En étudiant les cellules immunitaires dans le poumon, des chercheurs de l’Institut Curie et de l’Inserm ont apporté de nouvelles connaissances sur le sujet. © Fotolia
Cancer et vieillissement sont des processus intimement liés et pourtant, les mécanismes au cœur de cette relation demeurent assez méconnus. En étudiant les cellules immunitaires dans le poumon, des chercheurs de l’Institut Curie et de l’Inserm ont apporté de nouvelles connaissances sur le sujet. Ils révèlent notamment que cibler les ruptures de l’enveloppe nucléaire de ces cellules représenterait une nouvelle opportunité d’intervention thérapeutique dans les maladies liées à l’âge, notamment le cancer, améliorant ainsi la qualité de vie des personnes âgées sur le long terme. Financés par la Fondation ARC, ces travaux viennent d’être publiés dans la revue Nature Aging.
L’âge est l’un des principaux facteurs de risques pour le développement de nombreuses pathologies telles que les infections virales ou bactériennes, les maladies neurodégénératives mais également les cancers. Les enjeux économiques et sociétaux liés au vieillissement global de la population constituent un défi majeur. Par ailleurs, la notion de « vieillissement en bonne santé » suggère de plus en plus que cibler le vieillissement plutôt que ses conséquences est une bien meilleure stratégie pour diminuer la morbidité de la population âgée.
En France, plus des deux tiers des nouveaux cancers diagnostiqués surviennent chez les personnes âgées de plus de 65 ans[1]. L’apparition des cancers avec l’âge s’explique notamment par l’accumulation d‘altérations génétiques au cours de la vie, de mécanismes de réparation de l’ADN moins efficaces, mais aussi par un système immunitaire vieillissant, aux fonctions protectrices diminuées (immunosénescence). Quels sont les mécanismes qui régissent ce phénomène ? Comment développer de nouvelles stratégies pour contrecarrer l’immunosénescence ?
Le noyau des cellules immunitaires sensible aux déformations
C’est à ces questions que des scientifiques de l’Inserm et de l’Institut Curie ont tenté de répondre. Avec le temps, l’ADN devient fragile et l’un des marqueurs caractéristiques du vieillissement des cellules est l’instabilité génomique. Or, lorsqu’elles patrouillent dans les différents tissus de l’organisme, les cellules du système immunitaire sont sensibles aux déformations qui fragilisent leur noyau et favorisent les cassures d’ADN. Pour maintenir la structure du noyau et donc l’intégrité génomique, la cellule s’appuie sur un réseau dense de protéines dont font partie les lamines. Parmi elles, la lamine A/C est particulièrement étudiée car elle subit des altérations au cours du vieillissement. En outre, des mutations au niveau du gène qui code pour cette protéine sont connues pour être à l’origine de syndromes de vieillissement précoce.
« Des ruptures répétées de l’enveloppe nucléaire conduisent à des dommages de l’ADN. Il est essentiel de bien comprendre les processus en jeux à ce niveau car ils favorisent non seulement le vieillissement de l’organisme mais aussi le développement de cancers. Par exemple, les ruptures du noyau rendent l’ADN « visible » par des protéines de dégradation, déclenchant alors une réponse de la cellule qui va favoriser le développement des métastases », explique le Dr Nicolas Manel, directeur de recherche à l’Inserm et chef d’équipe à l’Institut Curie.
Observation en microscopie « 2-photons » de la déformation extrême d’un macrophage alvéolaire, lors de son passage entre deux alvéoles. Au cours de ces migrations, le noyau se déforme aussi, et c’est à ce moment que l’ADN peut être endommagé.
Une protéine mise en cause dans le poumon : la lamine A/C
A l’Institut Curie, l’équipe Immunité innée du Dr Nicolas Manel, directeur de recherche à l’Inserm, a donc étudié un nouveau modèle expérimental dans lequel les cellules du système immunitaire sont déficientes en lamine A/C. Les chercheurs ont scruté une population de macrophages des poumons – les macrophages alvéolaires – qui sont fortement dépendants de la lamine A/C pour leur survie. Ces macrophages alvéolaires ont pour rôle de surveiller les poumons en permanence et ils constituent l’une des voies d’entrée principales pour de nombreux pathogènes.
Les chercheurs ont montré qu’en absence de lamine A/C, les macrophages alvéolaires présentent de graves signes de fractures de leur noyau et des dommages au niveau de l‘ADN, entraînant une diminution drastique de leur nombre dans les poumons. De plus, les macrophages alvéolaires survivants présentent de nombreuses caractéristiques similaires à celles des macrophages alvéolaires âgés et accumulent des marqueurs caractéristiques du vieillissement. L’équipe a également mis en évidence qu’en absence de lamine A/C dans les macrophages, l’implantation et la croissance des tumeurs pulmonaires est bien plus rapide, favorisée par le dysfonctionnement des macrophages âgés.
La perte de lamine A/C représenterait donc un mécanisme de vieillissement des macrophages alvéolaires et un modèle d’étude de choix pour comprendre comment les cancers du poumon se développent chez les personnes âgées.
« Nos résultats ouvrent de nombreuses perspectives pour l’étude du vieillissement du système immunitaire provoqué par la rupture de l’enveloppe nucléaire et la diminution de son efficacité contre les infections et les tumeurs, dans les poumons, mais aussi dans d’autres organes », conclut le Dr Nicolas Manel.
Ces travaux sont financés à hauteur de 2,5 millions d’euros dans le cadre de l’appel à projet « Cancer et Vieillissement » de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.
[1] Source INCa : https://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-sante/L-organisation-de-l-offre-de-soins/Oncogeriatrie/Epidemiologie
Nuclear envelope disruption triggers hallmarks of aging in lung alveolar macrophages.
De Silva, N.S., Siewiera, J., Alkhoury, C. et al
Nature Aging (2023)