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Une nouvelle piste thérapeutique pour traiter la dépression résistante par ultrasons

traitement de la dépression résistante par ultrasons© Alexandre Dizeux

Les épisodes dépressifs caractérisés sont les troubles mentaux les plus fréquents dans le monde. Une personne sur cinq souffrira de dépression au cours de sa vie, avec un risque suicidaire responsable de plusieurs milliers de décès par an en France. Une nouvelle étude publiée dans le journal Brain Stimulation et menée par des chercheurs du GHU Paris, de l’Inserm, du CNRS, de l’Université Paris Cité et l’ESPCI Paris-PSL révèle des résultats prometteurs avec un traitement sur cinq jours consécutifs à l’aide d’ultrasons focalisés de faible intensité modulant l’activité des régions cérébrales profondes impliquées dans la dépression.

En 2021, un baromètre santé réalisé par Santé publique France dévoilait que 12,5 % des personnes de 18 à 85 ans avaient connu un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année précédente [1]. Malgré les progrès dans le traitement médicamenteux de la dépression, les effets thérapeutiques des antidépresseurs ont un délai d’action de plusieurs semaines et environ un tiers des patients ne répondent pas suffisamment à ces médicaments 2.

Il est donc essentiel de développer de nouvelles approches thérapeutiques offrant une action plus rapide. Une des stratégies de traitement des dépressions résistantes aux médicaments est la stimulation cérébrale des régions cérébrales profondes impliquées dans ce trouble, telle que la région cingulaire subcalleuse, mais celle-ci n’était jusqu’à présent possible qu’avec une implantation d’électrodes intracérébrales, une procédure invasive associée à un risque neurochirurgical important, limitant son accessibilité à un faible nombre de patients.

Une nouvelle étude associant des chercheurs et médecins du GHU Paris, de l’Inserm, du CNRS, de l’Université Paris Cité et l’ESPCI Paris-PSL, publiée dans le journal Brain Stimulation montre des résultats prometteurs d’un traitement sur cinq jours consécutifs basé sur l’utilisation d’ultrasons focalisés de faible intensité. Cette technologie innovante permet de moduler l’activité des régions cérébrales profondes impliquées dans la dépression, mais cette fois-ci de façon non-invasive. Les ultrasons ont la propriété de se propager dans les tissus humains et de stimuler à distance la zone cérébrale sur laquelle ils sont concentrés, par action mécanique, en déclenchant l’ouverture de canaux mécano-sensibles. Cependant, l’irrégularité de l’épaisseur du crâne, déviant les ultrasons et limitant la capacité à les concentrer précisément sur la zone à cibler, a empêché le développement de cette technologie durant plusieurs décennies. Au GHU Paris site Sainte-Anne, les psychiatres et chercheurs Marion Plaze et David Attali, dans le service du Dr Thierry Gallarda, ont participé au développement et à la mise en œuvre d’un dispositif portable innovant reposant sur l’utilisation de lentilles acoustiques concentrant les ultrasons avec une précision inédite. Ces lentilles permettent de compenser les distorsions des ondes ultrasonores induites par la traversée de la boite crânienne. En effet, les chercheurs sont parvenus à modéliser l’effet du crâne sur les ultrasons et à en déduire la forme optimale de ces lentilles acoustiques, fabriquées de façon unique et personnalisée pour chaque patient. La technologie des lentilles a été développée à l’Institut physique pour la médecine (Inserm, ESPCI Paris – PSL, CNRS) par les chercheurs et ingénieurs Jean-Francois Aubry (CNRS), Thomas Tiennot (ESPCI) et Mickael Tanter (Inserm), co-auteurs de l’étude, qui ont breveté la technologie et co-fondé la startup SonoMind avec Jeremy Bercoff, président, et Philippe Chapuis, directeur technique, dans le but de d’accélérer le transfert clinique de cette technologie.

La stimulation transcrânienne ultrasonore de précision ainsi obtenue représente une avancée technologique de premier plan dans le domaine de la médecine personnalisée et des neurosciences. Elle permet pour la première fois de stimuler de façon ciblée, précise et non-invasive les structures cérébrales profondes, telles que la région cingulaire subcalleuse, avec un dispositif transportable.

L’essai clinique consistait en 5 jours consécutifs de traitements par ultrasons de cette zone cérébrale. Ce protocole a été réalisé sur 5 patients souffrant de dépression sévère et résistante aux médicaments dans le but de tester la sécurité de cette nouvelle approche. Les résultats sont encourageants, avec l’absence d’évènement indésirable grave et une excellente tolérance : les patients rapportaient ne ressentir aucune gêne ni douleurs durant les séances. Les scores de sévérité de la dépression ont de plus progressivement diminué au fil des jours de traitement, avec une réduction moyenne de plus de 60% de la sévérité de la dépression au cinquième jour du protocole.

« Bien que les résultats soient encourageants, il faut les interpréter avec prudence, car il s’agit d’une première étude de sécurité sur un nombre limité de patients et sans groupe placebo » précisent les chercheurs.

Des études complémentaires sont nécessaires, et déjà planifiées, sur des cohortes plus importantes de patients. Si les effets thérapeutiques rapides et marqués sont confirmés, ainsi que le profil d’innocuité de la technique et la persistance des effets dans le temps, la stimulation transcrânienne par ultrasons pourrait voir ses applications se multiplier ces prochaines années et s’étendre en psychiatrie, addictologie et neurologie, au bénéfice de nombreux patients.

Ces travaux sont l’aboutissement de 25 années de recherche sur les méthodes de focalisation des ultrasons à travers le crâne, 15 années sur la modulation de l’activité cérébrale par ultrasons et 7 années de collaboration entre les psychiatres – chercheurs du GHU Paris et de l’Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (Inserm/Université Paris Cité), et les chercheurs de l’Institut physique pour la médecine (CNRS/ESPCI Paris-PSL/Inserm).

Les recherches ont bénéficié du soutien continu de l’Inserm, du CNRS et de l’ESPCI Paris-PSL, du GHU Paris et de l’Université Paris Cité, ainsi que du soutien financier de la Fondation Bettencourt Schueller, de l’Agence nationale pour la recherche et de financements innovants de l’Inserm (Programme d’impulsion en Neurotechnologies et Accélérateur de Recherche Technologique en Ultrasons). L’essai clinique a reçu le soutien financier de la Focused Ultrasound Foundation (Charlottesville, VA, USA).

[1] Prévalence des épisodes dépressifs en France chez les 18-85 ans : résultats du Baromètre santé 2021

2 Rush et al, American Journal of Psychiatry, 2006

Décrypter le langage des neurones pour mieux soigner grâce au cerveau virtuel

©Adobestock

Comment prédire la réaction du cerveau lors d’une lésion localisée ou d’une intervention thérapeutique ciblée ? Une équipe de chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Aix-Marseille Université est parvenue à créer un modèle innovant, permettant de visualiser chez la souris l’impact d’interventions ou de lésions ciblées sur le fonctionnement global du cerveau. Ce modèle intègre des données d’IRM pour créer un modèle informatique de cerveau virtuel. Les résultats, parus dans PNAS, montrent comment l’activité globale du cerveau est réorganisée, même après des interventions à une échelle très localisée. Ils montrent en outre, que le modèle de cerveau virtuel développé permet aussi de prédire, à l’échelle de l’individu, des effets spécifiques et parfois inattendus d’interventions ciblées. Ces travaux amènent un éclairage nouveau sur les mécanismes qui sous-tendent certains troubles neurologiques et la façon de les traiter.

Le cerveau humain est constitué de réseaux de neurones qui communiquent entre eux et dont les modifications peuvent expliquer l’apparition des troubles neurologiques. Par exemple, lorsque survient une lésion cérébrale endommageant l’activité neuronale d’une zone spécifique du cerveau (comme dans le cas d’un AVC), un déficit fonctionnel peut être observé sur des régions cérébrales éloignées de la zone lésée. De la même façon, pour traiter certaines pathologies neurologiques comme la maladie de Parkinson, on fait appel à des techniques permettant une stimulation en profondeur d’une zone ciblée du cerveau, afin d’obtenir un effet à distance sur l’activité des neurones d’une autre zone cérébrale.

Cependant, cet effet « longue distance », parce qu’il est combiné à la complexité de la structure des réseaux neuronaux, implique deux choses : tout d’abord qu’une perturbation locale entraîne une réorganisation de l’activité cérébrale globale ; ensuite, que les interventions thérapeutiques locales peuvent avoir des effets négatifs difficiles à prédire chez certains patients. Il est donc crucial de pouvoir comprendre les effets potentiels de telles interventions à l’échelle du cerveau entier afin de mieux les anticiper.

Une équipe dirigée par Christophe Bernard, directeur de recherche Inserm et Viktor Jirsa, directeur de recherche CNRS, au sein de l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), en collaboration avec le CRMBM (CNRS/Aix-Marseille Université/AP-HM) et l’université du Queensland (Australie), s’est donc intéressée aux mécanismes qui sous-tendent la réorganisation de l’activité cérébrale après une perturbation locale.

Pour ce faire, l’équipe a tout d’abord analysé chez la souris des données provenant d’IRM fonctionnelles (IRMf)[1] mettant en évidence l’activité neuronale dans l’ensemble du cerveau. Les souris étaient réparties en groupes, chacune soumise à un type d’intervention cérébrale localisée (lésions chirurgicales ou inactivation chimique) ayant pour objectif d’inhiber l’activité des neurones d’une région spécifique.

Leurs cerveaux ont ensuite été modélisés numériquement grâce à un modèle informatique. Ce cerveau virtuel a permis aux scientifiques d’observer et de quantifier les répercussions des interventions locales sur l’activité cérébrale globale.

Les chercheuses et chercheurs ont ainsi pu observer que les cerveaux virtuels reproduisaient fidèlement – jusqu’aux spécificités individuelles – les modifications de l’activité cérébrale déjà observées in vivo par IRM chez les souris.

« Intégrer l’IRMf à la modélisation du cerveau virtuel entier nous a permis de développer un modèle prédictif stable inédit qui, contrairement aux modèles actuels, tient compte des variations de l’activité cérébrale d’un individu à l’autre, analyse Christophe Bernard. Nos résultats montrent qu’il est capable de prédire comment la modulation d’une seule région du cerveau va mener à des reconfigurations de cette activité, à la fois à l’échelle locale et globale. »

En outre, ce modèle a permis aux scientifiques de montrer que ces réorganisations suivaient des règles précises qui varient en fonction de la zone initialement affectée.

« On peut imaginer une toile d’araignée qui vibre lorsqu’un fil est touché, précise Christophe Bernard, la vibration se propage dans le réseau de fils et l’ensemble de la toile ondule différemment en fonction du point d’impact », — un phénomène que le cerveau virtuel permettait de quantifier et de prédire. « Le fait que notre modèle a été capable de générer des prédictions qui ont ensuite été validées chez la souris est une des grandes originalités de ce travail », ajoute le chercheur.

« Ces motifs bien reconnaissables pourraient servir de biomarqueurs prédictifs personnalisés sur lesquels pourraient se fonder les interventions médicales impliquant une modulation cérébrale localisée, précise Viktor Jirsa. Cependant, pour établir une cartographie précise et en tirer un outil diagnostique prédictif universel, il faudrait étudier l’impact sur l’ensemble du cerveau d’interventions ciblées et ce, sur chacune des régions cérébrales », tempère-t-il. Il conclut : « Ces résultats aident à concilier les observations contradictoires dans des pathologies comme l’épilepsie ou les AVC, où les effets à l’échelle du cerveau varient selon la localisation des lésions. »

À terme, l’équipe espère que l’utilisation du cerveau virtuel pourra trouver une application dans la personnalisation des protocoles de stimulation cérébrale profonde (par exemple pour la maladie de Parkinson), dans un ciblage plus fin des cibles chirurgicales de l’épilepsie ou de la dépression résistante, ou encore pour développer des biomarqueurs pour le diagnostic précoce des neuropathologies.

Ces travaux s’inscrivent en amont du projet Nautilus, dirigé par Viktor Jirsa et financé par France 2030 dans le cadre du programme Impact santé piloté par l’Inserm. Nautilus se structure autour du développement d’une plateforme technologique capable de générer un double numérique du cerveau des patients atteints de maladies cérébrales, afin d’évaluer sa réponse à un traitement par électrostimulation localisée. L’objectif est de pouvoir prédire la réaction spécifique du cerveau de chaque patient, d’ajuster finement l’intervention et de limiter au maximum les actes chirurgicaux invasifs. Cet outil innovant pourrait ainsi révolutionner le traitement des maladies cérébrales en permettant une intervention à visée thérapeutique personnalisée, de haute précision et non invasive.

Avant cela, il est nécessaire de comprendre au préalable les conséquences d’une intervention locale sur le fonctionnement global du cerveau. C’est cette étape que les résultats présentés ici permettent de franchir.

[1] L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle cérébrale (ou IRMf) est une technique d’imagerie permettant de mesurer en direct chez l’individu vivant l’activité des aires du cerveau. Pour ce faire, elle se base sur la détection des changements locaux de flux sanguins dont l’augmentation locale accompagne toute activation neuronale, afin de couvrir les besoins métaboliques qu’elle génère.

SOPK : une nouvelle piste thérapeutique contre l’une des principales causes d’infertilité féminine

Test de grossesse négatif© Pexels

Le SOPK, ou syndrome des ovaires polykystiques, est l’une des principales causes d’infertilité féminine. Alors qu’il n’existe toujours pas de traitement qui s’attaque aux causes de la maladie, des chercheurs et des chercheuses de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’université de Lille ont réussi à empêcher l’apparition de ses principaux symptômes – tels que l’infertilité et les troubles métaboliques entraînant une prise de poids – chez des souris, grâce à des anticorps bloquant l’activité de l’hormone anti-Müllérienne (AMH), impliquée dans le processus de reproduction. Les souris adultes qui présentaient déjà des symptômes ont vu ces derniers reculer. Publiés le 11 avril dans la revue Cell Metabolism, les résultats de cette étude montrent aussi que lors de la « mini-puberté », peu après la naissance, l’exposition à l’hormone AMH augmente le risque de développer le SOPK. Un brevet a été déposé par les scientifiques.

Le SOPK, ou syndrome des ovaires polykystiques, touche environ 10 % des femmes, et est l’une des principales causes d’infertilité féminine[1]. Ce déséquilibre hormonal, caractérisé par la présence de nombreux follicules (un ensemble de petites cellules contenues dans les ovaires) immatures bloqués dans leur développement, entraîne une surproduction d’hormones mâles – notamment de testostérone –, ce qui perturbe le cycle de l’ovulation et affecte la fertilité. De plus, le SOPK est associé à de nombreux risques pour la santé, comme les maladies cardiaques, le surpoids et le diabète[2].

Des traitements existent, mais ils s’attaquent uniquement à certains symptômes de la maladie (hyperpilosité, acné…), et non à ses causes, encore mal connues. Une équipe de recherche dirigée par Paolo Giacobini, directeur de recherche Inserm au sein du Centre de recherche Lille Neurosciences et cognition (Inserm/CHU de Lille/Université de Lille) esquisse toutefois une nouvelle piste thérapeutique.

Au cours de leurs expériences, les chercheurs sont parvenus à prévenir l’apparition de symptômes comparables à ceux du SOPK (infertilité, troubles métaboliques entraînant par exemple une prise de poids) chez des souris, en bloquant peu après leur naissance l’activité de l’hormone anti-Müllérienne (AMH), produite en excès par les follicules ovariens dans le cadre du syndrome. Administré à des souris adultes présentant déjà ces symptômes, le blocage de l’activité de l’AMH a permis de les faire reculer de manière significative.

L’équipe a d’abord voulu comprendre si des doses importantes d’hormone AMH lors de ce qu’on appelle la « mini-puberté » augmentaient le risque de développer le SOPK.

« La mini-puberté est une phase transitoire clé dans la croissance de tous les mammifères (y compris l’être humain). Elle survient dans les premiers jours ou les mois suivant la naissance, selon les espèces. Pendant cette période, on observe une stimulation des neurones qui produisent une hormone, appelée GnRH (pour Gonadotropin Releasing Hormone), et qui sont chargés de réguler les fonctions de reproduction. Cela entraîne une augmentation de la production d’hormones sexuelles telles que la testostérone chez les mâles et les œstrogènes chez les femelles. Cette poussée hormonale précoce prépare le corps à la fonction de reproduction future », explique Paolo Giacobini, directeur de recherche à l’Inserm et dernier auteur de l’étude.

Pour tester cette idée, les chercheurs ont administré trois injections d’AMH à un premier groupe de souris, entre le deuxième et le quatorzième jour suivant leur naissance. Alors que de précédentes recherches ont déjà montré qu’une exposition du fœtus à des taux élevés d’AMH pendant la grossesse augmente le risque de développer des symptômes du SOPK plus tard dans la vie, « l’étude révèle que la mini-puberté est également une période à risque, puisque les souris ayant reçu des injections importantes d’AMH durant cette phase ont développé à l’âge adulte des symptômes du SOPK, comme l’infertilité et le troubles métaboliques provoquant par exemple une prise de poids », poursuit Paolo Giacobini.

Les chercheurs ont alors émis une hypothèse : et si bloquer l’activité de cette hormone AMH permettait de prévenir, voire traiter les symptômes du SOPK ? Pour cela, ils ont développé un nouvel anticorps, nommé Ha13, afin d’obstruer les récepteurs de l’hormone anti-Mullérienne dans les ovaires et situés sur les neurones qui produisent la GnRH et sont chargés de réguler les fonctions de reproduction[3]. Ce traitement a ensuite été administré à deux autres groupes de souris. Les premières ont reçu les anticorps entre 10 et 15 jours après leur naissance, lors de la mini-puberté, les autres, à l’âge adulte, alors qu’elles présentaient déjà des symptômes du SOPK.

Résultat :

« Administrés lors de la mini-puberté, ces bloqueurs d’hormone AMH ont eu un effet préventif : les souris du premier groupe n’ont pas développé les principaux symptômes du SOPK plus tard dans leur vie. Et chez les souris adultes qui en souffraient déjà, les anticorps ont permis de les faire reculer : les cycles, l’ovulation et les taux d’androgènes sont revenus à la normale, ce qui suggère que très probablement que la fertilité est améliorée », raconte Paolo Giacobini.

À l’avenir, l’équipe souhaite reproduire l’expérience auprès de femmes adultes souffrant du SOPK afin de confirmer l’intérêt de cette piste thérapeutique.

« En ce qui concerne les êtres humains, l’administration du traitement lors de la mini-puberté n’est pas possible dans l’immédiat, dans la mesure où le diagnostic du SOPK survient seulement après les premières règles et où des travaux supplémentaires doivent étudier les conséquences à long terme de ce “ blocage” sur l’organisme. En revanche, les anticorps ciblant le récepteur de l’AMH pourraient à l’avenir représenter une piste thérapeutique prometteuse pour le traitement des troubles liés au SOPK, chez les femmes adultes. Étant donné l’impact majeur du SOPK sur la fertilité et sur la qualité de vie, cette étude représente une avancée majeure pour la santé des femmes et la médecine reproductive », conclut Paolo Giacobini.

Un brevet a été déposé par les scientifiques via Inserm Transfert, la filiale privée de l’Inserm, dont la mission principale est de valoriser les innovations issues des laboratoires de recherche de l’établissement.

[1] Syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) · Inserm, La science pour la santé

[2] Recommendations From the 2023 International Evidence-based Guideline for the Assessment and Management of Polycystic Ovary Syndrome – PubMed

[3] Des neurones de la reproduction… un peu partout dans le cerveau · Inserm, La science pour la santé

Maladie de Charcot : les troubles du sommeil précèdent l’apparition des premiers symptômes moteurs

Motoneurones (marquage par immunohistochimie pour ChAT) dans la partie lombaire de la moelle épinière chez les modèles murins de SLA. Échelle 100 mm. © Simon J Guillot, Daniel Beckett et Matei BolboreaMotoneurones (marquage par immunohistochimie pour ChAT) dans la partie lombaire de la moelle épinière chez les modèles murins de SLA. Échelle 100 mm. © Simon J Guillot, Daniel Beckett et Matei Bolborea

La sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Charcot, est une maladie neurodégénérative grave qui conduit à une paralysie progressive des muscles impliqués dans la motricité volontaire. À ce jour, aucun traitement curatif n’existe pour cette maladie dont l’issue est fatale après 3 à 5 ans d’évolution en moyenne. Des chercheurs de l’Inserm et de l’Université de Strasbourg, au Centre de recherche en biomédecine, viennent de faire un pas de plus dans la compréhension des mécanismes en œuvre dans la maladie. Dans une nouvelle étude, ils montrent que les symptômes caractéristiques de la SLA sont précédés par des altérations du sommeil. Leurs travaux suggèrent que les troubles du sommeil seraient présents avant l’apparition de la déficience motrice et des problèmes respiratoires. Ils révèlent un rôle nouveau de certains neurones de l’hypothalamus dans la survenue de ces troubles du sommeil associés à la SLA. Ces travaux, publiés dans la revue Science Translational Medicine, identifient dans le cerveau de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles et proposent l’exploration d’une nouvelle famille de molécules pour contrer les effets du manque de sommeil.

La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est due à la mort progressive des cellules nerveuses appelées motoneurones. Cette dégénérescence provoque une atrophie progressive et rapide des muscles, et entraîne une perte d’autonomie liée à l’apparition de troubles et de déficits moteurs. Le plus souvent, c’est l’atteinte des muscles respiratoires qui cause le décès des patients.

L’effort de recherche de ces dernières années a permis de significativement développer les connaissances sur la génétique et la biologie de cette maladie. En revanche, il est encore difficile d’établir précisément les mécanismes qui initient et maintiennent la dégénérescence neuronale impliquée dans la SLA. Percer le mystère de ces mécanismes est l’un des objectifs de recherche de l’équipe de Luc Dupuis et Matei Bolborea, tous deux chercheurs Inserm au Centre de recherche en biomédecine de Strasbourg (Inserm/Université de Strasbourg).

La progression de la maladie atteint les fonctions respiratoires et induit donc indirectement des troubles du sommeil lors de son évolution. Cependant, il n’était pas déterminé si ces troubles pouvaient préexister aux symptômes moteurs, comme cela a été observé dans plusieurs maladies neurodégénératives (Parkinson ou encore Alzheimer). Quand apparaissent-ils ? Sont-ils une conséquence de l’apparition des troubles et déficits moteurs ? Ces questions ont justement été étudiées par l’équipe de Luc Dupuis et Matei Bolborea, grâce à une collaboration étroite avec le centre allemand d’étude des maladies neurodégénératives (DZNE) d’Ulm.

Dans leurs derniers travaux, les chercheurs ont obtenu et analysé plusieurs dizaines d’enregistrements de sommeil de groupes de personnes atteintes de SLA, à différents stades de la maladie. Des enregistrements qu’ils ont comparés à des groupes contrôles.

Un premier groupe était composé de patients atteints de SLA à un stade où ils n’avaient pas encore développé de symptômes respiratoires. Un autre était composé de personnes pré-symptomatiques, porteuses de certaines mutations génétiques caractéristiques de la maladie (ces personnes avaient un risque accru de déclarer la maladie).

Ces tests indiquent que les deux groupes d’individus souffraient du même type de troubles du sommeil : un temps d’éveil plus important et une quantité de sommeil profond inférieure aux données issues des groupes contrôles.

Les résultats suggèrent que les troubles du sommeil sont présents et observables, et ce de façon précoce, plusieurs années avant la manifestation des troubles moteurs.

Restaurer le sommeil des patients atteints de SLA

À la suite de cette découverte, les chercheurs ont essayé de trouver l’origine de ces troubles du sommeil dans le cerveau – ils se sont intéressés à des neurones spécifiques retrouvés dans l’hypothalamus et connus pour jouer un rôle important dans la stimulation de l’état d’éveil : les neurones à orexine[1]. Sur des modèles de souris atteintes de SLA, l’équipe a décrit les mêmes types de troubles du sommeil. Les scientifiques ont aussi découvert que les circuits de neurones dans lesquels les neurones à orexine fonctionnent sont altérés par la disparition de neurones annexes au cours de la maladie.

Ils ont ensuite eu l’idée d’administrer aux souris une molécule inhibitrice de l’orexine, retrouvée dans un somnifère déjà commercialisé et prescrit pour les insomnies[2]. Grâce à ce traitement, ils sont parvenus à restaurer le sommeil chez les animaux par une seule prise orale. Une restauration de l’activité des neurones annexes des neurones à orexine a permis, après 15 jours de traitement, une conservation des motoneurones chez les souris.

Un essai clinique est en cours pour tester la molécule sur des patients atteints de SLA. L’objectif est, à terme, de tester si un sommeil restauré peut avoir un effet sur la progression de la maladie.

« Notre étude avait pour ambition principale d’essayer de reconstituer ce qu’il se passe chez les patients avant qu’ils ne soient malades. Ces découvertes sur la chronologie des symptômes nous permettent de repenser le rôle du cerveau et particulièrement celui de l’hypothalamus dans le début de la pathologie et d’imaginer de nouvelles cibles thérapeutiques », explique Matei Bolborea, co-dernier auteur de l’étude.

«Les découvertes de notre équipe sont importantes à deux niveaux. Tout d’abord, elles mettent en lumière une nouvelle chronologie des symptômes de la SLA, questionnant à nouveau les origines de la maladie, et notamment le rôle du cerveau dans sa genèse, explique Luc Dupuis, co-dernier auteur de l’étude. Elles représentent aussi un léger espoir pour les malades, et ceux qui déclareront la maladie, en imaginant qu’agir sur les premières manifestations de celle-ci puissent ralentir sa progression extrêmement rapide. »

[1]Des études révèlent par exemple que les personnes narcoleptiques ont moins de neurones à orexines que les autres.

[2] Il s’agit du Suvorexant® qui appartient à la classe des médicaments appelés hypnotiques, dont la commercialisation est autorisée aux États-Unis.

Décrypter la parole : un puzzle à deux pièces

Deux figurines en bois se faisant face avec deux bulles jaunes symbolisant le dialogue, la communication et l'interaction sur un fond neutre. crédits photo : AdobeStock ©AdobeStock

Comment le langage est-il traité par le cerveau ? Quels mécanismes lui permettent d’extraire du sens à partir des sons émis par la parole ? C’est à ces questions que s’est intéressée une équipe de recherche de l’Inserm et d’Aix-Marseille Université, en collaboration avec l’université de Cambridge. Ses travaux montrent que, pour comprendre la parole, le cortex auditif humain suit simultanément deux rythmes essentiels : celui des syllabes (lent) et celui des phonèmes (rapide). Ils montrent également que ces rythmes caractérisent la parole à travers les langues, et qu’ils sont traités simultanément par les régions auditives du cerveau. Ces résultats, publiés dans Science Advances, ouvrent la voie à une meilleure compréhension du traitement du langage et des troubles qui y sont associés.

Lors d’une discussion, quels sont les mécanismes qui permettent au cerveau d’extraire et de reconstituer les informations données à partir du flux continu de parole ? Les sciences cognitives continuent encore aujourd’hui d’essayer de les décrypter.

Pour mieux les appréhender, elles nous invitent à imaginer la parole comme un puzzle. Les syllabes, telles que « ma » dans « maman », sont les grandes pièces, tandis que les phonèmes, les sons individuels qui composent les syllabes, comme « m » et « a », sont les petites pièces. Les grandes pièces (les syllabes) sont produites à un rythme lent et sont principalement reflétées par des variations de l’amplitude sonore (volume) du signal vocal au fil du temps. Les petites pièces (les phonèmes), quant à elles, surviennent à un rythme beaucoup plus rapide et se manifestent par des changements abrupts dans le contenu spectral[1] du signal vocal. Pour comprendre la parole et la « traduire » en mots isolés successifs, reconnaissables et porteurs de sens, le cerveau doit analyser ces deux types de pièces en même temps.

Une équipe de recherche menée par Benjamin Morillon, directeur de recherche Inserm, au sein de l’Institut de neurosciences des systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), s’est intéressée à ces mécanismes cérébraux de traitement du langage et à la façon dont le cerveau parvient à analyser les syllabes et les phonèmes pour reconstituer une information compréhensible à partir du signal sonore continu associé à la parole. Les scientifiques ont analysé l’activité cérébrale de 11 personnes (déjà porteuses, pour des raisons cliniques, d’électrodes qui enregistrent l’activité neuronale dans différentes régions du cerveau), durant l’écoute de 315 phrases en français, jouées à différentes vitesses et contenant un nombre fixe de mots, mais des nombres variés de syllabes et de phonèmes.

Leurs résultats montrent que dès le traitement du signal vocal par le cortex auditif (une région du cerveau chargée de traiter les sons), les rythmes lents des syllabes et les rythmes rapides des phonèmes sont suivis en parallèle par le cerveau. Cette capacité à détecter, isoler et décoder en simultané les 2 types de « pièces du puzzle » lui permet de segmenter le signal continu de parole.

En outre, en analysant la façon dont la parole est construite dans 17 langues différentes, les scientifiques ont constaté que, quel que soit le langage, le signal vocal présentait systématiquement les mêmes rythmes lents et rapides, assimilables à ceux des syllabes et des phonèmes.

« Cette universalité suggère l’existence d’un mécanisme biologique de production et de perception de la parole commun à tous les humains », indique ainsi Benjamin Morillon.

L’équipe de recherche espère que cette avancée permettra de mieux comprendre le processus complexe et fascinant du traitement de la parole et des troubles qui y sont associés.

« Ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives dans la compréhension des troubles du langage, comme la dyslexie, précise Benjamin Morillon. Un déficit dans la capacité du cerveau à suivre ces deux rythmes pourrait, par exemple, expliquer certaines difficultés de compréhension orale », conclut-il.

 

[1] Le contenu spectral du signal vocal pourrait se définir comme la « texture sonore » d’une voix ; il est ce qui rend chaque voix unique. Il se compose de trois caractéristiques : la fréquence de base, liée à la vibration des cordes vocales, qui détermine la hauteur du son (grave ou aigu), les harmoniques, qui sont des fréquences multiples de la fréquence de base et enrichissent le son, et enfin, les formants qui correspondent à des pics dans les harmoniques et qui sont liés aux résonnances des structures du tractus vocal comme la bouche, la gorge, la glotte, les cordes vocales ou encore les narines. L’anatomie de ces structures étant propre à chaque personne, elles font la spécificité d’une voix et des sons qu’elle émet.

Stress post-traumatique : la plasticité cérébrale, un mécanisme clé de la résilience au trauma

image décorative

Le projet Remember apporte de nouvelles pistes pour comprendre le trouble de stress post-traumatique © Inserm

À la suite d’une expérience choquante, dangereuse ou effrayante, comme par exemple un attentat, de nombreuses personnes développent un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Afin d’améliorer sa prise en charge, de nombreux travaux scientifiques se penchent sur les processus neurobiologiques qui sous-tendent le développement de ce trouble. L’étude Remember, dirigée par Pierre Gagnepain et dont l’Inserm est promoteur, a été mise en place dans les mois qui ont suivi les attentats du 13 Novembre. Elle s’intéresse plus particulièrement aux facteurs de protection et aux marqueurs cérébraux qui sont associés à la résilience au traumatisme. Dans un nouvel article scientifique publié dans Science Advances, l’équipe de recherche au sein du laboratoire Inserm Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (Inserm/Université de Caen Normandie/École pratique des hautes études/CHU Caen/GIP Cyceron) met en évidence la plasticité des mécanismes cérébraux permettant de faire face au trauma. Ceux-ci se transforment avec le temps, et leur reconfiguration aboutit à une diminution des symptômes de stress post-traumatique. 

Les attentats de Paris et Saint-Denis, le 13 novembre 2015, ont laissé des marques durables, non seulement sur les survivants et les proches des victimes, mais aussi sur la société française dans son ensemble.

L’étude Remember, menée dans le cadre du programme transdisciplinaire 13-Novembre[1], est une étude qui compare les résultats d’imagerie cérébrale menée chez 120 participants exposés aux attentats et 80 non-exposés qui ont été suivis depuis 2015.

L’équipe de recherche explore les effets d’un événement traumatique sur les structures et le fonctionnement du cerveau, identifiant des marqueurs neurobiologiques du stress post-traumatique mais également de la résilience au trauma. À terme, l’objectif est que ces travaux puissent déboucher sur de nouvelles pistes thérapeutiques, complémentaires à celles existant déjà, pour les personnes qui souffrent de TSPT.

« Pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres ne développent jamais ce trouble ? Qu’est-ce qui, au niveau cérébral, explique que certaines personnes se remettent après avoir souffert de TSPT et que d’autres en sont atteintes de manière chronique ? Voilà le type de questions auxquelles nous tentons de répondre avec nos travaux », explique Pierre Gagnepain chercheur Inserm et responsable scientifique de Remember.

Mécanismes de contrôle de la mémoire

Parmi les symptômes les plus caractéristiques du TSPT, l’intrusion fréquente du souvenir des images, des odeurs et des sensations associées au traumatisme vécu. Ces mémoires intrusives, qui arrivent souvent sans crier gare et bouleversent la vie quotidienne, sont source de grande détresse.

Dans de précédents travaux, l’équipe a montré que les personnes souffrant de TSPT présentent un dysfonctionnement au niveau des réseaux cérébraux de contrôle qui régulent normalement l’activité des régions de la mémoire, et notamment l’activité de l’hippocampe.

Chez les individus atteints de ce trouble, ces « mécanismes de contrôle » de la mémoire ne parviennent pas à inhiber l’activité de l’hippocampe, ce qui permet aux souvenirs intrusifs de resurgir. À l’inverse, le fonctionnement de ces mécanismes est très largement préservé chez les individus sans TSPT, qui parviennent à lutter efficacement contre les souvenirs intrusifs.

Dans la continuité de ces résultats, Pierre Gagnepain et ses collègues ont voulu comprendre dans leur nouvelle étude[2] si les mécanismes de contrôle de la mémoire pouvaient se refaçonner et s’améliorer avec le temps, contribuant à la guérison du trouble.

Au total 100 personnes, qui avaient été exposées aux attaques terroristes du 13 novembre 2015, ont participé à ce travail. Parmi elles, 34 souffraient de TSPT chronique, alors que 19 s’étaient remises d’un trouble initial. L’étude comptait également 72 participants non exposés aux attentats, servant de groupe contrôle.

Toutes ces personnes ont été invitées à participer à deux reprises à des études d’imagerie cérébrale (en 2016/2017 puis en 2018/2019) afin d’étudier les évolutions structurelles et fonctionnelles de leur cerveau au cours du temps. Elles ont également répondu à un questionnaire sur leurs éventuels symptômes de TSPT en 2020/2021.

À partir de ces données, l’équipe de recherche a pu mettre en évidence la plasticité des réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle de la mémoire, qui régulent la résurgence des souvenirs intrusifs.

Les chercheurs montrent en effet que, chez les personnes remises du TSPT, ces « mécanismes de contrôle » de la mémoire se refaçonnent au cours du temps et finissent par se « normaliser », pour ressembler à ceux des personnes « contrôles ». Concrètement, cela se traduit en imagerie cérébrale par une action plus efficace des régions préfrontales pour inhiber l’activité hippocampique et empêcher l’accès aux souvenirs intrusifs.

Chez les participants qui souffrent de TSPT chronique, ces phénomènes sont toujours altérés. Néanmoins, l’apparition d’un début de plasticité des mécanismes de contrôle de la mémoire, observée lors de la seconde étape d’imagerie chez certains d’entre eux, prédit une future réduction des symptômes intrusifs rapportés dans la troisième partie de l’étude, dans le questionnaire.

Enfin, au niveau structurel, cette normalisation des mécanismes de contrôle de la mémoire est aussi associée à une interruption de l’atrophie de l’hippocampe, contribuant ainsi à limiter les effets négatifs du stress sur le cerveau.

« Notre étude permet de montrer que rien n’est inscrit dans le marbre. La résilience humaine aux traumatismes est caractérisée par la plasticité des circuits de contrôle de la mémoire, notamment ceux qui régulent l’activité de l’hippocampe et la résurgence des souvenirs intrusifs. Elle souligne également que l’altération des mécanismes de contrôle, que nous avions identifiés lors de notre précédente étude comme centraux pour comprendre la variation dans la réponse au trauma, sont bien plus probablement la cause que la conséquence du TSPT », souligne Giovanni Leone, premier auteur de l’étude.

D’un point de vue clinique, cette étude pourrait avoir des implications intéressantes.

« On pourrait imaginer de nouvelles thérapies, complémentaires à celles qui sont déjà utilisées, pour venir stimuler les mécanismes de contrôle de la mémoire, et encourager la plasticité. L’avantage de cette approche serait d’agir sur les réseaux cérébraux sans agir sur le système émotionnel et sans faire revivre les émotions traumatiques au patient », précise Pierre Gagnepain.

L’équipe poursuit les travaux sur le sujet : la prochaine étape consistera à étudier le rôle d’un récepteur cérébral particulier (appelé « GABA alpha 5 »), principalement localisé au sein de l’hippocampe. Les scientifiques pensent en effet que ce récepteur pourrait être impliqué dans l’oubli et la mise sous silence des souvenirs. Ils souhaitent creuser cette piste, qui leur permettrait à la fois de mieux comprendre les mécanismes du TPST mais aussi d’envisager ce récepteur comme une nouvelle cible thérapeutique potentielle.

 

[1]Vaste programme de recherche transdisciplinaire, le programme 13-Novembre bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence ANR-10-EQPX-0021. Le programme est codirigé par le neuropsychologue Francis Eustache, directeur d’étude à l’EPHE, et l’historien Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS.  L’objectif : étudier la construction et l’évolution de la mémoire, individuelle et collective, de ces événements traumatiques, mais également mieux comprendre les facteurs protégeant les individus du stress post-traumatique.

[2] Cette étude a bénéficié d’un financement de la Région Normandie dans le cadre du Réseau d’Intérêt normand (RIN) Label d’excellence.

Une nouvelle voie pour sécuriser la prise en charge de la douleur par les opioïdes

Personnage recroquevillé sur lui-même, le visage portant une expression de souffrance © Inserm/Frédérique Koulikoff© Inserm/Frédérique Koulikoff

Si les opioïdes sont le traitement le plus efficace dans la prise en charge de la douleur, et en particulier de la douleur chronique, leur utilisation prolongée présente de nombreux inconvénients parmi lesquels : la tolérance, qui nécessite d’augmenter les doses pour maintenir l’effet analgésique, et l’hyperalgésie, une sensibilité accrue à la douleur induite par les opioïdes. Deux phénomènes sur lesquels se sont penchés des chercheurs de l’Université de Montpellier, de l’Inserm et du CNRS en collaboration avec la société Biodol Therapeutics, pour tenter de trouver des solutions. Leur étude publiée le 7 novembre 2024 dans Nature Communications ouvre des pistes prometteuses pour supprimer la tolérance et l’hyperalgésie tout en augmentant l’effet analgésique des opioïdes.

Dans la lutte contre la douleur, notamment chronique, les meilleures armes de l’arsenal thérapeutique sont les opioïdes, qui font preuve d’une efficacité analgésique inégalée. Problème : une utilisation prolongée des opioïdes peut entraîner une tolérance obligeant le patient à augmenter la dose pour maintenir l’effet analgésique, avec de lourdes conséquences en termes d’effets secondaires et de risques d’addiction. Par ailleurs, les opioïdes peuvent induire de façon paradoxale une sensibilité anormale à la douleur, appelée « hyperalgésie ».

Si les mécanismes à l’origine de ces phénomènes restent imparfaitement connus, on sait que ces effets contradictoires sont notamment médiés par le récepteur mu-opioïde périphérique MOR. Une voie importante mais qui n’est pas la seule impliquée. Dans cette étude, Cyril Rivat, chercheur à l’Institut des Neurosciences de Montpellier (INM), et ses collaborateurs de l’Université de Montpellier, de I’Inserm, du CNRS et de la société Biodol Therapeutics, ont mis en évidence une co-expression du récepteur MOR et du récepteur tyrosine kinase FLT3, qui participerait au développement de la tolérance et de l’hyperalgésie paradoxale liées aux opioïdes.

Restaurer l’efficacité de la morphine

Pour perturber l’effet de ce récepteur FLT3 nouvellement identifié, les chercheurs ont ici testé les effets d’une molécule particulière, un inhibiteur appelé BDT001. Administré chez le rongeur en même temps que la morphine, celui-ci a permis non seulement de prévenir l’apparition des phénomènes de tolérance et d’hyperalgésie mais aussi d’augmenter de façon importante le potentiel analgésique de la morphine sans aggraver les autres effets indésirables induits par les opioïdes.

Le traitement par l’inhibiteur BDT001 a aussi montré sa capacité à supprimer les phénomènes de tolérance et d’hyperalgésie déjà installés chez des rongeurs préalablement exposés aux opioïdes, permettant ainsi de restaurer l’efficacité de la morphine.

« Nos résultats suggèrent que l’association de la morphine et des inhibiteurs de FLT3 pourrait devenir une voie prometteuse pour la gestion de la douleur chronique afin d’exploiter en toute sécurité la puissance des opioïdes, sans risque d’augmenter les doses voire de les diminuer afin de réduire l’ensemble des effets secondaires », souligne Cyril Rivat.

Une avancée majeure alors même que ces médicaments sont au cœur d’un énorme enjeu sanitaire, notamment aux États-Unis où la « crise des opioïdes » a provoqué le décès de 800 000 personnes en 25 ans.

Ecouter l’interview de Cyril Rivat dans l’émission A l’UM la science : sécuriser le traitement de la douleur

IA : mieux comprendre la prise de décision grâce aux neurones artificiels

Image décorative générée par une intelligence artificielle. Image générée une IA générative spécialisée dans la création d’images, à partir de la description textuelle suivante : « activité variable dans un processeur en silicium qui ressemble à un réseau de neurones artificiels ».

Les décisions humaines prises en situation d’incertitude sont souvent imprévisibles, tout comme l’activité cérébrale qui leur est associée. Une équipe Inserm au Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles de l’École normale supérieure – Université PSL, vient de découvrir les bénéfices cachés de cette imprévisibilité. Ce travail, fondé sur des simulations de réseaux de neurones utilisés en intelligence artificielle, pourrait contribuer à une meilleure compréhension de certaines maladies psychiatriques dont les symptômes s’expriment en situation d’incertitude, comme les troubles obsessionnels compulsifs ou la schizophrénie par exemple. Les résultats viennent de paraître dans Science Advances.

Comment notre cerveau s’adapte-t-il à une situation imprévue ? S’il n’y a jamais été confronté auparavant et n’a pas de retour d’expérience pour favoriser un choix plutôt qu’un autre, comment parvient-il à prendre une décision ? Pour donner un exemple concret : que faire quand son métro ou son bus n’arrive pas et que les informations communiquées par oral ou sur les tableaux d’affichage sont vagues ? Vaut-il mieux attendre, essayer un autre itinéraire, marcher ? Avoir une capacité à s’adapter et à prendre des décisions face à des situations imprévues est indispensable dans notre vie quotidienne.

Valentin Wyart, directeur de recherche Inserm, et son équipe, cherchent à comprendre comment le cerveau s’adapte à ces situations imprévues qui surgissent au quotidien.

« De nombreux neuroscientifiques cherchent à identifier des circuits cérébraux spécifiques pour chaque fonction cognitive, et c’est le cas pour l’adaptation à l’incertitude, explique le chercheur. Mais cette approche ne tient compte ni de l’évolution du cerveau ni de son fonctionnement. Nous sommes donc partis sur une autre hypothèse, radicalement différente : la capacité d’adaptation de notre cerveau serait une conséquence naturelle de son fonctionnement. »

L’activité cérébrale est en effet connue pour être variable et sujette à des fluctuations inexpliquées lorsque nous vivons des expériences, se manifestant par des signaux électriques imprévisibles. En laboratoire, cela se traduit par une grande variabilité des réponses cérébrales lorsque qu’un même participant est exposé à plusieurs répétitions d’une même stimulation, comme une image ou un son par exemple.

« Nous avons imaginé que notre cerveau pourrait s’appuyer sur ces fluctuations d’activité pour se reconfigurer face à des situations nouvelles et imprévues », précise Valentin Wyart.

En d’autres termes, l’adaptation à l’incertitude ne s’appuierait pas sur un circuit cérébral dédié, et se ferait sans effort en tirant parti de l’activité variable de notre cerveau.

Pour tester cette hypothèse, l’équipe s’est tournée vers des outils d’intelligence artificielle, en l’occurrence des réseaux de neurones artificiels, inspirés par les réseaux de neurones de notre cerveau, et capables de simuler des processus cognitifs comme la mémoire, l’apprentissage, ou la prise de décision. Les chercheurs ont d’abord appris à ces réseaux de neurones artificiels à prendre des décisions dans des situations prévisibles. Certains de ces réseaux ne présentaient pas de variabilité et s’activaient toujours de la même manière dans les mêmes situations. D’autres, au contraire, avaient été modifiés par les chercheurs pour présenter une activité variable, comme celle du cerveau humain. L’équipe a ensuite exposé les deux types de réseaux de neurones à des situations nouvelles, comportant des sources d’incertitude auxquelles ils n’avaient jamais été exposés auparavant.

Les réseaux variables ont alors montré une capacité impressionnante pour s’adapter de façon presque optimale à des sources d’incertitude qu’ils n’avaient jamais rencontrées, là où les réseaux sans variabilité ont montré un comportement rigide et inadapté. Concrètement, les réseaux jouaient à une machine à sous dont ils avaient appris certaines des combinaisons gagnantes. Quand les chercheurs ont introduit des combinaisons nouvelles, les réseaux variables arrivaient à deviner lesquelles étaient gagnantes alors que les réseaux sans variabilité échouaient systématiquement.

Comment expliquer ce bénéfice caché de la variabilité cérébrale ? Une activité variable pourrait permettre aux réseaux de neurones de notre cerveau d’être flexibles et de se reconfigurer très rapidement à l’arrivée de nouvelles informations.

En plus d’ouvrir des perspectives intéressantes pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain, ces résultats pourraient aussi avoir des applications pratiques en intelligence artificielle, pour le développement de systèmes capables de s’adapter à des situations imprévues sans nécessiter de reprogrammation ni d’entraînement spécifique. En effet, des outils fondés sur l’IA que nous pourrions être amenés à utiliser dans le futur – comme un système de conduite autonome par exemple – doivent être capables de s’adapter à des situations pour lesquelles il n’ont pas été spécifiquement entraînés.

En outre, cette découverte incite à explorer la variabilité cérébrale et à mesurer son impact dans le cadre de certaines maladies psychiatriques qui ont un impact délétère sur la prise de décision en situation d’incertitude, comme les troubles obsessionnels compulsifs ou la schizophrénie par exemple.

« Nous sommes en train d’étudier la variabilité cérébrale chez des patients souffrant de ces maladies psychiatriques, mais aussi les neurotransmetteurs qui pourraient être impliqués dans la régulation de cette variabilité », conclut Valentin Wyart.

Des réseaux cérébraux associés aux ruminations mentales et leur évolution chez le jeune adulte

Une étude décrit pour la première fois les réseaux cérébraux associés aux ruminations mentales ces pensées répétitives, et leur évolution entre les âges de 18 et 22 ans. Ce travail mené par l’équipe Inserm « Trajectoires développementales en psychiatrie » (Inserm/ENS Paris-Saclay) au sein du Centre de mathématiques appliquées Borelli[1] montre également une association entre les réseaux cérébraux des ruminations et certains symptômes psychiatriques. Les chercheurs se sont appuyés sur la cohorte IMAGEN destinée à explorer la santé mentale de jeunes européens à partir de 14 ans. Ce travail, publié dans la revue Molecular Psychiatry, fournit des pistes pour la prévention en santé mentale.

Les ruminations sont des pensées répétitives, avec le sentiment de tourner en boucle. Elles se manifestent fréquemment au cours de la transition de l’adolescence vers le stade de jeune adulte, et sont liées notamment aux difficultés de l’entrée dans la vie adulte.

La littérature décrit trois types de ruminations. Les ruminations « réflexives » ne sont pas négatives ; elles visent à chercher une solution à un problème et peuvent faire partie d’un processus de réflexion (trouver un logement, un emploi, etc.). Les ruminations « soucieuses » sont liées à des situations complexes ou conflictuelles, avec des difficultés à prendre du recul (soucis professionnels, difficultés financières, etc.). Enfin, le troisième type de ruminations est de nature « dépressive » avec des pensées noires répétitives sur sa situation ou son avenir.

Fréquentes chez les adolescents, ces dernières peuvent s’associer à des états d’anxiété, d’agressivité, de dépression, ou encore des addictions. Considérées comme un facteur de risque de maladie psychiatrique, elles précèdent le plus souvent l’apparition de troubles à l’âge adulte. C’est pourquoi il est important de mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui leur sont associés.

C’est dans cet objectif qu’une équipe menée par les chercheurs Inserm Jean-Luc Martinot et Eric Artiges au sein du laboratoire « Trajectoires développementales en psychiatrie » s’est intéressée pour la première fois aux réseaux cérébraux associés aux différents types de ruminations au cours de la transition du stade adolescent à jeune adulte.

À cette fin, l’équipe a étudié 595 jeunes inclus dans la cohorte européenne IMAGEN[2] et suivis entre les âges de 18 à 22 ans.

Des réseaux spécifiques associés aux ruminations

Les jeunes ont passé des IRM fonctionnelles au repos. Cette technique de neuroimagerie permet de suivre l’activité cérébrale spontanée dans toutes les régions du cerveau.

« Lors de cet examen, les sujets n’avaient aucune consigne et étaient laissés libres de leurs pensées. De sorte que les profils « ruminateurs » se sont laissés aller à leurs ruminations », précise Jean-Luc Martinot.

Ces jeunes ont aussi répondu à des questionnaires pour mesurer la fréquence et le type de leurs ruminations, et évaluer la présence éventuelle de symptômes psychiatriques.

En premier lieu, les chercheurs ont recoupé l’imagerie et les réponses aux questionnaires à 18 ans, en utilisant un modèle mathématique innovant. Cela leur a permis d’associer chaque type de rumination à l’activité simultanée de deux à trois réseaux cérébraux spécifiques.

Ils ont par exemple montré qu’à 18 ans les ruminations « soucieuses » s’appuyaient sur des réseaux cérébraux engageant l’hippocampe et le lobe frontal. Les ruminations « dépressives » apparaissaient, elles, associées à d’autres réseaux engageant le noyau thalamique et une partie du lobe frontal.

Des changements à 22 ans

Ce travail a ensuite été renouvelé chez ces mêmes participants à l’âge de 22 ans, afin d’évaluer comment les ruminations et les processus cérébraux associés évoluaient au cours du temps.

 « A cet âge de leur vie, les jeunes adultes montraient une diminution des ruminations « soucieuses » en faveur de ruminations « réflexives », explique Jean-Luc Martinot,  ceci suggère  qu’entre 18 et 22 ans, période de transition vers l’adulte, ils et elles ont acquis une meilleure capacité d’adaptation aux émotions négatives et une meilleure aptitude à la prise de décision ».

Cela se traduit concrètement au niveau cérébral : en passant d’un type de rumination à un autre, les chercheurs ont constaté que les réseaux cérébraux activés chez les participants étaient également refaçonnés.

Dans la suite de l’étude, l’équipe a enfin montré que les réseaux cérébraux associés aux différents types de rumination étaient par ailleurs associés à certains symptômes psychiatriques. Plus précisément, l’activité d’un réseau associé aux ruminations soucieuses était aussi associée à des symptômes « internalisés » (anxiété, nervosité, retrait, etc.). L’activité d‘un réseau associé aux ruminations « dépressives » était aussi associée à des symptômes « extériorisés » (agitation, irritabilité, recours aux passages à l’acte, à des substances, etc.).

« Ce travail révèle des liens entre l’évolution des ruminations mentales et l’évolution de symptômes psychiatriques, par l’intermédiaire de changements fonctionnels du cerveau à la fin de l’adolescence. Deux types de ruminations peuvent précéder des symptômes psychiatriques. Ces données pourraient contribuer au développement des approches préventives chez les jeunes adultes », conclut Jean-Luc Martinot.

[1] Le Centre Borelli est sous tutelle CNRS/ ENS Paris-Saclay/ Université Paris-Saclay/ Université Paris-Cité/ Inserm/ Service de santé des armées

[2] Co-fondée par Jean -Luc Martinot, la cohorte IMAGEN est destinée à suivre la santé mentale d’adolescents à partir de 14 ans à l’aide de données psychologiques, cliniques, environnementales, et d’imagerie du cerveau.

Un traitement de Parkinson pourrait retarder la progression d’une des formes de la DMLA

DMLALa dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est la première cause de handicap visuel chez les personnes de plus de 50 ans. © Adobe Stock

La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) est la première cause de handicap visuel chez les personnes de plus de 50 ans. Améliorer l’offre thérapeutique pour les patients est un enjeu de taille pour la recherche. Dans une nouvelle étude, une équipe composée de chercheurs de l’Inserm, du CNRS et de Sorbonne Université à l’Institut de la vision[1] à Paris, décrit l’efficacité des médicaments dopaminergiques pour ralentir la progression de l’une des formes de la maladie, la forme néovasculaire ou « humide » caractérisée par la prolifération de vaisseaux sanguins dysfonctionnels sous la rétine. Ces médicaments spécifiques sont déjà utilisés dans le traitement de la maladie de Parkinson. Ces résultats sont publiés dans la revue The Journal of Clinical Investigation.

La DMLA est une maladie de la rétine d’origine multifactorielle qui concerne les plus de 50 ans. Elle correspond à une dégradation d’une partie de la rétine – la macula – et peut mener à la perte de la vision centrale. Bien que très invalidante, elle ne rend jamais totalement aveugle puisque la partie périphérique de la rétine reste intacte.

Il existe deux formes de la maladie qui ont une prévalence à peu près équivalente : la forme néovasculaire, dite « exsudative » ou « humide » et la forme atrophique, ou « sèche avancée » (voir encadré).

Si la forme sèche de la maladie ne dispose actuellement d’aucun traitement curatif, la forme néovasculaire peut être ralentie par des injections régulières administrées directement dans l’œil du patient (des injections dites « intravitréennes »).

Bien que nécessaires, celles-ci peuvent représenter un fardeau thérapeutique important du fait de la fréquence des piqûres, mensuelles ou bimestrielles, selon l’évolution de la maladie. Il est donc intéressant de continuer à identifier de nouvelles alternatives pour les patients.

Des médicaments pour Parkinson

Des études épidémiologiques antérieures ont déjà mis en évidence une association possible entre la maladie de Parkinson et un risque réduit de DMLA néovasculaire[2]. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, et de Sorbonne Université à l’Institut de la vision, ont exploré les mécanismes sous-jacents qui expliqueraient cette protection potentielle.

Dans des modèles cellulaires et animaux, les scientifiques ont montré que la L-Dopa, médicament de la famille des dopaminergiques[3] utilisé dans le traitement de la maladie de Parkinson, active un récepteur spécifique du cerveau, appelé DRD2. Cette activation du DRD2 bloque la formation de nouveaux vaisseaux sanguins dans l’œil, un processus clé dans le développement de la DMLA néovasculaire.

Pour aller plus loin, l’équipe a ensuite analysé les données de santé de plus de 200 000 patients atteints de DMLA néovasculaire en France[4].

Ils ont montré que les patients qui prenaient de la L-Dopa ou d’autres médicaments inhibant le récepteur DRD2 (des agonistes DRD2) pour traiter leur maladie de Parkinson développaient la DMLA néovasculaire plus tard dans leur vie et nécessitaient moins d’injections intravitréennes. 

En effet, les patients traités avec ces médicaments pour leur maladie de Parkinson déclaraient la maladie à 83 ans au lieu de 79 ans pour les autres patients.

« Ces résultats ouvrent des perspectives inédites pour les patients atteints de DMLA dans sa forme humide. Nous avons maintenant une piste sérieuse pour retarder l’évolution de cette maladie et réduire le fardeau des traitements actuels », explique Florian Sennlaub, directeur de recherche Inserm à l’Institut de la vision (CNRS/Sorbonne Université/Inserm).

Thibaud Mathis, professeur des universités et praticien hospitalier dans le service d’ophtalmologie de l’hôpital de la Croix-Rousse – Hospices civils de Lyon, et chercheur à l’Université Lyon 1, ainsi qu’au sein de l’Institut de la vision abonde dans le même sens :

« Ces résultats suggèrent que les médicaments dopaminergiques, au-delà de leur rôle dans la maladie de Parkinson, pourraient avoir un effet bénéfique dans la prévention et le traitement de la DMLA néovasculaire. »

Même si des études cliniques plus approfondies seront nécessaires pour confirmer ces résultats et évaluer l’efficacité et la sécurité de ces médicaments dans le traitement de la DMLA, cette découverte ouvre de nouvelles perspectives encourageantes pour la lutte contre la forme néovasculaire, offrant l’espoir d’un traitement plus efficace et moins contraignant pour les patients.

Deux formes de DMLA :

La DMLA humide est caractérisée par la prolifération de nouveaux vaisseaux dysfonctionnels sous la rétine. Le sang peut se diffuser à travers leurs parois et conduire à la formation d’un œdème maculaireDu sang s’échappe parfois de celui-ci et entraîne l’apparition d’hémorragies rétiniennes.

La forme humide de la DMLA évolue rapidement si elle n’est pas prise en charge. Auparavant, une perte de vision centrale pouvait apparaître en quelques semaines ou même quelques jours. Ce processus peut aujourd’hui être stoppé grâce à des médicaments (anti-VEGF) injectés dans l’œil, qui inhibent la croissance de nouveaux vaisseaux. Néanmoins, après plusieurs années de traitement, la maladie peut évoluer vers une forme atrophique.

Dans la DMLA atrophique ou « sèche avancée », les photorécepteurs de la macula disparaissent progressivement, suivis par les cellules de l’épithélium pigmentaire rétinien. Ce processus génère des trous de taille croissante dans la macula, visibles par une simple observation de la rétine (fond d’œil). Ce processus est lent et il s’écoule en général entre cinq et dix ans avant que le patient ne perde sa vision centrale. Actuellement, aucun traitement pour cette forme de DMLA n’est autorisé en Europe.

Des formes mixtes de la maladie peuvent être observées, et chacune de ces deux formes peut précéder l’apparition de la seconde.

[1]Ce travail est le fruit d’une collaboration avec des équipes de l’université et du CHU de Lyon, de l’université de Bourgogne et de l’Institut du cerveau à Paris.

[2]Levodopa Is Associated with Reduced Development of Neovascular Age-Related Macular Degeneration, Max J Hyman et al. Ophthalmology retina 2023

[3]Les médicaments dopaminergiques apportent la dopamine nécessaire au fonctionnement du cerveau. Dans la maladie de Parkinson, la dopamine va diminuer l’intensité des tremblements, de la rigidité et de l’akinésie.

[4] Il s’agit des données du Système national des données de santé (SNDS).

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