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La caféine est la substance psychoactive la plus consommée au monde, y compris pendant la grossesse. Christophe Bernard, directeur de recherche Inserm et son équipe au sein de l’unité 1106 Institut de Neurosciences des Systèmes” (Inserm/Université Aix Marseille), viennent de décrire pour la première fois certains effets néfastes de la consommation de café par les souris femelles pendant la grossesse sur le cerveau de leur descendance. Les chercheurs révèlent que cette substance affecte le cerveau en développement, entraînant chez la progéniture une plus grande sensibilité aux crises d’épilepsie et des problèmes de mémoire. Cette étude, bien qu’ayant recours à un modèle animal, pose la question des conséquences de la consommation de caféine par la femme enceinte.
Ces résultats sont publiés dans la revue Science Translational Medicine, datée du 7 août 2013.
De nombreuses substances agissent directement sur le fonctionnement du cerveau, en modifiant l’activité des neurones. C’est le cas des antidépresseurs, des anxiolytiques, de la nicotine, de l’alcool et des drogues récréatives comme le cannabis, l’héroïne, la cocaïne etc. Ces substances, appelées psychoactives, se fixent sur des molécules situées dans les cellules cérébrales et modifient leur activité. Lorsqu’elles sont consommées pendant la grossesse, ces substances psychoactives risquent d’affecter la construction du cerveau du fœtus car les molécules sur lesquelles elles se fixent jouent un rôle clé dans le développement cérébral. C’est pour cette raison que la consommation de certaines de ces substances est fortement déconseillée pendant la grossesse.
Les chercheurs de l’unité 1106 Institut de Neurosciences des Systèmes” (Inserm/Université Aix Marseille) ont reproduit chez des souris femelles une consommation de café régulière (équivalent de 2-3 cafés par jour chez l’Homme), tout au long de la période de gestation (19-20 jours) jusqu’au sevrage de la progéniture, en ajoutant de la caféine dans l’eau de boisson.
“Les bébés souris étaient beaucoup plus sensibles aux crises d’épilepsie et, une fois devenues adultes, nous avons observé qu’elles présentaient d’importants problèmes de mémoire spatiale, c’est-à-dire des difficultés à se repérer dans leur environnement” explique Christophe Bernard, directeur de recherche à l’Inserm et principal auteur de l’étude.
Neurones en migration ©Inserm / Christine Métin – Christophe Bernard
L’équipe de recherche est parvenue à identifier le mécanisme par lequel la caféine affecte le cerveau en construction. Pendant son développement, certaines cellules naissent dans des régions cérébrales particulières, puis elles migrent vers les régions dans lesquelles elles sont destinées à fonctionner. C’est le cas des neurones qui libèrent le GABA – un des principaux médiateurs chimiques du cerveau- et qui vont migrer, notamment, vers l’hippocampe, une région cérébrale impliquée dans les processus de mémorisation.
La caféine va directement influencer la migration de ces neurones qui contiennent un récepteur particulier (A2AR). En s’y fixant, la caféine ralentit leur vitesse de déplacement. Ces cellules arrivent alors plus tard que prévu à l’endroit où elles étaient destinées à s’établir. Ce retard de migration va se répercuter tout au long du développement et entrainer des effets néfastes sur le cerveau des souris à la naissance (excitabilité cellulaire et sensibilité aux crises d’épilepsie) et à l’âge adulte (perte de neurones et problèmes de mémoire).
Vidéo de la migration des neurones :
©Inserm / Christine Métin – Christophe Bernard
Etant données leurs observations chez la souris et la fréquence de la consommation de café chez les femmes enceintes, les auteurs suggèrent de développer des études longitudinales pour évaluer, à court et surtout à long terme, les conséquences chez les nouveau-nés. Ces derniers ont pu être exposés à la caféine soit pendant la grossesse et/ou pendant l’allaitement, soit dans le cas d’un traitement de l’apnée du nourrisson à base de citrate de caféine. “L’ensemble de ces données permettraient aux cliniciens d’affiner les recommandations élaborées à l’intention des femmes enceintes” explique Christophe Bernard, directeur de recherche à l’Inserm.
“Cette étude est la première démonstration des effets néfastes de l’exposition à la caféine sur le cerveau en développement. Bien qu’elle pose la question de la consommation de café chez la femme enceinte, il est nécessaire de rappeler la difficulté, liée à l’utilisation de modèles animaux, d’extrapoler ces résultats à la population humaine sans prendre en compte les différences de développement et de maturation entre les espèces”
, conclut Christophe Bernard.
1 AixMarseille Université, INS, 13005Marseille, France.
2 Inserm, UMR_S 1106, 13005Marseille, France.
3 Center for Neuroscience and Cell Biology, University of Coimbra, 3004-517 Coimbra, Portugal.
4 INSERM UMR-S 839, Institut du Fer à Moulin, 75005 Paris, France.
5 Université Pierre et Marie Curie, 75005 Paris, France.
6 Experimental Neuropediatrics, University Medical Center Hamburg-Eppendorf, 20246 Hamburg,Germany.
7 Department of Anatomy, Croatian Institute for Brain Research, School of Medicine, University of Zagreb, 10000 Zagreb, Croatia.
8 PharmaCenter Bonn, Pharmaceutical Institute, Pharmaceutical Chemistry I, Pharmaceutical Sciences Bonn, University of Bonn, 53121 Bonn, Germany.
9 Department of Life Sciences, Faculty of Sciences and Technology, University of Coimbra,3030-790 Coimbra, Portugal.
10 Faculty of Medicine, University of Coimbra, 3004-504 Coimbra, Portugal.