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Hypertension artérielle: le bénéfice d’une thérapie par ultrasons montré

Prise de la tension artérielle chez un patientPrise de la tension artérielle chez un patient © Inserm/Depardieu, Michel

Des équipes du Centre d’Excellence en Hypertension Artérielle de l’hôpital européen Georges-Pompidou AP-HP, d’Université Paris Cité, de l’Inserm et de l’hôpital Presbytérien de New-York, coordonnées par le Pr Michel Azizi, ont montré le bénéfice de la dénervation rénale endovasculaire par ultrasons chez les patients atteints d’hypertension artérielle. Ces travaux ont fait l’objet de publications internationales le 28 février 2023 dans les revues JAMA et JAMA Cardiology.

En France, l’hypertension artérielle (HTA) touche environ 30% de la population et peut conduire à des complications cardiovasculaires ou rénales graves, parfois mortelles. Malgré la disponibilité de nombreux médicaments, l’HTA reste mal contrôlée chez près de la moitié des patients hypertendus.

La dénervation rénale par voie endovasculaire est une technique qui a été développée pour répondre à cette problématique, en l’absence de disponibilité de nouveaux médicaments depuis 2007. Son principe repose sur l’interruption de l’activité électrique des nerfs du système nerveux sympathique à destinée rénale en délivrant des ultrasons focalisés par l’intermédiaire d’un cathéter.

Après de premiers résultats positifs dans l’HTA modérée ou sévère et résistante aux traitements, les équipes de recherche ont poursuivi leurs travaux dans une nouvelle étude de phase III.

Cette étude internationale menée par le Pr Michel Azizi et le Pr Ajay Kirtane (Columbia University Medical Center/NewYork-Presbyterian Hospital), en collaboration avec une start-up américaine (ReCor Medical), compare la dénervation rénale par ultrasons à une intervention factice (« sham » en anglais) pour le traitement de 224 patients ayant une HTA non contrôlée (sans médicament ou malgré la prise de 1 à 2 médicaments antihypertenseurs).

Après interruption de tout traitement antihypertenseur pendant 3 mois sous surveillance médicale, la dénervation rénale a permis de réduire la pression artérielle de façon importante chez les patients.

La pression artérielle en journée a été réduite de 7,9 mmHg dans le groupe dénervation rénale alors qu’elle n’a été réduite que de 1,8 mmHg dans le groupe « sham » à 2 mois, soit une différence cliniquement pertinente de 6,3 mmHg.

Les effets étaient concordants sur la pression artérielle nocturne et sur la mesure de la tension en clinique et en automesure à domicile. Il n’y a eu aucune complication grave de la procédure. Un suivi à long terme est prévu.

Une méta-analyse regroupant les 3 essais cités ci-dessus a permis de compiler les données de plus de 500 patients. Elle a mis en évidence des résultats très cohérents d’un essai à un autre, montrant ainsi que la dénervation rénale par ultrasons diminue en toute sécurité la pression artérielle dans tous les stades de gravité de l’HTA.

Les résultats de cette étude ont été publiés dans le JAMA3 le 28 février 2023, tandis que ceux de la méta-analyse des trois essais ont été publiés simultanément dans le JAMA Cardiology4.

« L’ensemble de ces résultats conforte le rôle de cette thérapie pour la prise en charge des patients ayant une HTA, ce d’autant que le suivi à 36 mois des patients inclus dans les premiers essais a déjà montré la persistance de son effet bénéfique. Les indications retenues pour la dénervation rénale sont les formes d’HTA les plus sévères et/ou résistantes aux traitements antihypertenseurs. Nous allons désormais pouvoir proposer la dénervation rénale en tant que traitement additionnel pour les patients hypertendus sévères ou résistants,en accompagnement des médicaments antihypertenseurs et des règles hygiéno-diététiques » explique le Pr Michel Azizi.

 

[1] Endovascular ultrasound renal denervation to treat hypertension (RADIANCE-HTN SOLO): a multicentre, international, single-blind, randomised, sham-controlled trial https://doi.org/10.1016/S0140-6736(18)31082-1

[2] Ultrasound renal denervation for hypertension resistant to a triple medication pill (RADIANCE-HTN TRIO): a randomised, multicentre, single-blind, sham-controlled trial https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00788-1

[3] Endovascular Ultrasound Renal Denervation to Treat Hypertension. The RADIANCE II Randomized Clinical Trial. https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2801849

[4] Patient-Level Pooled Analysis of Ultrasound Renal Denervation in the Sham-Controlled RADIANCE II, RADIANCE-HTN SOLO, and RADIANCE-HTN TRIO Trials. https://jamanetwork.com/journals/jamacardiology/fullarticle/2802098

[5] Renal denervation in the management of hypertension in adults. A clinical consensus statement of the ESC Council on Hypertension and the European Association of Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI)

Une modélisation pour limiter la transmission des maladies infectieuses dans les aéroports et les gares

Le modèle s’intéresse au cas de Heathrow à Londres. © Unsplash

Dans les lieux à forte densité de population, comme dans les aéroports ou les gares, la distanciation sociale peut difficilement être maintenue et le risque de transmission des maladies infectieuses est accru. Afin de réduire ce risque, il est essentiel de mieux comprendre les dynamiques de transmission dans ces espaces et les mesures d’atténuation efficaces qui peuvent être mises en place à moindre coût. C’est l’objectif d’un modèle mathématique développé par des équipes de l’Inserm et de Sorbonne Université à Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique avec l’Institut espagnol CSIC-IFISC.

En prenant l’exemple de l’aéroport de Heathrow à Londres et de maladies comme la grippe H1N1 et la Covid-19, ce modèle permet d’identifier les lieux où le risque de transmission est le plus grand au sein d’espaces à forte densité de population. En ciblant uniquement ces lieux avec des mesures comme la filtration de l’air ou l’utilisation de lampe Far-UVC[1], les scientifiques montrent aussi qu’il est possible de réduire les contaminations de manière significative. Les résultats complets sont publiés dans Nature Communications.

Les foules et les attroupements, avec les contacts prolongés entre les individus qui en résultent, constituent un facteur crucial dans la transmission des maladies infectieuses. S’il est possible de mettre en place certaines mesures d’atténuation comme le port du masque pour limiter les risques, le maintien d’une distance entre les individus ne peut pas toujours être respecté, notamment dans les centres de transport comme les aéroports ou les gares. Ces lieux sont en effet conçus pour optimiser l’efficacité logistique, pas pour réduire l’affluence. Ils se caractérisent par un flux constant d’entrées et de sorties, avec un risque élevé de diffusion des maladies à l’échelle internationale.

L’étude menée par les scientifiques de l’Inserm, de Sorbonne Université et du CSIC-IFISC décrit un modèle mathématique qui permet d’identifier, au sein de ces espaces, les zones les plus à risque du point de vue de la transmission des maladies infectieuses. Il est essentiel de connaître précisément ces zones pour mettre en place des stratégies « d’immunisation spatiale » adaptées, c’est-à-dire des mesures de prévention spécifiques ciblant ces lieux à haut risque et permettant de réduire les contaminations.

« Dans les lieux que nous avons identifiés avec notre modèle, développer des approches dédiées telles que le filtrage de l’air, la désinfection systématique des surfaces ou l’utilisation de lampes Far-UVC peut réduire de manière significative le risque de propagation des agents pathogènes, au-delà des premiers cas arrivant dans un aéroport ou une gare sans avoir été détectés », explique Mattia Mazzoli, chercheur Inserm et premier auteur de l’étude.

 

Un modèle construit à partir des données GPS

Dans cet article, les scientifiques ont étudié l’exemple de l’aéroport européen le plus fréquenté, l’aéroport de Heathrow à Londres. Leur modèle utilise des données anonymisées concernant le déplacement de plus de 200 000 individus au sein de l’aéroport, provenant de la géolocalisation de téléphones portables, entre février et août 2017. A partir de ces données, les chercheurs ont pu visualiser les trajets des individus avec une résolution spatiale de 10 mètres, reconstruire les réseaux de contacts entre ces différentes personnes et ainsi détecter les endroits où les contacts étaient les plus intenses, avec un risque plus grand de contamination.

Afin de fournir quelques exemples pratiques, les scientifiques ont alimenté leur modèle mathématique avec des données concernant la propagation de maladies telles que la grippe H1N1 ou la Covid-19 afin d’étudier leur diffusion à travers l’espace de l’aéroport.

 

Un modèle généralisable pour le futur

Les résultats de ces modélisations indiquent que les zones communes telles que les bars ou les restaurants sont celles où se produisent le plus grand nombre d’infections, car elles mettent en contact des voyageurs et des travailleurs de l’aéroport se trouvant au même endroit pendant de longues périodes.

« Le danger de ces zones de contagion résulte de l’équilibre entre le nombre de personnes qui y passent et la durée de leur séjour. Ces lieux ne sont pas toujours les plus fréquentés au sein de l’aéroport, mais ils impliquent des contacts plus soutenus sur des durées plus longues entre les individus, permettant de transmettre les maladies », souligne Mattia Mazzoli.

Les modélisations ont également permis de montrer qu’en ciblant ces zones les plus à risque qui correspondent à 2% de la surface accessible de Heathrow avec des mesures d’immunisation spatiale, on observe une réduction de 50% du risque d’avoir un cas secondaire de H1N1 suite à un premier cas importé dans l’aéroport. Cette réduction est de 40 % pour la Covid-19.

Si le modèle n’a été testé qu’avec la grippe H1N1 ou la Covid-19, il pourrait néanmoins être utilisé dans le future pour étudier tout nouvel agent pathogène non encore caractérisé. En outre, la méthode est immédiatement généralisable à d’autres modes de transport tels que les trains, les métros, les gares routières ou d’autres lieux bondés où les distances interpersonnelles ne sont pas possibles, tels que les centres commerciaux ou les centres de congrès.

« La mise en œuvre de mesures d’immunisation spatiale permet de réduire le nombre d’infections chez les usagers de l’aéroport et, dans une moindre mesure, chez les travailleurs de l’aéroport. Bien ciblées et mises en place dans les lieux identifiés comme les plus à risque, ces mesures permettraient de contenir et/ou de retarder la propagation d’agents infectieux dans le reste du monde via les aéroports et autres centres d’affluence. Notre modèle pourrait être particulièrement utile dans les premiers stades d’une éventuelle future épidémie, alors que les premiers cas importés au sein des aéroports et des gares n’ont pas encore été détectés », conclut Mattia Mazzoli.

Températures extrêmes durant la grossesse : un impact possible sur le développement pulmonaire des nourrissons filles

Grossesse

Les températures extrêmes pourraient avoir un impact sur la santé dès l’exposition au stade fœtal. © Fotalia

Les températures extrêmes pourraient avoir un impact sur la santé dès l’exposition au stade fœtal. C’est ce que suggère une étude menée par des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes et du CNRS, à partir de la cohorte SEPAGES[1], destinée à étudier l’impact de plusieurs facteurs environnementaux sur la santé de la femme enceinte et de l’enfant. Dans ces travaux, à paraître dans JAMA Network open, des associations ont été retrouvées chez les petites filles, entre l’exposition in utero à des températures ambiantes très élevées ou très basses dès le second trimestre de grossesse et une altération de plusieurs paramètres respiratoires.

La thermorégulation mise en place par le corps en réponse aux variations de température exige une adaptation du flux sanguin et de la fonction cardiaque maternelle qui, lorsqu’elle survient au cours de la grossesse, peut se faire au détriment du fœtus. Des altérations physiologiques ont d’ailleurs été observées chez l’animal en réponse à des stress thermiques comme des anomalies de développement placentaire avec un flux sanguin réduit, ou du stress oxydatif – qui, hors des conditions normales, peut impacter la santé de la mère et de la descendance. La température extérieure pourrait donc avoir un impact sur le développement embryonnaire et fœtal.

Une équipe, menée par les chercheuses Inserm Johanna Lepeule et Ariane Guilbert au sein de l’Institut pour l’avancée des biosciences (Inserm/Université Grenoble Alpes/CNRS), a souhaité vérifier cette hypothèse en utilisant les données de la cohorte SEPAGES (Suivi de l’Exposition à la Pollution Atmosphérique durant la Grossesse et Effet sur la Santé). Composée de femmes enceintes et des enfants issus de leurs grossesses, cette cohorte permet d’étudier l’effet de différents facteurs environnementaux sur la santé.

 

Une exposition modélisée tout au long de la grossesse

Les chercheuses et chercheurs ont modélisé l’exposition aux températures ambiantes de 343 femmes et de leurs enfants, depuis la conception jusqu’aux premières semaines de vie du nourrisson. En parallèle, ils ont évalué la fonction respiratoire des nouveau-nés six à sept semaines après la naissance environ. Différentes mesures ont permis de calculer le volume d’air inspiré et expiré à chaque respiration (appelé volume courant), la fréquence respiratoire (nombre de respirations par minute) ou encore la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF), qui correspond au volume d’air restant dans les poumons après une expiration[2].

Comme le développement fœtal et la fonction respiratoire présentent de légères différences selon le sexe, l’équipe de recherche a également comparé les résultats entre les filles et les garçons.

 

Des associations variables selon le sexe

Chez les garçons, les scientifiques n’ont pas observé d’altérations significatives de la fonction pulmonaire associées à la température extérieure pendant la grossesse. En revanche, ils ont constaté que les filles exposées in utero dès le second trimestre de grossesse aux températures les plus élevées ou aux températures les plus basses présentaient une CRF moins importante et une fréquence respiratoire plus élevée que celles exposées à des températures plus proches de la moyenne.

Les filles exposées pendant la grossesse de leur mère à des températures très basses présentaient, en outre, un volume courant diminué.

« Les variations observées ne sont pas de nature pathologique et ne permettent pas de prédire un trouble respiratoire par la suite, précise Johanna Lepeule, mais les différentes mesures de la fonction pulmonaire réalisées convergent toutes vers une association chez la petite fille entre exposition in utero aux températures élevées ou basses et de moins bonnes performances pulmonaires chez le nouveau-né. »

De nouvelles analyses sur les données respiratoires collectées chez les enfants à 3 et 8 ans devront être effectuées afin de déterminer si ces associations persistent sur le long terme ou si elles sont réversibles dans le temps.

En attendant, « ces résultats sous-tendent l’importance de développer des politiques publiques pour protéger les femmes enceintes et leurs enfants des températures extrêmes, en particulier dans le contexte actuel de réchauffement climatique », conclut Johanna Lepeule.

 

[1] La cohorte couple-enfant SEPAGES (Suivi de l’Exposition à la Pollution Atmosphérique durant la Grossesse et Effet sur la Santé), coordonnée par l’Inserm et l’Université Grenoble Alpes, vise à caractériser l’exposition des femmes enceintes et des enfants aux contaminants de l’environnement et à étudier l’effet de ces contaminants sur la santé de la femme enceinte, du fœtus et de l’enfant.

[2] Ce volume résiduel a un rôle essentiel dans le maintien de la fonction pulmonaire : le poumon étant élastique, il se rétracte lors du relâchement musculaire permettant l’expiration. Le volume résiduel permet, en fin d’expiration, de limiter les forces de rétractation qui s’exercent sur les poumons afin que les territoires pulmonaires restent ouverts aux échanges gazeux (O2 et CO2 essentiellement). Dans le cas contraire, le poumon se refermerait sur lui-même, les alvéoles s’affaisseraient et les échanges gazeux ne pourraient donc plus avoir lieu.

Contre la coqueluche et sa transmission, un nouveau vaccin intranasal sûr et plus efficace

coqueluche - Colonies de Bordetella pertussis

Colonies de Bordetella pertussis, agent de la coqueluche, sur une boîte d’agar. © Camille Locht/Inserm

Hautement infectieuse et potentiellement mortelle chez le nourrisson, la coqueluche, causée par la bactérie Bordetella pertussis, continue de circuler largement à travers le monde. En effet, si les vaccins utilisés actuellement protègent contre l’apparition des symptômes, ils ne permettent pas d’empêcher la transmission bactérienne entre individus, ni l’infection qui en résulte. Une équipe de recherche internationale dirigée par Camille Locht, directeur de recherche Inserm au sein du Centre d’infection et d’immunité de Lille (Inserm/Institut Pasteur de Lille/Université de Lille/CHU de Lille/CNRS), vient de montrer, dans un essai clinique de phase 2, l’efficacité et la sûreté chez l’adulte d’un nouveau vaccin nasal contre la coqueluche. Ses résultats, à paraître dans The Lancet, suggèrent que ce nouveau vaccin, capable d’empêcher la colonisation bactérienne des voies respiratoires, constituerait un atout pertinent pour briser les chaînes de transmission épidémiques de la maladie.

La coqueluche est une maladie infectieuse respiratoire provoquée par la bactérie Bordetella pertussis. Très contagieuse, elle est connue pour générer des complications mortelles chez le nourrisson.

Depuis la fin des années 1990, le vaccin dCaT[1] est majoritairement utilisé pour lutter contre la coqueluche, mais l’immunité qu’il confère diminue avec le temps, nécessitant des rappels. En outre, s’il permet de prévenir l’apparition des symptômes, il ne peut pas prévenir l’infection par la bactérie en elle-même ni sa transmission entre individus. Ainsi, malgré les taux élevés de vaccination, les épidémies de coqueluche persistent partout dans le monde.

Le développement d’un nouveau vaccin anticoquelucheux, appelé BPZE1, a pour objectif de palier les défauts du vaccin dCaT pour mieux lutter contre ces épidémies. Ce vaccin dit « vivant atténué » (contenant une version atténuée de la bactérie) a pour particularité de s’administrer par voie nasale et ainsi de mimer les modes de transmission et de colonisation naturels de Bordetella pertussis au niveau des muqueuses des voies respiratoires.

Une équipe de recherche internationale dirigée par Camille Locht, directeur de recherche Inserm au sein du Centre d’infection et d’immunité de Lille (Inserm/Institut Pasteur de Lille/Université de Lille/CHU de Lille/CNRS), en collaboration avec la société ILiAD Biotechnologies, a travaillé à l’évaluation de l’efficacité et de l’innocuité (non-toxicité) du vaccin BPZE1 au sein d’un essai clinique de phase 2 portant sur 300 Américains adultes en bonne santé.

Dans un premier temps, les participants ont été répartis en 2 groupes : le premier a reçu une dose de BPZE1 par voie nasale et un placebo par voie intramusculaire, le second une injection en intramusculaire du vaccin dCaT et un placebo par voie nasale. Trois mois plus tard, la moitié des participants de chacun des deux groupes s’est vue administrer une dose de BPZE1 (afin de simuler une infection naturelle de manière atténuée), tandis que l’autre moitié a reçu le placebo intranasal.

L’équipe de recherche a constaté que, là où le vaccin dCaT n’induisait une sécrétion de marqueurs de l’immunité contre Bordetella pertussis qu’au niveau sanguin, BPZE1, lui, induisait une immunité consistante au niveau de la muqueuse nasale en plus de l’immunité sanguine. Par ailleurs, dans les 28 jours suivant la seconde administration par voie nasale, 90 % des participants ayant initialement reçu BPZE1 ne présentaient aucune colonie bactérienne au niveau nasal. Chez les 10 % restants, la colonisation s’avérait faible (moins de 260 colonies par mL de mucus). En comparaison, 70 % des patients vaccinés avec dCaT présentaient une colonisation bactérienne nasale importante (près de 14 325 colonies par mL).

Par ailleurs, l’infection régressait plus rapidement chez les personnes vaccinées avec BPZE1 et l’équipe de recherche n’a constaté aucun effet secondaire notable dû à la vaccination pendant la durée de l’étude.

Ainsi, selon Camille Locht, « le profil bénéfice/risque du vaccin BPZE1 est favorable : une seule administration nasale permet d’induire sans danger et avec une bonne tolérance, une immunité forte et durable, tant au niveau sanguin qu’au niveau des voies respiratoires. En outre, contrairement au vaccin dCaT, BPZE1 protège les muqueuses d’une colonisation par la bactérie. »

Bordetella pertussis infectant les voies respiratoires et se multipliant dans leurs muqueuses, une immunité à ce niveau pourrait en effet être essentielle dans la prévention des épidémies de coqueluche.

« Cette bactérie étant hautement infectieuse pour l’être humain, il est critique qu’un vaccin ne cible pas uniquement le développement de la maladie mais également la transmission de la bactérie qui la cause et la vitesse à laquelle l’organisme se débarrasse de cette dernière, ajoute Camille Locht. Dans cette optique, BPZE1 apparaît comme un nouvel outil pertinent pour prévenir les infections de coqueluche et réduire les chaînes de transmission épidémiques. »

Les participants à cette étude étant tous des adultes de plus de 18 ans, une étude est en cours pour évaluer plus spécifiquement l’efficacité et l’innocuité de BPZE1 chez les enfants en âge d’aller à l’école, lieu critique de transmission de la maladie.

En savoir plus sur l’élaboration et l’évaluation du vaccin BPZE

En 2008, le projet européen Child-Innovac est lancé sous l’égide de l’Inserm en collaboration avec 10 partenaires européens, avec pour objectif de développer un vaccin nasal innovant contre la coqueluche. C’est dans ce cadre que le vaccin BPZE1 sera développé et breveté par une équipe de l’Inserm et de l’institut Pasteur de Lille dirigée par Camille Locht, directeur de recherche Inserm et coordinateur du projet. En 2014, l’équipe de recherche publie dans la revue PLOS One les premiers travaux d’évaluation de l’efficacité et de l’innocuité du vaccin BPZE1 dans un essai clinique de phase 1, après examen des données par un comité indépendant (Independant Data Monitoring Commitee). Un accord est alors conclu entre la plateforme Inserm Transfert, en charge de la valorisation de la propriété intellectuelle liée à la technologie BPZE, et la société ILiAD Biotechnologies, afin de poursuivre le développement et l’évaluation du vaccin. En 2020, de nouveaux travaux de phase 1 dirigés par Camille Locht, cette fois en collaboration avec ILiAD Biotechnologies, et publiés dans The Lancet Infectious Diseases, sont venus renforcer les résultats cliniques de 2014 sur la sécurité et l’efficacité du vaccin

[1] Le vaccin dCaT est dit « acellulaire », c’est-à-dire qu’il ne contient pas de bactéries complètes mais uniquement certaines protéines issues de Bordetella pertussis qui ont la particularité de déclencher une réponse immunitaire sanguine. Il combine les vaccins contre la coqueluche, la diphtérie, la poliomyélite et le tétanos. Il est administré en 3 doses intramusculaires chez le nourrisson à 2, 4 et 11 mois. 3 rappels sont recommandés à environ 16 mois, 11 ans et 26 ans. Mieux toléré, il est cependant plus cher et moins efficace que le vaccin cellulaire (ou à « germe entier », c’est-à-dire qui contient la bactérie inactivée) qui est encore utilisé aujourd’hui dans de nombreux pays en développement.

L’exposition pré et postnatale au chlordécone pourrait impacter le développement cognitif et le comportement des enfants

Chlordécone

Le chlordécone est un insecticide organochloré employé aux Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. © Adobe Stock

Malgré l’arrêt, il y a 30 ans, de son utilisation aux Antilles comme insecticide, le chlordécone persistant dans l’environnement continue de contaminer les populations. Si ses propriétés neurotoxiques sont bien établies, son impact sur le neurodéveloppement restait à préciser. Une équipe de recherche internationale impliquant des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique) s’est intéressée à l’impact de l’exposition pré- et postnatale au chlordécone sur les capacités cognitives et comportementales à l’âge de 7 ans de 576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe[1]. Leurs travaux montrent que cette exposition est associée à de moins bons scores sur les tests d’évaluation des capacités cognitives et des troubles comportementaux, avec un impact différent selon le sexe de l’enfant. Ces résultats, parus dans Environmental Health, invitent à prendre en compte l’impact potentiel de ces effets à l’échelle de la population, afin d’optimiser les politiques de prévention.

Le chlordécone est un insecticide organochloré employé aux Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. Sa présence persistante dans l’environnement est à l’origine de la contamination de la population via la consommation d’aliments eux-mêmes contaminés. Il est aujourd’hui considéré comme perturbateur endocrinien, neurotoxique, toxique pour la reproduction et le développement, mais aussi cancérogène. Des études expérimentales chez l’animal ont par ailleurs montré que l’exposition des femelles au chlordécone lors de la gestation entraîne des troubles neurocomportementaux et d’apprentissage chez la portée, de nature ou d’intensité différente en fonction du sexe.

Sa neurotoxicité s’explique par la capacité de la molécule à interagir avec de nombreux neurotransmetteurs[2] et par ses propriétés hormonales, notamment son action sur les estrogènes. Or, les estrogènes jouent un rôle crucial, de manière différenciée en fonction du sexe chromosomique, dans le développement du cerveau.

Face à ces différents constats, et pour mieux estimer l’impact éventuel de l’exposition prénatale et postnatale au chlordécone sur le neurodéveloppement infantile, des chercheuses et des chercheurs Inserm de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique), au sein d’une équipe de recherche internationale, ont examiné les capacités intellectuelles et le comportement de 576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe.

Afin d’évaluer les niveaux d’exposition pré- et postnataux des enfants au chlordécone, la concentration du pesticide a été mesurée dans le sang du cordon ombilical à la naissance et dans le sang des enfants à l’âge de 7 ans. Les capacités intellectuelles de ces derniers ont été évaluées à l’aide de 4 indices : compréhension verbale, vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail[3] et raisonnement perceptif[4].

Les mères ont également rempli un questionnaire permettant de mesurer chez l’enfant la présence de difficultés comportementales classées en deux catégories : celles dites « internalisées », qui regroupent symptômes émotionnels et problèmes relationnels avec les pairs, et celles dites « externalisées », qui se traduisent par des problèmes de comportement social (colère, réticence à l’autorité…), d’hyperactivité et/ou d’inattention.

L’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée, pour chaque doublement d’exposition, à une augmentation de 3 % du score estimant les difficultés comportementales de type « internalisées » à l’âge de 7 ans, avec une association plus forte chez les filles (+ 7 %) que chez les garçons (0 %).

L’exposition postnatale au chlordécone a, quant à elle, été retrouvée associée à de moins bons scores estimant les capacités intellectuelles générales (diminution de 0,64 point de QI pour un doublement du niveau d’exposition). Cela se traduit, en particulier chez les garçons, par une diminution des indices évaluant le raisonnement perceptif, la mémoire de travail et la compréhension verbale. En outre, l’exposition postnatale était associée à un plus grand nombre de difficultés de comportements « externalisées », autant chez les garçons que chez les filles.

Ces résultats indiquent que l’exposition au chlordécone pendant les périodes de développement in utero ou au cours de l’enfance est associée à une diminution des capacités intellectuelles et à une augmentation des difficultés comportementales, avec des effets parfois différents en nature et en intensité selon le sexe.

« Cela est cohérent avec les propriétés estrogéniques de ce pesticide et ses effets différentiels en fonction du sexe et de la période de développement du cerveau », précise Luc Multigner, directeur de recherche Inserm qui a participé à ces travaux.

Selon l’équipe de recherche, il apparaît par conséquent justifié de poursuivre les politiques publiques destinées à réduire l’exposition au chlordécone, notamment parmi les populations les plus sensibles, telles que les femmes enceintes et les enfants. Elle invite également à surveiller la prévalence et la prise en charge des enfants présentant un retard psychomoteur, des troubles sensoriels, neuromoteurs ou intellectuels et/ou des difficultés relationnelles.

« Si les effets neurologiques et neurocomportementaux constatés dans cette étude sont relativement modérés et subtils au niveau individuel, ils peuvent, compte tenu de l’exposition généralisée de la population antillaise au chlordécone, avoir un impact non négligeable au niveau de la population », conclut Luc Multigner.

 

[1] La cohorte mère-enfant Timoun a été conçue avec pour objectif d’évaluer l’impact sanitaire des expositions au chlordécone sur le déroulement de la grossesse et le développement infantile. Elle est menée conjointement par l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique) et le service de gynécologie-obstétrique du CHU de la Guadeloupe. Cette cohorte est constituée de 1 068 femmes incluses au cours de leur grossesse entre 2004-2007. Dès leur naissance, les enfants ont fait l’objet d’un suivi aux âges de 3, 7 et 18 mois, puis de 7 ans.

[2] Les neurotransmetteurs sont des substances chimiques assurant la transmission de l’information entre les cellules nerveuses.

[3] La mémoire de travail est une forme de mémoire à court terme visant à utiliser l’information obtenue sur l’instant dans l’accomplissement d’une tâche précise.

[4] Le raisonnement perceptif mesure la capacité cognitive à intégrer et à manipuler des informations visuelles et spatiales afin de résoudre des problèmes visuels complexes.

Cannabis et sommeil : l’insomnie serait deux fois plus fréquente chez les étudiants qui en consomment tous les jours

 La probabilité de souffrir d’insomnie serait supérieure de 45 % chez les consommateurs de cannabis par rapport aux non-consommateurs. © Unsplash

En France, plus de la moitié des étudiants présentent des troubles du sommeil. Ces altérations sont d’autant plus préoccupantes qu’elles peuvent avoir des conséquences sur la réussite de leurs études, ainsi que sur leur santé physique et mentale. Véritable enjeu de santé publique, l’évaluation de ces risques pour la santé est l’un des sujets de recherche d’une équipe de scientifiques de l’Inserm, de l’université et du CHU de Bordeaux. Dans une nouvelle étude publiée dans Psychiatry Research, ils se sont spécifiquement intéressés à la consommation de cannabis des étudiants – alors que l’on sait la consommation des 18-25 ans particulièrement élevée en France –  et ont essayé de mesurer ses effets sur le sommeil. Ils ont montré que la consommation de cannabis augmentait le risque d’avoir un sommeil perturbé, avec un doublement de la fréquence de l’insomnie chez les fumeurs quotidiens. Cette étude a été menée à partir de l’analyse des données de près de 14 787 étudiants volontaires, membres de la cohorte i-Share.

55 % des étudiants auraient des perturbations de leur sommeil, et 19 % d’entre eux souffriraient d’insomnie. Ces altérations du sommeil sont d’autant plus préoccupantes qu’elles ont des effets néfastes sur la santé mentale et physique et sur les capacités cognitives, avec un retentissement sur la réussite universitaire des étudiants.

Certaines études ont déjà exploré les causes de ces perturbations, notamment en relation avec la consommation de cannabis, dont le niveau d’usage en France est particulièrement élevé chez les jeunes : 13,9 % des 18-25 ans déclarent consommer mensuellement du cannabis et 4 % quotidiennement[1].

Dans ce nouvel article, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, de l’université et du CHU de Bordeaux, au centre de recherche Bordeaux Population Health, ont pour la première fois mené une analyse approfondie de l’association entre la consommation de cannabis et les troubles du sommeil dans un large échantillon d’étudiants universitaires de 14 787 personnes. Toutes font partie de la cohorte i-Share qui porte sur la santé générale des étudiants, dirigée par Christophe Tzourio, dernier auteur de l’étude.

Les étudiants ont répondu à un auto-questionnaire en ligne portant sur la fréquence de leur consommation de cannabis sur l’année écoulée d’une part (journalière, hebdomadaire, mensuelle ou plus rare/jamais), ainsi que sur la qualité de leur sommeil des trois derniers mois d’autre part[2], avec une question spécifique sur l’insomnie. D’autres questions portaient sur leurs caractéristiques sociodémographiques, habitudes de vie (par exemple leur consommation d’alcool ou de tabac) ou encore sur leur santé mentale afin d’affiner l’analyse et d’éviter tous biais ou facteurs de confusion.

Les résultats de cette étude confirment l’existence d’une association entre la consommation de cannabis et les troubles du sommeil, en particulier l’insomnie, chez les étudiants. La probabilité de souffrir d’insomnie serait supérieure de 45 % chez les consommateurs de cannabis par rapport aux non-consommateurs. Cette probabilité de souffrir d’insomnie est même deux fois plus élevée chez les consommateurs quotidiens de cannabis par rapport aux consommateurs occasionnels ou rares.

 « L’originalité de cette étude réside sur le fait que nous avions accès à un échantillon particulièrement large d’étudiants ayant renseigné des données précises sur leur consommation de cannabis et la qualité de leur sommeil. La richesse des données recueillies grâce aux questionnaires donne de nouvelles preuves de l’association entre insomnie et consommation de cannabis », explique Julien Coelho, premier auteur de l’étude.

 

« Bien que la causalité ne puisse pas être affirmée avec certitude, ces résultats suggèrent l’importance de multiplier les messages de santé publique pour faire de la prévention auprès des étudiants, mais aussi des professionnels de santé sur les dangers d’une consommation élevée de cannabis sur la santé des jeunes », conclut Christophe Tzourio.

 

[1] Source : Baromètres santé de Santé publique France, exploitation OFDT

[2] Les volontaires étaient interrogés sur quatre variables : la qualité subjective de leur sommeil ; l’insomnie ; la qualité de l’éveil pendant la journée, et la sensation de privation de sommeil. 

Obésité et surpoids : près d’un Français sur deux concerné. État des lieux, prévention et solutions thérapeutiques

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© Photo i yunmai / Unsplash

L’obésité est un problème de santé publique mondial, dont l’incidence ne cesse d’augmenter. Selon l’OMS, depuis 1975, le nombre de cas d’obésité a presque triplé à l’échelle planétaire.

L’obésité est associée à de nombreuses comorbidités et à une mortalité élevée. On estime que cette maladie chronique complexe augmente ainsi le risque de maladies cardiovasculaires (première cause de décès dans le monde), de diabète, de troubles musculo-squelettiques, de nombreuses formes de cancers (de l’endomètre, du sein, des ovaires, de la prostate, du foie, de la vésicule biliaire, du rein et du colon…). Plus récemment, des données ont montré que les personnes en situation d’obésité étaient plus sujettes aux formes graves de Covid-19. Son impact sur la santé des populations et son coût économique et social sont donc considérables.

La France est également concernée par cet enjeu de santé publique majeur. Afin de juger de l’impact des mesures de prévention telles que le Programme national nutrition santé (PNNS), il était important de faire un état des lieux rigoureux de la situation épidémiologique. La dernière étude sur le sujet, à l’initiative de la Ligue contre l’obésité et coordonnée par des chercheurs de l’Inserm et du CHU de Montpellier, a été publiée en février dans la revue Journal of Clinical Medicine. S’appuyant sur des chiffres collectés par l’institut de sondage Odoxa, ce travail révèle l’étendue du problème, soulignant que 47,3 % des adultes français seraient obèses ou en surpoids. Il fournit également des indications précises sur les populations les plus touchées par groupe d’âge, par région ou par activité socio-professionnelle, permettant d’affiner les politiques de prévention.

Et au-delà de ces mesures de prévention, qui sont cruciales pour lutter contre l’obésité, comment accompagner les individus en surpoids ou en situation d’obésité ? Si les interventions portant sur le mode de vie, notamment sur l’alimentation et l’activité physique, sont primordiales, une prise en charge adaptée repose sur des approches multidisciplinaires et personnalisées qui intègrent aussi des solutions thérapeutiques et/ou chirurgicales. De nombreux progrès ont justement été aussi réalisés ces dernières années dans le domaine thérapeutique comme le décrit une revue de littérature publiée dans The Lancet, à laquelle a contribué Karine Clément, professeure de nutrition et directrice de l’unité Inserm Nutrition et obésités : approches systémiques (Nutriomique).

Surpoids et obésité : éléments de définition

L’obésité correspond à un excès de masse grasse et à une modification du tissu adipeux, entraînant des inconvénients pour la santé et pouvant réduire l’espérance de vie. Ses causes sont complexes. Elle résulte de plusieurs facteurs − alimentaires, génétiques épigénétiques et environnementaux – qui se mêlent et influencent le développement et la progression de cette maladie chronique.

Chez l’adulte, il y a surpoids quand l’indice de masse corporelle (IMC) est égal ou supérieur à 25 et obésité quand l’IMC est égal ou supérieur à 30. Pour les enfants, il faut tenir compte de l’âge pour définir le surpoids et l’obésité.

Lire notre dossier sur l’obésité

Chiffres les plus récents pour la France

Obépi-Roche est le nom donné à une série d’enquêtes coordonnées par l’Inserm qui avaient été réalisées tous les trois ans de 1997 à 2012 pour produire des estimations de la prévalence du surpoids et de l’obésité en France. Une nouvelle édition a été lancée par la Ligue contre l’obésité en 2020, en s’appuyant sur des questionnaires collectés par l’institut de sondage Odoxa sur un échantillon de 9 598 personnes résidant en France métropolitaine, âgées de 18 ans ou plus, constitué par la méthode des quotas[1]. Coordonnée par Annick Fontbonne, chercheuse à l’Inserm et David Nocca, médecin au CHU de Montpellier, l’analyse des résultats dévoile un état des lieux préoccupant.

Elle a montré que la prévalence de l’excès de poids (incluant donc le surpoids et l’obésité) était de 47,3 %, dont 17 % des sujets en situation d’obésité. À première vue, ces chiffres ne sont pas très différents des dernières estimations de l’étude Obépi-Roche de 2012. Néanmoins, si l’on considère les tendances depuis 1997, et que l’on s’intéresse d’un côté au surpoids et de l’autre à l’obésité, le constat est plus mitigé.

En effet, depuis 1997, la prévalence du surpoids fluctue toujours autour de 30 % alors que la prévalence de l’obésité ne cesse d’augmenter à un rythme rapide. Elle est ainsi passée de 8,5 % en 1997 à 15 % en 2012 et 17 % en 2020. L’augmentation est encore plus marquée dans les groupes d’âge les plus jeunes et pour l’obésité morbide, dont la prévalence a été multipliée par près de sept sur la période.

« Force donc est de constater qu’au contraire des espérances tant des pouvoirs publics que des professionnels de santé, depuis la mise en œuvre du Programme national nutrition santé en 2001, l’obésité en France ne fait que s’accroître, année après année », soulignent Annick Fontbonne et David Nocca.

Les chercheurs sont allés plus loin dans l’analyse en mettant en exergue des différences de prévalence selon le sexe et l’âge, la région ou encore la catégorie socio-professionnelle.

Sexe et âge

Les plus âgés sont davantage en surpoids ou obèses que les plus jeunes : l’excès de poids touche 57,3 % des 65 ans et plus contre 23,2 % des 18-24 ans. Néanmoins, les tendances se révèlent plus inquiétantes, car c’est dans les tranches d’âge les plus jeunes que l’augmentation de prévalence de l’obésité au fil des ans est la plus forte. Depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par plus de 4, et par près de 3 chez les 25-34 ans, quand l’augmentation chez les 55 ans et plus est faible depuis 2009.

Des différences entre les sexes sont aussi observées. En 2020, les hommes sont plus souvent en surpoids que les femmes (36,9 % contre 23,9 %), mais c’est l’inverse pour l’obésité. Ainsi, on dénombre 17,4 % d’obèses chez les femmes contre 16,7 % chez les hommes.

obésitéÉvolution des prévalences de l’obésité selon l’âge entre les enquêtes Obépi-Roche 1997-2012 et l’enquête Obépi 2020.

 

Disparités régionales

La prévalence de l’obésité en 2020 dépasse 20 % dans le Nord et le Nord-Est de la France, et elle est la plus basse (moins de 14,5 %) en Île-de-France et dans les Pays de la Loire. Si l’on ne tient pas compte de ces deux dernières régions et de la Bretagne, on observe une baisse du gradient des prévalences quand on passe des régions Nord aux régions Sud de la France.

obésitéRépartition géographique des prévalences de l’obésité en 2020 dans les régions françaises

 

 

Catégories socio-professionnelles

La littérature scientifique révèle que le surpoids et l’obésité sont généralement plus fréquents dans les catégories sociales défavorisées. L’étude Obépi 2020 confirme cette observation, sur le critère de la qualification professionnelle, puisque la prévalence de l’excès de poids est de 51,1 % chez les ouvriers, 45,3 % chez les employés, 43 % chez les professions intermédiaires et 35 % chez les cadres.

La tendance est la même quand on s’intéresse à l’obésité : si les chiffres sont proches pour les ouvriers (18 %) et les employés (17,8 %), ils sont nettement plus faibles chez les cadres (9,9 %). Les professions intermédiaires ont une prévalence d’obésité de 14,4 %. Il faut aussi noter que les tendances sont à la hausse depuis 1997 dans toutes les catégories professionnelles.

Les auteurs concluent : « L’étude était très attendue pour dresser un état des lieux rigoureux du surpoids et de l’obésité en France. Mise en relation avec les enquêtes antérieures, elle a montré que, bien que la prévalence de l’excès de poids (surpoids et obésité) semble plafonner, la prévalence de l’obésité augmente elle à un rythme rapide, avec un doublement depuis 1997. De plus, la pente est plus prononcée dans les jeunes générations et pour les degrés d’obésité les plus sévères. Compte tenu des méthodologies légèrement différentes entre les enquêtes de 1997-2012 et 2020, il apparaît souhaitable de reprendre cette série d’enquêtes afin de confirmer et de surveiller ces tendances préoccupantes. »

 

Prendre en charge l’obésité : des approches multidisciplinaires innovantes

Si la prévention est la clé de voûte de la lutte contre l’obésité et les comorbidités associées, il est également nécessaire de reconnaître qu’il s’agit d’une pathologie chronique complexe, à laquelle il convient aussi d’apporter des réponses sur le plan thérapeutique.

L’objectif de la prise en charge de l’obésité est d’améliorer la santé. Une perte de poids durable de plus de 10 % du poids total améliore un grand nombre des complications associées à l’obésité (par exemple, la prévention et le contrôle du diabète de type 2, l’hypertension, la stéatose hépatique, les maladies cardiovasculaires, et l’apnée obstructive du sommeil), ainsi que la qualité de vie.

Toutefois, maintenir une perte de poids durable est le principal défi de la prise en charge de l’obésité. Comme toutes les maladies chroniques complexes, l’obésité dépend de facteurs variant d’une personne à l’autre et sa prise en charge nécessite une approche personnalisée et multidisciplinaire à long terme, qui tient compte des objectifs de traitement de chaque individu, ainsi que des avantages et des risques des différentes thérapies.

Les interventions portant sur le mode de vie (comportement alimentaire, sédentarité et activité physique, sommeil, difficultés psychologiques…) constituent le premier pilier de cette prise en charge, mais elles sont rarement suffisantes pour obtenir une perte de poids significative et la maintenir à long terme. En fonction des situations individuelles, la prise en charge peut donc être combinée à d’autres stratégies incluant la prise de médicaments anti-obésité et/ou la chirurgie bariatrique.

 

L’approche médicamenteuse

La plupart des médicaments « historiques » anti-obésité disponibles ont une action sur des neurotransmetteurs (comme la sérotonine) qui agissent sur la régulation de l’appétit et les circuits de la récompense, afin de réduire la faim, de promouvoir la sensation de satiété et de diminuer la sensation de récompense associée à l’alimentation. Beaucoup de ces traitements ont dû être retirés du fait d’effets secondaires, laissant les patients et leurs médecins sans outils pharmacologiques.

Cependant, au cours des cinq dernières années, des progrès thérapeutiques importants ont permis de développer une nouvelle génération de médicaments de lutte contre l’obésité. Ces nouveaux traitements similaires aux hormones intestinales appelées « incrétines », utilisées aussi en combinaison avec d’autres molécules (GLP1, GIP…), sont très efficaces. En effet, ils sont associés à des pertes de poids de plus de 10 % du poids total chez plus de deux tiers des participants aux essais cliniques. Connus pour leurs actions initiales sur le pancréas en favorisant la sécrétion d’insuline, ils agissent également sur les mécanismes de satiété dans le système nerveux central. Des données à long terme sur la sécurité, l’efficacité et les résultats cardiovasculaires sont attendues afin d’aller vers une mise sur le marché de ces traitements.

Ces progrès concernent aussi un nouveau traitement ciblé pour les obésités génétiques rares et très sévères qui débutent dans l’enfance. Ce traitement induit une perte de poids en agissant sur les troubles du comportement alimentaire graves dont souffrent ces patients et aboutit à une amélioration de leur qualité de vie et de celle de leur entourage.

 

Et la chirurgie ?

Des études à long terme ont montré que les interventions chirurgicales bariatriques entraînent généralement une perte de poids durable d’environ 25 % du poids total ainsi que des améliorations rapides et durables des complications de l’obésité et une réduction de la mortalité. Des techniques endoscopiques moins invasives sont aussi possibles dans certains cas. Cependant, l’approche chirurgicale, plus invasive que la prise de médicaments, n’a pas encore été comparée aux traitements anti-obésité de nouvelle génération.

« Des travaux supplémentaires sont nécessaires pour déterminer les stratégies de traitement optimales spécifiques aux patients, y compris des combinaisons d’interventions sur le mode de vie, de médicaments contre l’obésité et d’interventions chirurgicales endoscopiques et bariatriques, et pour garantir un accès équitable à des traitements efficaces dans ces pathologies complexes », conclut Karine Clément co-autrice de la revue de littérature publiée dans The Lancet.

 

[1]La méthode des quotas est une méthode d’échantillonnage qui consiste à s’assurer de la représentativité d’un échantillon en lui affectant une structure similaire à celle de la population générale.

Une étude montre des liens entre symptômes COVID-19 et idées suicidaires

dépression - suicide

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Une étude internationale impliquant une équipe de l’Université McGill à Montréal et pilotée par des scientifiques de l’Université Paris-Saclay, de l’Inserm et de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines au sein du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP – Inserm / Université Paris-Saclay / UVSQ) à partir de données de la cohorte EpiCov, vient de livrer des premiers résultats.  Ceux-ci montrent une augmentation de la fréquence des pensées suicidaires chez les personnes atteintes de symptômes de la COVID-19. Ses travaux ont été publiés dans la revue Plos Medicine le 14 février 2023.

Dès le début de la pandémie, de nombreux experts ont alerté sur son potentiel impact important sur la santé psychologique et mentale. Ils suspectaient notamment une fréquence plus importante des pensées suicidaires chez les personnes atteintes d’un COVID-19. Peu de données étaient disponibles sur le sujet jusqu’à présent, d’où l’intérêt de l’étude pilotée par l’équipe du CESP (Inserm/Université Paris-Saclay/UVSQ) qui avait deux objectifs : dans un premier temps explorer si la survenue de symptômes évocateurs du COVID-19 en 2020 était associée à un risque plus élevé de pensées suicidaires en 2021 ; et dans un second temps, analyser cette association en utilisant un marqueur d’infection par le virus SARS-CoV-2.

L’étude a été réalisée à partir des données de la cohorte nationale en population générale EpiCov[1] qui suit l’état de santé et les conditions de vie de plus de 80 000 personnes depuis mai 2020.

En mai et novembre 2020, les membres de la cohorte ont été interrogés à propos d’éventuels symptômes évocateurs de la maladie survenus depuis le début de l’épidémie : perte soudaine ou inhabituelle de goût ou d’odorat, survenue d’un épisode de fièvre associé à une toux, difficultés respiratoires, essoufflement, ou oppression thoracique. En novembre 2020, une sérologie a aussi été pratiquée sur les volontaires, visant à rechercher la présence d’anticorps contre le virus SARS-CoV-2, signe d’un contact – même asymptomatique – avec le virus. Enfin, en juillet 2021, les membres de la cohorte ont été interrogés au sujet d’éventuelles pensées suicidaires survenues depuis décembre 2020. De nombreux facteurs sociodémographiques et l’état de santé ont été pris en compte dans l’analyse des résultats afin d’avoir une image la plus précise possible des conditions de vie des personnes.

Parmi les 52 050 personnes concernées par ces analyses, 1.7% déclaraient avoir eu des pensées suicidaires entre décembre 2020 et l’été 2021. Avoir déclaré des symptômes évocateurs du COVID-19 en 2020 était associé à une augmentation de 43% du risque de déclarer des pensées suicidaires en 2021. En revanche, l’étude n’a pas permis d’établir une association entre la sérologie positive pour le SARS-CoV-2 en 2020 et la survenue de pensées suicidaires en 2021.

Autrement dit, si une exposition au virus SARS-CoV-2 ne semble pas avoir d’impact sur le risque d’avoir des pensées suicidaires, l’étude a en revanche montré que le fait de ressentir des symptômes évocateurs du COVID-19 était quant à lui un facteur aggravant de ce risque.

 « En utilisant la sérologie, nous souhaitions explorer si le fait d’avoir rencontré le SARS-CoV-2 en 2020, sans information de date, de forme ou de sévérité de l’infection, augmentait le risque de pensées suicidaires par la suite. Si nos résultats semblent montrer que non, ils ne sont pas suffisants pour infirmer le rôle du SARS-CoV-2 dans la survenue de pensées suicidaires. D’autres études, avec notamment des informations sur la forme et la sévérité de la maladie, sont nécessaires pour répondre à cette question. En revanche, nous montrons que le fait d’avoir eu des symptômes évocateurs de COVID-19, maladie transmissible potentiellement mortelle, lors de cette période où nous n’avions encore que très peu d’informations sur son évolution ou ses séquelles, et pour laquelle il n’existait pas de traitement, représentait probablement un stress suffisant pour augmenter le risque de pensées suicidaires. Et c’est à ce mal-être qu’il faut être attentif afin de le prendre en charge, le surveiller et le comprendre pour y remédier, ou au moins éviter qu’il ne s’aggrave. Ces résultats pourraient par ailleurs s’avérer utiles dans la réponse à d’éventuelles futures pandémies. » expliquent les auteurs de l’étude.

Ces résultats incitent au déploiement des ressources en santé mentale (numéros d’écoute et d’urgence, symptômes à surveiller, fréquence dans la population…) dans les lieux susceptibles d’être fréquentés par des personnes symptomatiques afin de les encourager à être attentives à leur santé mentale, de façon à limiter l’émergence ou l’aggravation de pensées suicidaires.

Si vous êtes en détresse et/ou avez des pensées suicidaires, si vous voulez aider une personne en souffrance, vous pouvez contacter le numéro national de prévention du suicide, le 3114.

[1] https://www.epicov.fr/

Cette enquête est menée conjointement par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère des Solidarités et de la Santé, avec le soutien de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et de Santé publique France.

ComPaRe Endométriose : comment améliorer la prise en charge du point de vue des patientes

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© Photo de Sasun Bughdaryan sur Unsplash

Sous l’impulsion de chercheurs et enseignants-chercheurs du Centre d’Épidémiologie Clinique (AP-HP), des unités CESP (Inserm/Université Paris-Saclay/UVSQ/Gustave Roussy) et CRESS (Inserm/Université Paris Cité), ComPaRe, la Communauté de Patients pour la Recherche de l’AP-HP, a mené une étude de science citoyenne pour recueillir les idées des patientes souffrant d’endométriose en vue d’améliorer leur prise en charge.  Les 1000 participantes de l’étude ont répondu à la question suivante : « Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre prise en charge ? ». 2487 idées ont été proposées et regroupées en 61 axes d’amélioration. Menée par Solène Gouesbet, doctorante à l’Université Paris-Saclay, et supervisée par le Dr Viet-Thi Tran, épidémiologiste et co-investigateur de ComPaRe (Université Paris Cité / AP-HP), l’étude a fait l’objet d’une publication scientifique dans la revue Journal of Women’s Health le 19 janvier 2023.

L’endométriose est une maladie gynécologique pouvant causer de nombreux symptômes invalidants (douleurs pelviennes lors des règles ou lors des rapports sexuels, troubles digestifs, fatigue…). Cette maladie touche environ 10% des femmes en âge de procréer, mais malgré cette prévalence élevée, on estime à environ sept ans le délai entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic de la maladie.

Les options thérapeutiques sont limitées et de nombreuses femmes vivent avec des douleurs non résolues.

Peu d’études dans la littérature1 prenaient en compte le point de vue des patientes.

1000 patientes de la cohorte ComPaRe Endométriose ont été sélectionnées aléatoirement. La question ouverte « Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre prise en charge ? » leur a été posée sous la forme d’un questionnaire dans leur espace personnel ComPaRe. Les données ont été analysées par un groupe comprenant à la fois des chercheurs, des soignants et des patientes. Grâce aux participantes de l’étude, près de 2500 idées ont pu être identifiées, regroupées en 61 axes d’améliorations.

Les pistes d’améliorations des patientes étaient l’amélioration de la connaissance et la reconnaissance de la maladie par les soignants (41%), l’amélioration des soins et un accompagnement pour des problématiques spécifiques à l’endométriose (25%), ou encore l’assurance d’un diagnostic précoce avec un meilleur processus de diagnostic et un support adapté (22%).

« J’aurais aimé être diagnostiquée plus tôt pour me mettre en aménorrhée rapidement, cela m’aurait évité bien des journées sans pouvoir aller en cours, en étant en souffrance (…) » témoigne une patiente.

L’intelligence collective des patientes capturée au cours de cette étude va permettre de définir un modèle de prise en charge plus adapté au vécu des patientes. Une fois de plus, ComPaRe fait du patient un acteur de la recherche sur sa maladie.

À l’occasion de cette publication, ComPaRe Endométriose remercie toutes les participantes et relance son appel à la participation. En s’inscrivant sur ComPaRe (https://compare.aphp.fr/endometriose/), les patientes contribuent à faire avancer la recherche médicale publique sur leur maladie et font entendre leur voix.

ComPaRe Endométriose

 

Créée en 2017 par l’AP-HP, ComPaRe, la Communauté de Patients pour la Recherche rassemble aujourd’hui plus de 50 000 patients volontaires partout en France. Ils contribuent à faire avancer la recherche sur leur(s) maladie(s) chronique(s) en répondant régulièrement aux questionnaires en ligne des chercheurs, sur la plateforme sécurisée https://compare.aphp.fr.

Les patients participent à la cohorte générale et/ou à l’une des quatorze cohortes dédiées au diabète, à la maladie de Verneuil, au vitiligo, à la lombalgie chronique, aux maladies rénales, aux vascularites, à l’hypertension artérielle, à l’endométriose, aux neurofibromatoses ou au syndrome de Marfan.

[1] https://www.aphp.fr/contenu/etude-compare-si-vous-aviez-une-baguette-magique-que-changeriez-vous-dans-votre-prise-en

La vie reproductive des femmes et la prise de traitements à base d’hormones pourraient avoir un impact sur le risque de développer la maladie de Parkinson

Parkinson

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Les facteurs de risque spécifiques au développement de la maladie de Parkinson chez les femmes sont encore peu étudiés et mal connus. L’exposition aux hormones impliquées dans la vie reproductive féminine est une des pistes explorées au sein du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations par une équipe de recherche de l’Inserm, de l’Université Paris-Saclay, de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines avec l’institut Gustave Roussy, qui a comparé les caractéristiques relatives à l’histoire reproductive de près de 1 200 femmes atteintes de la maladie de Parkinson à celles des autres femmes de la cohorte E3N[1].

Leurs résultats montrent que l’âge des premières menstruations, le nombre de grossesses, le type de ménopause ainsi qu’une molécule administrée pour améliorer la fertilité, sont associés à un risque plus élevé de survenue de la maladie. Ces travaux, parus dans Brain, appuient le rôle de l’exposition hormonale – notamment des taux d’œstrogènes – au cours de la vie reproductive des femmes dans la maladie de Parkinson et ouvrent des pistes pour des stratégies de prévention ciblées.

La maladie de Parkinson est une maladie neurodégénérative progressive favorisée par des interactions complexes entre des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. Elle touche aujourd’hui plus de 6 millions de personnes dans le monde et est 1,5 fois plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. Comparativement, elle est également moins étudiée et moins bien connue chez ces dernières. Ainsi, les études sur certains facteurs de risques spécifiquement féminins comme l’impact de l’exposition aux hormones liées à la vie reproductive, qu’elle soit naturelle (puberté, cycles menstruels, grossesses, ménopause…) ou médicale (traitements hormonaux comme par exemple la prise de contraceptifs, les traitements augmentant la fertilité, ou encore les traitements post-ménopause), demeurent peu nombreuses et contradictoires.

Au sein de l’équipe de recherche Exposome, hérédité, cancer et santé du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (Inserm/Université Paris-Saclay/Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), Marianne Canonico, chercheuse Inserm, en collaboration avec Alexis Elbaz, chercheur Inserm, a évalué l’influence de la vie reproductive et de la prise de traitements médicaux à base d’hormones sur le risque de survenue de la maladie de Parkinson chez les femmes. Pour ce faire, elle a examiné de nombreuses caractéristiques relatives à l’histoire reproductive de près de 1 200 femmes de la cohorte E3N, chez qui un diagnostic de maladie de Parkinson a été porté au cours des 24 ans de leur suivi, et les a comparées à celles des autres femmes de la cohorte.

Les scientifiques ont pu observer plusieurs caractéristiques associées à un risque accru[2] de développer la maladie, dont les effets s’avéraient cumulatifs[3].

Ainsi, les femmes dont les premières menstruations sont survenues avant ou après 12-13 ans montraient un risque accru de respectivement + 21 % et + 18 %. La durée et la régularité du cycle menstruel ne montraient en revanche pas d’impact significatif.

« C’est la première fois qu’une telle association est montrée entre l’âge des premières règles et la maladie, précise Marianne Canonico, celle-ci pourrait entre autre s’expliquer par une interférence – à cette période cruciale pour le neurodéveloppement qu’est la puberté – des hormones sexuelles avec des circuits neuronaux impliqués dans le développement de la maladie de Parkinson. »

Autre caractéristique observée : si le fait d’avoir ou non des enfants n’était pas associé au risque de développer la maladie, chez les femmes ayant eu des enfants, ce risque augmente avec le nombre de naissances (+ 22 % au deuxième enfant, + 30 % à partir du troisième).

Si le fait d’être ménopausée n’apparaissait pas directement associé à une augmentation du risque de la maladie de Parkinson, en revanche, le type de ménopause semble avoir un impact. Ainsi, une ménopause artificielle serait associée à une augmentation du risque de 28 % par rapport à une ménopause naturelle, et de manière plus prononcée lorsqu’elle survient avant 45 ans (+ 39 % de risque par rapport à une ménopause survenue après 45 ans) ou lorsqu’elle est la conséquence d’une ablation des deux ovaires – avec ou sans retrait de l’utérus[4] (+ 31 % par rapport à une ménopause naturelle).

Enfin, si les traitements pour améliorer la fertilité n’étaient pas associés de manière globale à un accroissement du risque de la maladie de Parkinson, pris individuellement, le clomifène – un traitement stimulant l’ovulation – augmenterait de 80 % le risque par rapport aux femmes n’ayant jamais pris de traitement pour la fertilité.

Dans les deux cas précédents, une exposition à des taux insuffisants d’hormones féminines (œstrogènes) pourrait être en cause :

« La ménopause artificielle et/ou précoce, provoque une insuffisance ovarienne et en conséquence une chute brusque et anticipée des niveaux d’œstrogènes, normalement encore élevés avant l’âge de 45 ans, explique Marianne Canonico, quant au clomifène, il a un rôle anti-œstrogènes. »

Cette hypothèse est soutenue par l’observation d’un effet protecteur des traitements hormonaux utilisés à la ménopause, qui semblent atténuer le risque lié à la ménopause précoce ou artificielle pour la maladie de Parkinson.

« Ces résultats sont cohérents avec la connaissance du rôle neuroprotecteur des œstrogènes, déjà démontré dans d’autres études », ajoute Marianne Canonico.

Si cette étude comporte la plus grande cohorte à ce jour de patientes atteintes de la maladie de Parkinson, les chercheuses et chercheurs précisent que les résultats liés aux facteurs de risque identifiés doivent être confirmés par des études au long cours avec davantage de participantes. Ces résultats pourraient permettre à terme d’identifier des groupes à risque au sein desquels des stratégies de prévention pourraient être proposées précocement.

 

[1]La cohorte E3N, promue par l’Inserm, l’Université Paris-Saclay et l’institut Gustave Roussy, est la première grande étude française sur la santé des femmes. Depuis 1990, près de 100 000 femmes françaises sont suivies dans le cadre de cette vaste étude prospective en santé.

[2]En revanche, l’allaitement, l’utilisation de contraceptifs oraux, ou encore la durée de la vie reproductive ne présentaient pas d’association avec la survenue de la maladie de Parkinson.

[3]Un effet cumulatif était observé pour les critères de risque cités plus loin dans le texte. Ainsi, les femmes ayant cumulé une puberté précoce ou tardive, plusieurs grossesses et une ménopause artificielle et précoce, étaient les plus à risque de développer la maladie.

[4]En revanche, une ménopause artificielle provoquée par retrait de l’utérus seul, était associée à une augmentation du risque plus modérée.

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