L’un des mécanismes impliqués dans l’apparition de la dépression causée par le stress vient d’être révélé chez la souris par des chercheurs du CNRS, de l’Inserm et de l’UPMC[1]. Ils ont déterminé le rôle du récepteur de la corticostérone, l’hormone du stress, dans la modification à long terme des comportements induits par un stress chronique. Chez des souris subissant des agressions répétées, ce récepteur participe à la mise en place d’une aversion sociale en contrôlant la libération de dopamine[2], un messager chimique clef. Si ce récepteur est bloqué, les animaux deviennent « résilients » : bien qu’anxieux, ils surmontent le traumatisme et ne fuient plus le contact avec leurs congénères. Ces travaux sont publiés dans Science le 18 janvier 2013.
Chez les vertébrés, le stress déclenche une libération rapide d’hormones glucocorticoïdes, la corticostérone chez les rongeurs ou le cortisol chez l’homme. Cette hormone modifie l’expression de nombreux gènes de façon à ce que l’individu puisse répondre au mieux à la cause du stress. Cependant, un stress chronique ou excessif peut conduire à la dépression, à l’anxiété et à des troubles du comportement social. Comprendre les mécanismes impliqués est un enjeu important pour le traitement des maladies psychiatriques liées au stress.
Les chercheurs soupçonnaient déjà que l’apparition de symptômes dépressifs causés par le stress mettait en jeu aussi bien l’hormone du stress que les neurones à dopamine libérant ce neurotransmetteur central dans le contrôle de l’humeur. Pour mieux comprendre cette imbrication, les chercheurs ont soumis un groupe de souris à des attaques répétées par des congénères plus forts et agressifs.
Les chercheurs ont reproduit l’expérience, mais cette fois-ci avec diverses lignées de souris chez lesquelles le récepteur de la corticostérone était absent dans certaines populations de neurones. Ils ont ainsi découvert que les souris dépourvues de ce récepteur dans les neurones sensibles à la dopamine, ne développaient pas d’aversion sociale. Bien qu’anxieuses suite aux attaques répétées, elles ne fuyaient pas pour autant le contact avec leurs congénères. Ces rongeurs étaient donc plus « résilients », c’est-à-dire plus résistants au stress, que les souris « sauvages ».
En réponse à une agression, on observe toujours une libération de dopamine. Or, les scientifiques ont remarqué que, chez les souris dépourvues du récepteur de la corticostérone dans les neurones sensibles à la dopamine, cette libération était fortement diminuée. Chez une souris normale, les neurones sensibles à la dopamine contrôlent donc, par un mécanisme de feed back, la libération de ce neurotransmetteur. Pour montrer que cette libération de dopamine cause le développement de l’aversion sociale, les chercheurs ont bloqué l’activité des neurones producteurs de dopamine. Résultat : chez les souris agressées, l’intérêt pour leurs congénères était restauré. L’activité dopaminergique est donc cruciale pour l’apparition d’une aversion sociale.
crédit P Latron/Inserm
Cette étude montre le rôle important de l’hormone de stress dans l’apparition d’une aversion sociale induite par des traumatismes répétés. Plus généralement, elle dévoile en partie les mécanismes neurobiologiques et la cascade de réactions qui sous-tendent l’apparition de dépression. Ces résultats pourraient mener à de nouvelles pistes thérapeutiques pour traiter la dépression en révélant des cibles alternatives pour des médicaments, notamment au niveau du système dopaminergique.
[1] Plus précisément, ces travaux ont été effectués par une équipe du laboratoire « Physiopathologie des maladies du système nerveux central » (CNRS/Inserm/UPMC), en collaboration avec le laboratoire « Neurobiologie des processus adaptatifs » (CNRS/UPMC).
[2] La dopamine est un neurotransmetteur, c’est-à-dire une molécule qui module l’activité des neurones dans le cerveau.