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Prédire la rapidité de l’évolution de la maladie d’Alzheimer pour une meilleure prise en charge du patient : la recherche avance

Près d’un million de personnes sont atteints de la maladie d’Alzheimer en France ce qui en fait la maladie neurodégénérative la plus fréquente. Elle provoque amnésie mais également aphasie (perte de la faculté de s’exprimer), agnosie (troubles de la reconnaissance des visages, des objets, etc.) et apraxie (difficulté à effectuer certains gestes). Cependant, la rapidité de son développement clinique est extrêmement variable selon les personnes et aujourd’hui, il n’existe pas de marqueurs pronostics fiables pour prédire son évolution.

Les travaux de recherche du Pr Marie Sarazin, chef du service de Neurologie de la mémoire et du langage (GHU Paris, site Sainte-Anne) et directrice des travaux de recherche dans le laboratoire d’imagerie biomédicale multimodale BIOMAPS (Inserm/CNRS/CEA/Université Paris-Saclay) au sein du Service Hospitalier Frederic Joliot et du Dr Julien Lagarde, neurologue et chercheur dans l’équipe du Pr Marie Sarazin ont démontré que l’évolution de la maladie d’Alzheimer pouvait être anticipée grâce à une technique d’imagerie spécifique. Les résultats sont publiés dans le Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry.

La maladie d’Alzheimer : une évolution variable selon les patients qui complique une prise en charge adaptée

La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui se caractérise par l’accumulation anormale dans le cerveau de dépôts de protéine amyloïde à l’extérieur des cellules et de protéine tau anormale intraneuronale constituant les dégénérescences neuro-fibrillaires qui modifie le fonctionnement des neurones. Ces anomalies protéiques apparaissent des années avant la survenue des premiers symptômes de la maladie.

La répartition des lésions tau est corrélée aux symptômes cliniques. A ce jour, il n’existe pas de moyen fiable pour prédire l’évolution clinique de la maladie chez un patient donné. Certains la verront se déployer relativement lentement, alors que d’autres subiront une altération plus rapide de leurs fonctions cognitives, ce qui complique la prise en charge.

Trente-six patients suivis pendant 2 ans et des résultats très encourageants

Les équipes de recherche ont suivi 36 patients présentant une maladie d’Alzheimer au stade débutant. Ces derniers ont bénéficié d’un bilan clinique détaillé explorant les fonctions cognitives et d’un premier bilan de neuro-imagerie réalisé par IRM, pour mesurer l’atrophie cérébrale (conséquence fréquente de la maladie d’Alzheimer) et par Tomographie par Emission de Positons (TEP) une technique spécifique d’imagerie cérébrale qui permet de détecter in vivo l’accumulation des protéines anormales (tau et amyloïde) ainsi que leur répartition dans le cerveau.

Les patients ont ensuite été suivis pendant 2 ans avec des bilans cliniques annuels et une deuxième IRM à la fin du suivi.

Ce que l’on a découvert : Les résultats montrent que la quantité initiale de protéine tau accumulée est associée à l’évolution des troubles cognitifs et de l’atrophie cérébrale après 2 ans dans la maladie d’Alzheimer. En clair, l’intensité des dépôts de protéine Tau, observables grâce à l’imagerie TEP, prédisent l’évolution de la maladie.

De plus, les chercheurs ont constaté que pour chaque domaine cognitif considéré, les associations entre les quantités de protéine tau observées par imagerie TEP et l’évolution des troubles cognitifs prédominent dans les régions cérébrales qui leur sont classiquement associées : le lobe temporal gauche pour la mémoire épisodique verbale, les lobes pariétaux pour les fonctions instrumentales, et les lobes frontaux pour les fonctions exécutives.

Un résultat crucial pour améliorer la prise en charge des patients et identifier les malades à haut risque évolutif pour les essais thérapeutiques.

Ce résultat souligne l’importance de la protéine tau dans le mécanisme de la maladie d’Alzheimer, et sa valeur prédictive de l’évolution de la maladie.

Elle révèle également l’intérêt de l’imagerie TEP, qui permettrait aux équipes médicales de mieux anticiper l’évolution potentielle des troubles cognitifs et d’améliorer la prise en charge et l’accompagnement des patients en optimisant, par exemple, la conception des essais thérapeutiques en fonction de l’évolution attendue des troubles chez chaque patient.

Restaurer la conscience grâce à une stimulation profonde du cerveau : une piste pour la recherche sur le coma

©Adobe stock

Une équipe de de recherche associant des chercheurs en neurosciences et des cliniciens du CEA, de l’Hôpital Foch, de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, de l’Inserm et du Collège de France apporte la preuve que la stimulation cérébrale profonde (deep brain stimulation, DBS) peut rétablir la conscience lorsque celle-ci est altérée. Ce résultat, fruit de plus de 5 ans de travail mené chez l’animal, ouvrirait la voie à des essais cliniques chez les patients qui ne recouvrent pas la conscience et a fait l’objet d’une publication dans la revue Science Advances.

La conscience est un processus dynamique et complexe qui coordonne l’activité de différentes régions du cerveau, particulièrement le tronc cérébral, le thalamus et le cortex.

Il existe deux niveaux hiérarchiques de conscience. Le premier est celui de l’éveil, ou vigilance, caractérisé par l’ouverture sur le monde. Il correspond à l’activation de structures très profondes du cerveau nichées dans le tronc cérébral. Le deuxième est « l’accès conscient », caractérisé par la perception consciente de telle ou telle information. À chaque fois que nous prenons conscience d’une information, par exemple une note de musique, ce contenu de conscience est codé par l’activation simultanée de groupes de neurones distribués dans différentes aires du cortex (l’« écorce » plissée, composée de six couches de neurones, qui tapisse les deux hémisphères). Un lien a été établi entre la perte de conscience et une forte perturbation des communications entre les différentes aires du cortex cérébral, et entre le cortex et le thalamus, une région du cerveau à mi-chemin entre le tronc cérébral et le cortex.

Les études d’imagerie cérébrale suggèrent que le rétablissement de ces communications entre cortex et thalamus pourrait être la clé de la récupération des troubles chroniques de la conscience. Plusieurs équipes à travers le monde ont eu l’idée de les rétablir par des stimulations électriques.

Si de premiers résultats avaient déjà montré qu’une telle stimulation pouvait permettre de rétablir le premier niveau de conscience (l’état d’éveil), aucune n’avait pu démontrer si une telle stimulation pouvait aussi rétablir le deuxième niveau de conscience, « l’accès conscient ».

Et si le centre du thalamus était la bonne cible à stimuler pour rétablir les deux niveaux hiérarchiques d’une conscience altérée ? C’est l’hypothèse testée par l’équipe de recherche française à l’origine de ce travail publié dans Science Advances et associant le CEA, l’Hôpital Foch, l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, l’Inserm et le Collège de France.

La stimulation électrique du thalamus permet de restaurer une conscience perdue

Pour tester leur hypothèse, les chercheurs ont appliqué une anesthésie générale à un primate non-humain, et ce afin de supprimer les deux composantes de la conscience, à savoir l’éveil et l’accès conscient. Une électrode de stimulation cérébrale profonde, un dispositif équivalent à celui utilisé chez des patients atteints de la maladie de Parkinson avait préalablement été implanté chez ces animaux. Résultat : pendant l’anesthésie générale, la stimulation électrique de la partie centrale du thalamus a permis de réveiller les primates anesthésiés.

La stimulation électrique a induit immédiatement l’observation clinique de l’ouverture des yeux, la reprise d’une respiration spontanée, et des mouvements des membres. L’arrêt de la stimulation par la coupure du courant électrique a fait immédiatement replonger le primate dans un état de sédation profonde, celui de l’anesthésie générale. Cette expérience a ainsi pu démontrer dans un premier temps que la stimulation cérébrale profonde peut restaurer le premier niveau de la conscience.

Grâce à la technologie de l’imagerie cérébrale par IRM fonctionnelle et également d’un examen par électroencéphalographie, les chercheurs sont parvenus pour la première fois à mesurer finement, durant la stimulation du thalamus, les deux niveaux de la conscience (éveil et accès conscient). Ils ont observé de près les activations cérébrales de l’animal, pendant l’anesthésie et pendant les périodes de « réveil » induit par la stimulation. De plus, un casque permettait de faire écouter au primate une série de sons différents réalisant une composition complexe. Alors qu’il avait perdu sa capacité à intégrer la complexité de la composition sonore sous l’effet de l’anesthésie profonde, le cerveau a retrouvé cette capacité dès la mise en route de la stimulation cérébrale. Une analyse algorithmique appliquée au signal IRM fonctionnelle de repos (en dehors des périodes d’application des compositions sonores) a pu démontrer que la stimulation cérébrale ramenait au cerveau une richesse d’activité perdue sous anesthésie générale. Ainsi, la stimulation cérébrale du thalamus a pu restaurer les deux dimensions fondamentales et hiérarchiques de la conscience. Ce travail scientifique apporte une pièce maîtresse pour envisager de futurs essais cliniques chez les patients souffrant de troubles chroniques de la conscience.

Après un traumatisme crânien grave ou un accident vasculaire cérébral sévère, il arrive que des patients ne recouvrent jamais un état de conscience normal. Du coma initial soigné en réanimation, le patient passe à un état chronique de conscience altérée pour lequel il n’existe aucun traitement validé. L’espoir pourrait venir des neurosciences qui, depuis une vingtaine d’années, ont considérablement fait progresser la compréhension du phénomène neurobiologique de la conscience.

 

Ce travail a bénéficié du soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, de la Fondation pour la Recherche Médicale, de la Fondation de France, du Human Brain Project et du Collège de France.

La suggestion hypnotique éclairée par les neurosciences

Hypnose

© Photo Brent De RanterUnsplash


Dans les murs de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP où Charcot a exploré l’hypnose à la fin du XIXe siècle, une équipe de recherche associant des chercheurs et chercheuses de Sorbonne Université, de l’AP-HP, du CNRS et de l’Inserm1, et dirigée par le professeur Lionel Naccache, vient de rapporter une observation originale qui éclaire les mécanismes cérébraux et psychologiques de la suggestion hypnotique. Ce travail de recherche vient d’être publié dans la revue Frontiers in Neuroscience.

La suggestion hypnotique permet d’induire volontairement chez un individu des états mentaux conscients très variés, et elle peut être utilisée à la fois dans le cadre de la recherche sur la biologie de la conscience, et dans un cadre thérapeutique où elle peut, par exemple, diminuer l’expérience douloureuse associée à une intervention chirurgicale chez un sujet éveillé conscient.

Dans ce travail dont le premier auteur est l’étudiant en thèse de neurosciences et chercheur à l’Inserm Esteban Munoz-Musat, les auteurs ont induit une surdité transitoire chez une femme en bonne santé, tout en disséquant les étapes cérébrales de sa perception auditive à l’aide de la technique de l’électroencéphalographie (EEG) à haute densité qui permet de suivre la dynamique du fonctionnement cérébral à l’échelle fine du millième de seconde.

Les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale de la volontaire en situation normale et en situation de surdité hypnotique.

Ils avaient formulé les trois prédictions suivantes qui dérivent des mécanismes cérébraux connus de la perception auditive (voir encadré) et de la théorie de l’espace de travail neuronal global conscient élaborée depuis 2001 par Stanislas Dehaene, Jean-Pierre Changeux et Lionel Naccache:

1 – Les premières étapes corticales de la perception d’un stimulus auditif devraient être préservées durant la surdité hypnotique ;

2 – La surdité hypnotique devrait être associée à une disparition totale de la P300 qui signe l’entrée de l’information auditive dans l’espace neuronal global conscient ;

3 – Ce blocage devrait être associé à un mécanisme inhibiteur déclenché volontairement par l’individu qui accepte de suivre la consigne d’induction hypnotique.

De manière remarquable, les analyses détaillées et approfondies de l’activité cérébrale de cette volontaire ont permis de confirmer ces trois prédictions, et ont également mis en lumière l’implication probable d’une région du lobe frontal connue pour son rôle inhibiteur : le cortex cingulaire antérieur.

L’équipe de recherche a ensuite pu proposer un scénario cérébral précis du phénomène d’induction hypnotique qui affecte spécifiquement les étapes de la prise de conscience tout en préservant les premières étapes inconscientes de la perception.

Ce travail original apporte une preuve de concept importante et va être prolongé sur un groupe plus important d’individus.

Outre leur importance pour les théories biologiques de la conscience et de la subjectivité, ces résultats ouvrent également des perspectives thérapeutiques non seulement dans le champ de l’hypnose médicale, mais également dans le champ voisin des troubles neurologiques fonctionnels qui sont très fréquents (près de 20 % des urgences neurologiques), et dans lesquels les patients souffrent de symptômes invalidants.

Ces symptômes sont souvent sensibles à l’induction hypnotique, et semblent partager avec l’hypnose plusieurs facteurs clés.

Résumé de la physiologie de la perception auditive

La signification et la portée de ces résultats nécessite le rappel suivant : la perception auditive d’un stimulus extérieur débute dans l’oreille interne où les variations de pression de l’air induites par ce son sont converties en impulsions électriques, puis se poursuit dans les différents relais neuronaux des voies auditives avant de gagner le cortex auditif vers 15 millièmes de seconde. A partir de cette entrée en scène du cortex, la perception auditive enchaîne trois étapes sérielles principales que l’on peut identifier à l’aide des outils de neuro-imagerie fonctionnelle tel que l’EEG.

Premièrement, les régions auditives dites primaires construisent activement une carte mentale des caractéristiques acoustiques du son perçu. Cette première étape est identifiable notamment par une onde cérébrale (l’onde P1 qui survient moins de 100 millièmes de seconde après le son). Puis des régions auditives primaires et secondaires qui calculent en temps réel les régularités statistiques de la scène auditive à l’échelle de la seconde écoulée, – et qui anticipent donc quels devraient être les sons suivants -, détectent à quel point ce stimulus transgresse leurs prédictions.

Cette deuxième étape est identifiable par une onde cérébrale découverte vers la fin des années 1970 : la MMN (MisMatch Negativity) ou négativité de discordance (vers 120 et 200 millièmes de seconde). Enfin, vers 250-300 millièmes de secondes après le son, la représentation neuronale du stimulus auditif gagne un vaste réseau cérébral qui s’étend entre les régions antérieures (préfrontales) et postérieures (pariétales) du cerveau.

Cette troisième étape est identifiable par l’onde P300. Fait crucial, alors que les deux premières étapes corticales de la perception auditives opèrent de manière inconsciente, la P300 est la signature de la prise de conscience subjective de ce son qui devient alors rapportable à soi-même : « J’entends le son X ».

Nouvelles anomalies cérébrales associées à la maltraitance infantile

Immunomarquage de neurones à parvalbumine en vert entourés par des filets perineuronaux en rouge dans le cortex préfrontal humain. © Arnaud Tanti/Inserm

En collaboration avec une équipe canadienne, des scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Tours, au sein de l’unité 1253 Imagerie & Cerveau[1], ont montré sur des échantillons cérébraux post-mortem que les victimes de maltraitance infantile présentent des caractéristiques cérébrales particulières. Les équipes ont ainsi mis en évidence pour la première fois chez l’Homme, une augmentation du nombre et une maturation plus importante des filets perineuronaux, des structures protéiques denses entourant les neurones. Chez l’animal, ce phénomène régule la plasticité du cerveau en freinant le remodelage des réseaux neuronaux. Ce travail suggère que la maltraitance pourrait modifier durablement les trajectoires développementales de certaines régions cérébrales avec des effets potentiels sur la santé psychologique. L’étude est publiée dans le journal Molecular Psychiatry.

La maltraitance infantile a des effets sur le développement psychologique avec notamment un risque accru de dépression et de suicide au cours de la vie. Violences sexuelles, physiques ou encore négligence chronique pendant l’enfance ou l’adolescence sont suspectées d’entrainer des modifications structurelles et fonctionnelles durables sur le cerveau. C’est en effet au cours de ces périodes que les traits de personnalité, les modèles d’attachement, les fonctions cognitives et les réponses émotionnelles sont façonnés par ce que nous vivons, y compris les traumatismes.

Pour mieux comprendre les modifications neurobiologiques associées à la maltraitance infantile, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université de Tours, en collaboration avec l’université McGill University – Douglas Mental Health University Institute, à Montréal au Canada, se sont intéressés au cortex préfrontal ventromédian, une région cérébrale régulant les réponses émotionnelles. Ils ont tout particulièrement étudié les « filets périneuronaux », des structures particulièrement compactes et denses qui encerclent certains neurones, en particulier ceux à parvalbumine, dont l’action inhibitrice participe au contrôle de l’activité de larges ensembles de neurones.

Les filets périneuronaux apparaissent au cours de la petite enfance et se développent jusqu’à la fin de l’adolescence, augmentant en taille et en nombre. Chez l’animal, leur développement est une étape importante de la maturation cérébrale. Leur apparition marque en effet la fermeture de « périodes critiques » de plasticité pendant lesquelles le développement de la circuiterie neuronale peut être facilement modifiée par les expériences.

Les chercheurs estiment que ces filets périneuronaux pourraient jouer un rôle en cas de traumatisme pendant l’enfance, en figeant les réseaux neuronaux associés à ces souvenirs, prédisposant à des troubles dépressifs ou comportementaux par la suite.

Des filets périneuronaux plus denses

Pour étudier ces structures, les chercheurs ont analysé des coupes de cerveau post-mortem d’adultes (issus de dons de cerveau sur accord des familles), qui s’étaient suicidés au cours d’un épisode de dépression majeure. Sur les 28 sujets concernés, 12 sujets avaient eu une histoire lourde de maltraitance infantile. Ces coupes ont par ailleurs été comparées avec celles de sujets contrôles, décédés de mort naturelle et sans antécédent de maltraitance ou de maladie psychiatrique. Différents types d’analyses ont abouti à plusieurs observations.

Tout d’abord, chez les sujets maltraités au cours de l’enfance, les filets périneuronaux étaient plus denses et plus nombreux que ceux des autres individus. Ils présentaient en outre des caractéristiques de maturation plus importante, notamment un développement structurel accru autour des neurones à parvalbumine Enfin, les chercheurs ont montré que les cellules qui produisent les principales protéines qui composent les filets périneuronaux sont les progéniteurs d’oligodendrocytes, des cellules présentes partout dans le cerveau.

Les chercheurs vont maintenant préciser chez la souris, les conséquences de ces observations, notamment sur la persistance des souvenirs traumatiques liés à l’adversité précoce.

« Ces observations renforcent l’hypothèse d’une corrélation entre stress précoce et développement accru des filets périneuronaux. Reste à découvrir s’il existe un lien causal, c’est-à-dire si ces changements contribuent au développement de comportements associés à la maltraitance et de quelle façon. On pourrait peut-être à plus long terme envisager de manipuler les filets périneuronaux pour permettre de restaurer une certaine plasticité et réduire l’impact du traumatisme et le risque psychiatrique par la suite », explique Arnaud Tanti, chercheur Inserm et premier auteur de ces travaux.

 

[1] UMR 1253, iBrain, Inserm, Université de Tours

Un récepteur synaptique impliqué dans l’émergence de croyances aberrantes


Dans le système nerveux, une synapse est une structure qui permet à un neurone (ou cellule nerveuse) de transmettre un signal électrique ou chimique à un autre neurone. © National Institute on Aging, NIH. flickr.com

Pourquoi sommes-nous parfois enclins à croire à l’improbable envers et contre tout ? Une étude menée par une équipe de neuroscientifiques et de médecins psychiatres de l’Hôpital Sainte-Anne et d’Université de Paris, ainsi que de l’École Normale Supérieure – PSL et de l’Inserm pointe vers un récepteur synaptique spécifique. Son blocage induit des décisions prématurées et aberrantes, ainsi que des symptômes ressemblant à ceux rapportés dans les stades précoces de psychose. Les résultats viennent d’être publiés dans Nature Communications.

Lorsque le monde qui nous entoure devient imprévisible et incertain, nous devenons plus prompt à croire à l’improbable  – comme des théories complotistes  pendant une pandémie.  Ce type de réaction à l’incertitude s’observe de façon exacerbée pendant les stades précoces de psychose : un  sentiment  d’étrangeté général  précède  l’émergence  de  croyances  délirantes.  Ces  stades précoces de psychose sont difficiles à étudier, car les patients n’accèdent aux soins que lorsque les croyances délirantes sont déjà installées.

L’équipe, dirigée par Valentin Wyart, directeur de recherche Inserm au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles (Inserm/ENS-PSL) et par le professeur Raphaël Gaillard d’Université de Paris à l’Hôpital Sainte-Anne-GHU Paris, a étudié le rôle d’un récepteur synaptique spécifique appelé NMDA (N-méthyl-D-aspartate) dans l’émergence de ces croyances aberrantes. Dans le cerveau, les récepteurs synaptiques régulent la communication au niveau des synapses, les zones de contact entre neurones. Les chercheurs ne se sont pas intéressés à ce récepteur par hasard. En effet, les encéphalites provoquées par une réaction auto-immune contre le récepteur NMDA sont connues pour donner lieu à des symptômes psychotiques.

Pour comprendre si une anomalie de ce récepteur favorise l’émergence de croyances aberrantes, l’équipe a demandé à un groupe de volontaires sains de prendre des décisions sur la base d’informations visuelles incertaines tout en se voyant administré par intraveineuse une très faible dose de kétamine, une molécule qui vient bloquer de façon temporaire le récepteur NMDA.

En comparant les effets de la kétamine à ceux d’un placebo sur le comportement et l’activité cérébrale des volontaires testés, les chercheurs ont observé que l’administration de kétamine produit non seulement un sentiment d’incertitude élevé, mais aussi des décisions prématurées.

« Un blocage du récepteur NMDA déstabilise la prise de décision, en favorisant les informations qui confirment nos opinions au détriment des informations qui les invalident », explique Valentin Wyart. « C’est  ce  biais  de raisonnement  qui  produit  des décisions prématurées et souvent erronées ». C’est ce type de biais qui est notamment reproché aux réseaux sociaux qui proposent aux utilisateurs une sélection d’informations en fonction de leurs opinions.

L’équipe est allée plus loin en montrant  que ce biais de raisonnement vient compenser le sentiment d’incertitude élevé ressenti sous kétamine. « Ce résultat suggère que les décisions prématurées que nous observons ne sont pas la conséquence d’une confiance exagérée », poursuit Valentin Wyart. « Au contraire, ces décisions semblent résulter d’une incertitude élevée, et provoquer l’émergence d’idées pourtant très improbables, qui se renforcent d’elles-mêmes sans pouvoir être invalidées par des informations extérieures. »

Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de réflexion pour la prise en charge de patients atteints de psychose. « Nos traitements agissent sur les idées délirantes, mais agissent peu sur ce qui les induit », précise Raphaël Gaillard. « Des  essais  cliniques  devraient  donc  être  menés  pour déterminer comment augmenter la tolérance des patients à l’incertitude dans les stades précoces de psychose. »

L’endormissement, un booster de créativité ?

Sommeil _ Dali© Wiki Commons – Fair Use

Salvador Dali fut partisan de l’utilisation de courtes phases de sommeil pour stimuler sa capacité créative. © Wiki Commons – Fair Use

 

Et si quelques minutes de sommeil pouvaient agir comme un déclencheur de créativité ? C’est ce que suggère une étude menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de Sorbonne Université au sein de l’Institut du Cerveau et du service des pathologies du sommeil à l’Hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP. Les résultats sont publiés dans Science Advances.

Une légende sur l’inventeur Thomas Edison raconte que ce dernier faisait des petites siestes pour susciter sa créativité. Lors de celles-ci, il tenait une boule métallique à la main. La boule tombait bruyamment quand il s’endormait et le réveillait juste à temps pour noter ses flashs de créativité. D’autres personnages célèbres furent également partisans de l’utilisation de courtes phases de sommeil pour stimuler leur capacité créative, comme Albert Einstein ou Salvador Dali.

Inspirées par cette histoire, l’équipe de la chercheuse Inserm Delphine Oudiette et de sa collaboratrice Célia Lacaux à l’Institut du Cerveau et à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, a souhaité explorer cette phase très particulière de l’endormissement. Les scientifiques voulaient déterminer si celle-ci avait bel et bien un effet sur la créativité.

Pour cela, l’équipe a proposé à 103 participants des problèmes de mathématiques, tous résolvables presque instantanément grâce à une même règle, bien sûr inconnue des participants au début du test. Les sujets essayaient de résoudre les problèmes une première fois. Tous ceux qui n’avaient pas trouvé la règle cachée étaient invités à faire une sieste d’une vingtaine de minutes dans les mêmes conditions qu’Edison, un objet à la main, avant de repasser les tests mathématiques.

« Passer au moins 15 secondes dans cette toute première phase de sommeil après l’endormissement triplait les chances de trouver cette règle cachée, par l’effet du fameux « Eureka ! ». Cet effet disparaissait si les sujets plongeaient plus profondément dans le sommeil », explique Célia Lacaux, première autrice de l’étude.

Les chercheurs ont, en parallèle, mis en évidence plusieurs marqueurs neurophysiologiques clés de cette phase d’endormissement génératrice de créativité.

Il existerait donc bien une phase propice à la créativité au moment de l’endormissement. L’activer nécessite de trouver le bon équilibre entre s’endormir rapidement et ne pas s’endormir trop profondément. Ces « siestes créatives » pourraient constituer un moyen facile et accessible de stimuler notre créativité dans la vie de tous les jours.

« La phase d’endormissement a été jusqu’à présent relativement négligée par les neurosciences cognitives. Cette découverte ouvre un nouveau champ extraordinaire pour de futures études, notamment des mécanismes cérébraux de la créativité. Le sommeil est aussi souvent vu comme une perte de temps et de productivité. En montrant qu’il est en réalité essentiel à nos performances créatives, nous espérons réitérer son importance auprès du public. » conclut Delphine Oudiette, chercheuse Inserm et dernière autrice de l’étude.

Les conséquences d’une exposition précoce aux perturbateurs endocriniens sur les fonctions reproductrices

 

Astrocyte né pendant la période infantile

Astrocyte né pendant la période infantile (rouge) (période de 7 à 20 jours après la naissance) arrimé à un corps cellulaire de neurone à GnRH (vert). Les prolongements des astrocytes sont marqués en blanc.© Vincent Prévot, Inserm.

Des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, au sein du laboratoire Lille Neuroscience et Cognition, ont découvert un des mécanismes par lequel les perturbateurs endocriniens peuvent altérer le développement des fonctions reproductrices des individus dès la naissance. À l’échelle neuronale, ils ont observé chez l’animal comment une exposition à de faibles doses de bisphénol A (un perturbateur endocrinien reconnu) quelques jours après la naissance, perturbe l’intégration des neurones à GnRH dans leur circuit neural et altère leur activité de régulation des fonctions reproductrices. Les résultats de cette étude font l’objet d’une publication dans la revue Nature Neuroscience.

Chez les mammifères, la reproduction est régulée par les neurones à GnRH, une population de neurones qui, au cours du développement embryonnaire, apparaît au niveau du nez puis migre vers le cerveau jusqu’à l’hypothalamus. Bien établis dans le cerveau à la naissance, ces neurones contrôleront tous les processus associés aux fonctions reproductrices : la puberté, l’acquisition des
caractères sexuels secondaires et la fertilité à l’âge adulte.

Pour assurer leurs fonctions, les neurones à GnRH doivent s’entourer d’un autre type de cellules neurales : les astrocytes. L’arrimage de ces dernières aux neurones à GnRH est une étape déterminante pour leur intégration dans le réseau neuronal. La rencontre entre ces deux types de cellules survient à la période dite de « mini-puberté », qui débute une semaine après la naissance chez les mammifères, lors de la première activation des neurones à GnRH (c’est à ce moment qu’ont lieu les premières sécrétions des hormones sexuelles).

« Un échec de l’intégration des neurones à GnRH lors de la mini-puberté peut entraîner une prédisposition à développer des troubles de la puberté et/ou de la fertilité, mais aussi affecter potentiellement le développement du cerveau et ainsi entraîner des troubles de l’apprentissage ou encore des désordres métaboliques tels qu’un surpoids », explique Vincent Prévot, directeur de recherche à l’Inserm et dernier auteur de l’étude.

Mais comment se déroule cette rencontre entre neurones à GnRH et astrocytes ? Selon les résultats de ces travaux, les astrocytes n’arrivent pas là par hasard mais répondent à des signaux moléculaires émis par les neurones à GnRH, qui les recrutent dès leur apparition dans l’hypothalamus.

L’exposition précoce au bisphénol A empêche la communication entre les neurones à GnRH et les astrocytes

Pour aller plus loin, les chercheurs ont souhaité comprendre l’importance de cette rencontre entre astrocytes et neurones à GnRH dans le développement des fonctions reproductrices des mammifères lors de la période de mini-puberté. De récentes études ayant montré que le réseau neuronal à GnRH est particulièrement sensible aux perturbateurs endocriniens et qu’il existe une association entre ces derniers et les troubles de la puberté, les chercheurs se sont intéressés à l’impact de l’exposition à l’un de ces perturbateurs endocriniens, le bisphénol A, chez le rat.

Le bisphénol A est un composé utilisé dans la fabrication industrielle des plastiques dont le caractère perturbateur endocrinien est aujourd’hui largement reconnu. Il est utilisé par exemple dans la fabrication de récipients alimentaires tels que les bouteilles et biberons. On le retrouve également dans les films de protection à l’intérieur des canettes et des boîtes de conserve ou encore sur les tickets de caisse où il est utilisé comme révélateur. En France, le bisphénol A est interdit dans les biberons et autres contenants alimentaires depuis 2015. Il a été remplacé par des substituts comme le bisphénol S ou BPS ou le bisphénol B ou BPB qui suscitent eux aussi des interrogations quant à leur innocuité.

« Malgré son interdiction, le bisphénol A est toujours présent dans notre environnement du fait de la dégradation lente des déchets plastiques, mais également car il se trouve dans des contenants alimentaires achetés avant 2015 et qui ont été conservés. Avec le recyclage des déchets, le bisphénol A contenu dans des plastiques datant d’avant 2015 a également pu se retrouver dans des produits neufs », explique Vincent Prévot.

Pendant les 10 jours suivant la naissance, des rats femelles ont reçu des injections de bisphénol A à faibles doses. Grâce à une technique de marquage des astrocytes, les chercheurs ont pu observer que sous l’effet du bisphénol A, les astrocytes ne parviennent pas à s’arrimer de manière permanente aux neurones à GnRH. L’absence d’une telle association entre ces cellules nerveuses entraîne alors un retard pubertaire ainsi qu’une absence de cycle œstral chez les rates adultes (équivalent du cycle menstruel chez la femme), ce qui suggère que les fonctions reproductives sont affectées.

« Nos résultats soulèvent l’idée que l’exposition précoce à des produits chimiques en contact avec les aliments, tels que le bisphénol A, peut perturber l’apparition de la puberté et avoir un impact durable sur les fonctions reproductrices, en empêchant les neurones à GnRH de construire, dans l’hypothalamus, un environnement approprié et nécessaire à leur rôle de chef d’orchestre de la fertilité », explique Ariane Sharif, Maître de Conférences à l’Université de Lille qui a codirigé l’étude.

Dans la continuité de ces travaux, les scientifiques cherchent désormais à comprendre par quel mécanisme précis le bisphénol A empêche la communication entre les neurones à GnRH et les astrocytes. Une des hypothèses avancées est que le bisphénol A pourrait agir directement sur les récepteurs des astrocytes et les empêcher de s’arrimer aux neurones à GnRH. L’équipe de recherche s’intéresse par ailleurs à l’action du bisphénol A sur l’ADN et aux traces qu’il pourrait y laisser.

Détecter la survenue d’hallucinations auditives à partir de l’activité cérébrale de patients souffrant de schizophrénie

cerveau hallucination

Les chercheurs ont pu mettre en évidence des activités cérébrales spécifiques, prédictives des hallucinations acoustico-verbales. Crédits Adobe Stock

Une étude conduite par Renaud Jardri, Professeur à l’Université de Lille et pédopsychiatre au CHU de Lille (Unité Inserm U-1172 Lille Neuroscience & Cognition), le Dr Philippe Domenech à l’Institut  du Cerveau (Inserm/CNRS/AP-HP/Sorbonne Université), et leurs collaborateurs, montre qu’il est possible de prédire la survenue des hallucinations auditives chez les patients schizophrènes grâce à la combinaison d’IRM fonctionnelle et d’algorithmes d’intelligence artificielle. Ces résultats, publiés dans Biological Psychiatry, ouvrent la voie au développement de nouvelles thérapies de neuromodulation et de neurofeedback en boucle fermée pour traiter ces hallucinations.

Les hallucinations auditives et verbales (AVH) sont malheureusement résistantes aux thérapeutiques conventionnelles chez près de 30% des patients atteints de schizophrénie. Elles se manifestent et sont ressenties de façon très variable, rendant d’autant plus difficile à la fois leur compréhension et leur traitement. Pour répondre à ces enjeux, les équipes de Renaud Jardri et Philippe Domenech ont cherché à développer une méthode de détection des épisodes hallucinatoires par imagerie cérébrale, robuste et facilement applicables à l’ensemble des patients.

Pour cela, ils ont développé une nouvelle approche d’IRM fonctionnelle combinée à des algorithmes d’intelligence artificielle sur la base des données obtenues dans un premier groupe de 23 patients atteints de schizophrénie. Ils ont ainsi pu mettre en évidence des activités cérébrales spécifiques, prédictives des hallucinations acoustico-verbales, à la fois chez un même patient, mais également entre patients. Ils ont ensuite validé la capacité de leur approche à être généralisée   à n’importe quel nouveau groupe  de  patient  souffrant  de  schizophrénie  grâce à une validation croisée de leurs résultats avec un second groupe de 34 patients schizophrènes, ainsi que chez des sujets témoins.

Les chercheurs ont ainsi validé l’efficacité de leur méthode à distinguer l’activité cérébrale associée aux hallucinations auditives de l’état de repos et d’un état d’activité associé à une tâche d’imagerie verbale, durant laquelle des volontaires sains imaginaient volontairement entendre des voix. Les chercheurs ont également pu montrer que cette détection des hallucinations auditives dépendait quasi-exclusivement d’une région cérébrale, centrée sur l’aire de Broca qui est classiquement connue pour son rôle dans la production des mots parlés.

Pour le Pr. Jardri, coordonnateur de l’étude : « Il s’agit d’une étape importante dans ce que l’on appelle la psychiatrie de précision, c’est-à-dire l’utilisation d’outils de caractérisation modernes, tels que l’imagerie cérébrale, afin de définir de nouvelles cibles thérapeutiques en psychiatrie. Dans le cas présent, nous souhaitons désormais guider des traitements à partir de ce nouvel outil   de capture fonctionnelle du symptôme et ainsi soulager les personnes souffrant d’hallucinations pharmaco-résistantes. Un essai thérapeutique doit justement démarrer sur la base de cette découverte dans les mois qui viennent au CHU de Lille afin de tester et valider ce nouveau champ d’application en psychiatrie »

Manier des outils améliore nos compétences langagières

 

aires cérébrales liées au langage

Les aires cérébrales liées au langage se seraient étendues chez nos ancêtres dans des périodes d’explosion technologique, au moment où l’usage d’outils devenait plus répandu. © Adobe Stock

 

Notre capacité à comprendre la syntaxe de certaines phrases complexes fait partie des compétences langagières les plus difficiles à acquérir. En 2019, des travaux avaient révélé une corrélation entre le fait d’être particulièrement habile dans le maniement d’outils et d’avoir de bonnes compétences syntaxiques. Une nouvelle étude, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et l’Université Lumière Lyon 2, en collaboration avec le Karolinska Institutet en Suède, montre désormais que ces deux habiletés font appel à de mêmes ressources cérébrales, localisées dans la même région du cerveau. Par ailleurs, un entraînement moteur avec un outil améliore nos capacités à comprendre la syntaxe de phrases complexes et à l’inverse, un entrainement syntaxique améliore les performances d’utilisation d’outils. Dans le domaine clinique, ces résultats pourraient être exploités pour soutenir la rééducation de patients ayant perdu une partie de leurs compétences langagières. L’étude est publiée dans la revue Science.

Le langage a longtemps été considéré dans le domaine des neurosciences comme une habileté très complexe, mobilisant des réseaux cérébraux spécifiquement dédiés à cette faculté. Cependant, depuis plusieurs années, des travaux scientifiques ont réexaminé cette idée.

Des études ont ainsi suggéré que des zones du cerveau qui contrôlent certaines fonctions langagières, comme le traitement du sens des mots par exemple, sont également impliquées dans le contrôle de la motricité fine. Toutefois, aucune preuve fondée sur l’imagerie cérébrale n’a permis de révéler de tels liens entre langage et utilisation d’outil. La paléo-neurobiologie[1] a indiqué que les aires cérébrales liées au langage se seraient étendues chez nos ancêtres dans des périodes d’explosion technologique, au moment où l’usage d’outils devenait plus répandu.

En considérant ces données, des équipes de recherche se sont donc interrogées : et si l’usage de certains outils, qui suppose de réaliser des mouvements complexes, impliquait des ressources cérébrales similaires à celles mobilisées dans des fonctions langagières complexes comme la syntaxe?

 

Exercices de syntaxe et maniement d’une pince

En 2019, le chercheur Inserm Claudio Brozzoli en collaboration avec la chercheuse CNRS Alice C. Roy et leur équipe a montré que des individus particulièrement habiles dans l’utilisation d’outils étaient aussi généralement plus performants dans le maniement des subtilités de la syntaxe suédoise.

Pour aller plus loin, la même équipe en collaboration avec la chercheuse CNRS Véronique Boulenger[2], a mis au point toute une série d’expériences en s’appuyant sur des techniques d’imagerie cérébrale (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ou IRM) et des mesures du comportement. Les participants ont été invités à réaliser plusieurs tests consistant en un entraînement moteur avec une pince mécanique et des exercices de syntaxe en français. Cela a permis aux scientifiques d’identifier les réseaux cérébraux spécifiques à chaque tâche, mais aussi communs aux deux tâches.

ganglions de la base

Le maniement de la pince et les exercices de syntaxe proposés aux participants produisaient des activations dans une région appelée « ganglions de la base ». © Claudio Brozzoli


 « Le choix de la pince et non d’un autre objet n’est pas un hasard. En effet, il s’agit d’un outil qui permet un mouvement sophistiqué, dans lequel interviennent des paramètres comme la distance parcourue pour rejoindre l’objet que l’on veut attraper, l’ouverture « des doigts » de la pince et l’orientation, et que l’on peut donc comparer en termes de complexité au maniement de la syntaxe dans le langage », explique Claudio Brozzoli.

À travers les différentes expériences, les scientifiques ont observé pour la première fois que le maniement de la pince et les exercices de syntaxe proposés aux participants produisaient des activations cérébrales dans des zones communes, avec une même distribution spatiale, dans une région appelée « ganglions de la base ».

 

Entraînement cognitif

Si ces deux types d’habiletés utilisent les mêmes ressources cérébrales, est-il possible d’en entraîner une pour améliorer l’autre ? Un entraînement moteur avec la pince mécanique permet-il d’améliorer la compréhension de phrases complexes ? Dans la seconde partie de leur étude, les scientifiques se sont intéressés à ces questions et ont montré que c’est bien le cas.

Les participants ont cette fois été invités à réaliser une tâche de compréhension syntaxique avant et après un entraînement moteur de 30 minutes avec la pince (voir encadré pour le détail de l’expérience). Les chercheurs et chercheuses ont ainsi démontré que l’entraînement moteur avec la pince s’accompagne d’une amélioration des performances dans les exercices de compréhension syntaxique.

Par ailleurs, les résultats obtenus soulignent que l’inverse est également vrai : un entraînement des facultés langagières, avec des exercices de compréhension de phrases à la structure complexe, améliore les performances motrices avec une pince mécanique.

Entraînement moteur et exercices de syntaxe

L’entraînement moteur consistait à insérer avec la pince de petits pions dans des trous adaptés à leur forme mais avec des orientations variables.

L’exercice de syntaxe réalisé avant et après cet entraînement consistait à lire des phrases à la syntaxe simple comme « Le scientifique qui admire le poète rédige un article » ou à la syntaxe plus complexe comme « Le scientifique que le poète admire rédige un article ». Ensuite, les participants devaient juger comme vraies ou fausses des affirmations du type : « Le poète admire le scientifique ». Les phrases comportant le pronom relatif objet « QUE » sont plus difficiles à traiter et les performances étaient donc généralement moins bonnes pour ce type de phrases.

Ces expériences ont révélé qu’après l’entraînement moteur, les participants présentaient de meilleures performances avec les phrases considérées plus difficiles. Les groupes contrôles, qui ont réalisé la même tâche langagière mais après un entraînement moteur à main nue ou sans entraînement, n’ont pas montré une telle amélioration.

Les scientifiques réfléchissent désormais à la meilleure manière d’appliquer ces résultats dans le domaine clinique. « Nous sommes en train d’imaginer des protocoles qui pourraient être mis en place pour soutenir la rééducation et la récupération des compétences langagières de certains patients ayant des facultés motrices relativement préservées, comme par exemple des jeunes présentant un trouble développemental du langage. Au-delà de ces applications, qui pourraient se révéler innovantes, ces résultats nous donnent aussi un aperçu de la manière dont le langage a évolué dans l’Histoire. Lorsque nos ancêtres ont commencé à développer et utiliser des outils, cette habileté a profondément changé le cerveau et a imposé des demandes cognitives qui pourraient avoir amené à l’émergence de certaines fonctions comme la syntaxe », conclut Claudio Brozzoli.

 

[1] Champ d’étude dans lequel les scientifiques s’intéressent à l’évolution de l’anatomie du cerveau de nos ancêtres.

[2] Sont impliqués dans ces résultats le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) et le laboratoire Dynamique du langage (CNRS/Université Lumière Lyon 2).

Covid-19 : quel impact de l’infection au SARS-CoV-2 sur l’irrigation vasculaire du cerveau ?

tissu cérébral humain post-mortem

Image fluorescente d’un tissu cérébral humain post-mortem montrant des noyaux cellulaires (bleu) mettant en évidence un vaisseau sanguin dans lequel les cellules endothéliales vasculaires expriment le matériel génétique du SARS-CoV2 (rouge). © Vincent Prévot/Inserm

 

De nombreux chercheurs et chercheuses sont actuellement mobilisés pour accroître les connaissances relatives au virus du SARS-CoV2, pour une meilleure prise en charge des patients infectés, mais également pour essayer de prévoir les conséquences futures d’une infection sur la santé.  Dans le cadre d’une collaboration internationale, des chercheurs de l’Inserm, de l’Université, du CHU et de l’Institut Pasteur de Lille, au sein du laboratoire « Lille neuroscience & cognition », et des collègues du CNRS[1], identifient pour la première fois un effet direct du SARS-CoV-2 sur les vaisseaux sanguins du cerveau. Certaines cellules, les cellules endothéliales vasculaires cérébrales, composantes essentielles de la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau sont affectées par un phénomène de mort cellulaire. Ces résultats, qui font l’objet d’une publication dans la revue Nature Neuroscience, interrogent notamment sur les conséquences à long terme de la maladie.

Les vaisseaux sanguins sont composés de cellules endothéliales. Parmi elles, les cellules endothéliales vasculaires du cerveau qui composent la barrière hémato-encéphalique (BHE). La fonction principale de la BHE est d’isoler le système nerveux central de la circulation sanguine, empêchant ainsi que des substances étrangères ou molécules potentiellement toxiques ne pénètrent dans le cerveau et la moelle épinière, tout en permettant le transfert de nutriments essentiels à leur activité. Participant à cet effort, les cellules endothéliales vasculaires du cerveau jouent donc un rôle primordial dans la bonne irrigation sanguine du cerveau et leur survie est essentielle à son bon fonctionnement.

Dans le cadre d’une collaboration internationale financée par le Conseil Européen de la Recherche[3], les auteurs de l’étude se sont intéressés aux cellules endothéliales vasculaires du cerveau et aux conséquences d’une infection par le SARS-CoV-2 sur leur fonctionnement.

Grâce à des modèles d’étude précliniques mais également en étudiant le cortex de patients décédés des suites d’une infection au SARS-CoV-2, les chercheurs montrent que l’infection entrainerait la mort des cellules endothéliales du cerveau, ce qui donnerait lieu à l’apparition de « vaisseaux fantômes » dans le cerveau (c’est à dire des tubes vides, sans cellules endothéliales).

En conséquence, ces cellules essentielles ne pourraient plus assurer leur fonction au niveau de la barrière hémato-encéphalique.

Comment cette mort des cellules endothéliales survient-elle ? Quels sont les mécanismes impliqués ? Grâce à des techniques de pointes[2], l’équipe a découvert que le SARS-CoV-2 fait fabriquer, à partir de son propre matériel génétique, des ciseaux moléculaires par les cellules endothéliales qu’il infecte. Ces ciseaux vont couper une protéine appelée NEMO, indispensable à la survie des cellules endothéliales qui vont donc mourir.

 

Les conséquences de la mort des cellules endothéliales sur le fonctionnement du cerveau

Selon les scientifiques, la mort des cellules endothéliales vasculaires du cerveau peut entrainer deux conséquences majeures :

  • Une rupture temporaire de la barrière hémato-encéphalique provoquant des microhémorragies dans des régions où le sang n’est pas censé accéder librement.
  • Une hypoperfusion de certaines régions du cerveau (due à la présence de vaisseaux fantômes non fonctionnels), c’est-à-dire une diminution du débit sanguin pouvant entrainer le décès des patients dans les cas les plus graves.

L’étude révèle toutefois que la situation serait réversible.

Par ailleurs, les scientifiques s’interrogent sur les conséquences à long-terme de cette phase de vulnérabilité au cours de laquelle le cerveau des patients est moins irrigué. Selon eux, même si cette hypothèse reste encore à vérifier, cette fenêtre de temps pourrait prédisposer certaines personnes ayant contracté la maladie à développer des troubles cognitifs, neurodégénératifs, voire des démences.

« Cette prise de conscience de la gravité de l’infection par le SARS-CoV2 et ses conséquences pour le bon fonctionnement de notre cerveau est capitale pour permettre la meilleure prise en charge possible des patients ayant été infectés dans les années à venir », conclut Vincent Prévot, directeur de recherche à l’Inserm.

 

[1] Au sein du Centre d’infection et d’immunité de Lille (CNRS/Inserm/Institut Pasteur de Lille/Université de Lille/CHU de Lille)

[2] Telles que la transgénèse, le séquençage de l’ARN en cellule unique, la spectrométrie de masse et la microscopie à super-résolution.

[3] Programme financé par le Conseil Européen de la Recherche (ERC Synergy) impliquant les Drs. Prévot (Inserm, France), Nogueiras (Université de Saint-Jacques de Compostelle, Espagne) et Schwaninger (Université de Lübeck, Allemagne).

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