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Percée majeure dans le traitement de la maladie de Parkinson : une neuroprothèse permet de restaurer une marche fluide

neuroprothèseContrairement aux traitements conventionnels de la maladie de Parkinson, cette neuroprothèse vise la zone de la moelle épinière responsable de l’activation des muscles des jambes pendant la marche. © CHUV

Des neuroscientifiques de l’Inserm, du CNRS et de l’université de Bordeaux en France, avec des chercheurs et neurochirurgiens suisses (EPFL/CHUV/UNIL), ont conçu et testé une « neuroprothèse » destinée à corriger les troubles de la marche associés à la maladie de Parkinson. Dans une étude publiée dans Nature Medicine, les scientifiques détaillent le processus de développement de la neuroprothèse utilisée pour traiter un premier patient atteint de la maladie de Parkinson, lui permettant de marcher avec fluidité, confiance et sans chute.

Des troubles de la marche invalidants surviennent chez environ 90 % des personnes qui présentent un stade avancé de la maladie de Parkinson. Ces troubles de la marche résistent souvent aux traitements actuellement disponibles. Développer de nouvelles stratégies permettant aux patients de remarcher avec fluidité, en écartant le risque de chute, constitue donc une priorité pour les équipes de recherche qui travaillent sur cette maladie depuis de longues années.

C’est le cas d’Erwan Bézard, neuroscientifique à l’Inserm, et de son équipe à l’Institut des maladies neurodégénératives (CNRS/Université de Bordeaux), dont le travail porte notamment sur la compréhension des mécanismes pathogéniques à l’origine de la maladie de Parkinson et sur le développement de stratégies pour rétablir la motricité dans différentes pathologies. Depuis plusieurs années, il collabore avec une équipe suisse dirigée les Pr Grégoire Courtine, neuroscientifique, et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne, spécialisés dans le développement de stratégies de neuromodulation de la moelle épinière.

En 2016, l’équipe franco-suisse avait par exemple déjà publié dans Nature des travaux montrant l’efficacité d’une interface cerveau-moelle épinière – dite « neuroprothèse » – pour restaurer le fonctionnement d’un membre paralysé suite à une lésion de la moelle épinière. Les résultats prometteurs avaient incités les scientifiques à poursuivre leurs efforts et laissaient espérer des effets bénéfiques dans la maladie de Parkinson avec un dispositif similaire.

 

Éviter les chutes et le freezing

Dans cette nouvelle étude, l’équipe a donc mis au point une neuroprothèse comparable pour pallier les chutes et le phénomène de freezing – quand les pieds restent collés au sol pendant la marche – parfois associé à la maladie de Parkinson.

Contrairement aux traitements conventionnels de la maladie de Parkinson, qui ciblent les régions du cerveau directement touchées par la perte des neurones producteurs de dopamine, cette neuroprothèse vise la zone de la moelle épinière responsable de l’activation des muscles des jambes pendant la marche, qui n’est a priori pas directement affectée par la maladie de Parkinson. Néanmoins, la moelle épinière est sous le contrôle volontaire du cortex moteur, dont l’activité est modifiée par la perte des neurones dopaminergiques.

S’appuyant sur leur expertise complémentaire, les équipes française et suisse ont pu développer et tester la neuroprothèse dans un modèle de primate non humain reproduisant les déficits locomoteurs dus à la maladie de Parkinson. Le dispositif a non seulement permis d’atténuer les déficits locomoteurs, mais aussi de rétablir la capacité de marche dans ce modèle en diminuant les phénomènes de freezing.

« L’idée de développer une neuroprothèse stimulant électriquement la moelle épinière pour harmoniser la démarche et corriger les troubles locomoteurs de patients parkinsoniens est le fruit de plusieurs années de recherche sur le traitement de la paralysie due aux lésions médullaires », explique Erwan Bézard, directeur de recherche Inserm à l’Institut des maladies neurodégénératives (université de Bordeaux/CNRS).

« Des tentatives précédentes de stimulation de la moelle ont échoué car elles stimulaient en bloc les centres locomoteurs sans tenir compte de la physiologie. Dans le cas présent, il s’agit d’une stimulation qui se superpose au fonctionnement naturel des neurones de la moelle en stimulant, avec une coordination spatiotemporelle, les différents groupes musculaires responsables de la marche », ajoutent Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch, codirecteurs de NeuroRestore, le centre de recherche installé en Suisse romande.

Ces résultats prometteurs ont permis d’ouvrir la voie à un développement clinique, pour tester le dispositif chez un patient.

 

Une amélioration grâce à la neuroprothèse

Un premier patient, âgé de 62 ans, et vivant avec la maladie depuis trois décennies, a ainsi été opéré il y a deux ans au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne. Au cours d’une intervention neurochirurgicale de précision, Marc, originaire de Bordeaux, a été équipé de cette nouvelle neuroprothèse, constituée d’un champ d’électrodes placé contre la région de sa moelle épinière qui contrôle la marche et d’un générateur d’impulsions électriques implanté sous la peau de son abdomen.

Grâce à la programmation ciblée des stimulations de la moelle épinière qui s’adaptent en temps réel à ses mouvements, Marc a rapidement vu ses troubles de la marche s’estomper. Après une rééducation de quelques semaines avec la neuroprothèse, il a retrouvé une marche presque normale.

Cette neuroprothèse ouvre donc de nouvelles perspectives pour traiter les troubles de la marche dont souffrent de nombreuses personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Toutefois, à ce stade, ce concept thérapeutique a démontré son efficacité chez une seule personne, avec un implant qui doit encore être optimisé pour un déploiement à grande échelle.

Les scientifiques travaillent donc à la mise au point d’une version commerciale de la neuroprothèse[1] intégrant toutes les fonctionnalités indispensables pour une utilisation quotidienne optimale. Des essais cliniques sur un plus grand nombre de patients doivent également démarrer dès l’année prochaine[2].

« Notre ambition est de généraliser l’accès à cette technologie innovante afin d’améliorer significativement la qualité de vie des patients atteints de la maladie de Parkinson, partout dans le monde », concluent les chercheurs.

 

[1] En partenariat avec la compagnie ONWARD Medical, une entreprise installée en Suisse qui développera ces implants.

[2] Grâce à un don d’un million de dollars de la Michael J. Fox Foundation for Parkinson’s research, le centre NeuroRestore va initier des essais cliniques sur six nouveaux patients dès l’année prochaine. Ces essais visent non seulement à valider la technologie développée en collaboration avec ONWARD, mais aussi à identifier les profils de patients les plus susceptibles de bénéficier de cette thérapie innovante. Fondée par l’acteur Michael J. Fox (Back to the future), lui-même atteint de la maladie de Parkinson, cette fondation est le principal donateur privé dans le domaine de la recherche sur la maladie de Parkinson.

Un sommeil ouvert sur le monde : nous sommes capables de répondre aux sollicitations extérieures tout en dormant

Le sommeil est généralement défini comme une période durant laquelle le corps et l’esprit sont en repos, comme déconnectés du monde. © Nicolas Decat

 Le sommeil n’est pas un état qui nous isole parfaitement de notre environnement : nous sommes capables, tout en dormant, d’entendre et comprendre des mots. Ces observations, issues de la collaboration étroite entre des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Sorbonne Université et de l’AP-HP à l’Institut du Cerveau et le Service des pathologies du sommeil de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP à Paris, remettent en question la définition même du sommeil et des critères cliniques qui permettent de distinguer entre ses différents stades. Elles sont détaillées dans une nouvelle étude parue dans la revue Nature Neuroscience.

 Le sommeil est généralement défini comme une période durant laquelle le corps et l’esprit sont en repos, comme déconnectés du monde. Pourtant, une nouvelle étude encadrée par Delphine Oudiette, chercheuse à l’Inserm, Isabelle Arnulf (Sorbonne Université, AP-HP) et Lionel Naccache (Sorbonne Université, AP-HP) au sein de l’Institut du Cerveau, indique que la frontière entre veille et sommeil est bien plus poreuse qu’il n’y parait.

Les scientifiques ont montré que des dormeurs sans troubles particuliers sont capables de capter des informations verbales transmises par une voix humaine, et d’y répondre par des contractions des muscles du visage. Or, cette capacité étonnante se manifeste de manière intermittente durant presque tous les stades du sommeil — comme si des fenêtres de connexion avec le monde extérieur s’ouvraient temporairement à cette occasion.

Ces nouvelles données sur le comportement des dormeurs suggèrent qu’il serait possible, à terme, de mettre au point des protocoles de communication standardisés avec les personnes endormies afin de mieux comprendre comment l’activité mentale change pendant le sommeil.

À l’horizon : une nouvelle voie d’accès aux processus cognitifs sur lesquels reposent le sommeil normal et pathologique.

 

Mille et une variations de conscience

« Même s’il nous parait familier car nous nous y abandonnons toutes les nuits, le sommeil est un phénomène très complexe. Nos recherches nous ont appris que la veille et le sommeil ne sont pas des états stables : ils s’apparentent l’un et l’autre à une mosaïque de moments conscients… et de moments qui ne semblent pas l’être », explique le Pr Lionel Naccache, neurologue à l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP et chercheur en neurosciences.

Il est essentiel de mieux connaître les mécanismes cérébraux qui sous-tendent ces états intermédiaires entre veille et sommeil.

« Déréglés, ils peuvent être associés à des troubles comme le somnambulisme, la paralysie du sommeil, les hallucinations, à la sensation de ne pas dormir de la nuit, ou au contraire d’être endormi les yeux ouverts », précise le Pr Isabelle Arnulf, cheffe du service des pathologies du sommeil de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP.

Or, pour distinguer la veille et les différents stades de sommeil, on utilise jusqu’ici des indicateurs physiologiques simples et peu précis, comme des ondes cérébrales spécifiques rendues visibles grâce à l’électroencéphalographie. Ces indicateurs ne permettent pas de saisir en détail ce qui se passe dans la tête des dormeurs, d’autant qu’ils sont parfois en contradiction avec leur témoignage.

« Nous avons besoin de mesures physiologiques plus fines qui soient alignées avec le ressenti du dormeur et sa capacité à répondre au monde extérieur ; ceci afin de mieux définir son niveau de vigilance », renchérit Delphine Oudiette, chercheuse l’Inserm en neurosciences cognitives.

 

Un jeu entre inconscience et lucidité

 L’équipe de recherche[1] a donc creusé cette piste et a recruté 22 personnes sans troubles du sommeil et 27 patients narcoleptiques — c’est-à-dire victimes d’épisodes d’endormissement irrépressibles.

Les individus narcoleptiques ont la particularité de faire beaucoup de rêves lucides, c’est-à-dire de rêves dans lesquels ils sont conscients d’être endormis et dont ils peuvent parfois façonner le scénario. De plus, ils atteignent facilement et rapidement le sommeil paradoxal (le stade où surgit le rêve lucide) en journée, ce qui en fait de bons candidats pour étudier la conscience pendant le sommeil en conditions expérimentales.

« L’une de nos précédentes études avait montré qu’une communication à double-sens, de l’expérimentateur vers le rêveur et vice-versa, est possible au cours du sommeil paradoxal lucide, précise Delphine Oudiette. À présent, nous souhaitions savoir si ces résultats pouvaient être généralisés à d’autres stades de sommeil et chez les individus qui ne font pas de rêves lucides. »

Les participants à l’étude ont été invités à faire une sieste. Les chercheurs leur ont fait passer un test dit de « décision lexicale » au cours duquel une voix humaine énonçait une série de vrais mots et de mots inventés. Les participants devaient y réagir en souriant ou en fronçant les sourcils, pour les classer dans l’une ou l’autre de ces catégories. Durant toute la durée de l’expérience, les participants étaient suivis par polysomnographie — un examen complet d’enregistrement de leur activité cérébrale et cardiaque, des mouvements des yeux et du tonus musculaire. Enfin, au réveil, les participants devaient rapporter s’ils avaient, ou non, fait un rêve lucide durant leur sieste, et s’ils se souvenaient d’avoir interagi avec quelqu’un.

« La plupart des participants, qu’ils soient narcoleptiques ou non, ont réussi à répondre correctement aux stimuli verbaux tout en restant endormis. Ces événements étaient certes plus fréquents lors des épisodes de rêve lucide, caractérisés par un haut niveau de conscience ; mais nous les avons observés ponctuellement dans les deux groupes, au cours de toutes les phases du sommeil », précise le Pr Isabelle Arnulf.

En croisant ces données physiologiques, comportementales et les rapports subjectifs des participants, les chercheurs et chercheuses montrent également qu’il est possible de prédire l’ouverture de ces fenêtres de connexion avec l’environnement, c’est-à-dire les moments où les dormeurs étaient capables de répondre aux stimuli. Celles-ci étaient annoncées par une accélération de l’activité cérébrale, et par des indicateurs physiologiques habituellement associés à une activité cognitive riche.

« Chez les personnes qui ont fait un rêve lucide durant leur sieste, la capacité à dialoguer avec l’expérimentateur et à raconter cette expérience au réveil était également caractérisée par une signature électrophysiologique spécifique, ajoute le Pr Lionel Naccache. Nos données suggèrent que les rêveurs lucides ont un accès privilégié à leur monde intérieur, et que cette conscience accrue s’étend aussi au monde extérieur. »

D’autres recherches seront nécessaires pour déterminer si la multiplication de ces fenêtres est corrélée à la qualité du sommeil, et si elles pourraient être exploitées pour améliorer certains troubles du sommeil ou favoriser les apprentissages.

« Des techniques de neuroimagerie plus avancées, comme la magnétoencéphalographie et l’enregistrement intracrânien de l’activité cérébrale, nous aideront à mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui orchestrent les comportements des dormeurs », conclut Delphine Oudiette.

Enfin, ces nouvelles données pourraient contribuer à réviser la définition du sommeil, un état finalement très actif, peut-être plus conscient que nous ne l’imaginions, et ouvert au monde et aux autres.

Cette étude a été financée par l’Agence nationale de la recherche et la Société française de recherche et médecine du sommeil.

[1] Dont les doctorants Başak Türker, Esteban Munoz Musat et Emma Chabani dont l’implication a été primordiale pour la réalisation de ce travail.  

Que disent les pleurs de bébé ?

bébé qui pleureLe pleur est le signal par lequel les bébés communiquent vocalement avec leurs parents et les autres personnes qui s’occupent d’eux au cours des premiers mois de leur vie. © Photo de Katie Smith sur Unsplash

Le pleur est le signal par lequel les bébés communiquent vocalement avec leurs parents et les autres personnes qui s’occupent d’eux au cours des premiers mois de leur vie. Mais que nous disent réellement les pleurs d’un bébé ? Malgré l’intérêt universel pour cette question, nos connaissances restaient jusqu’alors sans base scientifique établie. Deux équipes de recherche de l’université Jean Monnet à Saint-Étienne, de l’Inserm et du CNRS1 ont relevé le défi de répondre à cette question. Si chaque pleur présente des caractéristiques individuelles propre à l’enfant, rien ne permettrait de distinguer sa cause – faim, inconfort, isolement – ni s’il s’agit du pleur d’une fille ou d’un garçon. En revanche les caractéristiques acoustiques du pleur sont bien corrélées au niveau de détresse dans lequel se trouve l’enfant, incitant le parent ou l’adulte à réagir. Ces résultats sont publiés dans la revue Communications Psychology.

Dans cette étude, les chercheurs et chercheuses ont d’abord mené une analyse de près de 40 000 pleurs de 24 bébés filles et garçons enregistrés pendant les quatre premiers mois de leur vie. Ils ont testé la présence de corrélations entre les caractéristiques des pleurs et l’évènement qui les avaient déclenchés. Ils ont ensuite procédé à des expériences de playback où des auditeurs et auditrices adultes écoutaient une partie des pleurs enregistrés et devaient identifier leur cause.

Les résultats confirment que les pleurs des filles et des garçons sont acoustiquement similaires. Cependant, chaque bébé pleure d’une manière qui lui est propre. Ces signatures individuelles sont définies par un ensemble de caractéristiques acoustiques spécifiques qui changent de manière prédictible avec l’âge, de sorte que l’individualité des pleurs des bébés est préservée au fur et à mesure de leur développement.

Alors que la croyance populaire veut que les pleurs des bébés informent quant à leur cause, les algorithmes d’apprentissage automatique utilisés dans le cadre de cette étude n’ont trouvé aucune preuve que les pleurs des bébés communiquent leur cause. Ils ont au contraire montré que les pleurs de bébés liés à la faim, à l’isolement ou à l’inconfort, ne présentaient pas de caractéristiques distinctes.

De plus, le large échantillon d’auditeurs et d’auditrices (plus de 200 personnes) n’a pas réussi à identifier les causes des pleurs produits par les bébés.

« A travers cette étude, nous voyons que les pleurs des bébés humains contiennent des indices acoustiques définissant une signature vocale propre à chaque bébé tout en codant de manière dynamique des états motivationnels et émotionnels. Nous n’avons pas identifié d’information quant à la cause des pleurs : il semble ainsi impossible de savoir pourquoi un bébé pleure rien qu’en l’écoutant. L’information saillante portée par le pleur est celle du niveau de détresse du bébé qui est codé par un ensemble de traits comme la rugosité acoustique. Cette information est évidemment primordiale puisqu’elle renseigne sur le degré d’urgence à réagir au pleur. », explique Nicolas Mathevon, responsable de cette étude.

De tels signaux vocaux gradés sont courants aussi chez les autres espèces de grands singes (comme les bonobos ou les chimpanzés), chez qui les cris varient continuellement en fonction des niveaux d’excitation ou de stress plutôt que de manière catégorique selon les contextes.

 

1 Ces travaux ont été réalisés par l’équipe de neuro-éthologie sensorielle (ENES) au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (UJM/ Lyon 1/CNRS/Inserm) et celle du laboratoire Sainbiose (UJM/Inserm /Mines Saint-Étienne)

L’infection de certains neurones par le SARS-CoV-2 pourrait être à l’origine de symptômes persistants

SRAS-CoV2 Image illustrant l’infection par le SRAS-CoV2 (immunoréactivité pour la protéine S en blanc) dans les neurones olfactifs exprimant la protéine marqueur olfactive (OMP, en rouge) dans l’épithélium nasal humain. ©Vincent Prévot/Inserm

Les conséquences sur le cerveau d’une infection par le SARS-CoV-2, responsable de la Covid-19 sont de plus en plus documentées par la littérature scientifique. Des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, au sein du laboratoire Lille neuroscience et cognition, en collaboration avec leurs collègues de l’Imperial College London, se sont intéressés plus spécifiquement aux conséquences de cette infection sur une population précise de neurones connue pour réguler la reproduction sexuelle via l’hypothalamus (les neurones exprimant l’hormone GnRH). Leurs résultats, suggèrent que l’infection peut entraîner la mort de ces neurones et être à l’origine de certains symptômes qui persistent dans le temps. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue eBioMedicine.

De nombreuses études scientifiques ont documenté les conséquences sur le cerveau d’une infection au SARS-CoV-2. Parmi les effets qui ont été identifiés, une proportion significative d’hommes présente des taux de testostérone faibles qui persistent dans le temps. Au-delà de quatre semaines, on peut parler alors de « Covid long ».

Une équipe de recherche de l’Inserm, du CHU et de l’Université de Lille, étudie depuis de nombreuses années le rôle de certains neurones exprimant une hormone appelée GnRH (Gonadotropin-Releasing Hormone). Ces neurones contrôlent depuis l’hypothalamus tous les processus associés aux fonctions reproductrices : la puberté, l’acquisition des caractères sexuels secondaires et la fertilité à l’âge adulte.

Ces mêmes scientifiques avaient par exemple précédemment identifié qu’un dysfonctionnement des neurones à GnRH dans un modèle animal de la trisomie 21, pouvait avoir des conséquences sur l’altération des fonctions cognitives associées à cette maladie.

Dans une nouvelle étude, ils ont voulu tester l’hypothèse selon laquelle une infection par le SARS-CoV-2 peut avoir des conséquences délétères sur cette population de neurones régulateurs de la reproduction.

 

Le virus pénètre les neurones à GnRH et altère leurs fonctions

En s’appuyant sur les dosages hormonaux (testostérone et LH) réalisés trois mois et un an après l’infection chez un petit groupe de 47 hommes[1], les scientifiques ont constaté que le contact avec le virus pouvait altérer les fonctions des neurones à GnRH, entraînant une chute du taux de testostérone chez certains patients quelques temps après l’épisode infectieux.

Les scientifiques ont ensuite voulu vérifier si l’infection des neurones à GnRH et les anomalies hormonales observées après l’infection pouvaient être associées à des déficits cognitifs. Ils ont pour cela répertorié les symptômes cognitifs rapportés par les patients de la cohorte, qui ont subi des tests approfondis à 3 mois, puis 1 an après l’infection. Résultats : la proportion de patients signalant des troubles de la mémoire ou de l’attention, quelle que soit leur fréquence ou leur gravité, mais aussi des difficultés de concentration, avait tendance à être légèrement plus élevée chez les patients qui présentaient des dosages hormonaux anormaux, caractérisés par une baisse du taux de testostérone.

« Bien qu’il s’agisse de mesures effectuées sur un petit échantillon de patients et uniquement masculins, ces résultats sont très intéressants et mériteraient d’être approfondis dans le cadre d’autres études menées à plus grande échelle », explique Waljit Dhillo, professeur à l’Imperial College London, co-dernier auteur de cette étude.

Pour compléter leurs analyses, les chercheurs ont enfin étudié le cortex de patients décédés des suites de la Covid-19. Ils ont identifié la présence du virus au niveau de l’hypothalamus et ont constaté la mort d’une partie de la population de neurones à GnRH.

« Ces résultats peuvent être inquiétants sur plusieurs points au regard du rôle de ces neurones dans la reproduction et de leur implication dans certaines fonctions cognitives. Ils pointent la nécessité d’optimiser et de généraliser le suivi médical des personnes atteintes de symptômes persistants suite à une infection par la Covid-19 », conclut Vincent Prévot, directeur de recherche à l’Inserm, co-dernier auteur de cette étude.

L’étude incite aussi à poursuivre les travaux sur les conséquences neurologiques du Covid long.

Ce projet de recherche a bénéficié d’un financement de l’ANRS-MIE.

 

[1]Ces données ont été collectées dans le cadre d’une étude plus large évaluant les fonctions surrénaliennes et thyroïdiennes après une infection par le Sars-CoV-2 : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34008009/

Maîtriser la peur : le cervelet, partenaire inattendu des troubles de l’humeur

Les Axones du cervelet (en bleu) se retrouvent autour de neurones du thalamus qui vont vers le cortex préfrontal (vert) mais pas autour de ceux qui vont vers l’amygdale (rouge), autre région impliquée dans le contrôle des émotions. ©Equipe Neurophysiologie des Circuits Cérébraux, Inserm/CNRS/ENS-PSL

Les travaux d’une équipe pilotée par Clément Léna et Daniela Popa, directeurs de recherche Inserm à l’Institut de Biologie de l’ENS, parus dans Nature Communications révèlent l’importance du cervelet dans les émotions. Cette région du cerveau, surtout connue pour son rôle dans le contrôle moteur, agit aussi sur une aire du cortex préfrontal impliquée dans les émotions, et par ce biais régule l’extinction des souvenirs aversifs. Ce travail ouvre la voie à une meilleure compréhension de la régulation des émotions dans les troubles de l’humeur, mais aussi dans diverses conditions pathologiques comme par exemple l’anoxie périnatale, les tumeurs cérébrales ou encore les effets de l’alcool.

Pour survivre ou simplement optimiser son existence, mieux vaut être capable de reconnaître les risques et ajuster sa conduite en conséquence. Par des mécanismes associatifs, le cerveau apprend à identifier les indices annonciateurs du danger. Ces associations doivent être continuellement mises à jour, notamment pour reconnaître l’innocuité d’indices perçus jusque-là comme menaçants mais ne s’avérant plus associés à un danger.

Un défaut dans les processus de neutralisation de tels indices exposerait à accumuler seulement les associations négatives en conduisant, par exemple, à maintenir indéfiniment des réponses émotionnelles intenses à un traumatisme passé. Cependant, plutôt que d’oublier ces indices devenus négligeables, une des méthodes employées par le cerveau est de confier au cortex préfrontal le soin de réprimer leur signification aversive, grâce à un véritable apprentissage de l’innocuité, aussi appelé extinction.

En étudiant le cerveau des souris, l’équipe composée de chercheurs et chercheuses de l’ENS-PSL et de l’Inserm a montré que la zone du cortex préfrontal en charge de cette fonction reçoit des informations en provenance du cervelet (via un relai dans le thalamus, cf. figure). Les chercheurs sont parvenus à effectuer une inactivation ciblée de cette projection en y introduisant des récepteurs inhibiteurs artificiels. Ils ont observé que lorsque ce circuit est inactivé, la réponse de peur à un stimulus qui ne représente plus un danger se prolonge anormalement, ce qui indique un déficit d’apprentissage.

Les enregistrements de l’activité dans ce circuit cérébral ont alors révélé que le cervelet participe à l’apprentissage de la répression des souvenirs négatifs en stoppant des activités rythmiques cérébrales associées à l’état de peur.

Ces travaux complètent une étude précédente de la même équipe, qui avait démontré que l’intensité de l’association « indices – dangers » était également sous contrôle du cervelet, par des projections vers une autre région du cerveau que le cortex préfrontal.

Alors que le cervelet est très connu pour son rôle dans le système moteur (les effets moteurs de l’alcool sont par exemple à peu près entièrement dus à un effet sur le cervelet), ces démonstrations d’une régulation par le cervelet de la formation et de l’extinction de la mémoire émotionnelle sont importantes. Elles montrent que cette structure agit sur les processus clés de la régulation des émotions générées par nos expériences passées. Ce travail ouvre notamment la voie à une meilleure compréhension de la régulation des émotions dans les troubles de l’humeur, mais aussi dans diverses conditions pathologiques, liées par exemple à la sensibilité du cervelet à l’anoxie périnatale, aux tumeurs cérébrales ou aux effets de l’alcool.

Restaurer la vision grâce à une nouvelle interface cerveau-machine : la thérapie sonogénétique

 thérapie sonogénétique La thérapie sonogénétique consiste à modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. © Alexandre Dizeux/Physics for Medicine Paris

Restaurer la vision grâce à une thérapie associant génétique et ultrasons ? Tel est l’objectif poursuivi par une équipe internationale dirigée par les directeurs de recherche Inserm Mickael Tanter et Serge Picaud, associant respectivement le laboratoire Physique pour la médecine (ESPCI Paris/PSL Université/Inserm/CNRS) et l’Institut de la vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS) à Paris en partenariat avec l’Institut d’ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle. Dans une nouvelle étude, ils ont apporté la preuve de concept de cette thérapie dite « sonogénétique » chez l’animal. Celle-ci consiste à modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. Les résultats montrent que, lorsqu’elle est utilisée sur les neurones de rongeurs, la sonogénétique permet d’induire une réponse comportementale associée à une perception lumineuse. Cette découverte permet d’envisager à plus long terme une application chez les personnes aveugles atteintes d’atrophie du nerf optique. L’étude est publiée dans Nature Nanotechnology.

La thérapie sonogénétique consiste à modifier génétiquement certains neurones afin de pouvoir les activer à distance par des ultrasons. Cette technologie avait préalablement été testée en culture et les premiers tests in vivo n’avaient pas permis de prendre conscience de son potentiel thérapeutique lié à sa très haute résolution spatiotemporelle. La modification génétique en question consiste à introduire le code génétique d’un canal ionique mécanosensible dans les cellules. Les neurones qui expriment ce canal peuvent alors être activés à distance par des ultrasons de faible intensité appliqués à la surface du cerveau sans nécessiter de contact (cf. schéma ci-dessous).

thérapie sonogénétique

Les ondes ultrasonores peuvent en effet accéder à des tissus en profondeur, comme dans le cortex visuel, même depuis la surface de la dure-mère[1] qui entoure le cerveau, et cibler des zones très précises. Ce sont ces ondes qui sont à la base des technologies d’échographie ou d’imagerie du cerveau à haute résolution. Dans le cas présent, elles permettent une activation très sélective, puisque seuls les neurones porteurs du canal mécanosensible et ciblés par le faisceau ultrasonore sont stimulés.

Dans une récente étude, une équipe de chercheurs et chercheuses menée par les directeurs de recherche Inserm Mickael Tanter et Serge Picaud a testé l’efficacité de cette thérapie sonogénétique chez l’animal. L’objectif de cette recherche est d’apporter une solution pour redonner la vue aux patients qui ont perdu la connexion entre leurs yeux et leur cerveau au cours de pathologies comme le glaucome, la rétinopathie diabétique, ou les neuropathies optiques héréditaires ou alimentaires.

Leurs résultats indiquent que la stimulation sonogénétique du cortex visuel permet d’induire une réponse comportementale associée à une perception lumineuse. L’animal apprend un comportement associatif dans lequel il cherche à boire dès qu’il perçoit la lumière. La stimulation ultrasonore de son cortex visuel induit le même réflexe uniquement si les neurones du cortex expriment le canal mécanosensible. Le comportement de l’animal suggère que la stimulation sonogénétique de son cortex a induit la perception lumineuse à l’origine du réflexe comportemental.

L’étude a montré que la thérapie fonctionne sur différents types de neurones, qu’ils soient dans la rétine ou dans le cortex visuel des rongeurs, démontrant ainsi le caractère universel de cette approche.

En convertissant les images de notre environnement sous forme d’une onde ultrasonore codée pour stimuler directement le cortex visuel, et ce à des cadences de plusieurs dizaines d’images à la seconde, la thérapie sonogénétique apparaît comme un réel espoir pour restaurer la vue des patients ayant perdu la fonction du nerf optique.

Plus généralement, cette approche de stimulation sonogénétique offre une technologie innovante pour interroger le fonctionnement du cerveau. À la différence des prothèses ou des stimulateurs neuronaux actuels, son fonctionnement « sans contact » et sélectif d’un type cellulaire représente une innovation majeure par rapport aux dispositifs avec électrodes.

« Cette thérapie sonogénétique pour restaurer, à terme, la vision de personnes aveugles illustre la puissance d’un projet pluridisciplinaire et d’une belle aventure humaine entre un biologiste de la rétine comme Serge Picaud, et moi-même, un physicien des ondes pour la médecine », déclare Mickael Tanter, directeur de recherche Inserm au laboratoire Physique pour la médecine de Paris (ESPCI Paris/PSL Université/Inserm/CNRS).

« Le développement d’un essai clinique de thérapie sonogénétique demande encore de passer par de nombreuses étapes pour valider son efficacité et sa sécurité. Si les résultats se confirment, cette thérapie pourrait réussir à restaurer la vue des patients de manière stable et en toute sécurité », conclut Serge Picaud, directeur de recherche Inserm et de l’Institut de la vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS).

 

[1] Couche la plus externe des méninges protégeant le cerveau

Vers une meilleure compréhension du rôle des hormones masculines chez les femmes atteintes de sclérose en plaques

sclérose en plaque

L’image montre la région cérébrale où l’on induit classiquement la démyélinisation. Les cellules rouges correspondent à l’ensemble des cellules microgliales ayant des propriétés inflammatoires quand la démyélinisation vient de se produire. Si le processus de régénération spontanée de la myéline est efficace, leur caractère inflammatoire s’atténue ensuite au profit d’un caractère anti-inflammatoire et pro-régénératif. Les cellules vertes sont une sous-population de ces cellules microgliales qui deviennent anti-inflammatoires. © Zahaf et al.

La sclérose en plaques, maladie auto-immune pour laquelle il n’existe pas encore de traitement curatif, touche trois femmes pour un homme. Face à ce constat, des scientifiques s’intéressent au rôle des hormones sexuelles pour mieux comprendre les différences entre hommes et femmes face à la maladie ainsi que sa progression. Une équipe de recherche menée par la chercheuse Inserm Elisabeth Traiffort au sein de l’unité U1195 « Maladies et hormones du système nerveux » (Inserm/Université Paris-Saclay) vient de montrer que même si les hormones masculines – les androgènes – sont présentes à des taux très faibles chez les femmes, leur présence est nécessaire pour régénérer la gaine de myéline qui est détruite dans la sclérose en plaques. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications.

La sclérose en plaques est une maladie auto-immune. Sous sa forme la plus fréquemment rencontrée, dite récurrente-rémittente[1] qui représente 85% des cas, elle se traduit par des poussées inflammatoires au cours desquelles les cellules immunitaires des patients s’attaquent à la myéline du système nerveux central et la détruisent (voir encadré). Ce phénomène entraine des lésions qui provoquent des troubles notamment moteurs, sensitifs ou visuels.

Ces symptômes sont réversibles au début de la maladie, grâce à la réparation spontanée de la myéline détruite. Cependant, avec le temps, les symptômes deviennent peu à peu irréversibles, ce qui reflète l’échec du processus de réparation et fait entrer les patients dans la phase progressive de la maladie. Si les traitements actuels permettent de réduire la fréquence et la sévérité des poussées inflammatoires améliorant donc la qualité de vie des patients, ils restent néanmoins inefficaces contre la progression de la maladie.

 

Qu’est-ce que la myéline ?

Un axone est le prolongement unique par lequel un neurone communique avec sa cellule cible. La myéline est une membrane biologique qui s’enroule autour des axones pour constituer une gaine. La gaine de myéline sert à isoler et à protéger les fibres nerveuses. Elle joue aussi un rôle d’accélérateur de la vitesse de propagation des messages nerveux transportant l’information le long de l’axone. La démyélinisation consiste en la destruction de la gaine de myéline suite à l’attaque du système nerveux.

La recherche actuelle vise ainsi à mieux appréhender les mécanismes de la maladie et à développer de nouvelles pistes thérapeutiques qui permettraient d’éviter l’entrée des patients dans la phase progressive, notamment en favorisant la régénération de la myéline. La chercheuse Inserm Elisabeth Traiffort et son équipe au sein de l’unité « Maladies et hormones du système nerveux » (Inserm/Université Paris-Saclay) s’attèlent par exemple à mieux comprendre les différences entre les femmes et les hommes face à la sclérose en plaques, afin de déterminer s’il pourrait être bénéfique, voire nécessaire, d’adapter la prise en charge thérapeutique en fonction du sexe des patients. Rappelons que la maladie est essentiellement féminine, puisque trois patients sur quatre sont des femmes.

Investiguer le rôle des androgènes chez les femmes

Si l’environnement hormonal des hommes et des femmes est très différent, il ne peut néanmoins être restreint à l’existence de taux élevés d’androgènes chez les hommes et de taux fluctuants d’estrogènes et de progestérone chez les femmes. Ainsi, on sait que les hommes produisent eux-aussi des estrogènes, en particulier dans le cerveau où l’on trouve l’enzyme permettant de convertir les androgènes en estrogènes, tandis que les femmes produisent elles de petites quantités d’androgènes. C’est sur ce dernier aspect que la chercheuse Inserm Elisabeth Traiffort et ses collègues se sont focalisés dans leur dernière étude.

Des travaux avaient déjà montré que les androgènes protègent les neurones dans le système nerveux central des hommes atteints de formes récurrentes-rémittentes de sclérose en plaques et induisent la régénération des gaines de myéline détruites chez le mâle, dans des modèles animaux de la maladie. Mais quel est le rôle des petites quantités d’androgènes que l’on retrouve aussi dans le système nerveux central des femmes ? Les androgènes, présents à des taux bien plus faibles que chez les hommes, peuvent-ils aussi avoir un impact sur la progression de la maladie chez les patientes ?

Les scientifiques ont travaillé avec des modèles animaux de la maladie mais également à partir de tissus de patients issus de banques de dons d’organes. Ils ont d’abord montré que dans les régions où la myéline est détruite, le récepteur AR qui permet aux androgènes de transmettre leur signal est fortement exprimé dans le tissu nerveux des femmes atteintes de sclérose en plaques, comme dans celui de souris femelles utilisées comme modèles de la maladie. Cette observation suggérait l’existence d’un rôle essentiel des androgènes au niveau du tissu démyélinisé des femmes atteintes.

En accord avec cette hypothèse, les scientifiques ont montré que même s’ils ne sont présents qu’en faible quantité chez les souris femelles, les androgènes ont bien une action favorisant une régénération optimale de la myéline détruite. En effet, lorsque les signaux transmis par les androgènes sont totalement absents, cette régénération est fortement réduite.

Enfin, d’autres observations menées chez l’animal et dans les tissus humains suggèrent que ces mêmes androgènes ont aussi des effets anti-inflammatoires majeurs dans le tissu nerveux démyélinisé des femelles contrairement à ce qui est observé chez les mâles. Les effets bénéfiques des androgènes chez les femmes atteintes de sclérose en plaques pourraient donc également être liés à la diminution du niveau d’inflammation locale, dans les zones où la myéline est détruite. Ce résultat est intéressant si l’on considère l’hypothèse actuelle selon laquelle la progression de la maladie pourrait être étroitement associée aux cellules inflammatoires résidant dans le tissu nerveux.

« Alors que les faibles taux d’androgènes détectés chez les femmes pouvaient laisser présager un rôle mineur pour ces hormones dans la maladie, nous montrons que ce n’est pas le cas. Nos données suggèrent l’utilisation de doses appropriées d’androgènes chez les femmes atteintes de sclérose en plaques et la nécessité de prendre en considération le sexe du patient dans l’approche thérapeutique de cette pathologie et vraisemblablement des autres pathologies mettant en jeu une destruction de la myéline du système nerveux central », conclut Elisabeth Traiffort.

 

Ces travaux ont été réalisés avec le soutien de la Fondation ARSEP.

 

[1] Il existe deux modes évolutifs de la maladie. La forme récurrente-rémittente est la plus fréquente. Elle représente 85% des cas au début de la maladie. Son évolution se fait sous forme de poussées, avec l’apparition de symptômes en quelques heures ou en quelques jours, souvent associés à une fatigue extrême et inhabituelle évocatrice du diagnostic. Puis, les symptômes disparaissent totalement ou partiellement en quelques semaines. La forme progressive dite ‘primaire’ ne représente que 15% des cas. Elle correspond à une aggravation lente et continue des symptômes neurologiques, sans poussées et sans rémission.

L’exposition pré et postnatale au chlordécone pourrait impacter le développement cognitif et le comportement des enfants

Chlordécone

Le chlordécone est un insecticide organochloré employé aux Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. © Adobe Stock

Malgré l’arrêt, il y a 30 ans, de son utilisation aux Antilles comme insecticide, le chlordécone persistant dans l’environnement continue de contaminer les populations. Si ses propriétés neurotoxiques sont bien établies, son impact sur le neurodéveloppement restait à préciser. Une équipe de recherche internationale impliquant des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique) s’est intéressée à l’impact de l’exposition pré- et postnatale au chlordécone sur les capacités cognitives et comportementales à l’âge de 7 ans de 576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe[1]. Leurs travaux montrent que cette exposition est associée à de moins bons scores sur les tests d’évaluation des capacités cognitives et des troubles comportementaux, avec un impact différent selon le sexe de l’enfant. Ces résultats, parus dans Environmental Health, invitent à prendre en compte l’impact potentiel de ces effets à l’échelle de la population, afin d’optimiser les politiques de prévention.

Le chlordécone est un insecticide organochloré employé aux Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. Sa présence persistante dans l’environnement est à l’origine de la contamination de la population via la consommation d’aliments eux-mêmes contaminés. Il est aujourd’hui considéré comme perturbateur endocrinien, neurotoxique, toxique pour la reproduction et le développement, mais aussi cancérogène. Des études expérimentales chez l’animal ont par ailleurs montré que l’exposition des femelles au chlordécone lors de la gestation entraîne des troubles neurocomportementaux et d’apprentissage chez la portée, de nature ou d’intensité différente en fonction du sexe.

Sa neurotoxicité s’explique par la capacité de la molécule à interagir avec de nombreux neurotransmetteurs[2] et par ses propriétés hormonales, notamment son action sur les estrogènes. Or, les estrogènes jouent un rôle crucial, de manière différenciée en fonction du sexe chromosomique, dans le développement du cerveau.

Face à ces différents constats, et pour mieux estimer l’impact éventuel de l’exposition prénatale et postnatale au chlordécone sur le neurodéveloppement infantile, des chercheuses et des chercheurs Inserm de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique), au sein d’une équipe de recherche internationale, ont examiné les capacités intellectuelles et le comportement de 576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe.

Afin d’évaluer les niveaux d’exposition pré- et postnataux des enfants au chlordécone, la concentration du pesticide a été mesurée dans le sang du cordon ombilical à la naissance et dans le sang des enfants à l’âge de 7 ans. Les capacités intellectuelles de ces derniers ont été évaluées à l’aide de 4 indices : compréhension verbale, vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail[3] et raisonnement perceptif[4].

Les mères ont également rempli un questionnaire permettant de mesurer chez l’enfant la présence de difficultés comportementales classées en deux catégories : celles dites « internalisées », qui regroupent symptômes émotionnels et problèmes relationnels avec les pairs, et celles dites « externalisées », qui se traduisent par des problèmes de comportement social (colère, réticence à l’autorité…), d’hyperactivité et/ou d’inattention.

L’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée, pour chaque doublement d’exposition, à une augmentation de 3 % du score estimant les difficultés comportementales de type « internalisées » à l’âge de 7 ans, avec une association plus forte chez les filles (+ 7 %) que chez les garçons (0 %).

L’exposition postnatale au chlordécone a, quant à elle, été retrouvée associée à de moins bons scores estimant les capacités intellectuelles générales (diminution de 0,64 point de QI pour un doublement du niveau d’exposition). Cela se traduit, en particulier chez les garçons, par une diminution des indices évaluant le raisonnement perceptif, la mémoire de travail et la compréhension verbale. En outre, l’exposition postnatale était associée à un plus grand nombre de difficultés de comportements « externalisées », autant chez les garçons que chez les filles.

Ces résultats indiquent que l’exposition au chlordécone pendant les périodes de développement in utero ou au cours de l’enfance est associée à une diminution des capacités intellectuelles et à une augmentation des difficultés comportementales, avec des effets parfois différents en nature et en intensité selon le sexe.

« Cela est cohérent avec les propriétés estrogéniques de ce pesticide et ses effets différentiels en fonction du sexe et de la période de développement du cerveau », précise Luc Multigner, directeur de recherche Inserm qui a participé à ces travaux.

Selon l’équipe de recherche, il apparaît par conséquent justifié de poursuivre les politiques publiques destinées à réduire l’exposition au chlordécone, notamment parmi les populations les plus sensibles, telles que les femmes enceintes et les enfants. Elle invite également à surveiller la prévalence et la prise en charge des enfants présentant un retard psychomoteur, des troubles sensoriels, neuromoteurs ou intellectuels et/ou des difficultés relationnelles.

« Si les effets neurologiques et neurocomportementaux constatés dans cette étude sont relativement modérés et subtils au niveau individuel, ils peuvent, compte tenu de l’exposition généralisée de la population antillaise au chlordécone, avoir un impact non négligeable au niveau de la population », conclut Luc Multigner.

 

[1] La cohorte mère-enfant Timoun a été conçue avec pour objectif d’évaluer l’impact sanitaire des expositions au chlordécone sur le déroulement de la grossesse et le développement infantile. Elle est menée conjointement par l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique) et le service de gynécologie-obstétrique du CHU de la Guadeloupe. Cette cohorte est constituée de 1 068 femmes incluses au cours de leur grossesse entre 2004-2007. Dès leur naissance, les enfants ont fait l’objet d’un suivi aux âges de 3, 7 et 18 mois, puis de 7 ans.

[2] Les neurotransmetteurs sont des substances chimiques assurant la transmission de l’information entre les cellules nerveuses.

[3] La mémoire de travail est une forme de mémoire à court terme visant à utiliser l’information obtenue sur l’instant dans l’accomplissement d’une tâche précise.

[4] Le raisonnement perceptif mesure la capacité cognitive à intégrer et à manipuler des informations visuelles et spatiales afin de résoudre des problèmes visuels complexes.

Mieux comprendre le passage de la douleur aigue à la douleur chronique

douleur

© Inserm/Frédérique Koulikoff

Des chercheurs de l’Université de Montpellier et de l’Inserm à l’Institut des neurosciences de Montpellier montrent le rôle prépondérant du récepteur FLT3, dans la chronicisation de la douleur post-chirurgicale. En inhibant ce récepteur grâce à des anticorps thérapeutiques, les scientifiques pourraient proposer des pistes prometteuses pour la prévention des douleurs chroniques. Leurs résultats sont à paraître dans la revue Progress in neurobiology.  

Les douleurs chroniques sont des douleurs importantes qui persistent au-delà de trois mois. Environ 30% des patients ayant subi une chirurgie vont développer ce type de douleurs consécutivement à cette opération. Dans cette étude dirigée par Cyril Rivat, enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier, les scientifiques mettent en lumière des mécanismes permettant de mieux comprendre l’apparition de ces douleurs chroniques post-opératoires et proposent des pistes pour les atténuer.

D’après les résultats de ces travaux réalisés sur un modèle animal, l’exposition répétée à une douleur (répétition d’une même chirurgie à une semaine d’intervalle), créé une vulnérabilité à long-terme qui se traduit par une augmentation de la sensibilité à la douleur et la survenue de pathologies anxiodépressives. Le récepteur FLT3 exprimé par certains neurones dits sensitifs joue un rôle clé dans ce phénomène. Concrètement, l’acte chirurgical induit l’activation du récepteur FLT3 des fibres nerveuses touchées ce qui entraine non seulement une augmentation de la douleur initiale mais également sa chronicisation.

Des anticorps dirigés contre FLT3

En collaboration avec l’Institut de recherche sur le cancer de Montpellier et la société Biodol Therapeutics, des anticorps thérapeutiques dirigés contre le récepteur FLT3 ont été générés. Ces anticorps inhibent l’activation de FLT3 ce qui réduit considérablement l’intensité des douleurs et stoppe la transition vers les douleurs chroniques. Le principe est simple, contrairement à la morphine ou à tout autre type d’antidouleur, ces anticorps ne pénètrent pas dans le cerveau, mais ciblent les nerfs lésés au niveau du système nerveux périphérique. FLT3 se positionne donc comme une cible prometteuse non seulement pour la prise en charge de la douleur post-opératoire mais également dans la prévention de sa chronicisation.

« Ces résultats sont encore préliminaires mais s’ils étaient confirmés ils pourraient venir en aide à de nombreux patients victimes de douleurs chroniques, a fortiori quand on sait qu’environ 300 millions de chirurgies sont réalisées chaque année à travers le monde », précise Cyril Rivat.

Prédire l’apparition de troubles anxieux dès l’adolescence grâce à l’intelligence artificielle

Anxiété

L’angoisse est une caractéristique commune à tous les troubles anxieux, troubles psychiatriques les plus répandus à l’adolescence. © Adobe Stock

L’angoisse est une caractéristique commune à tous les troubles anxieux, troubles psychiatriques les plus répandus à l’adolescence. Environ un adolescent sur trois est concerné. Certains de ces troubles – comme le trouble panique ou le trouble d’anxiété généralisée[1] – ont tendance à apparaître un peu plus tard dans la vie, ou à se consolider au début de l’âge adulte. Par conséquent, la détection des individus à risque élevé de développer une anxiété clinique (qui remplit des critères de diagnostic précis) est cruciale. Pour la première fois, une équipe dirigée par les chercheurs Inserm Jean-Luc Martinot et Éric Artiges, au sein du laboratoire Trajectoires développementales et psychiatrie (Inserm/ENS Paris-Saclay) et du Centre Borelli[2] (CNRS/Université Paris-Saclay), a recherché des prédicteurs de l’apparition de troubles anxieux à l’adolescence. Ils ont suivi l’évolution de la santé mentale d’un groupe d’adolescents de 14 ans à 23 ans. Grâce à l’intelligence artificielle, ils ont identifié les signes avant-coureurs les plus prédictifs à l’adolescence de l’apparition de troubles anxieux chez ces jeunes adultes. Les résultats de cette étude sont publiés dans Molecular Psychiatry.

Une personne souffre de troubles anxieux lorsqu’elle ressent une angoisse forte et durable sans lien avec un danger ou une menace réelle, qui perturbe son fonctionnement normal et ses activités quotidiennes. Ces troubles, dont la fréquence est élevée dans la population générale (environ 21 % des adultes seraient concernés au moins une fois au cours de leur vie) débutent souvent dans l’enfance ou pendant l’adolescence. Ainsi, un meilleur repérage dans ces tranches d’âge éviterait une aggravation des symptômes au cours de la vie.

De précédentes études ont mis en avant le pouvoir prédictif de l’intelligence artificielle dans le cadre de maladies psychiatriques comme la dépression ou encore les addictions[3]. Mais aucune étude ne s’était jusqu’alors intéressée à la recherche de prédicteurs des troubles anxieux.

Des chercheurs et chercheuses au sein du laboratoire Trajectoires développementales et psychiatrie (unité 1299 Inserm) au Centre Borelli (unité 9010 CNRS) ont tenté de détecter des signes avant-coureurs, à l’adolescence, de l’apparition de troubles anxieux à l’âge adulte.

Les scientifiques ont pour cela suivi un groupe de plus de 2 000 adolescents et adolescentes européens âgés de 14 ans au moment de leur inclusion dans la cohorte Imagen[4]. Les volontaires de l’étude ont rempli des questionnaires en ligne renseignant sur leur état de santé psychologique à 14, 18 et 23 ans. Le suivi dans le temps des volontaires a permis de mesurer l’évolution du diagnostic de l’anxiété.

Une étude d’apprentissage statistique poussée s’appuyant sur un algorithme d’intelligence artificielle a ensuite permis de déterminer si certaines des réponses formulées à l’adolescence (14 ans) avaient une incidence sur le diagnostic individuel de troubles anxieux à l’âge adulte (18-23 ans).

Trois grands prédicteurs ou signes avant-coureurs ont été mis en évidence, dont la présence à l’adolescence augmente significativement le risque statistique de troubles anxieux à l’âge adulte. Il s’agit du neuroticisme, du désespoir, et de symptômes émotionnels.

Le neuroticisme désigne une tendance persistante à ressentir des émotions négatives (peur, tristesse, gêne, colère, culpabilité, dégoût), une mauvaise maîtrise des pulsions, et une inadaptation face aux stress.

Le désespoir est associé à un faible score de réponses faites aux questionnaires évaluant l’optimisme et la confiance en soi.

Les symptômes émotionnels recouvrent les réponses aux questionnaires indiquant des symptômes tels que « des maux de tête/ d’estomac » ; « beaucoup de soucis, souvent inquiet » ; « souvent malheureux, abattu ou larmoyant » ; « nerveux dans les nouvelles situations, perd facilement confiance » ; « a facilement peur ».

Une partie de l’étude s’est par ailleurs intéressée à l’observation du cerveau des volontaires à partir d’examens d’imagerie par résonnance magnétique (IRM). Comme le développement du cerveau implique un changement de volume de différentes régions cérébrales à l’adolescence, les chercheurs ont voulu identifier dans ces images une modification éventuelle du volume de la matière grise qui pourrait être prédictive de futurs troubles anxieux.

Si l’imagerie n’a pas permis d’améliorer la performance de prédiction des troubles anxieux dans leur ensemble par rapport aux seules données issues des questionnaires, elle pourrait néanmoins permettre de déterminer plus précisément un type de trouble anxieux vers lequel une personne est susceptible d’évoluer.

« Notre étude révèle pour la première fois qu’il est possible de prédire de façon individualisée, et ce dès l’adolescence, l’apparition de troubles anxieux futurs. Ces prédicteurs ou signes avant-coureurs identifiés pourraient permettre de détecter les personnes à risque plus tôt et de leur proposer une intervention adaptée et personnalisée, tout en limitant la progression de ces pathologies et leurs conséquences sur la vie quotidienne », explique Jean-Luc Martinot, directeur de recherche à l’Inserm et pédopsychiatre, co-auteur de l’étude.

 

troubles anxieux adolescence

 

[1] Il existe plusieurs types de troubles anxieux : l’anxiété généralisée, le trouble panique, les phobies spécifiques, l’agoraphobie, le trouble d’anxiété sociale et le trouble d’anxiété de séparation.

[2] Centre de recherche en mathématiques appliquées

[3] Whelan R., Watts R., Orr C. et al. Neuropsychosocial profiles of current and future adolescent alcohol misusers. Nature 512, 185-189 (2014).

[4] Imagen est une étude de cohorte européenne qui a recruté 2 223 adolescents âgés de 14 ans entre 2008 et 2011. Cette cohorte est composée de jeunes de la population générale et non de patients.

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