Le gélada (Theropithecus gelada) fait partie des espèces de primates ne possédant pas d’appendice référencées dans ces travaux. © Vallée des singes
Si l’appendice iléo-cæcal n’est désormais plus considéré comme un vestige de l’évolution sans rôle particulier, sa fonction exacte reste encore à découvrir et plusieurs hypothèses sont aujourd’hui explorées. Une équipe de recherche de l’Inserm, du CNRS, du Muséum national d’Histoire naturelle, de l’Université de Rennes, de Sorbonne Université et du centre Eugène Marquis s’est intéressée à la façon dont la présence d’un appendice affecte la survenue et la sévérité des diarrhées infectieuses chez les primates, un ordre animal particulièrement touché par ces maladies. Ses travaux montrent que les espèces de primates possédant un appendice sont moins touchées par les diarrhées infectieuses et que celles-ci sont moins sévères que chez les espèces n’en possédant pas. Elles sont en outre mieux protégées contre ces infections durant la première partie de leur vie, période à la fois plus vulnérable aux diarrhées sévères et capitale pour la reproduction. Ces résultats parus dans Scientific Reports apportent de nouveaux éléments appuyant le rôle d’avantage évolutif de l’appendice.
L’appendice iléo-cæcal (plus communément appelé « appendice ») est une petite excroissance cylindrique en cul-de-sac située dans la partie inférieure du cæcum, la première partie du gros intestin. Il est retrouvé chez certains mammifères et notamment chez certaines espèces de primates, dont l’humain. S’il a longtemps été considéré comme un vestige inutile de l’évolution, les recherches de ces dix dernières années ont mis à mal ce paradigme et les scientifiques tendent aujourd’hui à le considérer comme un potentiel avantage évolutif, bien que sa fonction reste encore mal connue.
L’une des hypothèses concernant le rôle de l’appendice repose sur sa composition en micro-organismes. Différente de celle du reste du microbiote intestinal, elle pourrait constituer un réservoir de flore saine préservé du flux fécal, susceptible de recoloniser l’intestin après une infection intestinale et de permettre une rémission plus rapide. Or les primates représentent un ordre animal particulièrement touché par les diarrhées infectieuses. Chez l’humain, en 2015, la mortalité liée à ces infections a ainsi été identifiée comme la seconde cause de mortalité chez l’enfant entre 1 mois et 5 ans. Plus spécifiquement, chez les patients ayant subi une ablation de l’appendice (appendicectomie), il a été rapporté un risque accru de survenue et/ou de sévérité de certaines diarrhées infectieuses, bien qu’aucun lien direct n’ait été démontré à l’heure actuelle.
Une équipe de recherche dirigée par Éric Ogier-Denis, directeur de recherche Inserm au sein de l’unité Oncogenèse, stress et signalisation (Inserm/Université de Rennes/Centre Eugène Marquis), et Michel Laurin, directeur de recherche CNRS au Centre de recherche en paléontologie – Paris (CNRS/MNHN/Sorbonne Université), avait montré dans de précédents travaux que les espèces de mammifères possédant un appendice présentaient une longévité supérieure aux espèces n’en possédant pas[1]. Dans la continuité de ce travail, elle s’est intéressée à la façon dont la présence d’un appendice iléo-cæcal pourrait affecter la fréquence et la gravité des diarrhées chez les primates et être ainsi déterminante dans la durée de vie propre à chaque espèce.
Pour ce faire, les chercheurs ont examiné les dossiers vétérinaires des 1 251 primates de 45 espèces différentes – 13 espèces présentant un appendice, 32 n’en présentant pas – résidant en semi-liberté au sein du parc zoologique La vallée des singes à Romagne. Ils ont ainsi répertorié la fréquence et la sévérité des épisodes de diarrhées survenus entre 1998 et 2018 chez ces animaux.
Le gorille (Gorilla gorilla gorilla) fait partie des espèces de primates possédant un appendice référencées dans ces travaux. ©Vallée des singes
La moitié des primates avait présenté au moins un épisode de diarrhée au cours des 20 ans de suivi avec 13 % des épisodes pouvant être qualifiés de « sévères ».
Chez les primates présentant un appendice, la fréquence des épisodes de diarrhées était largement plus faible (environ – 85 %) que chez ceux n’en présentant pas. Les cas de diarrhées sévères étaient également beaucoup moins fréquents en particulier durant le premier quart de vie lorsque le risque est le plus élevé (ce risque décroit ensuite progressivement tout au long de la vie).
En outre, chez les espèces porteuses d’un appendice, l’âge médian d’apparition des diarrhées – qu’elles soient sévères ou non –, était significativement plus élevé.
« Ces résultats appuient l’hypothèse du rôle protecteur de l’appendice iléo-cæcal contre la diarrhée infectieuse chez les primates, commente Jérémie Bardin, co-premier auteur de l’étude. L’observation d’un effet protecteur particulièrement important durant la première partie de la vie, période la plus vulnérable aux diarrhées sévères, mais aussi la plus optimale en matière de capacités reproductives, plaide en faveur d’un rôle d’avantage sélectif dans l’évolution », ajoute Éric Ogier-Denis.
Les recherches doivent donc être poursuivies pour approfondir les connaissances sur l’appendice iléo-cæcal et mieux comprendre la fonction de sa flore spécifique. Une des prochaines étapes de ce travail pourrait être de comparer la composition du microbiote de l’appendice entre espèces de primates pour mettre en évidence d’éventuelles similitudes.
Enfin, dernière observation intéressante dans cette étude, aucun des primates possédant un appendice n’a été diagnostiqué d’une appendicite aiguë durant les 20 ans de suivi.
« Bien que cette affection soit plus fréquente chez l’humain que chez les autres espèces de primates, si la protection associée à la présence de l’appendice chez l’humain est du même niveau que celle observée chez les primates, elle contrebalancerait très largement le risque lié aux appendicites mortelles », conclut Maxime Collard, co-premier auteur de l’étude.
[1]Voir notre communiqué de presse du 3 août 2021 : https://presse.inserm.fr/lappendice-nest-pas-une-structure-inutile-et-serait-correle-a-un-allongement-de-la-duree-de-vie/43545/
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