Le délai d’action des antidépresseurs, tels que le Prozac, est d’environ 3 semaines. Comment l’expliquer ? Les mécanismes d’adaptation des neurones aux antidépresseurs, restaient jusqu’alors énigmatiques. Les travaux publiés cette semaine par les équipes d’Odile Kellermann (Unité Inserm 747 “Cellules souches, Signalisation et Prions”, Université Paris Descartes) et de Jean-Marie Launay (Unité Inserm 942 Hôpital Lariboisière, Paris et Réseau “Santé Mentale”, Université Paris Descartes), apportent un nouvel éclairage sur les mécanismes d’action de ces médicaments utilisés depuis plus de 30 ans et très consommés en France. En particulier, les chercheurs mettent en évidence pour la première fois une chaîne de réactions déclenchée par le Prozac au niveau des neurones, qui contribue à l’augmentation de sérotonine, un “messager” chimique essentiel au cerveau, et déficitaire chez les personnes dépressives. Le détail de ces travaux est publié dans la revue Science datée du 17 septembre 2010.
Les états dépressifs sont associés à des déficits en sérotonine (5-HT), un des neurotransmetteurs essentiels aux communications entre les neurones, impliquée notamment dans les comportements alimentaires et sexuels, le cycle veille-sommeil, la douleur, l’anxiété ou les troubles de l’humeur.
Les stratégies des molécules de la classe des antidépresseurs développées depuis les années 60 visent donc, principalement, à augmenter la quantité de sérotonine libérée dans la fente synaptique, l’espace entre 2 neurones, où ont lieu les communications nerveuses via les neurotransmetteurs. Si on sait depuis plusieurs années que les antidépresseurs comme le Prozac ont pour effet d’augmenter le taux de sérotonine en bloquant sa recapture par le transporteur de la sérotonine (SERT) au niveau de la synapse, on ne savait pas, jusqu’alors, expliquer la latence de leur action (3 semaines).
Aujourd’hui, les équipes d’Odile Kellermann et de Jean-Marie Launay, en étroite collaboration avec Hoffmann-LaRoche (Bâle), viennent de caractériser, pour la première fois in vitro puis in vivo, les différentes réactions et molécules intermédiaires produites en présence de Prozac, responsables, au final, d’une plus grande libération de sérotonine. En particulier, les chercheurs ont identifié le rôle-clé d’un microARN dans les mécanismes d’actions des antidépresseurs sur le cerveau (*).
Ce microARN, appelé miR-16, contrôle la synthèse du transporteur de la sérotonine.
Dans des conditions physiologiques normales, ce transporteur est présent dans les neurones dits “à sérotonine”, c’est-à-dire les neurones spécialisés dans la production de ce neurotransmetteur. En revanche, l’expression de ce transporteur est réduite au silence par miR-16 dans les neurones dits “à noradrénaline”, un autre neurotransmetteur impliqué dans l’attention, les émotions, le sommeil, le rêve et l’apprentissage.
En réponse au Prozac, les neurones à sérotonine libèrent une molécule-signal, qui fait chuter la quantité de miR-16, ce qui déverrouille l’expression du transporteur de la sérotonine dans les neurones à noradrénaline.
Ces neurones deviennent ainsi sensibles au Prozac. Ils continuent à produire de la noradrénaline mais deviennent mixtes : ils synthétisent aussi de la sérotonine. In fine, la quantité de sérotonine libérée est accrue à la fois au niveau des neurones à sérotonine via l’effet direct du Prozac qui empêche sa recapture et au niveau des neurones à noradrénaline via la diminution de miR-16.
Ainsi, “ces travaux dévoilent pour la première fois que les antidépresseurs sont capables d’activer une nouvelle ‘source’ de sérotonine dans le cerveau”, expliquent les chercheurs. “Nos résultats démontrent par ailleurs que l’efficacité du Prozac repose sur les propriétés ‘plastiques’ des neurones à noradrénaline, c’est-à-dire leur capacité à acquérir les fonctions des neurones à sérotonine.”
Pour élucider le mode d’action du Prozac, les chercheurs franciliens ont utilisé des cellules souches neuronales capables de se différencier en neurones qui fabriquent la sérotonine ou la noradrénaline. Ces cellules, isolées et caractérisées par les 2 équipes de recherche, ont permis de dévoiler par des approches pharmacologiques et moléculaires, les liens fonctionnels entre le Prozac, miR-16, le transporteur de la sérotonine et la molécule-signal, ‘déclencheur’ appelée S100Beta . Ces liens observés in vitro ont été validés in vivo chez la souris, dans les neurones à sérotonine du raphé et les neurones à noradrénaline du locus coeruleus. Le dialogue entre ces deux zones du cerveau situées sous le cortex, au niveau du tronc cérébral, est donc une des clés de l’action du Prozac.
Des tests comportementaux ont de plus confirmé l’importance de miR-16 en tant que relais dans l’action du Prozac.
Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de recherche pour le traitement des états dépressifs. Chacun des “acteurs” de la chaîne de réactions mobilisée par le Prozac constitue une cible pharmacologique potentielle.
La pharmaco-dynamie des antidépresseurs, c’est-à-dire l’étude de la vitesse d’action de ces molécules, devrait également faire l’objet de nouvelles investigations à l’aune de ces nouveaux concepts.
Note :
* Dans tous les organismes vivants, l’acide ribonucléique, ou ARN, est utilisé comme un support génétique intermédiaire de nos gènes pour fabriquer les protéines dont ils ont besoin. Les microARN, découverts récemment, sont de petits ARN (20 nucléotides) qui ne conduisent à la synthèse d’aucune protéine. Ils ont pour fonction, en se fixant à des ARN cibles, de bloquer la traduction du message génétique en protéines.