle que certaines émotions ne sont pas identifiées de manière consensuelle par tous les participants : si les expressions positives comme la joie, sont interprétées sans ambiguïté d’un pays à l’autre, l’interprétation des émotions négatives est beaucoup plus variable. Par exemple, la peur est confondue avec la surprise par la majorité des participants canadiens et brésiliens tandis qu’anglais et argentins n’ont quasiment aucune difficulté à les différencier.

« Cette étude montre que les facteurs individuels et culturels impactent fortement les mesures de cognition sociale, déclare Maxime Bertoux. Au-delà de l’effet de l’âge, du genre et de l’éducation, il y a une influence des concepts locaux, des normes et des habitudes sur la catégorisation des émotions, l’identification des intentions et la compréhension du comportement d’autres personnes. » Ainsi, l’utilisation de tests conçus par des scientifiques américains ou anglais, blancs et aisés, favoriserait la performance des participants issus du même pays, de la même culture et du même niveau social.

« Bien sûr, cela ne veut pas dire que les habitants d’un pays sont meilleurs ou moins bons que ceux d’un autre, précise le chercheur. Notre étude montre qu’un test créé dans un contexte particulier favorise les personnes qui sont familières avec ce contexte. Par exemple, identifier un faux pas requiert de détecter qu’une règle sociale implicite a été brisée, or, les règles sociales fluctuent d’un pays à l’autre. »

Ces résultats questionnent donc l’applicabilité internationale d’un test neuropsychologique conçu et validé dans un pays en particulier pour l’évaluation et le diagnostic des troubles cognitifs. 

Dans de prochaines études, l’équipe de recherche souhaiterait enrichir ses données en incluant davantage de participants et de pays – en particulier de régions du monde non représentées dans ces travaux, comme l’Afrique et le Moyen-Orient –, mais aussi en explorant les variations neurocognitives et culturelles au sein même de pays étendus comme la Chine ou le Canada. « Les neurosciences doivent interagir davantage avec les sciences sociales dans la connaissance et la prise en compte des diversités culturelles afin de construire une neuropsychologie plus rigoureuse, pertinente et inclusive », conclut Maxime Bertoux.

L’Inserm et le CNRS vont piloter un programme d’envergure sur la recherche en psychiatrie

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Les maladies psychiatriques constituent un enjeu majeur de santé publique. © Danie Franco/Unsplash

Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a annoncé le 18 juillet 2022 un effort inégalé pour la recherche en psychiatrie en dotant de 80 millions d’euros sur cinq ans, le programme PROPSY (Projet-programme en psychiatrie de précision) porté par l’Inserm et le CNRS dans le cadre des Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Avec ce programme de recherche ambitieux centré sur quatre des troubles psychiatriques les plus invalidants, l’Inserm et le CNRS ambitionnent de développer la psychiatrie de précision pour révolutionner le diagnostic de ces troubles et la prise en charge des patients.

Porté conjointement par l’Inserm et le CNRS, le projet s’appuiera sur des partenaires aux compétences reconnues et complémentaires tels que la Fondation FondaMental, le CEA, Sorbonne Université, l’Université de Bordeaux, l’Université de Lille, l’Université de Paris et l’Université Paris Est Créteil.

Les maladies psychiatriques constituent un enjeu majeur de santé publique. 20% des français en souffrent au quotidien, et avec eux très souvent, leurs proches. Ces maladies débutent tôt dans la vie, frappant souvent les jeunes adultes et sont tristement associées à une réduction de l’espérance de vie de 10 à 20 ans. Face aux diagnostics parfois long à être posés, il y a souvent peu d’options thérapeutiques avec des effets secondaires invalidants. A cela s’ajoute un impact socio-économique considérable. Des estimations récentes ont montré que les coûts directs et indirects ont atteint les 160 milliards d’euros en 2019, soit plus de 5% du PIB.

Face à ce double constat, il semblait impératif de mieux coordonner toutes les forces vives françaises de recherche en psychiatrie et d’accroitre le continuum entre la recherche et le soin : c’est ce que propose le projet PROPSY porté par l’Inserm et le CNRS qui vient d’être sélectionné pour bénéficier d’un financement de 80 millions d’euros sur cinq ans.

Centré sur quatre des troubles les plus invalidants, le trouble bipolaire, les troubles dépressifs majeurs, la schizophrénie et les troubles du spectre de l’autisme, ce PEPR exploratoire ouvre le champ de la médecine de précision en psychiatrie.

Ceci permettra d’apporter le meilleur traitement à chaque patient. Pour atteindre cette ambition, les défis sont multiples :

  • Mieux comprendre les causes et mécanismes à l’origine des pathologies mentales ;
  • Découvrir des marqueurs pronostiques de ces troubles et identifier des sous-groupes homogènes de patients ;
  • Développer des stratégies thérapeutiques ciblées allant de la e-santé aux immuno-modulateurs, à la stimulation cérébrale ou aux biothérapies ;
  • Réduire la stigmatisation et les fausses représentations ;
  • Soutenir le développement d’une filière biomédicale française en santé mentale incluant pharma, medtech et digital, par des partenariats public-privé ;
  • Créer une nouvelle génération de scientifiques et de soignants en psychiatrie en renouvelant l’approche de ces maladies et grâce à des actions de formation.

Sélectionné dans le cadre de l’appel à Programmes et équipements prioritaires de recherche, PROPSY comprend le financement de projets déjà identifiés tels la cohorte longitudinale, intitulée « French Minds » constituée de 3 000 patients adultes qui seront évalués de manière exhaustive sur le plan clinique, comportemental, environnemental, et à l’aide d’outils numériques, de marqueurs biologiques et d’imagerie cérébrale, mais aussi des appels ouverts.

« Nous sommes fiers que notre programme de recherche ait été retenu par le Gouvernement », confient Gilles Bloch, PDG de l’Inserm et Marion Leboyer, grand Prix Inserm 2021, directrice générale de la Fondation FondaMental et pilote scientifique du projet. « Alors que la santé mentale s’est dégradée avec la crise sanitaire (+ 30 % de dépressions), c’est une décision extrêmement importante et porteuse d’espoir pour des millions de patients, de leurs familles, et aussi des chercheurs et des soignants. »

 

 « Au bénéfice d’un meilleur accompagnement des patients, le PEPR PROPSY permet de conjuguer les forces de la recherche et du soin, afin de répondre aux défis de santé publique liés aux troubles psychiatriques », ajoute Antoine Petit, le président-directeur général du CNRS.

Le cervelet, une région du cerveau clé pour la socialisation

Cette image du cervelet d’une souris exprimant une protéine fluorescente dans les cellules de Purkinje exprimant les récepteurs à la dopamine D2. © Emmanuel Valjent, Institut de Génomique Fonctionnelle (Montpellier).

 

Situé à l’arrière du crâne, le cervelet est une région du cerveau essentielle au contrôle de la fonction motrice, mais il contribue également aux fonctions cognitives supérieures, notamment aux comportements sociaux. Dans une étude récente, un consortium de recherche international comprenant des scientifiques de l’Inserm, de l’Université de Montpellier, du CNRS, de l’Institut de Neurociències Universitat Autònoma de Barcelone (INc-UAB) (Espagne) et de l’Université de Lausanne (Suisse) a découvert comment l’action d’un neurotransmetteur dans le cervelet, la dopamine, module les comportements sociaux via une action sur des récepteurs à dopamine spécifiques appelés D2R. En utilisant différents modèles de souris et des outils génétiques, les chercheurs et chercheuses montrent que des changements dans les niveaux de D2R, dans un type spécifique de cellules du cervelet, modifient la sociabilité et la préférence pour la nouveauté sociale, sans pour autant affecter les fonctions motrices. Ces résultats, publiés dans le journal Nature Neurosciences, ouvrent la voie à une meilleure compréhension de certains troubles psychiatriques liés à la sociabilité, comme les troubles du spectre autistique (TSA), les troubles bipolaires ou la schizophrénie.

La dopamine (DA) est le neurotransmetteur clef dans le système de récompense du cerveau, impliquée dans le contrôle de la motivation, des états émotionnels et des interactions sociales. La régulation de ces processus repose en grande partie sur l’activation de circuits neuronaux intégrés dans les régions limbiques. Cependant, des preuves récentes indiquent que le cervelet, une région classiquement associée au contrôle moteur, peut également contribuer aux fonctions cognitives supérieures, y compris les comportements sociaux.

Pour aller plus loin et mieux comprendre le rôle du cervelet, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’Université de Montpellier, du CNRS, de l’Institut de Neurociències UAB (Espagne) et de l’Université de Lausanne (Suisse) ont mis en évidence un nouveau rôle de la dopamine au niveau du cervelet, montrant qu’elle module les comportements sociaux chez la souris.

En combinant une analyse transcriptomique[1] spécifique au type de cellule, des analyses par immunofluorescence et de l’imagerie 3D, les chercheurs ont d’abord démontré la présence d’un type particulier de récepteurs de la dopamine (nommé D2R) dans les principaux neurones de sortie du cervelet, les cellules de Purkinje. Grâce à des enregistrements de l’activité neuronale, ils ont pu montrer que les D2R modulaient l’excitation des cellules de Purkinje.

« Cette première série de résultats était déjà déterminante pour nous, car elle dévoilait que les D2R étaient bien présents dans le cervelet, ce qui n’était pas clair jusqu’à ce jour, et que, malgré leur faible niveau d’expression, ils étaient fonctionnels », souligne Emmanuel Valjent, directeur de recherche à l’Inserm et coordinateur de l’étude.

Comprendre le rôle de la dopamine dans le cervelet

Les chercheurs se sont ensuite intéressés à la fonction de ces récepteurs D2R au sein de ces neurones du le cervelet. En utilisant des approches génétiques permettant de réduire ou d’augmenter la quantité des récepteurs D2R sélectivement dans les cellules de Purkinje, ils ont analysé l’impact de ces altérations sur les fonctions motrices et non motrices du cervelet.

Les scientifiques ont ainsi montré qu’il existe une association entre la quantité de D2R qui sont exprimés dans les cellules de Purkinje et la modulation des comportements sociaux.

« Réduire l’expression de ce récepteur spécifique de la dopamine a altéré la sociabilité des souris ainsi que leur préférence pour la nouveauté sociale, alors que leur coordination et leurs fonctions motrices n’ont pas été affectées » explique le Dr Laura Cutando, post doctorante à l’Inserm, aujourd’hui chercheuse à l’UAB, et première auteure de l’article.

Cette étude constitue un premier pas vers une meilleure compréhension du rôle de la dopamine dans le cervelet et des mécanismes sous-jacents aux troubles psychiatriques tels que la schizophrénie, le TDAH et les troubles anxieux, qui ont tous en commun une altération des niveaux de dopamine et des comportements sociaux altérés.

 

[1] La transcriptomique est l’analyse des ARN messagers transcrits dans une cellule, tissu ou organisme, permettant de quantifier l’expression des gènes.

Troubles du spectre de l’autisme : où en est la recherche ?

image de cerveau

Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA. © Adobe Stock

Les trouble du spectre de l’autisme (TSA) résultent de particularités du neuro-développement. Ils apparaissent au cours de la petite enfance et persistent à l’âge adulte. Environ 700 000 personnes en France seraient concernées. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement ciblant de façon spécifique l’autisme, pour améliorer les troubles du comportement ainsi que les altérations des interactions sociales associées. Les personnes peuvent toutefois avoir recours à des traitements pour d’éventuelles comorbidités comme les troubles du sommeil ou l’épilepsie. Dans les laboratoires de recherche, les efforts se poursuivent, non seulement pour identifier de nouvelles options thérapeutiques mais aussi pour améliorer le repérage précoce des TSA et leur prise en charge psychosociale tout au long de la vie.

L’autisme « typique », décrit par le pédopsychiatre Leo Kanner en 1943, est aujourd’hui intégré dans un ensemble plus vaste, celui des « troubles du spectre de l’autisme (TSA) ». Ce terme permet de rendre mieux compte de la diversité des situations. Ces troubles se caractérisent par :

  • des altérations des interactions sociales ;
  • des problèmes de communication (langage et communication non verbale) ;
  • des troubles du comportement : un répertoire d’intérêts et d’activités restreint et répétitif (stéréotypies : tendance à répéter les mêmes gestes, paroles ou comportements) ;
  • des réactions sensorielles inhabituelles.

En conséquence, certaines personnes présentent également des difficultés d’apprentissage. Les TSA peuvent également être associés à des comorbidités : troubles anxieux, problèmes de sommeil, déficits de la fonction motrice, épilepsie…

Au sein de cette grande diversité clinique, il est important de relever les « atouts » ou « talents » qui peuvent découler de ce développement cérébral atypique. Le développement de thérapeutiques doit donc cibler ce qui correspond aux plaintes des personnes tout en préservant leurs particularités.

Pour plus de détails lire le dossier de l’Inserm « Autisme » et celui de l’Université de Tours « En savoir plus sur l’autisme »

Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA, mais leurs causes demeurent encore assez mal comprises. Dans ce contexte, la recherche thérapeutique avance difficilement.

On peut citer l’exemple de plusieurs essais cliniques récemment abandonnés, en raison de résultats jugés peu concluants – alors que les molécules étudiées avaient au départ généré beaucoup d’espoirs.

 

  • La première étude, un essai de phase III contrôlé et randomisé visait à tester l’efficacité d’une molécule appelée balovaptan sur les capacités de socialisation et de communication d’adultes atteints de TSA. Les résultats, publiés dans The Lancet Psychiatry montrent que le traitement n’a pas eu d’effet probant sur ces deux aspects.

 

  • Dans le deuxième cas, des enfants et des adolescents avaient reçu de l’ocytocine par voie intranasale. Dans l’étude publiée dans le New England Journal of Medicine, les résultats suggèrent que ce traitement n’a pas d’impact significatif sur les interactions sociales et le fonctionnement cognitif dans le groupe traité, par rapport au groupe contrôle qui recevait un placebo.

 

Dès lors, comment faire avancer la science et identifier de nouvelles molécules qui pourraient avoir des effets bénéfiques sur les TSA ? D’autres pistes thérapeutiques sont-elles à l’étude ? Au-delà des essais cliniques, quels sont aujourd’hui les enjeux prioritaires de la recherche dans ce domaine ?

 

  1. Les ions bromures, des résultats prometteurs

Une nouvelle étude, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Inrae et de l’université de Tours, publiée très récemment dans le journal Neuropsychopharmacology, apporte des résultats prometteurs sur un médicament qui a beaucoup été utilisé dans le traitement de l’épilepsie : les ions bromures. Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments pour les patients épileptiques, son usage a diminué, mais il s’agit encore d’un outil thérapeutique intéressant, notamment en cas d’épilepsie résistante aux traitements classiques.

L’épilepsie est une comorbidité fréquemment retrouvée chez les personnes atteintes de TSA : il est probable que certains facteurs de risque et processus physiopathologiques soient communs. Les scientifiques ont donc estimé qu’il pouvait être intéressant d’étudier plus particulièrement l’efficacité de ce traitement dans le contexte des TSA.

 

Inhibition et excitation des neurones

 Dans le cerveau, le maintien d’un équilibre entre les phénomènes d’excitation et d’inhibition dans les circuits neuronaux est essentiel à son bon fonctionnement tout au long de la vie. On sait aujourd’hui que les déséquilibres entre excitation et inhibition des neurones sont à l’origine de nombreux troubles, en particulier de l’épilepsie. De même, certaines formes de TSA ont été associées à un dysfonctionnement des connexions neuronales inhibitrices.

Dans le cas de l’épilepsie, les ions bromures contribuent à corriger ce déséquilibre en favorisant l’inhibition, ce qui permet d’éviter les crises. L’hypothèse des scientifiques était donc qu’un effet similaire pouvait être attendu dans les cas de TSA, avec un impact clinique visible sur les comportements sociaux et stéréotypés.

 

Trois modèles de souris

L’équipe a donc testé ce traitement dans trois modèles précliniques de TSA. À chaque fois, les ions bromures ont eu un effet bénéfique sur le phénotype autistique, restaurant le comportement social et diminuant les comportements stéréotypés des animaux. Les ions bromures ont également permis de réduire leur anxiété.

Les résultats sont d’autant plus prometteurs que les tests ont été menés sur trois modèles de souris qui présentaient différentes mutations génétiques responsables du phénotype autistique.

« Le fait que des effets bénéfiques soient observés dans trois modèles différents permet d’être un peu plus confiant quant à la capacité du traitement à être généralisable à plusieurs sous-groupes d’individus autistes lors de futurs essais cliniques », soulignent Jérôme Becker, chercheur Inserm et Julie Le Merrer, chercheuse CNRS, derniers auteurs de l’étude.

 

Essai clinique à venir ?

Le projet a reçu un soutien important d’Inserm Transfert et de la cellule de Valorisation c-VALO[1]. Cela a abouti au dépôt de deux brevets, le premier sur la base des effets des ions bromures dans les trois modèles murins étudiés par les chercheurs, complété par un deuxième portant sur l’intérêt de combiner ce traitement avec une molécule facilitatrice de l’activité d’un récepteur à la surface des neurones (le récepteur au glutamate mGlu4), pour obtenir une synergie d’effets.

Toujours sur la base de ces résultats prometteurs, la prochaine étape sera de mettre sur pied un essai clinique sur un petit effectif de patients adultes.

 

2. D’autres enjeux prioritaires pour la recherche

Néanmoins, la recherche thérapeutique n’est pas le seul défi à relever pour améliorer le quotidien et la qualité de vie des personnes atteintes de TSA.

 

Identification précoce et interventions individualisées

Une priorité est de continuer à raccourcir les délais entre l’apparition des premiers signes évocateurs d’une trajectoire atypique et la mise en place d’interventions ciblées.

On sait désormais que plus ces signes sont identifiés tôt, dès les premières années de la vie, mieux on est capable d’accompagner et de prendre en charge les enfants et leurs familles. Identifier ces enfants de manière ultra-précoce, en s’intéressant par exemple à leur motricité dès le plus jeune âge ou à leur histoire pré- et périnatale, est à l’heure actuelle un axe de recherche intéressant.

Par ailleurs, continuer à proposer des prises en charge individualisées, reposant sur des équipes multidisciplinaires et sur des interventions dites « comportementales et développementales » comme le programme Denver ou la Thérapie d’échange et de développement (TED) a également un intérêt majeur pour accompagner de manière bénéfique le développement des enfants.

Lire le Grand angle du magazine de l’Inserm n° 45 : Autisme, un trouble aux multiples facettes

 

Accompagner le vieillissement

 Autre défi de taille : la prise en charge des adultes autistes, dans un contexte plus général de vieillissement de la population.

Il existe aujourd’hui une absence de continuum de prise en charge tout au long de la vie. Cependant, depuis plusieurs années, de nombreux programmes de recherche se mettent en place un peu partout dans le monde pour comprendre comment les personnes autistes vieillissent, si elles sont plus à risque de troubles neurodégénératifs et quelles interventions contribuent à augmenter leur qualité de vie et à lutter contre leur isolement social.

On peut également citer l’importance des programmes de réhabilitation psychosociale dédiés aux adultes avec TSA et qui visent notamment à travailler leurs compétences cognitives et à accompagner leur insertion professionnelle et sociale.

L’accès à ces programmes et, de manière plus générale, à la prise en charge, demeure toutefois inégalitaire sur le territoire. Selon les chercheurs, cet enjeu devra être pris en compte aussi bien par les équipes de recherche que par les décideurs publics afin d’offrir les mêmes opportunités et le meilleur accompagnement à toutes les personnes atteintes de TSA, à tous les âges de la vie.

[1] C-VaLo est une expérimentation complémentaire aux SATT régionales qui existe depuis 2019. Il s’agit d’un nouveau dispositif d’investissement public pour accélérer et simplifier le transfert des résultats de la recherche académique. Les membres de C-VaLo sont l’université d’Orléans, l’INSA Centre Val de Loire, le CNRS, l’Inserm, l’INRAE, le BRGM, le CHU de Tours, le Conseil Régional Centre-Val de Loire et l’université de Tours.

Le cervelet, une voie d’accès alternative pour traiter les mouvements involontaires provoqués par la maladie de Parkinson

 

Neurone du cervelet (en rouge) projetant vers le site de genèse des mouvements involontaires dans la maladie de Parkinson. La stimulation intermittente des terminaisons nerveuses (en vert) dans un modèle de Parkinson chez la souris prévient l’apparition de ces mouvements

Neurone du cervelet (en rouge) projetant vers le site de genèse des mouvements involontaires dans la maladie de Parkinson. La stimulation intermittente des terminaisons nerveuses (en vert) dans un modèle de Parkinson chez la souris prévient l’apparition de ces mouvements. © Daniela Popa/Inserm

Dans une nouvelle étude, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, de l’ENS-PSL et du Collège de France, sous la supervision de Clément Léna et Daniela Popa, directeur et directrice de recherche Inserm, montrent que des stimulations depuis la surface du cerveau, au niveau du cervelet, suffisent à supprimer les mouvements involontaires ou dyskinésies liés à la maladie de Parkinson. Ces travaux qui ont été menés chez la souris font l’objet d’une publication dans la revue Nature Communication.

Des scientifiques de l’Inserm et de l’ENS-PSL ont entrepris de tester une voie thérapeutique alternative pour traiter ces mouvements anormaux dans un modèle animal de la maladie de Parkinson. Ils ont administré des stimulations spécifiques des cellules de Purkinje du cervelet depuis la surface du cerveau, au niveau du cervelet, quelques dizaines de secondes par jour. Celles-ci se sont révélées capables de supprimer les mouvements anormaux. Mieux encore, ce traitement a normalisé l’activité des circuits moteurs, y compris au niveau du site de genèse présumée de ces dyskinésies, au sein des ganglions de la base.

En collaboration avec des chercheurs du Collège de France, les scientifiques ont montré que ce traitement met en jeu des mécanismes de plasticité, qui perdurent pendant plusieurs jours voire semaines.

Ces stimulations de la surface du cervelet, administrables de façon non invasive, fournissent une voie d’accès nouvelle pour le traitement d’affections profondes dans le cerveau.

Les mécanismes cellulaires des plasticités restent à être identifiés.

L’équipe cherche maintenant à mieux comprendre et à optimiser ces pratiques pour reproduire leurs effets bénéfiques chez les patients. Enfin, une dernière étude[1] conduite par la même équipe, en collaboration avec des chercheurs Inserm et de l’Institut du Fer à Moulin, montre un effet bénéfique de ce type de traitement dans la dystonie, une maladie rare qui produit des contractions involontaires.  

La maladie de Parkinson est une maladie neurodégénérative qui induit des symptômes moteurs sévères suite à la disparition dans le cerveau de certains neurones situés profondément dans le cerveau et qui produisent de la dopamine. Dans les premières années de la maladie, les symptômes sont efficacement traités par un médicament appelé le levodopa, qui compense le déficit en dopamine. Par la suite, ce traitement induit des effets secondaires invalidants sous la forme de mouvements involontaires. Ils sont générés dans la région cible des neurones libérant de la dopamine, qui est une région peu accessible, et dont la stimulation pour éviter les mouvements anormaux nécessite des approches chirurgicales invasives.

[1] Hind Baba Aïssa, Romain W Sala, Elena Laura Georgescu Margarint, Jimena Laura Frontera, Andrés Pablo Varani, Fabien Menardy, Assunta Pelosi, Denis Hervé, Clément Léna, Daniela Popa : « Functional abnormalities in the cerebello-thalamic pathways in a mouse model of DYT25 dystonia. »

Certains biais cognitifs contamineraient même nos mécanismes mentaux les plus simples

Enfants apprenant à écrire à l'école

©woodleywonderworks via Flickr

Lorsque nous mettons en œuvre des processus cognitifs complexes, par exemple lors de la prise de décisions, nous sommes soumis à des biais cognitifs. Mais qu’en est-il de processus plus simples comme ceux impliqués dans les apprentissages les plus élémentaires ? Dans une nouvelle étude analysant les données issues de l’ensemble des travaux existants sur le sujet, des chercheurs de l’Inserm et de l’ENS-PSL montrent que non seulement les biais d’optimisme et de confirmation sont présents même dans les processus cognitifs les plus simples, chez l’humain et chez l’animal, mais aussi que leur intégration dans des algorithmes d’apprentissage renforceraient leurs performances. Ces travaux, parus dans Trends in Cognitive Sciences suggèrent que ces biais pourraient être initialement un avantage évolutif très ancien.

Les biais cognitifs, tels que les biais d’optimisme et de confirmation, sont connus pour influencer nos croyances et nos décisions. Jusqu’à récemment, on supposait qu’ils étaient spécifiques aux processus cognitifs dits de « haut niveau », c’est-à-dire qui sont mis en œuvre lorsque que l’on raisonne sur des propositions complexes et incertaines.  Par exemple il est bien connu que les gens surestiment les probabilités des évènements désirables (la France gagne la coupe du monde) et sous-estiment celles des évènements indésirables (un mariage se termine en divorce).

Dans une étude publiée dans la revue scientifique Trends in Cognitive Sciences, Stefano Palminteri, chercheur Inserm au Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles de l’ENS-PSL et de l’Inserm et Maël Lebreton, chercheur à l’Ecole d’Economie de Paris, remettent en cause cette conception de l’implication des biais d’optimisme et de confirmation.

Les chercheurs se sont appuyés sur l’ensemble des données existantes dans la littérature scientifique sur l’apprentissage dit « par renforcement ». Il s’agit d’un processus cognitif élémentaire d’apprentissage par récompenses et punitions, que l’humain partage avec de nombreux animaux. Il ressort de cette revue de littérature que des tests très simples d’apprentissage par renforcement, permettent de mettre en évidence des signatures comportementales propres aux biais d’optimisme et de confirmation chez les personnes qui y sont soumises. Ces biais apparaissent comme beaucoup plus répandus qu’estimé jusqu’à aujourd’hui, et sont présents même dans les processus cognitifs les plus simples comme celui d’apprendre à prendre une bonne décision par essai et erreur (récompense et punition).

De plus, ces biais ne semblent pas exclusifs à l’être humain : les signatures comportementales apparaissent également dans des tests similaires chez l’animal. Cela suggère que ces biais auraient émergé dans l’évolution chez un ancêtre commun, bien avant l’apparition de Homo sapiens, ce qui soulève la question de savoir pourquoi l’évolution a sélectionné et maintenu ce qui peut être perçu, à première vue, comme des processus pouvant générer des comportements apparemment irrationnels.

Stefano Palminteri et Maël Lebreton pensent avoir identifié une partie de la réponse à cette question à travers les résultats d’études basées sur des simulations informatiques. Ces études ont comparé les performances d’algorithmes d’apprentissage par renforcement – certains algorithmes intégrant des biais d’optimisme et de confirmation et d’autres n’en intégrant pas. Ces simulations montrent que la présence d’un biais de confirmation dans l’algorithme lui permet en fait un apprentissage plus efficace dans une large gamme de situations. Ces biais pourraient donc, en réalité, favoriser la survie, ce qui expliquerait pourquoi ils n’ont pas été corrigés au cours de l’évolution.

L’article ouvre la voie à de nouvelles pistes de recherche qui permettraient d’affiner notre compréhension des biais et processus cognitifs liés à l’apprentissage par renforcement. Les chercheurs proposent notamment d’explorer le rôle de ces biais dans l’apparition et le maintien d’états pathologiques, tels que l’addiction ou la dépression. Sur un autre registre, ces résultats suggèrent que l’ajout de ces biais dans des algorithmes d’intelligence artificielle pourrait, paradoxalement, améliorer leurs performances.

Il existerait un lien entre la taille du réseau social et la structure du cerveau

Mère macaque toilettant son jeune singe.

Mère macaque toilettant son jeune singe. Cette image illustre la façon dont les macaques établissent des relations avec leurs compagnons. © Noah Snyder-Mackler

Plus nos relations sociales seraient nombreuses, plus certaines structures de notre cerveau seraient développées. Telle est l’hypothèse au cœur de plusieurs travaux de recherche en neurosciences depuis plusieurs années. De précédents résultats ayant mis en avant le rôle de notre environnement social en tant que l’un des facteurs clés à l’origine de l’expansion du cortex cérébral, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université Lyon Claude Bernard Lyon 1, en collaboration avec l’université de Pennsylvanie, ont fait un pas supplémentaire pour mieux comprendre ce lien. Ils se sont intéressés plus spécifiquement à une espèce de macaques dont l’architecture du cerveau est comparable à celle de l’Homme. En observant les animaux dans leur état naturel et en analysant des images de leurs cerveaux, ils ont découvert que le nombre de compagnons de ce primate non-humain permettait de prédire la taille de certaines zones de son cerveau, qui sont notamment associées à la cognition sociale et l’empathie. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Science Advances.

Les liens entre le réseau social et la taille du cerveau ont fait l’objet de précédentes études dans le domaine des neurosciences. Des scientifiques se sont par exemple déjà intéressés à la variation de la taille de l’amygdale du cerveau humain, en fonction du nombre d’amis Facebook que possède un individu[1].

Pour compléter ces recherches et essayer de mieux comprendre l’organisation et les fonctions des réseaux neuronaux chez l’Homme, des équipes ont travaillé avec une espèce animale aux caractéristiques cérébrales proches de celles de l’humain, à savoir les macaques rhésus.

Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université Claude Bernard Lyon 1 au sein de l’Institut cellule souche et cerveau, en collaboration avec l’université de Pennsylvanie, ont étudié un groupe de ces primates non-humains dans leur état naturel et pendant plusieurs mois avant d’imager leur cerveau. Le fait d’étudier les animaux en liberté leur a permis d’appréhender le groupe social dans toute sa complexité. Les scientifiques ont ainsi pu mesurer l’intensité[2] des interactions avec les autres individus ou encore d’identifier la position hiérarchique sociale de l’animal au sein du groupe.

Une partie des observations a porté par exemple sur les partenaires de toilettage, qui représentent des relations directes et importantes pour les macaques.

En parallèle de ce travail d’observation comportementale, les scientifiques ont analysé les scanners cérébraux des individus du groupe, qui était composé de 103 macaques rhésus dont 68 adultes et 21 jeunes macaques âgés de moins de 6 ans.

Ils ont découvert que, chez l’adulte, plus l’animal avait un nombre important de compagnons, plus certaines régions de son cerveau situées dans le lobe temporal étaient de taille importante.

Il s’agit de l’insula antérieur et de la partie médiane du Sillon temporal Supérieur[3] – des régions considérées primordiales pour se représenter les émotions et la perception des comportements d’autrui.

Pour mieux comprendre comment ce phénomène se met en place, les scientifiques ont également pu recueillir les scanners cérébraux de 21 jeunes macaques âgés de moins de 6 ans.  Les travaux ont montré qu’ils ne sont pas nés avec ces différences de taille des structures cérébrale mais qu’elles se mettent en place au cours de leur développement.

D’après les observations des chercheurs, il n’y aurait donc à la naissance aucune corrélation entre la taille du réseau social et le volume du cerveau. Ces résultats suggèrent que l’exposition à l’environnement social au cours de la vie participe à la maturation des réseaux cérébraux.

« Cet aspect est intéressant, car si nous avions observé la même corrélation chez les jeunes macaques, cela aurait pu signifier que naître d’une mère très populaire (ayant beaucoup d’interactions avec le groupe), aurait pu prédisposer le nouveau-né à devenir à son tour populaire. Au contraire, nos données suggèrent que les différences que nous observons chez l’adulte serait fortement déterminée par nos environnements sociaux, peut-être plus que par notre prédisposition innée », explique Jérôme Sallet, directeur de recherche à l’Inserm.

À la suite de cette étude, les chercheurs souhaitent désormais étudier les changements anatomiques au niveau cellulaire, afin de révéler les mécanismes en œuvre lors de l’augmentation de la taille des zones du cerveau identifiées à l’aide d’imagerie cérébrale.

 

[1] Kanai R., Bahrami B., Roylance R. and Rees G. 2012. Online social network size is reflected in human brain structure, Proc. R. Soc. B.

[2] Les chercheurs ont mesuré le nombre d’interactions des animaux, leur durée et si ces interactions étaient coopératives ou agressives.

[3] La partie médiane du Sillon temporal Supérieur est impliquée dans la perception et la cognition sociale. 

Décryptage d’un dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau

Schéma montrant le dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau

© Institut Pasteur / Pascal Marseaud

 

Des produits dérivés du microbiote intestinal se retrouvent dans la circulation sanguine et modulent les processus physiologiques de l’hôte, tels que l’immunité, le métabolisme et les fonctions cérébrales. Des scientifiques de l’Institut Pasteur (organisme de recherche partenaire d’Université Paris Cité), de l’Inserm et du CNRS ont découvert dans un modèle animal que des neurones de l’hypothalamus détectent directement les variations de l’activité bactérienne et adaptent l’appétit et la température corporelle en conséquence. Ces résultats montrent l’existence d’un dialogue direct entre le microbiote intestinal et le cerveau, une découverte qui pourrait être exploitée pour de nouvelles approches thérapeutiques contre les troubles métaboliques, tels que le diabète ou l’obésité. Ces résultats seront publiés dans Science le 15 avril 2022.

Le microbiote intestinal constitue le plus grand réservoir de bactéries de l’organisme. De plus en plus de travaux montrent combien l’hôte et son microbiote intestinal sont dépendants l’un de l’autre, et soulignent l’importance de l’axe intestin-cerveau.

A l’Institut Pasteur, des neurobiologistes de l’unité Perception et mémoire (Institut Pasteur/CNRS)[1], des immunobiologistes de l’unité Microenvironnement et immunité (Institut Pasteur/Inserm), et des microbiologistes de l’unité Biologie et génétique de la paroi bactérienne (Institut Pasteur/CNRS/Inserm)[2] ont mis en commun leurs expertises pour comprendre comment les bactéries de l’intestin peuvent avoir un effet direct sur l’activité de certains neurones du cerveau.

Les scientifiques se sont intéressés particulièrement au récepteur NOD2 (Nucleotide Oligomerization Domain) qui est présent à l’intérieur des cellules, en particulier des cellules immunitaires. Ce récepteur détecte la présence de muropeptides, des composés des parois bactériennes, qui peuvent être considérés comme les produits dérivés du microbiote intestinal.

Par ailleurs, il était déjà connu que des variants du gène codant pour le récepteur NOD2 sont associés à certaines maladies du système digestif, telles que la maladie de Crohn, mais aussi à certaines maladies neurologiques ou troubles de l’humeur.

 

Ces données ne permettaient pas encore de conclure à un rapport direct entre le fonctionnement des neurones du cerveau et l’activité bactérienne de l’intestin. C’est ce qu’a mis en lumière dans cette nouvelle étude le consortium de scientifiques.

Grâce à des techniques d’imagerie cérébrale, les scientifiques ont tout d’abord observé, chez la souris, que le récepteur NOD2 est exprimé par des neurones de différentes régions du cerveau, et en particulier dans un centre nommé l’hypothalamus. Ils ont ensuite découvert que ces mêmes neurones voient leur activité électrique réprimée lorsqu’ils rencontrent des muropeptides bactériens issus de l’intestin. Les muropeptides sont libérés par les bactéries lorsqu’elles prolifèrent. « Les muropeptides présents dans l’intestin, le sang et le cerveau sont considérés comme les marqueurs de la prolifération bactérienne », explique Ivo G. Boneca, responsable de l’unité Biologie et génétique de la paroi bactérienne à l’Institut Pasteur (CNRS/Inserm).

À l’inverse, dans le cas où le récepteur NOD2 est défaillant, ces neurones ne sont plus réprimés par les muropeptides ; le cerveau perd alors le contrôle de la prise alimentaire et de la température corporelle.

En conséquence, les souris prennent du poids et sont plus susceptibles à développer un diabète de type 2, en particulier chez les femelles âgées.

Chose étonnante, les scientifiques ont montré ici que ce sont les neurones qui perçoivent directement les muropeptides bactériens, alors que cette tâche est généralement dévolue aux cellules du système immunitaire. « Il est stupéfiant de découvrir que des fragments bactériens agissent directement sur un centre nerveux aussi stratégique que l’hypothalamus, connu pour gérer des fonctions vitales comme la température corporelle, la reproduction, la faim, ou la soif » commente Pierre-Marie Lledo, chercheur CNRS et responsable de l’unité Perception et mémoire à l’Institut Pasteur.

Ainsi, les neurones semblent détecter l’activité bactérienne (la prolifération et la mort) pour mesurer directement l’impact de la prise alimentaire sur l’écosystème intestinal. « Il est possible qu’une prise alimentaire excessive ou un aliment particulier favorise l’expansion exagérée de certaines bactéries ou de pathogènes, et mette ainsi en danger l’équilibre intestinal », souligne Gérard Eberl, responsable de l’unité Microenvironnement et immunité à l’Institut Pasteur (Inserm).

Étant donné l’impact des muropeptides sur les neurones de l’hypothalamus et le métabolisme, on peut s’interroger sur leur rôle dans d’autres fonctions du cerveau, et ainsi comprendre l’association entre certaines maladies du cerveau et les variants génétiques de NOD2. Cette découverte ouvre la voie à de nouveaux projets interdisciplinaires pour les trois équipes de recherche et à terme, à de nouvelles approches thérapeutiques contre les maladies du cerveau, ou les maladies métaboliques comme le diabète et l’obésité.

 

[1] Unité de recherche portant aussi le nom de « Gènes, synapses et cognition » (Institut Pasteur/CNRS).
A également participé à ces résultats, l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (CNRS/Inserm/Sorbonne Université/AP-HP).

[2] Autre nom de l’unité CNRS : « Microbiologie intégrative et moléculaire », autre nom de l’unité Inserm : « Interactions hôte-microbes et pathophysiologie » (Institut Pasteur/CNRS/Inserm).

Maladie d’Alzheimer : 75 facteurs de risques génétiques identifiés pour mieux comprendre la pathologie

Alzheimer

Dans la maladie d’Alzheimer, deux phénomènes pathologiques cérébraux ont déjà bien été documentés : l’accumulation de peptides béta-amyloïdes et la modification de Tau, une protéine, qui se retrouve sous la forme d’agrégats dans les neurones. © NIH/domaine public

L’identification des facteurs de risques génétiques de la maladie d’Alzheimer est un enjeu de recherche crucial pour mieux comprendre la pathologie et mieux la traiter.  Les progrès de l’analyse du génome humain, couplés à la mise en place de grandes études d’associations pangénomiques[1] permettent aujourd’hui des avancées importantes dans le domaine. Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’Institut Pasteur de Lille, du CHU de Lille et de l’Université de Lille au sein du laboratoire U1167 « Facteurs de risque et déterminant moléculaires des maladies liées au vieillissement » – en collaboration avec des équipes européennes, américaines et australiennes – ont ainsi identifié 75 régions du génome associées à la maladie d’Alzheimer. Parmi elles, 42 sont nouvelles, n’ayant encore jamais été impliquées dans la maladie. Les résultats, publiés dans la revue Nature Genetics, renforcent nos connaissances des mécanismes biologiques impliqués dans la pathologie et permettent d’envisager de nouvelles pistes de traitement et de diagnostic.

La maladie d’Alzheimer est la plus fréquente des démences, touchant environ 1 200 000 personnes en France. Il s’agit d’une pathologie multifactorielle complexe, qui apparaît généralement après 65 ans et pour laquelle il existe une forte composante génétique. La majorité des cas serait causée par l’interaction de différents facteurs de prédispositions génétiques avec des facteurs environnementaux.

Si la maladie est de mieux en mieux comprise, il n’existe pour l’heure aucun traitement permettant de la guérir. Les médicaments disponibles visent surtout à freiner le déclin cognitif et à réduire certains troubles du comportement.

L’un des enjeux majeurs de la recherche est de mieux caractériser les facteurs de risque génétiques de la maladie, pour mieux comprendre ses origines en identifiant les processus physiopathologiques impliqués[2], et ainsi proposer de nouvelles cibles thérapeutiques.

Dans le cadre d’une collaboration internationale, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’Institut Pasteur de Lille, du CHU de Lille et de l’Université de Lille ont mené une étude d’association pangénomique (en anglais genome-wide association study, GWAS) sur le plus grand groupe de patients Alzheimer mis en place jusqu’ici[3], sous la coordination du directeur de recherche Inserm Jean-Charles Lambert.

Favorisées par les progrès de l’analyse du génome, ces études consistent à analyser l’intégralité du génome de dizaines de milliers, voire de centaines de milliers d’individus, sains ou malades, pour identifier des facteurs de risques génétiques associés à des traits spécifiques de la maladie.

Avec cette méthode, les scientifiques ont ici pu identifier 75 régions du génome (appelées locus), associées à Alzheimer, dont 42 n’avaient jusqu’ici pas été impliquées dans cette maladie. « Après cette découverte importante, la suite de notre travail a consisté à caractériser ces régions du génome que nous avions identifiées pour leur donner du sens par rapport à nos connaissances biologiques et cliniques, et donc mieux comprendre les mécanismes cellulaires et les processus pathologiques à l’œuvre », souligne Jean-Charles Lambert.

Mise en lumière des phénomènes pathologiques

Dans la maladie d’Alzheimer, deux phénomènes pathologiques cérébraux ont déjà bien été documentés : l’accumulation de peptides béta-amyloïdes et la modification de Tau, une protéine, qui se retrouve sous la forme d’agrégats dans les neurones.

Les scientifiques ont ici confirmé l’importance de ces processus pathologiques. En effet, leurs analyses des différentes régions du génome confirment que certaines sont impliquées dans la production des peptides amyloïdes et dans le fonctionnement de la protéine Tau.

Par ailleurs, ces analyses révèlent aussi qu’un dysfonctionnement de l’immunité innée et de l’action de la microglie (cellule immunitaire présente dans le système nerveux central qui joue un rôle « d’éboueur » en éliminant les substances toxiques) est à l’œuvre dans la maladie d’Alzheimer.

Enfin, cette étude montre pour la première fois l’implication dans la maladie de la voie de signalisation dépendante du facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha)[4].

Ces résultats permettent de confirmer et de renforcer nos connaissances des processus pathologiques impliqués dans la maladie, et d’ouvrir de nouvelles voies pour la recherche thérapeutique. Ils confirment par exemple l’intérêt de mener des essais cliniques sur des traitements ciblant la protéine précurseur de l’amyloïde, de poursuivre les travaux sur les cellules microgliales, initiés il y a quelques années mais aussi de cibler la voie de signalisation du TNF-alpha.

Score de risque

En s’appuyant sur leurs résultats, les chercheurs ont également construit un score de risque génétique qui permet de mieux évaluer qui, parmi les personnes souffrant de troubles cognitifs, évoluera vers une maladie d’Alzheimer, dans les trois ans après la mise en évidence clinique des troubles. « Cet outil n’est pour le moment pas du tout destiné à la pratique clinique, mais il pourrait être très utile dans la mise en place d’essais thérapeutiques pour catégoriser les participants selon leur risque et mieux évaluer l’intérêt des médicaments testés », explique Jean-Charles Lambert.

L’équipe souhaite désormais poursuivre ses travaux dans un groupe encore plus large pour valider et étendre leurs résultats. Au-delà de cette caractérisation exhaustive des facteurs génétiques de la maladie d’Alzheimer, l’équipe développe par ailleurs de nombreuses approches de biologies cellulaires et moléculaires pour déterminer leurs rôles dans le développement de la maladie.

Par ailleurs, les recherches génétiques ayant pour le moment principalement été menées sur des populations d’origines caucasiennes, l’un des enjeux à venir sera de pratiquer le même type d’études dans d’autres groupes pour déterminer si les facteurs de risque sont les mêmes d’une population à une autre, ce qui renforcerait leurs importances dans le processus physiopathologique.

 

[1] En anglais, on parle de genome-wide association study, GWAS. Ces études consistent à analyser l’intégralité du génome de milliers voire de dizaines de milliers d’individus, sains ou malades, pour identifier des facteurs de risques génétiques associés à des traits spécifiques de la maladie.

[2] L’ensemble des problèmes fonctionnels engendrés par une maladie ou une affection particulière.

[3] Les chercheurs se sont ici intéressés aux données génétiques de 111,326 personnes ayant reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer ou ayant des proches atteints par la maladie et 677,663 « contrôles » sains. Ces données sont issues de plusieurs grandes cohortes européennes regroupées au sein du consortium European Alzheimer & Dementia BioBank (EADB).

[4] Le facteur de nécrose tumorale alpha est une cytokine, protéine du système immunitaire impliquée dans la cascade de l’inflammation, en particulier dans les mécanismes lésionnels tissulaires.

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