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Un lien existerait entre les pensées négatives récurrentes et le risque de maladie d’Alzheimer

Selon une étude récente menée par des chercheurs de l’université UCL à Londres et de l’Inserm, s’enfermer dans un schéma continu de pensées négatives pourrait augmenter le risque de développer la maladie d’Alzheimer. Au cours de cette étude réalisée auprès de personnes âgées de plus de 55 ans et publiée dans la revue Alzheimer’s & Dementia, les chercheurs ont découvert que les pensées négatives récurrentes (PNR) sont associées à un déclin cognitif subséquent, ainsi qu’à une accumulation de protéines néfastes dans le cerveau qui jouent un rôle dans la maladie d’Alzheimer.

Les chercheurs expliquent que les PNR devraient faire l’objet d’évaluations supplémentaires pour déterminer s’il s’agit d’un facteur de risque de démence, tandis que les outils psychologiques (la pleine conscience ou la méditation) devraient être étudiés pour voir s’ils contribueraient éventuellement à réduire le risque de démence.

L’auteure principale, le Dr Natalie Marchant (Service de psychiatrie de l’UCL), déclare : « La dépression et l’anxiété chez les quadragénaires et les personnes âgées ont déjà été identifiées comme des facteurs de risque de démence. Nous avons récemment découvert que certains schémas de pensées impliqués dans les phénomènes de dépression et d’anxiété expliqueraient pourquoi les patients présentant de tels troubles sont plus enclins à souffrir de démence. Nous espérons que nos conclusions pourront être utilisées pour développer des stratégies visant à réduire le risque de démence chez ces personnes, simplement en les aidant à atténuer leurs pensées négatives. »

Pour mener à bien cette étude soutenue par l’Alzheimer’s Society, l’équipe de chercheurs de l’UCL, de l’Inserm et de l’Université McGill ont observé 292 individus de plus de 55 ans faisant partie de la cohorte PREVENT-AD, ainsi que 68 patients issus de la cohorte IMAP+.

Sur une période de deux ans, les participants à l’étude ont répondu à des questions axées sur les expériences négatives qu’ils avaient l’habitude de ressasser. L’accent a été mis sur l’étude des schémas de PNR, comme le fait de ruminer des événements passés et de s’inquiéter pour l’avenir. Les symptômes de dépression et d’anxiété ont également été mesurés chez ces individus.

Leur fonction cognitive a été évaluée en s’intéressant notamment à la mémoire, l’attention, la cognition spatiale et le langage. Parmi ces participants, 113 ont également fait l’objet d’examens d’imagerie cérébrale pour mesurer les dépôts de protéines tau et amyloïdes, responsables du type de démence le plus fréquent – la maladie d’Alzheimer – en cas d’accumulation dans le cerveau.

Les chercheurs ont découvert que les personnes présentant des schémas plus prononcés de PNR faisaient l’objet d’un plus grand déclin cognitif sur une période de quatre ans, ainsi que de troubles de la mémoire, et qu’ils étaient plus susceptibles de présenter des dépôts de protéines tau et amyloïdes dans leur cerveau.

La dépression et l’anxiété ont aussi été associées à un déclin cognitif subséquent, mais sans dépôts de protéines tau ou amyloïdes. D’après les chercheurs, les PNR pourraient être la raison principale pour laquelle la dépression et l’anxiété contribuent au risque de développer la maladie d’Alzheimer.

« Selon nous, il serait possible d’utiliser les pensées négatives répétitives comme nouveau facteur de risque de démence, dans la mesure où celles-ci favoriseraient peut-être la survenue d’une démence de façon unique », explique le Dr Marchant.

 Gaël Chételat, chercheuse Inserm à Université de Caen-Normandie et co-auteur de l’étude, ajoute : « Nos pensées peuvent avoir un impact biologique sur notre santé physique, ce qui peut être aussi bien positif que négatif. Il se peut que les exercices pratiques de préparation mentale, comme la méditation, aident à promouvoir les schémas mentaux positifs, tout en régulant à la baisse les négatifs. Il est important de prendre soin de sa santé mentale. Il devrait s’agir d’une priorité de santé publique majeure, étant donné que la santé et le bien-être sur le court terme sont essentiels et peuvent potentiellement avoir un impact sur votre risque de souffrir de démence. »

Les chercheurs veulent désormais étudier si la diminution des PNR – potentiellement par le biais d’un entraînement à la pleine conscience ou d’une thérapie verbale ciblée – pourrait réduire le risque de démence. Le Dr Marchant et le Dr Chételat, ainsi que d’autres chercheurs européens, travaillent actuellement sur un projet de grande envergure pour voir si certaines mesures, comme la méditation, contribueraient éventuellement à réduire le risque de démence en améliorant la santé mentale chez les personnes âgées. *

* silversantestudy.eu

Explorer le cerveau pour comprendre le lien entre troubles du sommeil et maladie d’Alzheimer

©Adobe Stock

Les troubles du sommeil ont un impact délétère sur notre cerveau. Ils seraient notamment, sous certaines conditions, associés à un risque plus élevé de développer la maladie d’Alzheimer. Jusqu’ici, cette association restait mal comprise par la communauté scientifique. Pour la première fois, une étude s’appuyant sur différentes techniques d’imagerie cérébrale, menée par la chercheuse Inserm Géraldine Rauchs au sein de deux laboratoires hébergés au GIP CYCERON – le laboratoire Physiopathologie et Imagerie des maladies neurologiques (Inserm/ Université de Caen-Normandie) et le laboratoire Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (Inserm/Université de Caen-Normandie/Ecole Pratique des Hautes Etudes – PSL/CHU Caen) – révèle entre autres altérations, l’apparition de plaques amyloïdes caractéristiques de la maladie d’Alzheimer, dans le cerveau de personnes âgées présentant des apnées du sommeil mais n’ayant aucun problème cognitif. Les résultats de ces travaux sont publiés dans JAMA Neurology le 23 mars 2020.

Le syndrome d’apnée obstructive du sommeil est le trouble respiratoire du sommeil le plus commun, touchant plus de 30 % de la population après l’âge de 65 ans. Chez les sujets qui en sont atteints, cette pathologie se traduit par des interruptions incontrôlées et répétées de la respiration pendant le sommeil, liées à l’obstruction temporaire des voies aériennes supérieures, au niveau de la gorge. Les apnées du sommeil sont associées à de nombreux problèmes de santé, au premier rang desquels les maladies cardiovasculaires. Cependant, cette pathologie reste assez longtemps silencieuse, si bien qu’elle est probablement sous-estimée dans la population générale.

Ces dernières années, les données scientifiques se sont également accumulées montrant un lien entre la qualité du sommeil, et notamment la présence d’apnées du sommeil, et le développement de la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, les mécanismes biologiques qui sous-tendent cette association restaient à élucider.

Pour y voir plus clair, la chercheuse Inserm Géraldine Rauchs a mené une étude dans le laboratoire Physiopathologie et Imagerie des maladies neurologiques[1] (Inserm/ Université de Caen-Normandie) en collaboration avec le laboratoire Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (Inserm/Université de Caen-Normandie/Ecole Pratique des Hautes Etudes – PSL). Dans ces travaux[2], publiés dans la revue JAMA Neurology, les chercheurs ont utilisé plusieurs techniques d’imagerie cérébrale afin de cartographier les changements cérébraux chez des personnes atteintes d’apnées du sommeil non traitées, à la fois sur le plan structurel et moléculaire, mais aussi sur le plan fonctionnel.

Changements dans le cerveau

Les chercheurs ont d’abord recruté 127 participants de plus de 65 ans. En bonne santé, ceux-ci ne présentaient pas de problèmes cognitifs. Au moyen d’un appareil portatif permettant d’enregistrer à domicile leur sommeil et leur respiration au cours de la nuit, les chercheurs ont détecté la présence d’apnées du sommeil, à des degrés de sévérité variables, chez 75% d’entre eux.

Tous les participants ont aussi été soumis à une série de tests visant à évaluer leur fonctionnement cognitif, notamment la mémoire et les fonctions exécutives. Ils ont répondu à des questionnaires portant sur les perceptions qu’ils avaient de leur fonctionnement cognitif et sur la qualité de leur sommeil. Plusieurs examens d’imagerie cérébrale ont ensuite été réalisés, afin d’étudier leur cerveau sous tous les angles et d’identifier d’éventuels changements pouvant être associés à la maladie d’Alzheimer. Si aucune différence entre les participants n’est observée en ce qui concerne leurs performances cognitives, l’imagerie cérébrale révèle toutefois plusieurs changements notables dans le cerveau des personnes atteintes d’apnées du sommeil.

En effet, chez ces participants, l’accumulation de protéine bêta-amyloïde dans le cerveau est plus marquée. Caractéristique de la maladie d’Alzheimer, cette protéine s’accumule sous forme de plaques, qui selon leur distribution dans le cerveau et leur densité peuvent conduire à l’apparition de signes cliniques de la pathologie. Par ailleurs, les chercheurs ont observé une augmentation de la masse de matière grise et de la consommation de glucose, suggérant la présence de processus inflammatoires dans le cerveau.

« A l’heure où les essais cliniques visant à tester des traitements contre la maladie d’Alzheimer ne sont pas encore couronnés de succès, l’identification de facteurs de risque et de protection sur lesquels agir intéresse de plus en plus les chercheurs. Grâce à l’utilisation de plusieurs méthodes d’imagerie cérébrale, cette étude nous a permis de préciser les mécanismes expliquant les liens entre qualité du sommeil, risque de déclin cognitif et de maladie d’Alzheimer », explique Géraldine Rauchs.

« Cela ne veut pas dire que ces personnes vont nécessairement développer la maladie, mais elles présentent un risque plus élevé. De plus, il existe des solutions efficaces pour traiter les apnées du sommeil. Détecter les troubles du sommeil, notamment les apnées du sommeil, et les traiter ferait donc partie des moyens pour favoriser le vieillissement réussi ».

Pour poursuivre ces travaux, la chercheuse et son équipe s’intéresseront désormais à l’impact du traitement des apnées sur l’évolution des lésions cérébrales et analyseront également les différences entre le cerveau des hommes et des femmes souffrant d’apnées du sommeil.

 

[1] Labortaoire PhIND « http://www.phind.fr/index.php/en/ »

[2] Cette étude a été réalisée dans le cadre d’un vaste projet européen « Silver Santé Study » (www.silversantestudy.fr), piloté par le Dr Gael Chételat.mé

Alzheimer : un acide aminé pour aider à restaurer la mémoire ?

 

Astrocytes dans l’hippocampe du cerveau de souris © Laboratoire des maladies neurodégénératives (CNRS/CEA/Université Paris Saclay)

Des scientifiques du Laboratoire des maladies neurodégénératives (CNRS/CEA/Université Paris-Saclay) et du Neurocentre Magendie (Inserm/Université de Bordeaux) viennent de mettre en évidence le rôle déterminant que joue une voie métabolique dans les troubles de mémoire de la maladie d’Alzheimer. Leurs travaux, à paraître le 3 mars 2020 dans Cell Metabolism, montrent également qu’un apport en acide aminé particulier, sous forme de complément alimentaire, restaure la mémoire spatiale atteinte de façon précoce chez des souris modèles de la maladie. Une piste prometteuse pour atténuer la perte de mémoire liée à Alzheimer.

Le cerveau consomme une grande partie de l’énergie disponible dans notre organisme. Son bon fonctionnement repose sur une étroite coopération entre les neurones et les cellules de leur environnement, en particulier les astrocytes. La phase précoce de la maladie d’Alzheimer est caractérisée par une réduction de ce métabolisme énergétique, mais on ignorait si ce déficit pouvait contribuer directement aux symptômes cognitifs de la maladie d’Alzheimer.

Une étude collaborative a montré chez une souris modèle de la maladie d’Alzheimer que la diminution de la consommation de glucose par les astrocytes conduit à une réduction de la production de L-sérine, un acide aminé majoritairement produit par ces cellules dans le cerveau et dont la voie de biosynthèse est altérée chez les patients.

La L-sérine est le précurseur de la D-sérine, connue pour stimuler les récepteurs NMDA, essentiels au bon fonctionnement du cerveau et à l’établissement de la mémoire. Dès lors, en produisant moins de L-sérine, les astrocytes sont à l’origine d’une diminution de l’activité de ces récepteurs, ce qui entraîne une altération de la plasticité neuronale et des capacités de mémorisation associées. Les scientifiques ont également démontré que les fonctions de mémorisation des souris ont toutes été restaurées par un apport alimentaire en L-sérine.

L’identification du rôle de la L-sérine dans les troubles de la mémoire et l’efficacité expérimentale d’une supplémentation nutritionnelle ouvrent la voie à de nouvelles stratégies, complémentaires des thérapies médicamenteuses, pour lutter contre les symptômes précoces de la maladie d’Alzheimer et d’autres maladies présentant des altérations du métabolisme cérébral, comme les maladies de Parkinson ou de Huntington. La L-sérine étant disponible comme complément alimentaire, il convient de tester de façon rigoureuse cette molécule chez l’humain, à travers des essais cliniques encadrés.

Ces travaux ont été menés par des chercheurs du Laboratoire des maladies neurodégénératives (CNRS/CEA/Université Paris-Saclay), au sein du MIRCen/Institut de biologie François Jacob, et du Neurocentre Magendie (Inserm/Université de Bordeaux) en collaboration avec des équipes du laboratoire Neurosciences Paris Seine (CNRS/Inserm/Sorbonne Université), de l’Institut Galien Paris Sud (CNRS/Université Paris Saclay), du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet), du Département médicaments et technologies pour la santé (CEA/Inrae/Université Paris Saclay) et par des chercheurs de l’AP-HP au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpétrière). Ces travaux ont été soutenus par l’association France Alzheimer, la Fondation de France, la Fondation pour la recherche médicale, la Fondation Alzheimer et l’Infrastructure nationale de biologie-Santé NeurATRIS.

Musique ou langage ? Le cerveau divisé…

Le cerveau humain ne mobilise pas ses hémisphères de façon équivalente lorsqu’il s’agit de reconnaître une mélodie ou de comprendre une phrase à l’oral. Si ce concept est reconnu des scientifiques, jusqu’à présent, le phénomène n’était pas expliqué au niveau physiologique et neuronal. Une équipe de recherche codirigée par le chercheur Inserm Benjamin Morillon à l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), en collaboration avec des chercheurs de l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal de l’Université McGill, est parvenue à montrer que, grâce à des réceptivités différentes aux composantes du son, les neurones du cortex auditif gauche participeraient à la reconnaissance du langage, tandis que les neurones du cortex auditif droit participeraient à celle de la musique. Ces résultats à paraître dans Science suggèrent que la spécialisation de chaque hémisphère cérébral pour la musique ou le langage permettrait au système nerveux d’optimiser le traitement des signaux sonores à des fins de communication.

Le son est issu d’un ensemble complexe de vibrations de l’air qui, lorsqu’elles arrivent dans l’oreille interne au niveau de la cochlée, y sont discriminées en fonction de leur vitesse : à chaque instant, les vibrations lentes sont traduites en sons graves et les vibrations rapides en sons aigus. Cela permet de représenter le son selon deux dimensions : la dimension spectrale (fréquence) et la dimension temporelle (temps).

Ces deux dimensions auditives sont fondamentales car c’est leur combinaison en simultané qui stimule les neurones du cortex auditif. Ces derniers permettraient notamment de discriminer les sons pertinents pour l’individu, tels que les sons utilisés pour la communication qui permettent l’échange et la compréhension entre individus.

Le langage et la musique constituent chez l’humain les principales utilisations du son et les plus complexes au niveau cognitif. L’hémisphère gauche est principalement impliqué dans la reconnaissance du langage, tandis que l’hémisphère droit est principalement impliqué dans celle de la musique. Cependant, le fondement physiologique et neuronal de cette asymétrie était encore méconnu.

Une équipe de recherche codirigée par le chercheur Inserm Benjamin Morillon à l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), en collaboration avec des chercheurs de l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal de l’Université McGill, a utilisé une approche innovante pour comprendre comment le langage et la musique sont décodés au sein de chaque hémisphère cérébral chez l’humain.

Les chercheurs ont enregistré 10 phrases chantées chacune par une soprane sur 10 airs mélodiques inédits composés pour l’occasion. Ces 100 enregistrements, dans lesquels mélodie et parole sont dissociées, ont ensuite été déformés en diminuant la quantité d’information présente dans chaque dimension du son. Il a été demandé à 49 participants d’écouter ces enregistrements déformés par paire, et de déterminer s’ils étaient identiques au niveau de la mélodie ou au niveau du texte. L’expérience a été menée en français et en anglais, afin d’observer si les résultats étaient reproductibles dans des langues différentes.

Une démonstration du test audio proposé aux participants est disponible (en anglais) sur le lien suivant :

 https://www.zlab.mcgill.ca/spectro_temporal_modulations/

L’équipe de recherche a constaté que, quelle que soit la langue, lorsque l’information temporelle était déformée les participants étaient capables de reconnaître la mélodie, mais avaient des difficultés à identifier le contenu du texte. À l’inverse, lorsque l’information spectrale était déformée, ils étaient capables de reconnaître le texte mais avaient du mal à reconnaître la mélodie.

L’observation par imagerie par résonance fonctionnelle (IRMf) de l’activité neuronale des participants a montré que, dans le cortex auditif gauche, l’activité variait en fonction de la phrase présentée mais restait relativement stable d’une mélodie à l’autre, tandis que dans le cortex auditif droit, l’activité variait en fonction de la mélodie présentée mais restait relativement stable d’une phrase à l’autre.

De plus, lorsque l’information temporelle était dégradée, seule l’activité neuronale du cortex auditif gauche était affectée, tandis que la dégradation de l’information spectrale affectait uniquement l’activité du cortex auditif droit. Enfin, les performances des participants dans la tâche de reconnaissance pouvaient être prédites seulement en observant l’activité neuronale de ces deux aires.

Extrait original de chant a capella (en bas à gauche) et son spectrogramme (au-dessus, en bleu) décomposé en fonction de la quantité d’informations spectrales et temporelles (au centre). Les cortex auditifs droit et gauche du cerveau (côté droit de la figure) décodent respectivement la mélodie et la parole.

« Ces résultats indiquent que dans chaque hémisphère cérébral, l’activité neuronale est dépendante du type d’information sonore, précise Benjamin Morillon. Si l’information temporelle est secondaire pour reconnaître une mélodie, elle est au contraire primordiale à la bonne reconnaissance du langage. Inversement, si l’information spectrale est secondaire pour reconnaître le langage, elle est primordiale pour reconnaître une mélodie. »

Les neurones du cortex auditif gauche seraient ainsi principalement réceptifs au langage grâce à leur meilleure capacité à traiter l’information temporelle, tandis que ceux du cortex auditif droit seraient, eux, réceptifs à la musique grâce à leur meilleure capacité à traiter l’information spectrale.  « La spécialisation hémisphérique pourrait être le moyen pour le système nerveux d’optimiser le traitement respectif des deux signaux sonores de communication que sont la parole et la musique », conclut Benjamin Morillon.

Ces travaux sont financés par une bourse Banting attribuée à Philippe Albouy, par des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada et de l’Institut canadien de recherches avancées accordées à Robert J. Zatorre, et par des financements ANR-16-CONV-0002 (ILCB), ANR-11-LABX-0036 (BLRI) et de l’initiative d’excellence d’Aix-Marseille Université (A*MIDEX).”

Stress post-traumatique : Nouvelles pistes pour comprendre la résilience au trauma

Une étude Science apporte de nouvelles pistes pour comprendre le trouble de stress post-traumatique © Inserm

Les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 novembre 2015, ont laissé des marques durables, non seulement sur les survivants et leurs proches, mais aussi sur la société française dans son ensemble. Vaste programme de recherche transdisciplinaire, le projet 13-Novembre est codirigé par le neuropsychologue Francis Eustache, directeur du laboratoire Inserm  Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine  (Inserm/Université de Caen Normandie/École pratique des hautes études/CHU Caen/GIP Cyceron), et l’historien Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS[1].  L’objectif : étudier la construction et l’évolution de la mémoire, individuelle et collective, de ces événements traumatiques, mais également mieux comprendre les facteurs protégeant les individus du stress post-traumatique.

Dans ce cadre, une étude d’imagerie cérébrale intitulée Remember, dont l’Inserm est promoteur, s’intéresse aux réseaux cérébraux impliqués dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Des travaux qui donnent lieu à une publication dans la revue Science, le 14 février 2020. Dirigée par le chercheur Inserm Pierre Gagnepain, cette étude montre que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives chez les patients atteints de stress post-traumatique, longtemps attribuée à une défaillance de la mémoire, serait également liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux qui la contrôlent. Ces résultats permettent d’identifier de nouvelles pistes de traitement.

 

  1. Contexte : le programme 13-Novembre

Les attaques du 13 novembre 2015, d’une ampleur et d’une violence inédites, ont provoqué une onde de choc dans la société française. La communauté scientifique décide de s’engager pour mieux appréhender les conséquences d’un tel traumatisme et améliorer la prise en charge des victimes et de leur entourage. Le 18 novembre 2015, Alain Fuchs, alors président du CNRS, s’adresse au monde académique et lance un appel à projets pour répondre à ces défis. Il demande à toutes les équipes de recherche intéressées d’émettre des « propositions sur tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales, techniques, numériques ».

Le programme transdisciplinaire 13-Novembre est alors lancé par l’Inserm, le CNRS et Hesam université[2]. Il comprend plusieurs volets, notamment « l’étude 1000 » : en pratique, l’idée est de suivre 1000 personnes volontaires sur 12 ans. Parmi elles, des personnes directement exposées aux attentats, survivants et proches des victimes, ainsi que celles intervenues sur les lieux le soir des attaques, mais aussi des habitants des quartiers ciblés et des quartiers périphériques de Paris et enfin des personnes issues de plusieurs autres villes françaises, afin de comprendre comment se construit et évolue la mémoire des attentats (voir encadré).

 

Remember : comprendre le trouble de stress post-traumatique

Dans le cadre du programme 13-Novembre, le projet Remember, dont l’Inserm est promoteur, permet d’aller encore plus loin dans la compréhension de la mémoire humaine. Avec cette étude d’imagerie cérébrale menée à Caen et portant sur un sous-groupe de 175 participants, les chercheurs explorent les effets d’un événement traumatique sur les structures et le fonctionnement du cerveau, identifiant des marqueurs neurobiologiques du stress post-traumatique mais également de la résilience au trauma. Ils espèrent qu’un jour ces travaux pourront déboucher sur de nouvelles pistes thérapeutiques, complémentaires à celles existant déjà.

Remember s’attèle ainsi à une question majeure qui intrigue les neuroscientifiques depuis des années : pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres ne développent jamais ce trouble ? L’un des objectifs de l’étude publiée dans la revue Science, est de déterminer s’il existe un lien entre les mécanismes de contrôle de notre mémoire et la capacité de résilience des individus.

« Nous avons focalisé ce programme de recherche sur les facteurs de protection et les marqueurs cérébraux associés à la résilience au traumatisme. C’est ce qui fait l’originalité de nos travaux par rapport aux études précédentes qui se focalisent plutôt généralement sur l’impact des chocs traumatiques sur la mémoire et son dysfonctionnement », souligne Pierre Gagnepain, chercheur Inserm et responsable scientifique de l’étude Remember.

L’« étude 1000 » du programme 13-Novembre 

Au cours de quatre campagnes d’entretiens filmés lancées avec le soutien de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD), réparties sur 10 ans (2016, 2018, 2021 et 2026), les participants sont amenés à partager leurs témoignages et à évoquer leurs souvenirs personnels des attentats à partir d’un guide d’entretien identique.

Ces récits individuels seront ensuite analysés en détail et mis en perspective avec les traces de la mémoire collective telle qu’elle se construit au cours du temps, notamment au sein des espaces médiatiques (journaux télévisés et radiodiffusés, articles de presse, réseaux sociaux, images commémoratives…).

Cette démarche s’inspire de celle mise en place par William Hirst, professeur de psychologie de la New School (New York, États-Unis), à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Avec ses équipes, il avait recueilli près de 3 000 questionnaires écrits, quatre fois en dix ans, sans viser un suivi de cohorte.

Le programme 13-Novembre va plus loin, en privilégiant des enregistrements vidéo, en cherchant à suivre les mêmes personnes sur ces dix années, et en privilégiant l’approche transdisciplinaire. Il s’agit en ce sens d’une première mondiale. « En mettant en place 13-Novembre, l’idée était d’aller encore plus loin, grâce à une collaboration très riche entre de multiples disciplines et à la mise en place de l’étude biomédicale Remember. Nous avons là une opportunité scientifique unique de voir le processus de construction de la mémoire individuelle, et comment elle dialogue avec la mémoire collective », soulignent Francis Eustache et Denis Peschanski, codirecteurs du programme 13-Novembre.

  1. Trouble de stress post-traumatique

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) peut se développer chez certains individus ayant été confrontés à des événements choquants, dangereux ou effrayants. D’abord repéré et étudié par les scientifiques au sein de populations de militaires revenus du front, le trouble de stress post-traumatique peut néanmoins toucher toutes les populations, enfants et adultes. Il peut survenir après tout type de traumatisme, d’une catastrophe naturelle au décès soudain d’un proche, en passant par un attentat terroriste comme ceux du 13 novembre 2015. Des études réalisées aux États-Unis et au Canada estiment que la prévalence du trouble de stress post-traumatique dans la population générale est de l’ordre de 6 à 9 %.

 

Les souvenirs intrusifs au cœur du trouble de stress post-traumatique

Le trouble de stress post-traumatique est un état complexe qui se caractérise par plusieurs symptômes, pouvant varier d’un individu à l’autre. Le trouble évolue de manière progressive, pouvant rester silencieux pendant des périodes relativement longues. Il peut apparaître juste après un traumatisme ou des années plus tard. Parmi les symptômes les plus caractéristiques, l’intrusion fréquente du souvenir des images, des odeurs et des sensations associées au traumatisme vécu.

Ces intrusions, qui bouleversent la vie quotidienne, induisent une grande détresse, ainsi que d’autres émotions intenses comme la peur, la culpabilité, la colère… Cet état peut s’accompagner de symptômes physiques provoqués par le rappel de l’événement, par exemple des tensions musculaires ou une accélération du rythme cardiaque. 

Afin de limiter le sentiment de détresse engendré par les souvenirs intrusifs, les personnes atteintes de trouble de stress post-traumatique ont également tendance à développer des comportements d’évitement pour fuir toutes les circonstances qui pourraient éveiller le souvenir du traumatisme. Ils peuvent refuser de penser à l’événement ou d’en parler, s’isolant parfois petit à petit du reste de la société, et même de leurs proches.

 

  1. L’étude Science: mieux comprendre l’origine des souvenirs intrusifs

 

 

D’après les modèles traditionnels du TSPT, la persistance des souvenirs intrusifs douloureux s’expliquerait par un dysfonctionnement de la mémoire, un peu à la manière d’un vinyle rayé rejouant en boucle les mêmes fragments de nos souvenirs. Au niveau anatomique, ces dysfonctionnements seraient visibles particulièrement au niveau de l’hippocampe, région clé pour la formation de la mémoire.

Par ailleurs, les tentatives de suppression par les patients de leurs souvenirs traumatiques ont longtemps été considérées comme un mécanisme inefficace. Au lieu de confronter ces images douloureuses pour les laisser dans le passé, le fait d’essayer de les chasser ou de les réprimer était plutôt perçu comme une stratégie négative, renforçant les intrusions et aggravant la situation des personnes souffrant de TSPT.

L’étude d’imagerie cérébrale Inserm publiée dans Science remet en cause certaines de ces idées, et émet l’hypothèse que la résurgence intempestive des images et pensées intrusives serait liée à un dysfonctionnement des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire (pour reprendre l’image précédente, le bras de la platine vinyle contrôlant la lecture des souvenirs). « Ces mécanismes de contrôle agissent comme un régulateur de notre mémoire, et sont engagés pour stopper ou supprimer l’activité des régions associées aux souvenirs, comme l’hippocampe », souligne Pierre Gagnepain.

 

Les participants devaient réaliser la tâche « Think No-Think » dans l’IRM. ©Cycéron

 

Méthodes et résultats de l’étude

Avec ses collègues du laboratoire dirigé par Francis Eustache, Pierre Gagnepain a travaillé avec 102 survivants des attaques de Paris, dont 55 souffrant de TSPT. 73 personnes n’ayant pas été exposées aux attentats ont également pris part à l’étude.

Afin de modéliser la résurgence des souvenirs intrusifs constatée dans le TSPT chez ces volontaires, sans les exposer à nouveau aux images choquantes des attentats, les scientifiques ont opté pour un protocole de recherche en imagerie cérébrale s’appuyant sur la méthode Think/No-Think (cf. encadré).

Cette méthode vise à créer des associations entre un mot indice et un objet du quotidien n’ayant rien à voir l’un avec l’autre (par exemple le mot « chaise » avec l’image d’un ballon), afin de reproduire la présence d’une intrusion lors de la confrontation avec le mot indice.  « Dans un second temps, nous pouvons étudier la capacité des participants à chasser et supprimer l’image intrusive de leur esprit surgissant contre leur gré lorsqu’ils sont confrontés au mot indice », précise la chercheuse Alison Mary, première auteure de l’article et chercheuse à l’Inserm au moment de ces travaux.

 

La méthode du Think/No Think permet d’obtenir un modèle d’intrusion des souvenirs (cf encadré). © Pierre Gagnepain/Inserm

 

La méthode du Think/No-Think

Hors de question pour les chercheurs de soumettre les survivants des attentats à de nouvelles images traumatisantes qui pourraient les replonger dans une situation de détresse. Le paradigme « think/no-think » modélise la situation dans laquelle se trouvent les patients en état de stress post-traumatique, confrontés à des images et à des souvenirs qui s’imposent fréquemment à eux de manière intrusive, mais sans avoir recours à des stimuli qui pourraient être traumatisants.  

Lors de la phase d’apprentissage, les participants apprennent des paires de stimuli par cœur (par exemple le mot chaise associé à l’image d’un ballon). L’objectif : quand le mot chaise est ensuite présenté aux participants, l’image du ballon est automatiquement réactivée. Le mot chaise se comporte comme indice d’une intrusion mentale, déclenchant le souvenir associé du ballon. Celui-ci survient de façon spontanée et automatique, simulant certaines caractéristiques des véritables souvenirs intrusifs du trouble de stress post-traumatique.

Dans la phase suivante, l’activité du cerveau est mesurée chez les participants à l’aide de la technique d’IRM fonctionnelle, selon deux conditions :

·         Condition « Think » : l’un des mots est présenté écrit en vert, et le sujet doit visualiser précisément l’image associée.

 

·         Condition « No-Think » : l’un des mots est présenté en rouge, et le sujet doit vider son esprit et empêcher l’image d’émerger, tout en maintenant son attention sur le mot. Les chercheurs distinguent alors les situations dans lesquelles l’image ne survient pas et les situations menant à une intrusion, même si elle est brève. Ils peuvent ainsi observer les différences d’activité cérébrale dans les deux cas, afin d’étudier de près les mécanismes de contrôle de la mémoire employés pour réprimer une image intrusive.

Contrôle des souvenirs intrusifs et résilience

Les chercheurs se sont intéressés aux connexions cérébrales entre régions de contrôle, situées dans le cortex frontal (à l’avant du cerveau) et les régions des souvenirs, telles que l’hippocampe. L’objectif : mettre en évidence d’éventuelles différences entre les trois groupes de participants (le premier non exposé aux attentats, le deuxième exposé aux attentats sans TSPT et le troisième exposé mais avec TSPT).

Les résultats montrent que les participants souffrant de TSPT présentent une défaillance des mécanismes qui permettent de supprimer et de réguler l’activité des régions de la mémoire lors d’une intrusion (notamment l’activité de l’hippocampe).  

À l’inverse, le fonctionnement de ces mécanismes est très largement préservé chez les individus sans TSPT, qui parviennent à lutter contre les souvenirs intrusifs. « Dans notre étude, nous suggérons que le mécanisme de suppression des souvenirs n’est pas intrinsèquement mauvais et à l’origine des intrusions comme on le croyait. En revanche, son dysfonctionnement l’est. Si on prend pour analogie les freins d’une voiture, ce n’est pas le fait de freiner, ou dans le cas qui nous occupe, de supprimer les souvenirs qui pose problème, mais le fait que le système de freinage soit défaillant, ce qui conduit à sa surutilisation », explique Pierre Gagnepain.

 

  1. Quelles sont les implications de ces travaux ?

 

Ces résultats permettent de questionner les idées reçues sur le trouble de stress post-traumatique et d’imaginer de nouvelles pistes de traitement.

Implications scientifiques

D’une part, l’étude souligne que la persistance du souvenir traumatique n’est vraisemblablement pas uniquement liée à un dysfonctionnement de la mémoire, mais également à un dysfonctionnement des mécanismes de contrôle de la mémoire.

D’autre part, si l’on a longtemps considéré les processus de suppression des souvenirs à l’œuvre chez les individus victimes de stress post-traumatique comme problématiques et inefficaces (puisqu’ils permettaient aux souvenirs traumatiques de revenir à la charge de manière encore plus violente), l’étude montre que le problème n’est pas ce mécanisme en tant que tel, mais sa mauvaise réalisation par les réseaux cérébraux.

Les patients atteints de TSPT seraient en fait constamment en état de « suppression » de la mémoire, même en l’absence d’intrusion des souvenirs, afin de compenser ce système défaillant du contrôle de la mémoire. Reste à déterminer si ces difficultés de contrôle se sont instaurées après le traumatisme, ou étaient présentes avant, rendant l’individu plus vulnérable.

 

Implications thérapeutiques

À l’heure actuelle, la plupart des thérapies existantes proposées aux patients visent à recontextualiser les souvenirs problématiques, à faire prendre conscience qu’ils appartiennent au passé, et à réduire le sentiment de peur qu’ils suscitent.

Proposer des interventions déconnectées des événements traumatiques, stimulant les mécanismes de contrôle identifiés dans cette étude, pourrait être un complément utile pour entraîner les patients à mettre en place des mécanismes de suppression plus efficaces. « Tous les traitements impliquent aujourd’hui de se confronter au traumatisme, ce qui n’est pas toujours évident pour les patients. On pourrait imaginer que réaliser une tâche similaire à la méthode Think-No Think permette de stimuler les mécanismes de suppression, facilitant ainsi le traitement du souvenir traumatique dans les thérapies classiques », expliquent les chercheurs.

 

Des résultats en dialogue avec les autres volets du programme 13-Novembre

L’étude permet aussi de mieux étudier le fonctionnement cérébral des survivants « résilients », n’ayant pas développé le trouble. « Cette étude va plus loin que toutes les autres, qui se concentrent traditionnellement sur les militaires ayant été exposés à des situations traumatiques. Cependant, les militaires ont rarement été exposés au même degré, à la même fréquence, ni aux mêmes situations. Il est donc souvent difficile d’étudier en parallèle des individus atteints de stress post-traumatique et des individus résilients ayant été exposés à la même situation choquante. Ici, nous avons cette possibilité. C’est un progrès qui aura, nous l’espérons, des répercussions importantes pour toutes les personnes victimes de trauma dans le monde », souligne Pierre Gagnepain.

Plusieurs études se profilent désormais pour venir compléter ces résultats. Les chercheurs vont notamment utiliser les données collectées lors des sessions d’imagerie cérébrale pour s’intéresser de plus près aux altérations spécifiques de l’hippocampe, structure clé dans l’expression des souvenirs intrusifs. Les études avec ces participants ayant déjà été menées à deux reprises, à deux ans d’intervalle, les chercheurs pourront également étudier leur évolution individuelle et tenter de repérer des biomarqueurs permettant de prédire cette évolution. « Enfin, il sera intéressant de confronter les données collectées dans le cadre du programme 13-Novembre, qui étudie l’évolution du souvenir traumatique aux niveaux collectif et individuel, et ceux de Remember, qui étudie les mécanismes cérébraux permettant de lutter contre ce traumatisme. Des travaux originaux et inédits au niveau mondial », conclut Pierre Gagnepain.

C’est cette capacité à faire dialoguer de nombreuses disciplines et à explorer toute la complexité de la mémoire humaine qui fait toute la richesse du programme 13-Novembre.

 

Témoignages de participants*

L’histoire d’Anna

Pour Anna et le père de ses enfants, le 13 novembre 2015 était une date importante. Pour la première fois depuis la naissance de leur deuxième fils, ils sortaient dîner en amoureux dans leur quartier. Habitant le XIe arrondissement, ils avaient choisi un restaurant à proximité. Après leur repas, alors qu’Anna rentrait retrouver leurs enfants, une détonation retentit sur le trottoir d’en face, au niveau du Comptoir Voltaire. Pensant à une fuite de gaz dans l’un des immeubles de la rue, elle était alors bien loin d’imaginer ce qui se passait réellement.

C’est en remontant chez elle, alors que la nouvelle des attentats est en train de faire le tour du monde, qu’Anna a commencé à réaliser ce qu’elle a vécu. Le reste de cette nuit-là est pour elle associé à une sensation de flottement et d’angoisse alors que son mari, parti retrouver des collègues pour une fête de fin de tournage, s’est retrouvé confiné dans le lieu qui accueillait la fête. À ce flottement succèdera l’incompréhension face à l’horreur tout au long du weekend qui a suivi.

La semaine après les attentats est difficile. Anna a du mal à réaliser ce qui s’est passé, elle pleure beaucoup. Chaque jour, elle craint pour la vie de ses enfants, scolarisés dans le quartier. Le diagnostic de stress post-traumatique est rapidement posé.

Participation aux études  

Après les attentats, Anna apprend qu’une campagne de recrutement est menée à l’INA, qui recherche des volontaires pour participer au Programme 13-Novembre de l’Inserm et du CNRS. Sa psychologue l’incite à y participer, l’envie de mieux appréhender les événements du 13 novembre 2015 et d’apporter son témoignage à la communauté scientifique pousse Anna à s’y rendre. Tout s’enchaîne ensuite : elle acceptera aussi de participer à l’étude d’imagerie cérébrale du programme promue par l’Inserm, Remember.

Pour Anna, prendre part à une étude biomédicale a constitué une expérience très intense, mais enrichissante sur le plan humain. « À Caen, j’ai été accueillie avec beaucoup de bienveillance par l’équipe. Une équipe de médecins et psychologues étaient là pour poser des questions sur mon état de santé et pour m’expliquer le protocole et ses objectifs. On ressort lessivé : l’apprentissage de la liste de mots n’est pas une chose aisée, et la tâche Think-NoThink dans le scanneur est difficile à réaliser, car il y a beaucoup de bruit, mais j’ai été bien entourée, et je suis contente de savoir que ma participation permettait d’en apprendre plus sur le fonctionnement du cerveau dans le trouble de stress post-traumatique », explique-t-elle.

Anna n’a jamais cessé d’avancer tout en étant accompagnée par une psychologue rencontrée dans le cadre de la cellule de crise de la mairie du XIe. Elle est heureuse d’avoir pu participer à l’étude Remember et espère que les résultats permettront d’améliorer la prise en charge des personnes vivant avec du stress post-traumatique, et de dédramatiser ce trouble.

L’histoire de Dominique

C’est lors d’une réunion d’une association de victimes des attentats que Dominique a pour la première fois entendu parler du programme 13-Novembre codirigé par Francis Eustache et Denis Peschanski. Rescapé des attaques terroristes perpétuées dans les cafés parisiens, Dominique a toujours été très intéressé par la science et notamment par le grand défi scientifique que constitue l’exploration du cerveau humain pour en percer les mystères. L’aspect transdisciplinaire du programme, à la croisée des sciences sociales et des neurosciences, ainsi que la volonté des chercheurs de travailler sur la construction de la mémoire ont attisé sa curiosité.

« En tant que survivant des attentats, on peut ressentir une forme de culpabilité. J’avais envie d’agir, je voulais apporter une contribution pour que les choses avancent après ces événements. Le fait de participer à une étude scientifique autour de thématiques aussi importantes que celles de la mémoire collective d’un pays, de la prise en charge de victimes atteintes de stress post-traumatique et du vivre-ensemble en société après les attentats me paraissait intéressant. Et surtout, je m’en sentais capable », explique Dominique.

Après avoir participé aux sessions filmées à l’INA dans le cadre du programme 13-Novembre, Dominique a ensuite accepté de se rendre à Caen à deux reprises pour participer à l’étude Remember. Une expérience à la fois difficile et très enrichissante. « Les échanges avec tous les chercheurs qui étaient là, étaient passionnants, j’avais plein de questions à leur poser sur leur travail, sur ce qu’ils cherchaient à voir dans le cerveau. En revanche, la partie de l’étude sous IRM était un vrai défi. Je ne suis pas claustrophobe mais vous êtes tout de même confiné dans un espace étroit, dans la pénombre, et la machine est très bruyante, produisant des sons pouvant rappeler des coups de feu. Quand vous tentez de lutter contre vos souvenirs intrusifs, c’est très dur. Heureusement que j’étais bien accompagné par l’équipe », précise-t-il.  

Afin de surmonter l’étape de l’IRM lors la deuxième session à Caen, Dominique s’est d’ailleurs entraîné à rester dans des espaces étroits en se glissant sous le lit à plusieurs reprises. À sa grande surprise, tout s’est déroulé sans encombre cette deuxième fois, et il est prêt à retourner à Caen l’année prochaine pour une troisième et dernière série d’expériences visant à collecter des données supplémentaires pour étudier l’évolution des participants à l’étude sur le plus long terme, et aller encore plus loin que l’étude publiée dans Science

* Les prénoms ont été changés à la demande des participants

 

En savoir plus sur le programme 13-Novembre : « Quelle sera la mémoire du 13 novembre ? » (entretien croisé de Francis Eustache et Denis Peschanski du 13 juin 2016).

 

[1] Actuellement au Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/EHESS)

[2] Porté par le CNRS et l’Inserm pour le volet scientifique et par HESAM Université pour le volet administratif, le programme 13-Novembre est financé par le Secrétariat général pour l’investissement via l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du Programme investissements d’avenir (PIA). Il rassemble 31 partenaires et 26 soutiens. Il est une composante de l’équipex MATRICE.  Pour en savoir plus : http://www.memoire13novembre.fr/partenaires-et-soutiens2020-02-13_DP_13 Novembre  

La mémoire collective façonne la construction des souvenirs personnels

Les chercheurs ont procédé à une analyse de la couverture médiatique de la Seconde Guerre mondiale, afin d’identifier les représentations collectives communes associées à cette période. Crédits : Adobe Stock

Pour les sociologues, nos souvenirs sont modelés par la mémoire collective de notre communauté. Jusqu’à maintenant, ce phénomène n’avait jamais été étudié au niveau neurobiologique. Des travaux menés par les chercheurs Inserm Pierre Gagnepain et Francis Eustache (Inserm/Université de Caen Normandie/Ecole Pratique des Hautes Etudes/CHU Caen/GIP Cyceron), associés à leurs collègues du projet Matrice piloté par Denis Peschanski, historien au CNRS, se sont intéressés aux représentations collectives de la Seconde Guerre mondiale en France. Ils montrent grâce à l’imagerie cérébrale comment la mémoire collective façonne la mémoire individuelle. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Human Behaviour.

Au siècle dernier, le sociologue français Maurice Halbwachs soulignait que les souvenirs individuels sont influencés par les cadres sociaux dans lesquels ils s’insèrent. Selon cette perspective, le fonctionnement de la mémoire des individus ne peut être compris sans s’intéresser également à leur appartenance à un groupe, et aux cadres sociaux liés à la mémoire collective.

Jusqu’ici, ces théories n’avaient jamais été testées par les neuroscientifiques. Les chercheurs Inserm Pierre Gagnepain et Francis Eustache (Inserm/Université de Caen Normandie/Ecole Pratique des Hautes Etudes/CHU Caen/GIP Cyceron), associés notamment à leurs collègues du programme Matrice[1] piloté par l’historien CNRS Denis Peschanski, ont décidé de se pencher sur la question, en utilisant des techniques d’imagerie cérébrale. Ils ont pour la première fois mis en évidence dans le cerveau le lien qui existe entre mémoire collective et souvenirs personnels.

La mémoire collective est constituée de symboles, de récits, de narrations, et d’images qui participent à la construction identitaire d’une communauté. Pour mieux appréhender cette notion, les chercheurs ont d’abord procédé à une analyse de la couverture médiatique de la Seconde Guerre mondiale, afin d’identifier les représentations collectives communes associées à cette période. Ils se sont intéressés au contenu de 30 ans de reportages et de documentaires sur la guerre, diffusés entre 1980 et 2010 à la télévision française, et retranscrits par écrit.

A l’aide d’un algorithme, ils ont analysé ce corpus inédit et identifié des groupes de mots utilisés régulièrement pour parler de grandes thématiques associées à notre mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, comme par exemple le débarquement allié en Normandie. « Notre algorithme identifiait automatiquement les thématiques centrales et les mots qui y étaient associés de façon récurrente, dévoilant ainsi nos représentations collectives de cette période cruciale de notre histoire », précise Pierre Gagnepain.

Visite du Mémorial de Caen

Mais quel est le lien entre ces représentations collectives de la guerre et la mémoire individuelle ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont recruté 24 volontaires pour visiter le Mémorial de Caen et les ont invités à observer des photos de la période, accompagnées de légendes.

En s’appuyant sur les mots contenus dans ces légendes, l’équipe a pu définir le degré de relation entre les photos et les différentes thématiques de la mémoire collective identifiées précédemment. Si des mots qui avaient précédemment été associés à la thématique du débarquement se retrouvaient dans une légende par exemple, la photo était alors considérée comme associée à cette thématique dans la mémoire collective. Les chercheurs ont ainsi pu établir une proximité entre chacune des images : lorsque deux photos étaient associées aux mêmes thématiques, elles étaient considérées comme « proches » dans la mémoire collective.

Pierre Gagnepain et ses collègues se sont ensuite intéressés à la perception de ces photos dans la mémoire des individus. Ils ont cherché à savoir si le même degré de proximité entre les photos se retrouvait aussi dans les souvenirs individuels. Ils ont donc fait passer un examen IRM aux volontaires, pendant que ceux-ci se remémoraient les images vues la veille au Mémorial. Les chercheurs se sont notamment penchés sur l’activité du cortex préfrontal médian, zone du cerveau associée à la cognition sociale.

Proximité entre les photos

Avec toutes ces données, ils ont ainsi pu comparer le degré de proximité entre les photos, à la fois en s’intéressant aux représentations collectives de la guerre dans les médias, et par le biais de l’imagerie cérébrale, en s’intéressant aux souvenirs individuels que les participants à l’étude avaient de ces images suite à une visite du Mémorial. L’équipe a ainsi montré que lorsqu’une photo A était considérée comme proche d’une photo B, parce qu’associée de la même manière à une même thématique collective, elle avait aussi une probabilité plus élevée de déclencher une activité cérébrale similaire que cette photo B dans le cerveau des individus.

Cette approche novatrice a permis une comparaison indirecte entre mémoire collective et mémoire individuelle. « Nos données démontrent que la mémoire collective, qui existe en dehors et au-delà des individus, organise et façonne la mémoire individuelle. Elle constitue un modèle mental commun permettant de connecter les souvenirs des individus à travers le temps et l’espace », souligne Pierre Gagnepain.

D’autres travaux sont en cours pour mieux comprendre l’interaction entre mémoire collective et mémoire individuelle. Néanmoins, un enseignement peut déjà être tiré de cette étude : aucune recherche sur le fonctionnement de nos souvenirs ne peut se faire sans prendre en compte le contexte social et culturel dans lequel nous évoluons en tant qu’individus.    

[1] Dirigée par l’historien Denis Peschanski, l’équipex Matrice est un programme de recherche sur la mémoire prenant en compte tous ses aspects dans une approche transdisciplinaire, fondée sur les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant et celles de l’ingénierie. Les autres laboratoires français impliqués sont le Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CNRS/Université Panthéon-Sorbonne/EHESS), l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités (CNRS/ENS de Lyon/Universités Jean Monnet, Lumière Lyon 2, Jean Moulin et Clermont Auvergne) et le Laboratoire CNRS d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur.

Explorer la « carte » de notre cerveau pour ouvrir la voie à la médecine personnalisée du futur

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L’imagerie cérébrale permet de visualiser les connexions qui existent entre les régions du cerveau. Ces connexions dessinent une véritable « carte » de la structure cérébrale, propre à chaque individu. Une équipe menée par Christophe Bernard, chercheur Inserm, et Viktor Jirsa au sein de l’Institut de Neurosciences des Systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), a montré que la connaissance de cette carte permet de prédire le fonctionnement du cerveau, le développement potentiel de maladies neurologiques et leur traitement. Leurs résultats sont publiés dans la revue PNAS.

 

Depuis une trentaine d’années, les rapides progrès de l’imagerie cérébrale (imagerie par résonnance magnétique ou IRM) ont permis de grandes avancées en neurosciences. Cette technique a ouvert la voie à une meilleure compréhension du cerveau et des mécanismes de certaines pathologies.

L’IRM permet d’avoir accès à l’organisation générale du cerveau, notamment la carte des connexions neuronales qui existent entre les différentes régions cérébrales (un peu comme une carte des routes qui relient les différentes villes entre elles). « Cette carte est unique à chaque personne, elle est même plus précise qu’une empreinte digitale », souligne le chercheur Inserm Christophe Bernard. Pour poursuivre l’analogie, les maladies neurologiques, telles que la maladie d’Alzheimer ou les épilepsies, sont associées à une réorganisation des cartes. Ainsi, les connexions entre régions cérébrales sont modifiées, certaines « routes » disparaissent.

Mais s’il est possible de visualiser très précisément le cerveau de chaque individu après avoir obtenu la carte des connexions avec l’IRM, est-il possible à partir de là de prévoir tout aussi précisément son fonctionnement cérébral ainsi que le développement éventuel de pathologies et leur traitement ? La connaissance de cette « carte » est-elle suffisante pour faire ce type de prédictions de manière individuelle, chez chaque patient ?

 

Cerveau virtuel

C’est à ces questions que Christophe Bernard, chercheur à l’Institut de Neurosciences des Systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université) et ses collègues ont tenté de répondre dans une nouvelle étude publiée dans la revue PNAS. Les chercheurs ont d’abord visualisé très précisément par imagerie cérébrale les connexions existantes entre les régions cérébrales du cerveau de plusieurs souris.

À partir de ces « cartes », ils ont créé des modèles virtuels du cerveau de chaque souris grâce à une technologie appelée « Cerveau Virtuel »[1], en collaboration avec des chercheurs de Technion en Israël. Dans chacun de ces cerveaux virtuels, les chercheurs ont ensuite généré une activité électrique, mimant ce qui se passe dans un cerveau réel.

La carte des connexions cérébrales d’une souris permet de prédire l’activité du cerveau de cette même souris. Résultats obtenus après virtualisation du cerveau de souris sur la plateforme « Le Cerveau Virtuel ». Crédits : Christophe Bernard

Ceci leur a permis d’étudier quelle région du cerveau communique avec quelle région, résultats qui ont été comparés avec les données expérimentales obtenues à l’état de repos chez chaque souris en imagerie fonctionnelle. Les chercheurs ont ainsi montré que la connaissance de la « carte » de chaque souris suffit à expliquer l’activité du cerveau de cette même souris comme vue en imagerie fonctionnelle. Ils ont aussi pu démontrer quelles connexions font que chaque cerveau de souris est unique.

Ces résultats devront être validés chez l’Homme, mais ils permettent d’ores et déjà d’ouvrir la voie à la médecine personnalisée du futur. « Nos travaux valident la stratégie de virtualisation du cerveau des patients pour explorer dans l’ordinateur les stratégies thérapeutiques optimales avant leur transfert personnalisé. Nous pouvons imaginer que le fait de pouvoir prédire le développement de certaines pathologies chez un individu à partir de la carte unique de son cerveau nous permettent d’envisager des stratégies de prévention et des options thérapeutiques personnalisées », souligne Christophe Bernard.

[1] Le « Cerveau virtuel est une plateforme neuro-informatique, développée par Viktor Jirsa à l’Institut de Neuroscience des Systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université) en collaboration avec Randy McIntosh (Baycrest Centre, Toronto) et Petra Ritter (Charité, Berlin). La technologie permet la création de modèles individuels du cerveau. En cours d’évaluation dans le contexte de patients épileptiques résistants aux médicaments, cet outil permet par exemple, après la virtualisation du cerveau d’un patient, d’explorer et de prédire quelle serait la meilleure intervention neurochirurgicale pour guérir une épilepsie résistante à tout traitement.

Troubles développementaux de la coordination ou dyspraxie, une expertise collective de l’Inserm

©Frédérique Koulikoff/Inserm

L’Inserm publie une nouvelle expertise collective sur le trouble développemental de la coordination (TDC), ou dyspraxie. Commandée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), elle repose sur l’étude, par un groupe d’experts, de plus de 1400 articles scientifiques pour explorer ce trouble encore méconnu mais qui touche environ 5 % des enfants. Parmi les recommandations de cette expertise figurent celle de garantir l’accès pour tous à des professionnels formés au diagnostic et à la prise en charge des TDC, ainsi que celle de permettre à chaque enfant de mener à bien sa scolarité.

Chez l’enfant, le trouble développemental de la coordination (TDC), aussi appelé dyspraxie, est un trouble fréquent (5% en moyenne). Pour les activités nécessitant une certaine coordination motrice, les enfants atteints de TDC ont des performances inférieures à celles attendues d’un enfant du même âge dans sa vie quotidienne (habillage, toilette, repas, etc.) et à l’école (difficultés d’écriture).

La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a commandé à l’Inserm une expertise collective pour faire le point sur les connaissances scientifiques autour des TDC. Pendant deux ans, le pôle Expertise collective de l’Inserm a coordonné une douzaine de chercheurs et auditionné une dizaine de spécialistes pour passer en revue un corpus scientifique de plus de 1400 articles internationaux et proposer des recommandations pour un meilleur diagnostic et une meilleure prise en charge des jeunes présentant un TDC.

On observe une grande hétérogénéité dans l’intensité et la manifestation des TDC. Par ailleurs, l’expertise pointe leur association fréquente avec d’autres troubles neurodéveloppementaux (troubles du langage, de l’attention et des apprentissages) ainsi qu’avec un risque élevé d’apparition de troubles anxieux, émotionnels ou comportementaux. Ces troubles ont un impact sur la qualité de vie de l’enfant et sur sa participation aux activités, en particulier scolaires. Une des difficultés centrales pour l’insertion scolaire de ces enfants concerne l’écriture manuscrite.

Pour limiter ces répercussions du TDC sur la vie de l’enfant, l’expertise précise que le repérage des signes d’appel est un enjeu majeur pour la mise en place d’un suivi rapide de l’enfant et d’une prise en charge personnalisée en fonction de son âge, de la sévérité de son trouble, des troubles associés ou encore de ses compétences verbales.

 

Recommandations de l’expertise collective de l’Inserm

Les recommandations avancées par cette expertise collective peuvent être résumées selon trois grands axes.

Le premier axe de recommandations consiste à garantir l’accès pour tous à un diagnostic, et ce dans les meilleurs délais après le repérage des premiers signes. L’expertise pointe ainsi la nécessité de former des professionnels. Elle met l’accent sur l’importance d’approfondir les critères et de standardiser les outils nécessaires à l’établissement d’un diagnostic selon des normes internationales.

La pose d’un tel diagnostic implique au minimum la contribution d’un médecin formé aux troubles du développement ainsi que celle d’un psychomotricien ou d’un ergothérapeute.

Le deuxième axe de recommandations s’intéresse aux interventions post-diagnostic. Il n’existe pas d’intervention-type dont l’efficacité serait unanimement reconnue. Une fois le diagnostic posé, l’enjeu est donc de mettre en place une intervention adaptée prenant en compte le profil de l’enfant, sa qualité de vie ainsi que celle de sa famille. Les experts conseillent de prescrire des séances de groupe pour les enfants les moins touchés et des séances individuelles pour les autres. Par ailleurs, ils recommandent également de privilégier les interventions centrées sur l’apprentissage des compétences nécessaires à la scolarité et à la vie quotidienne. Enfin, ces interventions doivent impliquer davantage les familles, les enseignants et les encadrants extérieurs qui gravitent autour de l’enfant.

Le troisième et dernier axe a pour objectif de permettre à chaque enfant de mener à bien sa scolarité. Cela nécessite la mise en place par les enseignants et l’institution scolaire des aménagements nécessaires à l’enfant lors des examens, en application de la loi de 2005 sur le handicap. En outre, cela passe également par la sensibilisation et la formation des acteurs menés à encadrer et à interagir avec l’enfant dans la vie quotidienne, que ce soit à la maison, à l’école ou dans les loisirs.

Des erreurs à l’origine de la créativité de l’esprit humain ?

©AdobeStock

Pourquoi certains de nos choix semblent-ils poussés par l’envie d’explorer l’inconnu ? Une équipe Inserm de l’École normale supérieure menée par Valentin Wyart, lauréat d’une bourse ERC en 2017, vient de montrer qu’une grande partie de ces choix n’est pas motivée par la curiosité, mais par des erreurs résultant des mécanismes cérébraux impliqués dans l’évaluation de nos options. Ces résultats ont été publiés dans Nature Neuroscience.

Où aller dîner ce soir : choisir son restaurant favori ou essayer un nouvel endroit ? Pour quelle destination opter pour ses prochaines vacances : la maison familiale que l’on connait par cœur ou une location à l’autre bout du monde ? Lorsque nous devons faire un choix entre plusieurs options, nos décisions ne se dirigent pas toujours vers l’option la plus sûre en se fondant sur nos expériences passées. Cette variabilité caractéristique des décisions humaines est le plus souvent décrite comme de la curiosité : nos choix seraient le reflet d’un compromis entre exploiter des options connues et explorer d’autres options aux issues plus incertaines. La curiosité serait même un attribut de l’intelligence humaine, source de créativité et de découvertes inattendues. Cette interprétation repose sur une hypothèse très forte, quoique rarement mentionnée explicitement, selon laquelle nous évaluons nos options sans jamais faire d’erreur.
Une équipe de recherche de l’Inserm du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (LNC2) financée par le Conseil européen de la recherche (ERC) a voulu tester cette hypothèse implicite sur laquelle reposent de nombreux résultats. Les chercheurs soupçonnaient que notre capacité à évaluer nos options et à les réviser était largement surestimée, sur la base de résultats publiés en 2016 dans Neuron :

« L’un d’entre nous avait montré que notre capacité à faire le bon choix sur la base d’indices partiels est limitée par des erreurs de raisonnement au moment de combiner ces indices, et non par des hésitations au moment du choix. Nous nous sommes donc demandé si ces erreurs de raisonnement pouvaient être responsables d’une partie des choix considérés comme relevant de la curiosité par les théories actuelles. »

Pour étayer leurs soupçons, les chercheurs ont étudié le comportement d’une centaine de personnes dans un jeu de machines à sous qui consistait à choisir entre deux symboles associés à des récompenses incertaines. Ils ont analysé le comportement des participants à l’aide d’un nouveau modèle théorique tenant compte d’erreurs d’évaluation des symboles développé par Charles Findling, post-doctorant dans l’équipe et co-premier signataire de l’article.

Les chercheurs ont ainsi découvert que plus de la moitié des choix habituellement considérés comme relevant de la curiosité était en réalité due à des erreurs d’évaluation. « Ce résultat est important, car il implique que de nombreux choix vers l’inconnu le sont à notre insu, sans que nous en ayons conscience » explique Valentin Wyart, directeur de l’équipe.

« Nos participants ont l’impression de choisir le meilleur symbole et non pas le plus incertain, mais ils le font sur la base de mauvaises informations résultant d’erreurs de raisonnement. »

Les participants ont joué à un jeu de machine à sous qui consistait à choisir entre deux symboles associés à des récompenses incertaines. Dans cet exemple, le participant doit choisir entre le symbole de gauche qui lui a rapporté de l’argent dans les essais précédents, et le symbole de droite qui n’a pas été essayé récemment et dont le résultat est donc plus incertain. Les théories actuelles décrivent ce genre de choix comme le reflet d’un compromis entre exploiter des options connues (dans cet exemple, choisir le symbole de gauche) et explorer d’autres options plus incertaines (choisir le symbole de droite).

Pour comprendre d’où viennent ces erreurs, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale d’une partie des participants en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Ils ont découvert que l’activité du cortex cingulaire antérieur, une région impliquée dans la prise de décision, fluctuait avec les erreurs d’évaluation des participants. Plus l’activité de cette région était grande au moment de l’évaluation des options, plus les erreurs d’évaluation étaient importantes. Pour Vasilisa Skvortsova, post-doctorante et co-première signataire de l’article, « ces erreurs d’évaluation pourraient être régulées via le cortex cingulaire antérieur par le système neuromodulateur de la noradrénaline, en contrôlant la précision des opérations mentales effectuées par le cerveau ». Autrement dit, notre cerveau utiliserait ses propres erreurs pour produire des choix vers l’inconnu, sans s’appuyer sur notre curiosité. « C’est une vision radicalement différente des théories actuelles qui considèrent ces erreurs comme négligeables », insiste Valentin Wyart.

Les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale des participants en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Ils ont découvert que les régions cérébrales qui s’activent lorsque les participants explorent des symboles incertains (en jaune) sont les mêmes qui s’activent lorsque les participants commettent des erreurs de raisonnement. Les régions cérébrales affichées sont le cortex cingulaire antérieur dorsal (dACC), le cortex dorsolatéral préfrontal (dlPFC), le cortex frontopolaire (FPC) et le cortex ventromédial préfrontal (vmPFC).

Si ces résultats peuvent paraître surprenants, le sont-ils vraiment ? De nombreuses découvertes majeures sont le résultat d’erreurs de raisonnement : la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, qui croit avoir atteint les « indes orientales » – une erreur de navigation de 10 000 km, mais aussi la découverte de la radioactivité par Henri Becquerel, qui pense initialement que les radiations émises par l’uranium sont dues à la réémission de l’énergie solaire, ou encore la découverte du pacemaker par John Hopps en essayant de traiter l’hypothermie à l’aide d’une fréquence radio. En allant plus loin, « l’évolution des espèces repose elle aussi sur des variations aléatoires du génome, autrement dit des erreurs génétiques, dont certaines sont conservées par sélection naturelle », rappelle Valentin Wyart. Il n’y aurait donc en fait rien d’étonnant à ce que notre cerveau tire parti de ses erreurs pour sortir des sentiers battus.

Comment les personnes autistes éviteraient les situations socio-émotionnelles

Le manque de flexibilité cognitive est une des hypothèses mises en avant pour expliquer les comportements répétitifs des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme. Et si ce n’était pas le cas ? C’est ce que suggèrent les travaux d’une équipe de chercheurs de l’Inserm et de l’université de Tours qui ont suivi par IRM l’activité cérébrale de participants autistes et non-autistes face à des situations similaires à celles posant problème aux personnes autistes au quotidien. Leurs résultats parus dans Brain and Cognition suggèrent que l’inflexibilité des personnes autistes proviendrait en fait d’une stratégie d’évitement des situations socio-émotionnelles. Ces travaux ouvrent de nouvelles pistes dans la compréhension et la prise en charge de l’autisme, en proposant de ne plus dissocier le domaine cognitif du domaine socio-émotionnel mais de les considérer comme étroitement liés.

Les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) montrent dans leurs activités quotidiennes des difficultés à adapter leur comportement aux modifications de l’environnement. Le TSA est caractérisé par deux critères diagnostiques principaux : une difficulté persistante à communiquer socialement et un enfermement dans des schémas comportementaux répétitifs, des intérêts et/ou activités restreints. Mais si le diagnostic d’autisme requiert la présence simultanée de ces deux critères, leur interaction demeure peu étudiée.

Dans une étude dirigée par Marie Gomot, chercheuse Inserm, au sein du laboratoire « Imagerie et cerveau » (Inserm/Université de Tours), cette question a été abordée en comparant la gestion cognitive des informations socio-émotionnelles et celle des informations non-sociales chez les personnes autistes.

Si les processus à l’origine des symptômes du TSA ne sont pas encore bien compris, l’une des hypothèses aujourd’hui avancée est un manque de flexibilité cognitive, c’est-à-dire une difficulté à alterner entre plusieurs tâches et à analyser son environnement pour s’adapter à ses changements.

Pour évaluer cette flexibilité, les chercheurs ont suivi par IRM l’activité cérébrale de participants autistes et non-autistes soumis à un test simulant des situations similaires à celles posant problème aux personnes TSA au quotidien.

L’équipe de recherche a utilisé une version modifiée d’un test classique en neuropsychologie qui lui a permis de tester la flexibilité cognitive lors du traitement d’informations non sociales ou socio-émotionnelles. Cinq cartes étaient présentées, chacune illustrée d’un visage différent. Les participants devaient associer la carte centrale avec une des quatre cartes adjacentes selon un des trois critères suivants : couleur du cadre de la carte (information non sociale), identité du visage (information sociale) ou expression faciale (information socio-émotionnelle). Tout au long du test, pour évaluer la flexibilité cognitive des participants, il leur était demandé de réaliser différentes associations (même couleur, même identité ou même expression faciale) en changeant ou maintenant une des trois règles en vigueur.

L’équipe de recherche n’a constaté aucune différence significative entre les participants autistes et non-autistes sur les paramètres comportementaux mesurant purement la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à adopter une nouvelle règle.

En revanche, l’étude révèle l’importance de la nature de l’information à traiter sur ces processus de flexibilité cognitive dans l’autisme. Ainsi, les participants TSA ont besoin de plus d’essais que les participants non-TSA pour s’orienter vers la règle liée à l’information socio-émotionnelle, alors qu’ils ne montrent pas de difficultés particulières à adopter celles impliquant le traitement d’informations non émotionnelles.

Parallèlement, l’IRM a mis en évidence une activité cérébrale significativement plus importante chez les participants autistes lorsqu’ils devaient faire preuve de flexibilité cognitive. Cette activité cérébrale ne se stabilisait que lorsque les participants TSA recevaient confirmation qu’ils avaient trouvé la bonne règle à appliquer. Cette observation suggère que l’adaptation à une nouvelle situation nécessiterait un niveau plus élevé de certitude chez les personnes autistes.

« Ces résultats sont importants car ils suggèrent que les personnes TSA pourraient mettre en place des routines et des comportements répétitifs non en raison d’un réel manque de flexibilité cognitive mais plutôt pour éviter d’être confrontées à certaines situations socio-émotionnelles, précise Marie Gomot. Le besoin d’un haut niveau de certitude combiné à une faible compréhension des codes régissant les interactions socio-émotionnelles mènerait ainsi à un évitement des tâches impliquant une composante socio-émotionnelle. » Et de conclure, « ces travaux confirment que les dysfonctionnements cognitifs et émotionnels sont étroitement liés dans le TSA et qu’ils devraient davantage être considérés conjointement dans de futures études. »

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