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Communiqués et dossiers de presse

Conduites addictives chez les adolescents – Une expertise collective de l’Inserm

06 Fév 2014 | Par INSERM (Salle de presse) | Santé publique

Télécharger la synthèse de l’expertise collective.

En France, les niveaux de consommation de certaines substances psychoactives, en particulier l’alcool, le tabac et le cannabis, demeurent élevés chez les adolescents, en dépit des évolutions de la réglementation visant à limiter l’accès des mineurs à ces produits et des campagnes de prévention répétées.

Dans le contexte de l’élaboration du Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017[1], la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) a sollicité l’Inserm pour établir un bilan des connaissances scientifiques sur les vulnérabilités des adolescents (âgés de 10 à 18 ans) à l’usage de substances psychoactives dont la consommation est notable chez les jeunes et pour lesquelles un risque de comportement addictif est avéré (alcool, tabac, cannabis), mais aussi aux pratiques identifiées comme pouvant devenir problématiques (jeux vidéo/Internet, jeux de hasard et d’argent). La commande de la MILDT portait également sur l’analyse des stratégies de prévention et d’intervention efficaces pour cette tranche d’âge.

conduite addictive chez les ados

©Fotolia

Pour répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts en épidémiologie, santé publique, sciences humaines et sociales, addictologie, neurosciences et communication.

L’analyse par les experts des données issues des principales enquêtes de consommations en France[2] et de la littérature scientifique internationale des dix dernières années permet de mieux évaluer l’ampleur du phénomène chez les jeunes âgés de 10 à 18 ans, d’identifier les principaux produits concernés et l’évolution des modes de consommation, les facteurs de risque, les principaux effets sur la santé ainsi que les dommages sociaux associés, et enfin de décrire les stratégies d’intervention ayant fait l’objet d’une évaluation, dans le but de proposer des recommandations utiles à la prévention des consommations à risque et à la prise en charge des adolescents concernés.

Les experts ont notamment constaté une modification des usages et des modes de consommation de certaines substances psychoactives, comme par exemple l’alcoolisation ponctuelle importante qui tend à se développer chez les adolescents. Par ailleurs, ils soulignent la plus forte sensibilité de cette population aux effets neurotoxiques de l’alcool et du cannabis par rapport aux adultes, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux conséquences de la consommation de ces substances.

L’adolescence, période de vulnérabilité

L’adolescence s’accompagne de nombreux changements physiologiques et physiques, mais c’est également une étape de maturation et d’évolution psychologique complexe. Le jeune s’affranchit progressivement du lien de dépendance aux parents et développe un niveau élevé d’interactions sociales ; il recherche de nouvelles expériences associant souvent une certaine résistance aux règles établies. L’adolescence constitue également une phase de curiosité, de prises de risque et de défi.

C’est principalement à cette période que se fait l’initiation à la consommation de substances psychoactives licites (alcool/tabac) mais aussi de certaines substances illicites (cannabis…) : seuls 6,6 % des adolescents de 17 ans n’ont expérimenté aucun de ces 3 produits. Les adolescents manifestent des attentes/motivations très variées, le plus souvent en fonction du genre et socialement différenciées. Ils se révèlent peu sensibles à la mise en garde vis-à-vis des risques sanitaires à long terme car ils ne les perçoivent que comme un risque très lointain ne les concernant pas vraiment.

La plupart des travaux soulignent que chez les adolescents, une première expérience positive avec des substances psychoactives peut influencer l’évolution de la consommation, favorisant des consommations régulières puis, potentiellement la survenue d’une dépendance.

Le cerveau de l’adolescent est plus vulnérable aux substances psychoactives que le cerveau de l’adulte. Il présente la particularité d’être dans un état de transition vers l’état adulte. Les processus de maturation cérébrale (qui se poursuivent jusqu’à environ 25 ans) entraînent une vulnérabilité exacerbée de l’adolescent vis-à-vis de la neurotoxicité des substances psychoactives en général. Une zone du cerveau, le cortex préfrontal, qui permet la prise de décision, l’adaptation du comportement à la situation, est plus particulièrement concernée par cette maturation à l’adolescence.

Quel que soit le produit considéré, la précocité de l’expérimentation et de l’entrée dans la consommation accroît les risques de dépendance ultérieure et plus généralement de dommages subséquents.

Consommations de substances psychoactives[3] et dommages associés

On distingue l’usage à risque (mise en danger) de l’abus ou usage nocif (préjudiciable à la santé) et de la dépendance. Quant à l’addiction, ce terme recouvre généralement celui de dépendance, mais ce point demeure discuté. Pour certains auteurs, l’addiction se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de celui-ci en dépit de la connaissance et de la présence de ses conséquences néfastes.

  • Alcool

En France, l’alcool est la première substance psychoactive consommée en termes de niveau d’expérimentation, d’usage occasionnel et de précocité d’expérimentation. En 2011, à la fin de l’adolescence, l’expérimentation concerne 91 % des garçons et des filles. Parmi les élèves âgés de 11 ans, 58 % ont déclaré en 2010 avoir déjà expérimenté une boisson alcoolisée.

Des usages réguliers d’alcool (au moins dix fois dans le mois) apparaissent dès la fin du collège : en 2010, 7 % des élèves de 3ème ont déclaré avoir consommé une boisson alcoolisée au moins 10 fois dans le mois précédant l’enquête. En 2011, ces usages réguliers d’alcool concernaient 15 % des garçons et 6 % des filles de 17 ans ; toutefois, la consommation quotidienne d’alcool concernait moins de 1 % des jeunes de 17 ans. Il est à noter une diminution de l’écart entre les garçons et les filles ainsi qu’une légère augmentation des usages réguliers entre 2008 et 2011.

L’ivresse alcoolique est une expérience vécue par certains dès le collège. Parmi les collégiens de 3ème, 34 % déclarent avoir déjà connu ce type d’ivresse. À 17 ans, 59 % des garçons et des filles rapportent avoir déjà été ivres au cours de leur vie et 53 % déclarent avoir vécu au cours du mois précédant l’enquête, une alcoolisation ponctuelle importante (API, à savoir la consommation d’au moins 5 verres d’alcool en une même occasion). Les API au cours du mois sont en hausse continue : 46 % en 2005, 53 % en 2011.

En 2011, si la France occupe une position médiane en Europe pour les alcoolisations ponctuelles importantes à 16 ans, elle se situe au-dessus de la moyenne pour la consommation régulière d’alcool.

Dommages & vulnérabilité des adolescents

Comparé à l’adulte, la consommation d’alcool chez l’adolescent, et notamment l’intoxication massive, exerce des effets neurotoxiques plus prononcés sur le cerveau, aussi bien au niveau structural (par exemple sur la génération de nouveaux neurones/neurogenèse) que fonctionnel, ce qui se traduit par une plus grande interférence avec les fonctions cognitives (apprentissage/mémoire). Il a été documenté que les atteintes morphologiques et fonctionnelles sont plus importantes chez les filles que chez les garçons du même âge. Les déficits observés à moyen terme sont proportionnels à la quantité d’alcool consommée.

Les jeunes sont moins sensibles aux effets « négatifs » de l’alcool (hypnose, hypothermie, incoordination motrice…) mais plus réceptifs aux effets ressentis comme « positifs » (désinhibition, facilitation des interactions sociales…).

  • Tabac

En 2011, en France, plus de 2 jeunes sur 3 âgés de 17 ans (68 %) ont expérimenté le tabac.

Le tabac est le premier produit psychoactif consommé quotidiennement à l’adolescence : à 17 ans, 30 % des filles et 33 % des garçons sont fumeurs quotidiens. Selon les données de 2011, on observe des usages quotidiens dès le collège (8 % parmi les élèves de 4ème et 16 % parmi ceux de 3ème). Il est observé une légère augmentation du tabagisme quotidien entre 2008 et 2011.

La France se situe en 2011 parmi les pays européens où la prévalence du tabagisme chez les jeunes âgés de 16 ans est la plus élevée.

Dommages associés

Outre le risque élevé de dépendance, le tabac entraîne de nombreuses conséquences sanitaires à long terme bien connues (pathologies respiratoires, cardiovasculaires, cancers…).

  • Cannabis

En France, le cannabis est le premier produit psychoactif illicite consommé à l’adolescence. En 2011, 42 % des adolescents de 17 ans ont déjà fumé du cannabis au moins une fois (39 % des filles et 44 % des garçons). Les garçons sont plus consommateurs que les filles qui expérimentent plus tardivement le produit.

Les premières expérimentations, encore très rares à l’entrée au collège, sont observées dès les dernières années de collège (11 % des élèves de 4ème, 24 % des élèves de 3ème) et concernent près d’un lycéen sur 2 en 2011.

Les usages réguliers de cannabis (au moins dix fois dans le mois) concernent 2 % des élèves de 3ème en 2010-2011, 6 % des élèves de 2nde, 7 % des élèves de terminale. Parmi les adolescents âgés de 17 ans, 5 % présenteraient en 2011 un risque d’usage problématique voire de dépendance : 7 % des garçons et 3 % des filles.

La France, avec le Canada, la République tchèque, la Suisse, les États-Unis et l’Espagne, se situe en 2011 parmi les pays où la prévalence de consommation de cannabis chez les adolescents est la plus élevée.

Dommages & vulnérabilité des adolescents

Dans les heures qui suivent l’usage de cannabis, les troubles cognitifs observés concernent l’attention, le temps de réaction, la mémoire de travail, et les fonctions exécutives. Il existe par ailleurs une corrélation significative entre l’usage et divers « passages à l’acte » (tentatives de suicide, boulimie, comportements sexuels à risque…) dus à la levée de l’inhibition comportementale.

Ces troubles cognitifs ont tendance à disparaître dans le mois suivant l’arrêt de la consommation.  Chez l’adolescent, certains de ces troubles peuvent persister, y compris après sevrage, en particulier si la consommation a débuté avant l’âge de 15 ans. Les troubles cognitifs observés à long terme sont corrélés à la dose, la fréquence, la durée d’exposition et à l’âge de la première consommation de cannabis.

La consommation régulière de cannabis a des effets à long terme qui peuvent altérer les résultats scolaires, et les relations interpersonnelles.

Enfin, l’usage de cannabis peut également précipiter la survenue de troubles psychiatriques (troubles anxieux, troubles dépressifs, symptômes psychotiques et schizophrénie) chez l’adolescent. Concernant les troubles psychotiques, ce risque peut être modulé par certains facteurs génétiques, l’âge d’exposition et l’existence préalable d’une vulnérabilité à la psychose (antécédents familiaux).

  • Autres substances et polyconsommations

==> Médicaments psychotropes et autres produits illicites

En 2011, 41 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir pris au cours de leur vie au moins un médicament psychotrope. Les médicaments psychotropes les plus fréquemment expérimentés sont : les anxiolytiques (15 %), les somnifères (11 %), puis les antidépresseurs (6 %).

Les expérimentations de produits illicites autres que le cannabis, comme les amphétamines (dont l’ecstasy), les champignons hallucinogènes, le LSD, la cocaïne ou encore l’héroïne, n’apparaissent qu’à la fin de l’adolescence, dans des proportions comprises entre 3 % pour les champignons hallucinogènes et la cocaine, et 0,8 % pour l’héroïne. La plupart de ces expérimentations sont en baisse sur la période 2008-2011, en particulier celle de l’ecstasy.

À 17 ans, on n’observe quasiment pas d’usage répété dans le mois de substances illicites autres que le cannabis. Seuls les produits à inhaler comme les colles, les solvants ou les poppers présentent des niveaux d’expérimentation relativement élevés à cet âge (9 % disent avoir expérimenté ces derniers).

==> Boissons énergisantes et prémix

Les boissons énergisantes sont consommées seules ou mélangées à de l’alcool, à l’instar des prémix (ou alcopops), mélange de sodas et d’alcools forts titrant de 5 à 8 degrés. À tous les âges de l’adolescence, les garçons sont plus souvent consommateurs de boissons énergisantes que les filles. En France, la consommation de boissons énergisantes est passée de 20 % en 6ème à 36 % en 2nde.

L’usage des prémix reste relativement moins fréquent que celui des autres grandes catégories de boissons alcoolisées. L’engouement des jeunes, notamment des filles pour ce type de boissons très sucrées et au goût masquant largement le degré d’alcool a été freiné par la mise en place en France d’une taxe très élevée spécifique à ces produits.

L’association des boissons énergisantes à des boissons alcoolisées a été identifiée comme présentant des risques : elle augmente les conséquences de l’alcool et notamment le risque de rapports sexuels non protégés. Par ailleurs, il pourrait y avoir un lien entre la consommation de boissons énergisantes associées à l’alcool et la survenue ultérieure d’une dépendance à l’alcool.

==> Polyconsommations

À 17 ans, 4 % des adolescents se déclarent à la fois fumeurs quotidiens de tabac et consommateurs réguliers (au moins 10 fois par mois) de boissons alcoolisées ou à la fois fumeurs quotidiens de tabac et réguliers de cannabis. Enfin, 2 % sont polyconsommateurs réguliers de tabac, alcool et cannabis.

Pratiques des jeux vidéo/Internet et des jeux de hasard et d’argent[4] et dommages associés

Dans le cas des jeux vidéo/Internet et des jeux de hasard et d’argent, on parle de pratique sociale ou récréative (c’est-à-dire d’usage simple), de pratique à risque ou problématique (c’est-à-dire d’abus) et de jeu pathologique ou excessif (c’est-à-dire la dépendance).

  • Pratique des jeux vidéo /Internet

En 2011, parmi les 80 % des 17 ans déclarant avoir utilisé Internet durant les sept derniers jours, environ 1/4 l’utilise entre 2 et 5 heures par jour ; moins d’1/5 entre 5 et 10 heures et 1/10 plus de 10 heures par jour.

Selon les outils de mesure utilisés et les pays, la prévalence d’utilisation problématique d’Internet par les adolescents varierait de 2 à 12 %. En France, en 2011, des premières estimations révèlent que 3 à 5 % des adolescents de 17 ans seraient concernés.

Par ailleurs, 5 % des adolescents de 17 ans joueraient aux jeux vidéo entre 5 et 10 heures par jour. Si les garçons totalisent des durées moyennes de pratique des jeux plus élevées que les filles, le temps passé devant l’écran est identique, les filles utilisant davantage les réseaux sociaux.

Alors que les jeux vidéo peuvent présenter des aspects positifs, notamment sur le développement des fonctions cognitives et spatiales, ils peuvent entraîner une perte de contrôle et un comportement problématique. Parmi les différents types de jeux, les MMORPG (Massive Multiplayer Online Role Playing Games) auxquels les garçons jouent le plus souvent, sont décrits comme potentiellement très addictogènes.

Parmi les joueurs (tous types de jeux vidéo) de 17 ans, 26 % disent avoir rencontré au cours de l’année écoulée, à cause de leur pratique de jeu, des problèmes à l’école ou au travail et environ 4 % des problèmes d’argent.

Dommages associés

Au-delà du temps passé qui s’avère parfois très long, des problèmes d’ordres psychique et somatique peuvent survenir en cas d’usage excessif : troubles du sommeil, irritabilité, tristesse, anxiété, isolement, baisse des performances scolaires, difficultés rencontrées avec les parents… Une pratique problématique des jeux vidéo peut favoriser l’usage de substances (tabac, cannabis, alcool, boissons énergisantes…) et augmenter le risque de sédentarité et de surpoids.

  • Pratique des jeux de hasard et d’argent

En France comme dans la plupart des pays occidentaux, la pratique des jeux de hasard et d’argent est illégale avant 18 ans. Pourtant, selon les études internationales, les mineurs pratiquent les jeux de hasard et d’argent : 80 % ont déjà joué au cours de la vie et 10-20 % ont une pratique hebdomadaire.

L’initiation a lieu le plus souvent à l’adolescence (voire même au début de l’adolescence selon certains auteurs), généralement dans le cercle familial ; les garçons jouent plus que les filles, quel que soit le pays étudié ou la période de référence.

En France, la pratique des jeux de hasard et d’argent chez les adolescents de 17 ans a été explorée pour la première fois en 2011 : 44 % ont déjà joué au cours de leur vie et 10 % ont joué au cours de la semaine. Parmi les jeunes de 17 ans ayant joué dans la semaine écoulée, 14 % seraient des joueurs à risque modéré et 3 % des joueurs excessifs. On peut donc considérer que 1,7 % des adolescents de 17 ans pourraient présenter une pratique des jeux à risque modéré ou excessive.

En France, les adolescents jouent principalement à des jeux de grattage et de tirage achetés dans un bureau de tabac. La possibilité de jouer en ligne est particulièrement attractive pour les jeunes, même mineurs. Près de 14 % des adolescents de 17 ans ont déclaré avoir joué à un jeu de hasard et d’argent sur Internet au moins une fois dans l’année écoulée.

Dommages associés

Si la dérive addictive liée à la pratique des jeux n’entraîne pas directement de dommages physiques, elle peut avoir des conséquences négatives (usage de substances psychoactives, symptômes dépressifs et anxieux, risque suicidaire, pertes financières, diminution des performances scolaires, activités délictueuses…). Les travaux évaluant les dommages du jeu problématique/pathologique à l’adolescence sont encore rares même si l’on constate que la prévalence du jeu problématique/pathologique est plus élevée chez les adolescents que chez les adultes.

Facteurs associés aux usages problématiques

Les facteurs psychologiques (mauvaise estime de soi, manque de confiance en soi…), socioéconomiques, scolaires (parcours scolaire perturbé) et familiaux (transmission intergénérationnelle des conduites addictives) concourent aux usages problématiques des substances ou aux pratiques aboutissant à des conduites addictives.

Alors que les adolescents issus de milieux favorisés ont des niveaux d’expérimentation plus élevés, les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés ou qui ont des difficultés scolaires ont un risque plus élevé de s’engager dans une consommation régulière excessive de tabac, alcool ou cannabis. De même, les jeunes dont les parents présentent des conduites addictives ont un risque majoré de consommation régulière ou excessive : les enfants de fumeurs sont 2 fois plus souvent eux-mêmes fumeurs, les enfants de consommateurs excessifs d’alcool sont 2 fois plus souvent eux-mêmes consommateurs réguliers d’alcool. Il en est de même au sujet de la pratique des jeux de hasard et d’argent.

La cohésion familiale (entente entre parents et enfants, connaissance qu’ont les parents de l’entourage et des activités de leurs enfants) réduit le risque de conduites addictives des adolescents.

Les experts notent également le rôle influent du cercle amical et de l’ensemble des produits marketing et des informations publicitaires déployés par les industriels qui incitent les jeunes à acheter les produits addictifs licites (tabac, alcool, jeux dans leur globalité). Ces publicités et outils marketing peuvent par ailleurs limiter l’efficacité des programmes de prévention destinés aux jeunes.

Enfin, il faut souligner le rôle des facteurs génétiques dans le risque de dépendance. Selon les études, une part non négligeable du risque de développer une addiction serait attribuable à des facteurs génétiques, parmi lesquels de nombreux gènes candidats ont été identifiés en fonction des produits.

Accompagnement des adolescents et stratégies de prévention

  • Accompagnement des adolescents

L’accompagnement sur les lieux de vie de l’adolescent repose sur une intervention précoce et des stratégies de réduction des risques. L’intervention précoce consiste à agir le plus tôt possible afin de ne pas laisser s’installer les comportements à risque ; les stratégies de réduction des risques visent à réduire les dommages sans rechercher l’abstinence. L’accompagnement dans les lieux de consultation et les traitements en milieu hospitalier/résidentiel a pour objectif  la réduction des consommations, voire un sevrage.

Les « Consultations jeunes consommateurs » (CJC), gratuites, anonymes et mises en place depuis 2004, sont des lieux d’accueil et de prise en charge dédiés aux jeunes consommateurs de substances psychoactives. Ces consultations proposent des prises en charge validées au niveau scientifique. Les « entretiens motivationnels » réalisés en consultation externe se fondent sur la nécessité de mettre en lumière et d’appuyer la motivation de l’adolescent pour qu’il puisse changer le(s) comportement(s) addictif(s). Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) fournissent aux jeunes des stratégies alternatives pour gérer des situations qui concourent au passage à l’acte addictif et les thérapies familiales mobilisent les parents et leur environnement pour encadrer et accompagner le jeune. Elles ont montré leur efficacité dans le contexte des CJC en France et en Europe. Elles s’avèrent davantage efficaces pour les situations sévères, les moins de 16 ans et lorsque les troubles du comportement sont importants.

D’autres approches existent comme les approches psychodynamiques, centrées sur l’individu et le renforcement « du moi ». Elles servent le plus souvent de modèle de compréhension que de base d’action.

En cas d’échec des soins ambulatoires, les soins résidentiels qui incluent les hospitalisations longues et les postcures, permettent une évaluation et un suivi global de l’adolescent (addictions et insertion/scolarisation).

  • Stratégies de prévention efficaces 

Plusieurs stratégies d’interventions ont montré des effets bénéfiques sur la prévention ou la diminution de la consommation de substances psychoactives. En particulier, trois types d’intervention sont le plus souvent présents dans les programmes validés comme efficaces : le développement des compétences psychosociales[5] des jeunes (gestion des émotions, prise de décisions, estime de soi) et de leurs parents (amélioration de la communication, gestion des conflits) ; les stratégies à composantes multiples (intégrant au niveau local d’autres acteurs que l’école et les parents en plus du développement des compétences des jeunes et des parents).

Il existe également d’autres types d’interventions : les interventions d’aide à distance (ordinateur ou téléphone mobile); les campagnes dans les médias (notamment pour la réduction du tabac) ou encore les actions législatives et réglementaires visant à limiter l’accès aux produits addictifs.

Recommandations

Les experts soulignent que les actions à développer doivent cibler en priorité l’alcool et le tabac, voire le cannabis, en raison des niveaux d’usage et des dommages associés qui prédominent sur les autres substances et les jeux.

Les recommandations d’actions préconisées par le groupe d’experts ont trois objectifs principaux :

==> Prévenir l’initiation ou en retarder l’âge 

Le groupe d’experts recommande de sensibiliser le public et les différents acteurs (jeunes, parents, intervenants du secteur scolaire, parascolaire ou médical…) à la vulnérabilité de l’adolescent et aux dangers associés à une initiation précoce. Il s’agirait de renforcer, sans dramatiser, les messages décrivant l’impact durable sur la santé, et en particulier sur le cerveau, d’une consommation massive et rapide d’alcool ainsi que d’une consommation régulière de cannabis pendant l’adolescence. Pour modifier les motivations, les attentes et les représentations existantes de ces produits, les campagnes média doivent être accompagnées de mesures éducatives et législatives.

Pour prévenir l’initiation, les experts soulignent également l’importance du développement des compétences psychosociales des adolescents. Cela pourrait s’inscrire dans des activités de groupe, notamment en milieu scolaire, et être en adéquation avec l’entrée dans la consommation des différents produits (10-12 ans par exemple pour le tabac).

Les adolescents demeurent très sensibles aux messages véhiculés par les parents. C’est pourquoi le groupe d’experts recommande d’informer régulièrement les parents sur les dommages liés aux consommations précoces, sur l’évolution des modes de consommation chez les jeunes et sur les codes marketing qui leur sont destinés et qui visent à promouvoir la consommation. Il s’agit d’aider les parents à avoir l’attitude la mieux adaptée à la situation.

En renforçant la formation des intervenants en milieu scolaire, sportif ou de loisir, l’ensemble des acteurs en contact avec les adolescents seraient informés des problématiques addictives et formés au repérage précoce des adolescents et aux interventions qui peuvent être réalisées.

Afin de mieux encadrer la vente du tabac et de l’alcool, les experts préconisent que l’achat de ces produits soit systématiquement assorti de la présentation d’un document officiel indiquant l’âge. Ils mettent l’accent sur le respect et le renforcement des lois réglementant la publicité qui favorise également la pratique précoce des jeux de hasard et d’argent. Il conviendrait également d’assurer une meilleure visibilité du contenu des jeux vidéo grâce à la présence et l’amélioration des logos définissant les classifications d’âge et de contenus.

==> Eviter les usages réguliers et les dommages sanitaires et sociaux

Pour éviter l’installation d’une conduite addictive, le groupe d’experts préconise d’améliorer le repérage des usages à risque et les interventions précoces, de renforcer les actions de première ligne telles que les « Consultations Jeunes Consommateurs » en formant le personnel aux méthodes de prise en charge précoce et de former un certain nombre aux thérapies ayant fait preuve de leur efficacité (TCC, thérapie familiale type MDFT[6]). En cas d’échec des soins en ambulatoire, une prise en charge des adolescents présentant des conduites addictives devrait être proposée dans les centres spécialisés et en milieu résidentiel.

L’existence de souffrances ou de troubles psychiques associés à une consommation excessive ou à des pratiques addictives exige de renforcer les liens entre les dispositifs d’addictologie et les services de pédopsychiatrie/psychiatrie, notamment ceux spécialisés dans l’évaluation et l’intervention précoce chez le jeune adulte ainsi qu’avec les maisons des adolescents.

Enfin, le groupe d’experts recommande d’améliorer la coopération des professionnels de l’éducation, de la santé et de la justice (lien avec les juges pour enfants et la protection judiciaire de la jeunesse) pour optimiser l’orientation et la prise en charge.

==> Assurer une coordination nationale et régionale des acteurs territoriaux

Le groupe d’experts souligne la nécessité de soutenir et développer au niveau local des structures publiques transversales d’animation dédiées aux addictions afin d’assurer une coordination régionale des acteurs territoriaux. Le recensement des actions de prévention à l’échelle régionale en France, permettrait de connaître et de diffuser les stratégies de prévention validées et de proposer des recommandations à l’intention des établissements scolaires et collectivités territoriales. Pour assurer cette coordination, les experts recommandent la mise en place d’une commission d’évaluation des programmes de prévention, qui sont actuellement rarement évalués.

Des recommandations de recherche ont également été formulées :

Des recherches multidisciplinaires, cliniques et fondamentales associées à des études longitudinales doivent être soutenues afin de suivre les trajectoires de consommations et de vie afin de mieux connaître les usages, les facteurs de risque, de résilience et les effets sanitaires et sociaux (conséquences sur la scolarité par exemple) de la consommation de substances psychoactives ou la pratique de jeux menant à des conduites addictives.

Les recherches en sciences humaines et sociales, notamment sur les motivations des adolescents et leurs pratiques sociales, apparaissent nécessaires pour des interventions de prévention plus efficaces.

Les experts insistent sur l’intérêt de développer, évaluer et valider les outils de dépistage et les stratégies de prise en charge des jeunes présentant des conduites addictives.
Ils recommandent également de conduire des recherches sur les moyens de prévenir les pratiques addictives des jeunes (rôle des technologies numériques par exemple).

Sensibiliser les jeunes aux addictions par la recherche : le pari du programme Apprentis-Chercheurs MAAD (Mécanismes des Addictions à l’Alcool et aux Drogues)

« On a cherché à voir s’il y avait une différence entre les individus addicts et ceux n’ayant jamais touché à la drogue » ; « on a coloré des coupes de cerveaux pour voir quels sont les différents neurones impliqués dans l’addiction » ; « on a calculé le taux d’expression des gènes après consommation ». Voilà quelques propos tenus par les adolescents qui ont été sélectionnés pour le programme MAAD et ont travaillé tout au long de l’année scolaire, à raison de 1 ou 2 mercredi après-midi par mois, dans un des 5 laboratoires de recherche sur les addictions participant au programme, à Amiens, Bordeaux, Marseille, Paris et Poitiers.

Piloté par l’Inserm et financé par la Mildt, le projet MAAD s’appuie sur le dispositif Apprentis-Chercheurs mis en place par l’association Arbre des connaissances créée en 2004 par des chercheurs de l’Institut d’Hématologie de l’hôpital St Louis et dont l’objectif principal est d’intéresser les jeunes aux questions de science par la pratique de la recherche expérimentale.

Encadrés par un chercheur senior de l’équipe d’accueil, les jeunes, en binôme constitué par un collégien en classe de 3ème et un lycéen en classe de 1èreS, sont engagés dans une vraie démarche expérimentale : question scientifique, planification et  réalisation des expériences, analyse des résultats. Dix binômes ont pu être accueillis. Plasticité synaptique, expression génomique, immuno-histochimie, méthodes d’analyse comportementale, électrophysiologie… n’ont plus de secrets pour eux.

Après le laboratoire vient le temps de la communication. A l’occasion des congrès qui se sont tenus dans chaque ville, les apprentis-chercheurs MAAD, comme des scientifiques chevronnés, présentent leurs travaux au public, élèves de leur établissement scolaire, parents, enseignants…. , devenant ainsi des médiateurs scientifiques ; les 5 congrès organisés ont réuni environ 500 personnes.

Le regard des apprentis-chercheurs MAAD sur les drogues a changé : « c’est intéressant de savoir pourquoi on devient addict » ; « j’ai compris que l’addiction ne relève pas seulement de la volonté de l’individu » ; «  ce n’est pas seulement une faiblesse de l’esprit »…

Autant de messages et d’autres encore qui seront relayés par la génération suivante d’apprentis-chercheurs MAAD, car l’aventure continue. En effet, la deuxième édition du programme, 2013-2014, s’appuie sur 9 laboratoires et s’est élargie au tabac et au cannabis.

Pour plus d’informations et assister à une séance MAAD le mercredi après-midi et/ou aux congrès de fin d’année qui auront lieu du 2 au 10 Juin 2014 dans toute la France: rf.mresni@esserp


[1]  Plan adopté le 19 Septembre 2013. http://www.drogues.gouv.fr/site-professionnel/la-mildt/plan-gouvernemental/plan-gouvernemental-2013-2017/

[2] Depuis la fin des années 1990, trois enquêtes documentent les usages de produits psychoactifs en population adolescente : HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), Espad (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs) et Escapad (Enquête sur la santé et les consommations réalisée lors de la Journée Défense et Citoyenneté) permettant de couvrir l’ensemble de la période 11-17 ans.

[3] D’après les enquêtes HBSC, Espad et Escapad

[4] D’après l’enquête Escapad

[5] Capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne (OMS)

[6] Thérapie familiale multidimensionnelle

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François BECK, Inpes, Département Enquêtes et Analyses Statistiques, Saint Denis ; Cermes 3, Équipe Cesames, Villejuif Alain DERVAUX, Service d’addictologie, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris ; Centre de Psychiatrie et Neurosciences (CPN), UMR 894 Inserm Université Paris Descartes, Équipe Physiopathologie des maladies psychiatriques, GDR en Psychiatrie 3557, Paris Enguerrand DU ROSCOÄT, Inpes, Département des affaires scientifiques, Saint Denis ; LAPPS (Laboratoire Parisien de Psychologie Sociale), EA 4386, Université Paris Ouest Nanterre-La Défense Karine GALLOPEL-MORVAN, École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP), Équipe de recherche en Management des Organisations de Santé (MOS), Rennes Marie GRALL-BRONNEC, Service d’Addictologie, Centre Hospitalier Universitaire, EA 4275, Université, Nantes Laurence KERN, Centre de recherches sur le sport et le mouvement (CeSRM), EA 2931 UFR STAPS, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense Marie-Odile KREBS, Service Hospitalo Universitaire, Centre d’évaluation du jeune adulte et adolescent, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris ; Centre de Psychiatrie et Neurosciences (CPN), UMR 894 Inserm Université Paris Descartes, Équipe Physiopathologie des maladies psychiatriques ; GDR en Psychiatrie 3557, Paris Stéphane LEGLEYE, Institut national d’études démographiques (INED), Paris ; Inserm U 669, Paris ; Université Paris-Sud et Université Paris Descartes, UMR-S0669, Paris Maria MELCHIOR, Inserm U 1018, CESP, Épidémiologie des déterminants professionnels et sociaux de la santé, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif Mickaël NAASSILA, Inserm ERi24-GRAP (Groupe de recherche sur l’Alcool et les Pharmacodépendances), Université de Picardie Jules Verne, UFR de Pharmacie, Amiens Patrick PERETTI-WATEL, ORS PACA-UMR 912, Marseille Olivier PHAN, Consultation Jeunes Consommateurs, Centre Pierre Nicole, Croix rouge Française, Paris ; Unité d’addictologie, Clinique Dupré Fondation Santé des Étudiants de France, Sceaux ; Inserm U 669 Maison des Adolescents, Paris Lucia ROMO, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense, EA 4430 CLIPSYD, UFR SPSE ; Centre de Psychiatrie et Neurosciences (CPN), Inserm U 894, Équipe Analyse génétique et clinique des comportements addictifs et psychiatriques ; Centre Hospitalier Sainte Anne, Paris Stanislas SPILKA, Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Pôle Enquêtes en population générale, Saint Denis la Plaine ; Inserm U 669, Paris La coordination de cette expertise a été assurée par le pôle « expertise collective » rattaché à l’ITMO Santé publique.
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rf.mresni@esserp Tel : 01 44 23 60 98
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