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Le palmarès 2013 des prix scientifiques de la Fondation Bettencourt Schueller récompense des chercheurs du CNRS et de l’Inserm

Quatre laboratoires français de recherche de premier plan du CNRS et de l’Inserm, renommés pour la qualité de leurs équipes et le caractère prometteur de leurs recherches, ont reçu le 26 février 2014, les prix Coups d’élan pour la recherche française attribués chaque année par la Fondation Bettencourt Schueller. Ils doivent permettre d’optimiser leurs infrastructures et d’aider ponctuellement à leur fonctionnement.

Pour l’Inserm ont été récompensés :

  •  L’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (Inserm/ Université Toulouse III – Paul Sabatier).

Lauréat : Céline Galés, Chargée de recherche Inserm à Toulouse

  •  Le Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (Inserm/ CNRS/UPMC)

Lauréat : Benoît Salomon, Directeur de recherche Inserm à Paris

Les 1 900 000 euros attribués aux chercheurs français d’excellence distingués dans le palmarès 2013 des prix scientifiques de la Fondation Bettencourt Schueller encouragent des parcours en recherche biomédicale extrêmement divers, mettant en œuvre des stratégies d’inspiration et d’innovation des plus fondamentales, pour comprendre les mécanismes du vivant, aux plus proches de l’application thérapeutique future. Les travaux des six principaux lauréats 2013 s’appliquent à :

  • l’immunologie – comprendre la persistance virale du VIH et diminuer la nécessité du traitement à vie ; identifier de nouvelles pistes thérapeutiques pour les maladies auto-immunes et les cancers ;
  • la biologie cellulaire – diminuer les effets indésirables de certains médicaments utilisés en cardiologie ;
  • le développement – comprendre les relations entre évolution génétique et morphologique ;
  • l’infectiologie – développer de nouveaux outils de lutte contre la tuberculose ;
  • la biotechnologie – développer l’ingénierie de nouveaux tests de diagnostic.

Les 20 lauréats des prix scientifiques de la Fondation Bettencourt Schueller ont été honorés lors de deux cérémonies distinctes.

Le 26 février 2014 à l’Institut de France, en présence des deux partenaires de la Fondation que sont l’Inserm et le CNRS, Françoise Bettencourt Meyers, présidente de la Fondation, a remis les prix Coups d’élan pour la recherche française en présence d’éminents représentants de la communauté scientifique française. Ils ont été attribués à quatre laboratoires de recherche de premier plan, renommés pour la qualité de leurs équipes et le caractère prometteur de leurs recherches. Ils permettront d’améliorer leurs infrastructures et d’aider ponctuellement à leur fonctionnement.

Fondation Bettencourt Schueller

Au premier plan de gauche à droite : Olivier Neyrolles, CNRS, Institut de pharmacologie et de biologie structurale (Toulouse), lauréat, Benoît Salomon, Inserm, Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (Paris) lauréat, Céline Galés, Inserm, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (Toulouse) lauréate, Patrick Lemaire, CNRS, Centre de recherches de biochimie macromoléculaire (Montpellier) lauréat.

Au second plan de gauche à droite : André Syrota, président-directeur général de l’Inserm, Hugues de Thé, membre du conseil scientifique de la Fondation, Gabriel de Broglie, chancelier de l’Institut de France, Catherine Jessus, directrice de l’INSB du CNRS, Jean-Pierre Meyers, vice-président de la Fondation, Pierre Corvol, président du conseil scientifique de la Fondation, Françoise Bettencourt Meyers, présidente de la Fondation, Olivier Brault, directeur général de la Fondation. ©Fondation Bettencourt Schueller

Au total à ce jour, 46 laboratoires de recherche du CNRS et de l’Inserm (soit près de 500 chercheurs) ont bénéficié des Coups d’élan pour la recherche française. Le montant de chaque prix est de 250 000 euros.

Le 21 janvier 2014, les autres prix de la Fondation ont été remis au cours d’une cérémonie tenue au domicile de Liliane Bettencourt :

Monsef Benkirane, directeur de recherche au CNRS à l’Institut de génétique humaine à Montpellier a reçu le prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant. La dotation du programme ATIP-Avenir a été remise à  Jérôme Bonnet qui, de retour en France, va créer son équipe de recherche au Centre de biochimie structurale de Montpellier. Les prix pour les jeunes chercheurs ont été décernés à 14 jeunes chercheurs en sciences et/ou en médecine pour leur permettre d’effectuer leur stage post-doctoral dans les meilleurs laboratoires étrangers.

Remise des prix scientifiques 2013 @ C.DOUTRE pour la Fondation Bettencourt Schueller

Au premier plan de gauche à droite : Nicole Le Douarin, Alain Pompidou, membres du conseil scientifique de la Fondation, Michel Albert, membre du conseil d’administration de la Fondation, Hugues de Thé, membre du conseil scientifique, Pierre Corvol, président du conseil scientifique, Olivier Brault, directeur général de la Fondation, Gabriel de Broglie, membre du conseil d’administration, Liliane Bettencourt, présidente d’honneur de la Fondation.

Debout au second plan de gauche à droite : François Blanquart*, lauréat, Françoise Russo-Marie et Bernard Roques membres du conseil scientifique, Pierre-Eric Lutz*ᵒ, Thomas Bertero*, David Kachaner, Jérôme Bonnetᵒ, Monsef Benkirane*, Baptiste Jaeger*ᵒ, Aurélien Bègue*ᵒ, Aurélien Amiotᵒ, Guillaume Canaudᵒ, Amandine Crequer, Stéphanie Nougaretᵒ, Maxime Deforet*, Mathilde Latil, Morgan Delarue*, lauréats, Françoise Bettencourt Meyers, présidente de la Fondation, Annick Clément, membre du conseil scientifique, Daniel Marchesseau, membre du conseil d’administration, Fayçal Touti*, lauréat, Armand de Boissière, secrétaire général de la Fondation.
*CNRS, ᵒInserm ©Fondation Bettencourt Schueller 

Migration cellulaire ou « l’art de se choisir un bon leader »

Des cellules qui progressent tout en gardant des interactions fortes entre elles désignent parmi elle un leader : cette cellule entraîne toutes les autres comme un seul homme. Telle est la découverte d’un travail collaboratif entre physiciens et biologistes de l’Inserm et du CNRS à l’Institut Curie.
L’évolution initiale de nombreuses tumeurs implique souvent de telles migrations collectives de cellules. Ces travaux sont publiés en ligne dans Nature Cell Biology, le 23 février 2014.

Quand on évoque la migration cellulaire, on pense d’abord à la dissémination des cellules tumorales et à la formation de métastases à distance de la tumeur d’origine. Evidemment ce sont ces déplacements de cellules, néfastes pour l’organisme qui expliquent que les chercheurs de l’Institut Curie se consacrent à la compréhension de ces mécanismes.

Mais la migration cellulaire est également indispensable par exemple, lors de la cicatrisation de plaies ou lors du développement embryonnaire. « Au sein de mon équipe, nous étudions la migration de cellules qui interagissent entre elles en intégrant les points de vue de la biologie et de la physique. Physicien de formation, je collabore depuis plusieurs années avec l’équipe de biologistes de Jacques Camonis » explique Pascal Silberzan, chef de l’équipe Physico-biologie aux mésoéchelles.


De l’individu au collectif

Avec ce double regard, les chercheurs ont pu observer au niveau du bord libre d’épithéliums progressant sur une surface, la formation de « doigts » de migration composés de 30 à 80 cellules. Ils permettent aux cellules d’entraîner leur tissu d’origine pour aller recouvrir la surface libre. « Dans ce cas, la migration cellulaire est un processus global : les cellules acquièrent un comportement mécanique collectif qui prend le dessus sur les comportements cellulaires individuels » explique le chercheur.

Et phénomène surprenant, l’ensemble des cellules pousse l’une d’entre elles à prendre la tête de la migration. Devenant plus grosse, ne se divisant plus, cette cellule « mène la course ».



« Elle exerce une force très importante sur l’ensemble des cellules suiveuses et les entraîne dans son mouvement. In vivo, on peut penser qu’elle joue un rôle identique, soit pour envahir d’autres tissus dans le cas de cellules tumorales, soit pour coloniser de nouveaux espaces dans l’embryon » souligne Myriam Reffay, post-doctorante dans l’équipe de Pascal Silberzan au moment de l’étude et aujourd’hui Maître de conférence à l’université Paris Diderot.

Mais la coopération des cellules entre elles va encore plus loin, puisqu’elles mettent en commun une structure contractile (un véritable « câble ») pluricellulaire le long du doigt de migration. Son rôle : empêcher que d’autres cellules ne prennent le rôle de leader dans ces doigts et partent dans d’autres directions.

« Nous sommes donc en face d’un comportement collectif extrêmement cohérent : l’ensemble des cellules qui forment les doigts migratoires agissent de concert comme une cellule unique, une « super cellule » pour reprendre une image parfois employée » souligne le physicien. « De manière très spectaculaire, la distribution de l’activité de certaines protéines impliquées dans la migration, reproduit fidèlement ce comportement de super cellule, montrant ainsi les correspondances entre nos deux approches » s’enthousiasment Maria Carla Parrini et Jacques Camonis de l’équipe Analyse des réseaux de transduction. (http://u830.curie.fr/fr/genetique-et-biologie-des-cancers/equipes/equipe-art/equipe-art-0072)

Jusqu’à présent, les migrations collectives de cellules ont été peu étudiées comparativement à la migration de cellules uniques. Or de tels doigts de migration sont souvent observés lors du développement des tumeurs épithéliales, les plus fréquentes des tumeurs qui se développent dans les tissus épithéliaux, formant soit un revêtement externe (comme la peau) ou interne (une muqueuse), soit une glande. Il est donc primordial de mieux comprendre ce mode de migration.

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©Olivier Cochet-Escartin/Institut Curie


L’image représente un doigt de migration (en bleu, les noyaux des cellules, en rouge, la myosine et en vert, l’actine)

Améliorer la chimiothérapie en empêchant la réparation des cellules tumorales

Les chimiothérapies sont des traitements anticancéreux dont le principe consiste à induire des lésions dans l’ADN des cellules tumorales afin d’inhiber leur prolifération. Toutefois, de manière naturelle l’organisme tente de réparer ces lésions et diminue ainsi l’efficacité des chimiothérapies. Bloquer les mécanismes de réparation de l’ADN, permettrait de potentialiser la chimiothérapie en diminuant la résistance des cellules au traitement. Une équipe de chercheurs dirigée par Frédéric Coin, directeur de recherche Inserm à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg (Unité mixte Inserm/CNRS/Université de Strasbourg) a découvert une nouvelle molécule, la spironolactone, qui laisse entrevoir à très court terme son utilisation comme adjuvant aux chimiothérapies.

Leurs résultats sont publiés dans Chemistry&Biology.

Rayons UV, agents physiques ou chimiques, notre organisme est constamment soumis à des agressions provenant de notre environnement et qui provoquent des dommages plus ou moins importants sur notre ADN. Il a ainsi été développé tout un système de vérification et de réparation. Parmi ces mécanismes, la NER (Nucleotide Excision Repair) est étudiée depuis plusieurs années par les chercheurs de l’équipe de Frédéric Coin et Jean-Marc Egly à l’IGBMC. Ce mécanisme est ainsi capable de détecter une lésion, puis de remplacer le fragment d’ADN endommagé par un fragment sain.

La chimiothérapie cytotoxique vise à bloquer les divisions des cellules cancéreuses afin d’empêcher la prolifération tumorale. Parmi les molécules utilisées, pour le traitement de nombreux cancers comme le cancer colorectal, cervico-facial, ou bien celui des testicules, de la vessie, des ovaires ou des poumons, on retrouve des médicaments à base de platine. Ces molécules se lient à l’ADN cellulaire, provoquent des dommages dans ce dernier, empêchant ainsi sa réplication. Bloquer les mécanismes de réparation de l’ADN, en l’occurrence l’activité NER, permettrait de potentialiser la chimiothérapie en diminuant la résistance des cellules au traitement.

Les chercheurs de l’IGBMC se sont donc mis en quête d’une molécule inhibitrice de l’activité NER. Ils ont ainsi testé près de 1200 molécules thérapeutiques et mis en évidence l’action de la spironolactone, une molécule déjà utilisée pour le traitement de l’hypertension, sur l’activité NER.


Les chercheurs ont notamment montré que son action combinée à celle des dérivés de platine provoquait une augmentation importante de la cytotoxicité dans les cellules cancéreuses du colon et des ovaires.

La spironolactone étant déjà utilisée par ailleurs, elle ne nécessite pas de nouvelle demande de mise sur le marché et ses effets secondaires sont déjà connus. Ce résultat laisse donc présager le développement rapide de nouveaux protocoles de chimiothérapie incluant la spironolactone.

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© Inserm/ Frédéric Coin

Visualisation par immunofluorescence, 1h après traitement, des protéines XPC (en rouge) et XPB (en vert) impliquées dans l’activité de NER. A droite le traitement avec la spironolactone induit une dégradation rapide de XPB qui explique l’inhibition de la NER.

Paludisme – « Wake and kill » : un nouveau concept pour éliminer les rechutes

Une équipe de chercheurs coordonnée par le Pr Dominique Mazier (AP-HP, UPMC, Unité Inserm 1135, CNRS ERL 8255) et le Dr Georges Snounou, Directeur de recherche au CNRS (UPMC, Unité Inserm 1135, CNRS ERL 8255) a réussi à cultiver la forme hépatique dormante du parasite du paludisme, auparavant inaccessible aux chercheurs. Les premiers résultats issus de cette avancée technique ont permis d’élaborer un nouveau concept pour éliminer les rechutes de paludisme dues au réveil de ces formes dormantes.  Il devrait permettre la mise en place d’une nouvelle stratégie de prise en charge de cette pathologie, qui associerait une molécule capable de réveiller le parasite dormant à un des nombreux médicaments efficaces sur le parasite.
Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature Medicine

La prise en charge du paludisme aujourd’hui

Après la piqûre d’un moustique infecté, le parasite responsable du paludisme gagne le foie où il se multiplie. Ensuite, il se propage dans le sang où sa prolifération provoquera une maladie potentiellement mortelle. Dans certains cas, dont celui du parasite Plasmodium vivax chez l’homme, une fraction des parasites hépatiques peut rester « dormante » un an ou plus, d’où leur nom d’hypnozoïte. Ensuite ceux-ci se « réveillent » au cours du temps et provoquent une infection sanguine. Cette caractéristique est probablement à l’origine de la croyance que le paludisme persiste à vie.

L’hypnozoïte représente, dans le cadre du contrôle/élimination du paludisme, une double difficulté : un plus grand nombre de cas à traiter et une transmission accrue. Malheureusement la primaquine (et son équivalent récemment développé, la tafénoquine), seuls médicaments capables de tuer les hypnozoïtes, ont des effets  indésirables parfois graves pour l’organisme. C’est pourquoi l’identification de molécules sûres pour les remplacer constitue une urgence de santé publique. Jusqu’à présent, la recherche de nouveaux médicaments anti-hypnozoïtes s’est appuyée sur des  observations faites chez chez l’homme infecté avec P. vivax, ou chez les singes infectés avec un parasite proche de P. vivax,  P. cynomolgi. 

Méthodologie

Grâce à une collaboration avec les équipes de l’infrastructure nationale IDMIT[1] au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et celles du Biomedical Primate Research Centre(BPRC) aux Pays-Bas, l’équipe du Pr Dominique Mazier et du Dr Georges Snounou ont d’abord réussi à maintenir en culture des cellules hépatiques infectées jusqu’à 40 jours, soit près de quatre fois plus longtemps que ce qui est généralement obtenu. Elle a ensuite montré la persistance des formes dormantes tout au long de la culture, certaines se réveillant au fil du temps, mimant ainsi ce qui se passe chez l’homme. Elle a également testé sur ces hypnozoïtes de nouvelles molécules inhibitrices des facteurs épigénétiques qui ciblent des méthyltransférases d’histones, capables de tuer la forme sanguine du parasite (découvertes à  l’Institut Pasteur, Paris). Paradoxalement, l’une d’entre elles induisait le réveil des hypnozoïtes. Ce résultat inattendu a amené l’équipe à formuler une nouvelle stratégie: « Wake & Kill » consistant à associer une molécule capable de réveiller le parasite dormant  à un des nombreux traitements disponibles et qui a fait ses preuves d’efficacité sur le parasite en cours de multiplication.

Des résultats porteurs d’espoir dans la prise en charge du paludisme  

Grâce à cette méthodologie développée via une collaboration internationale et multi-instituts (Inserm, CNRS, CIMI, CEA, UPMC, AP-HP, Institut Pasteur Paris), il est désormais possible de cribler in vitro des médicaments pour leur effet anti-hypnozoïte, limitant ainsi le recours aux animaux. Le défi consiste à adapter cette technique au criblage d’un grand nombre de composés. En outre, la possibilité de cultiver des hypnozoïtes va enfin permettre aux scientifiques d’étudier cette forme parasitaire énigmatique décrite 100 ans après la découverte de l’agent du paludisme par Laveran en 1880.


[1] Infectious Diseases Models For Innovative Therapies

Pourquoi le cerveau se souvient-il des rêves?

Certaines personnes se souviennent de leurs rêves tous les matins alors que d’autres s’en souviennent rarement. L’équipe de Perrine Ruby, chargée de recherche Inserm, au sein du centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm / CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1) a étudié l’activité cérébrale de ces rêveurs afin de comprendre ce qui les différencient. Dans une étude publiée dans la revue Neuropsychopharmacology, les chercheurs montrent que la jonction temporo-pariétale, un carrefour du traitement de l’information dans le cerveau, est plus active chez les grands rêveurs. Elle induirait une plus grande réactivité aux stimulations extérieures, faciliterait ainsi le réveil au cours du sommeil, ce qui favoriserait la mémorisation des rêves.

L’origine du rêve continue d’être un mystère pour les chercheurs qui étudient la différence entre les « grands rêveurs », qui parviennent à se souvenir de leurs rêves régulièrement, et les « petits rêveurs » pour lesquels cet événement est plus rare. En janvier 2013 (travaux publiés dans la revue Cérébral Cortex), l’équipe de Perrine Ruby, chargée de recherche à l’Inserm et ses collaborateurs du centre de recherche en neurosciences de Lyon, ont réalisé deux constats : les « grands rêveurs » comptabilisent 2 fois plus de phases de réveil pendant le sommeil que les « petits rêveurs » et leur cerveau est plus réactif aux stimuli de l’environnement. Cette sensibilité expliquerait une augmentation des éveils au cours de la nuit et permettrait ainsi une meilleure mémorisation des rêves lors de cette brève phase d’éveil. Dans cette nouvelle étude, l’équipe de recherche  a cherché quelles régions du cerveau différencient les grands des petits rêveurs en mesurant l’activité cérébrale spontanée en Tomographie par Emission de Positons (TEP) à l’éveil et pendant le sommeil chez 41 rêveurs volontaires.

Les volontaires ont été classés en 2 groupes : 21 « grands rêveurs » se souvenant de leur rêve en moyenne 5.2 fois par semaine et 20 « petits rêveurs » rapportant en moyenne 2 rêves par mois.

Les chercheurs ont mesuré avec le scanner TEP l’activité cérébrale des grands et petits rêveurs pendant l’éveil et pendant le sommeil. (Voir vidéo).
Les résultats révèlent que les grands rêveurs présentent une activité cérébrale spontanée plus forte pendant leur sommeil au niveau du cortex préfrontal médian (MPFC) et de la jonction temporo-pariétale (JTP), une zone cérébrale impliquée dans l’orientation de l’attention vers les stimuli extérieurs.

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Jonction temporo-pariétale (JTP) © Perrine Ruby / Inserm

« Cela explique pourquoi les grands rêveurs réagissent plus aux stimuli de l’environnement et se réveillent plus au cours de leur sommeil que les petits rêveurs, et ainsi pourquoi ils mémorisent mieux leurs rêves. En effet le cerveau endormi n’est pas capable de mémoriser une nouvelle information en mémoire, il a besoin de se réveiller pour pouvoir faire ça »

 explique Perrine Ruby, chargée de recherche à l’Inserm.

Le neuropsychologue sud-africain Mark Solms avait remarqué dans de précédents travaux que des lésions de ces deux zones conduisaient à une cessation des souvenirs de rêves. Les travaux de l’équipe lyonnaise ont pour originalité de mettre en évidence des différences d’activité cérébrale entre grands et petits rêveurs pendant le sommeil mais également à l’éveil. 

« Ces résultats montrent que les grands et petits rêveurs se différencient en terme de mémorisation du rêve mais n’exclut pas qu’ils se différencient également en terme de production de rêve. En effet, il est possible que les grands rêveurs produisent une plus grande quantité de rêve » conclut l’équipe de recherche.

Une chercheuse française présente à la conférence annuelle du AAAS à Chicago

Des recherches européennes de pointe seront présentées à la conférence annuelle de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS) à Chicago. L’Inserm sera représenté par Karine Clément, coordinatrice scientifique du projet européen METACARDIS (Metagenomics in Cardiometabolic Diseases), lors de la session intitulée : « De l’intérieur vers l’extérieur : l’impact de la flore intestinale sur le diabète et l’obésité ».

Trois éminents chercheurs européens sur le microbiome intestinal seront présents à la conférence de 2014 de l’AAAS, le samedi 15 février, pour partager leurs découvertes récentes sur les relations existant entre la flore intestinale et l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires en général. Leurs découvertes s’inscrivent dans un des domaines les plus innovants et passionnants de la recherche biomédicale, et pourraient apporter une contribution vitale à la recherche contre l’obésité et le diabète.

Au cours des dernières années, les recherches ont prouvé l’importance des quelque 1,5 kg de bactéries vivant à l’intérieur de notre corps, principalement dans l’intestin. Au-delà de leur rôle évident dans la digestion, ces bactéries participent aussi, par exemple, au développement du système immunitaire, du système neuronal, et sont impliquées dans l’apparition de certaines pathologies, comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires.

Les intervenants : 

Karine Clément – Professeur, Institut de Cardiométabolisme et Nutrition (ICAN),  Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), France
La génomique fonctionnelle de l’obésité humaine reliée aux maladies cardiométaboliques
Coordinatrice du projet européen METACARDIS.

Sven Pettersson – Professeur, Institut Karolinska, Suède
Comment la flore intestinale du début de la vie peut contribuer à l’obésité et au diabète plus tard

Oluf B. Pedersen – Professeur, Université de Copenhague, Danemark
Liens entre le microbiote intestinal et les maladies métaboliques chez l’homme

Animatrice : Jenny Leonard – Rédacteur, Futurity.org, États-Unis
http://www.futurity.org/

 

À propos de la session :
http://aaas.confex.com/aaas/2014/webprogram/Session6938.html

Quand ? : Samedi 15 février 2014 – 13h à 14h30
Où ? : Grand Ballroom C North (Hyatt Regency, Chicago, Etats-Unis)

À propos de la conférence annuelle de l’AAAS à Chicago –  du 13 au 15 février 2014
La conférence annuelle de l’AAAS est un événement scientifique pour le grand public, largement reconnu. Des milliers d’éminents scientifiques, ingénieurs, éducateurs, responsables politiques et journalistes en provenance du monde entier s’y réunissent pour échanger sur les dernières avancées en science et technologie. Le thème de 2014, Répondre aux défis planétaires : découverte et innovation, est axé sur des solutions durables grâce à des solutions participatives, internationales et interdisciplinaires dans les domaines les plus utiles à la société et favorables à la croissance économique.

À propos de CommHERE
CommHERE – www.commhere.eu – a pour but d’accroître la visibilité des activités et des résultats des divers projets de recherche sur la santé, financés par l’Union européenne. Le consortium CommHERE englobe neuf établissements de recherche dans six pays européens et favorise des liens étroits entre les chercheurs œuvrant dans le domaine biomédical. Restez en contact avec la recherche européenne : www.horizonhealth.eu

Mécanisme élucidé : comment la perception des odeurs agit sur la prise alimentaire

L’équipe de chercheurs menée par Giovanni Marsicano, directeur de recherche Inserm au sein de l’unité 862 (NeuroCentre Magendie de Bordeaux), est parvenue à élucider comment le système endocannabinoïde contrôle la prise alimentaire en agissant sur la perception des odeurs. Ces travaux sont à paraître dans la revue Nature Neuroscience, datée du 9 février 2014.

Nature-Neuro Nose_illustration

© Charlie Padgett

Chez l’animal, comme chez l’homme, on sait que ce sont les mécanismes de la faim qui incitent la prise alimentaire. La faim déclenche un ensemble de mécanismes poussant à s’alimenter, comme par exemple l’augmentation des perceptions sensorielles telles que l’olfaction. Or, les chercheurs sont parvenus à démontrer ce qui lie dans le cerveau la faim à l’augmentation de la perception de l’odeur et par conséquent au besoin de manger.

Les chercheurs ont découvert chez la souris comment ce mécanisme est enclenché au niveau du système endocannabinoïde. Ce système rassemble des récepteurs situés dans le cerveau et impliqués dans différentes sensations comme l’euphorie ou l’anxiété, ou encore la douleur, et également sensibles aux substances cannabinoïdes, comme le cannabis.

Les chercheurs ont découvert que les récepteurs au cannabinoïdes CB1 contrôlent un circuit qui met en relation le bulbe olfactif (première région du système nerveux à traiter l’information olfactive, situé au-dessus du nez) et le cortex olfactif (structures supérieures du cerveau). Quand la sensation de faim est ressentie, elle déclenche l’activité des récepteurs cannabinoïdes qui activent à leur tour le circuit olfactif qui devient plus réactif.

C’est donc ce mécanisme biologique qui provoque l’augmentation de l’olfaction pendant la faim et qui explique une des raisons de la prise alimentaire et de l’attirance pour la nourriture.

Chez les patients obèses ou anorexiques, les chercheurs supposent que le circuit impliquant le système olfactif est altéré : la sensibilité aux odeurs va être plus ou moins forte par rapport à la normale. L’élucidation du mécanisme biologique permettra à long terme une meilleure prise en charge de ce type de pathologies.

Ces travaux ont été financés par l’ERC (European Research Council).

Autisme : l’hormone de l’accouchement contrôlerait l’expression du syndrome chez l’animal

La communauté scientifique s’accorde sur l’origine précoce – fœtale et/ou postnatale de l’autisme. L’équipe de Yehezkel Ben-Ari, directeur de recherche émérite à l’Inserm et son équipe de l’Institut de neurobiologie de la méditerranée (INMED), vient de franchir un nouveau cap dans la compréhension de la maladie. Les chercheurs démontrent dans un article publié dans Science que les taux de chlore dans les neurones de souris modèles d’autisme sont élevés et le restent de façon anormale dès la naissance. Ces résultats valident le succès du traitement diurétique testé par les chercheurs et cliniciens chez des enfants autistes en 2012 et suggèrent chez la souris que le diurétique pris avant la naissance corrige les déficits chez les descendants. Ils montrent également que l’ocytocine, hormone de l’accouchement, produit une baisse du taux de chlore pendant la naissance qui contrôle l’expression du syndrome autistique. 


Ces travaux sont à paraitre dans Science daté du 6 février 2014

Les neurones ont des taux élevés de chlore pendant toute la phase embryonnaire. En conséquence, le principal médiateur chimique du cerveau – le GABA – excite les neurones lors de cette phase au lieu de les inhiber afin de faciliter la construction du cerveau. Ensuite, une baisse naturelle du taux de chlore permet au GABA d’exercer son rôle inhibiteur pour réguler l’activité du cerveau adolescent/adulte. Dans de nombreuses pathologies cérébrales (épilepsies infantiles, trauma crâniens…) des études ont montré que les niveaux de chlore sont anormalement élevés. A partir de différentes observations, l’équipe du Dr Lemonnier (Brest) et celle de Yehezkel Ben-Ari à l’Inserm ont effectué un essai clinique en 2012 en émettant l’hypothèse de taux de chlore élevés dans les neurones de patients autistes. Les chercheurs ont  montré que l’administration à des enfants autistes d’un diurétique (qui réduit les taux de chlore dans les neurones) a des effets bénéfiques[1]. Les résultats de l’essai allaient dans le sens de cette hypothèse mais la démonstration de taux de chlore élevés dans les neurones autistes manquait pour établir le mécanisme proposé et justifier le traitement.

Dans cette étude, les chercheurs ont donc utilisé deux modèles animaux d’autisme – un génétique – le syndrome de l’X Fragile qui est la mutation génétique la plus fréquente liée à l’autisme – et l’autre produit par l’injection à la rate gestante de Valproate de sodium- un produit connu pour générer des malformations et notamment un syndrome autistique chez les enfants.

Un taux de chlore élevé dans le cerveau

Les chercheurs ont enregistré pour la première fois l’activité des neurones embryonnaires et des neurones immédiatement après la naissance afin d’observer les modifications des taux de chlore. Les enregistrements révèlent que les taux de chlore des neurones jeunes et adultes des animaux modèles d’autisme sont anormalement élevés. Le GABA excite fortement les neurones et les chercheurs ont enregistré des activités électriques aberrantes dans le cerveau qui persistent chez les animaux adultes.

Fait particulièrement impressionnant, la chute du taux de chlore, qui a lieu pendant la naissance chez les animaux contrôles, est absente dans ces 2 modèles animaux, les neurones ayant le même taux de chlore avant et après la naissance. Ces taux élevés sont dus à des activités réduites d’un transporteur de chlore qui empêche son expulsion du neurone. Par conséquent, une propriété majeure des neurones pendant la naissance est abolie dans des modèles animaux d’autisme.

« Les taux de chlore pendant l’accouchement sont déterminants dans l’apparition du syndrome autistique« 

 explique Yehezkel Ben-Ari, directeur de recherche émérite à l’Inserm.

Les effets bénéfiques du diurétique sur l’activité cérébrale

Les chercheurs ont alors administré un traitement diurétique à la mère (dans les deux modèles animaux) –peu avant l’accouchement pendant 24heures pour tester s’il restaurait l’inhibition cérébrale chez les descendants. Ils montrent que la chute de chlore est rétablie dans les neurones plusieurs semaines après un traitement unique pendant la naissance. D’après l’équipe de recherche, le traitement anténatal restore des activités cérébrales quasi normales et corrige le comportement “autiste” chez l’animal une fois devenu adulte.

« Ces résultats valident donc l’hypothèse de travail qui nous a amené au traitement mis au point en 2012 » souligne le principal auteur de l’étude.

L’ocytocine, hormone de l’accouchement, réduit naturellement les taux de chlore

Le rôle de l’ocytocine dans la baisse du chlore neuronal a également été étudié. Les chercheurs avaient préalablement montré en 2006[2] que cette hormone, qui déclenche le travail, a aussi de nombreuses actions bénéfiques sur le cerveau du nouveau-né et notamment des effets protecteurs en cas de complications pendant l’accouchement et même des propriétés analgésiques. L’ocytocine agit comme le diurétique en réduisant les taux de chlore intracellulaires.

Dans cette étude, l’équipe a testé les effets à long terme du blocage des actions de l’hormone avant la naissance. Une molécule qui bloque les signaux générés par l’ocytocine a été injectée à aux souris gestantes. Les chercheurs ont évalués les effets de ce blocage chez les descendants et révèlent qu’il reproduit chez la progéniture la totalité du syndrome autistique, à la fois sur  les aspects électriques et comportementaux (identiques à ceux des deux modèles animaux d’autisme). Par conséquent, les actions naturelles de l’hormone, tout comme celles du diurétique, sont cruciales pendant cette phase délicate et contrôleraient la pathogenèse de l’autisme par l’intermédiaire des taux de chlore cellulaires.

« Ces données valident notre stratégie thérapeutique et suggèrent que l’ocytocine agissant sur les taux de chlore pendant la naissance module/contrôle l’expression du syndrome autistique »

affirme Yehezkel Ben-Ari.

L’ensemble de ces observations suggère qu’un traitement le plus précoce possible est indispensable pour prévenir autant que possible la maladie.

Ce travail soulève l’importance d’entreprendre des études épidémiologiques précoces afin de mieux comprendre la pathogenèse de la maladie, notamment en analysant les données sur les accouchements durant lesquels intervient la chute de chlore. En effet, des accouchements compliqués avec par exemple des épisodes d’absence d’oxygénations prolongées ou des complications pendant la grossesse telles que des infections virales sont souvent suggérées comme facteurs de risque.

Enfin, étant donné le rôle de l’ocytocine dans le déclenchement du travail, « même s’il est vrai que les données épidémiologiques suggérant que des césariennes programmées pouvaient accroître l’incidence de l’autisme sont controversées, il n’en reste pas moins que ces études devraient être poursuivies et approfondies afin de confirmer ou infirmer cette relation qui reste possible » souligne Yehezkel Ben-Ari  ,et de conclure : « pour traiter ce type de maladies, il faut comprendre comment le cerveau se développe et comment les mutations génétiques et les agressions environnementales modulent les activités du cerveau in utéro ».


[1] Lire le Communiqué – Salle de presse de l’Inserm – Un essai clinique prometteur pour diminuer la sévérité des troubles autistiques (Translational Psychiatry, 2012)

[2] Maternal Oxytocin Triggers a Transient Inhibitory Switch in GABA Signaling in the Fetal Brain During Delivery. Tyzio et al, Science 2006

Conduites addictives chez les adolescents – Une expertise collective de l’Inserm

Télécharger la synthèse de l’expertise collective.

En France, les niveaux de consommation de certaines substances psychoactives, en particulier l’alcool, le tabac et le cannabis, demeurent élevés chez les adolescents, en dépit des évolutions de la réglementation visant à limiter l’accès des mineurs à ces produits et des campagnes de prévention répétées.

Dans le contexte de l’élaboration du Plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017[1], la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) a sollicité l’Inserm pour établir un bilan des connaissances scientifiques sur les vulnérabilités des adolescents (âgés de 10 à 18 ans) à l’usage de substances psychoactives dont la consommation est notable chez les jeunes et pour lesquelles un risque de comportement addictif est avéré (alcool, tabac, cannabis), mais aussi aux pratiques identifiées comme pouvant devenir problématiques (jeux vidéo/Internet, jeux de hasard et d’argent). La commande de la MILDT portait également sur l’analyse des stratégies de prévention et d’intervention efficaces pour cette tranche d’âge.

conduite addictive chez les ados

©Fotolia

Pour répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts en épidémiologie, santé publique, sciences humaines et sociales, addictologie, neurosciences et communication.

L’analyse par les experts des données issues des principales enquêtes de consommations en France[2] et de la littérature scientifique internationale des dix dernières années permet de mieux évaluer l’ampleur du phénomène chez les jeunes âgés de 10 à 18 ans, d’identifier les principaux produits concernés et l’évolution des modes de consommation, les facteurs de risque, les principaux effets sur la santé ainsi que les dommages sociaux associés, et enfin de décrire les stratégies d’intervention ayant fait l’objet d’une évaluation, dans le but de proposer des recommandations utiles à la prévention des consommations à risque et à la prise en charge des adolescents concernés.

Les experts ont notamment constaté une modification des usages et des modes de consommation de certaines substances psychoactives, comme par exemple l’alcoolisation ponctuelle importante qui tend à se développer chez les adolescents. Par ailleurs, ils soulignent la plus forte sensibilité de cette population aux effets neurotoxiques de l’alcool et du cannabis par rapport aux adultes, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux conséquences de la consommation de ces substances.

L’adolescence, période de vulnérabilité

L’adolescence s’accompagne de nombreux changements physiologiques et physiques, mais c’est également une étape de maturation et d’évolution psychologique complexe. Le jeune s’affranchit progressivement du lien de dépendance aux parents et développe un niveau élevé d’interactions sociales ; il recherche de nouvelles expériences associant souvent une certaine résistance aux règles établies. L’adolescence constitue également une phase de curiosité, de prises de risque et de défi.

C’est principalement à cette période que se fait l’initiation à la consommation de substances psychoactives licites (alcool/tabac) mais aussi de certaines substances illicites (cannabis…) : seuls 6,6 % des adolescents de 17 ans n’ont expérimenté aucun de ces 3 produits. Les adolescents manifestent des attentes/motivations très variées, le plus souvent en fonction du genre et socialement différenciées. Ils se révèlent peu sensibles à la mise en garde vis-à-vis des risques sanitaires à long terme car ils ne les perçoivent que comme un risque très lointain ne les concernant pas vraiment.

La plupart des travaux soulignent que chez les adolescents, une première expérience positive avec des substances psychoactives peut influencer l’évolution de la consommation, favorisant des consommations régulières puis, potentiellement la survenue d’une dépendance.

Le cerveau de l’adolescent est plus vulnérable aux substances psychoactives que le cerveau de l’adulte. Il présente la particularité d’être dans un état de transition vers l’état adulte. Les processus de maturation cérébrale (qui se poursuivent jusqu’à environ 25 ans) entraînent une vulnérabilité exacerbée de l’adolescent vis-à-vis de la neurotoxicité des substances psychoactives en général. Une zone du cerveau, le cortex préfrontal, qui permet la prise de décision, l’adaptation du comportement à la situation, est plus particulièrement concernée par cette maturation à l’adolescence.

Quel que soit le produit considéré, la précocité de l’expérimentation et de l’entrée dans la consommation accroît les risques de dépendance ultérieure et plus généralement de dommages subséquents.

Consommations de substances psychoactives[3] et dommages associés

On distingue l’usage à risque (mise en danger) de l’abus ou usage nocif (préjudiciable à la santé) et de la dépendance. Quant à l’addiction, ce terme recouvre généralement celui de dépendance, mais ce point demeure discuté. Pour certains auteurs, l’addiction se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de celui-ci en dépit de la connaissance et de la présence de ses conséquences néfastes.

  • Alcool

En France, l’alcool est la première substance psychoactive consommée en termes de niveau d’expérimentation, d’usage occasionnel et de précocité d’expérimentation. En 2011, à la fin de l’adolescence, l’expérimentation concerne 91 % des garçons et des filles. Parmi les élèves âgés de 11 ans, 58 % ont déclaré en 2010 avoir déjà expérimenté une boisson alcoolisée.

Des usages réguliers d’alcool (au moins dix fois dans le mois) apparaissent dès la fin du collège : en 2010, 7 % des élèves de 3ème ont déclaré avoir consommé une boisson alcoolisée au moins 10 fois dans le mois précédant l’enquête. En 2011, ces usages réguliers d’alcool concernaient 15 % des garçons et 6 % des filles de 17 ans ; toutefois, la consommation quotidienne d’alcool concernait moins de 1 % des jeunes de 17 ans. Il est à noter une diminution de l’écart entre les garçons et les filles ainsi qu’une légère augmentation des usages réguliers entre 2008 et 2011.

L’ivresse alcoolique est une expérience vécue par certains dès le collège. Parmi les collégiens de 3ème, 34 % déclarent avoir déjà connu ce type d’ivresse. À 17 ans, 59 % des garçons et des filles rapportent avoir déjà été ivres au cours de leur vie et 53 % déclarent avoir vécu au cours du mois précédant l’enquête, une alcoolisation ponctuelle importante (API, à savoir la consommation d’au moins 5 verres d’alcool en une même occasion). Les API au cours du mois sont en hausse continue : 46 % en 2005, 53 % en 2011.

En 2011, si la France occupe une position médiane en Europe pour les alcoolisations ponctuelles importantes à 16 ans, elle se situe au-dessus de la moyenne pour la consommation régulière d’alcool.

Dommages & vulnérabilité des adolescents

Comparé à l’adulte, la consommation d’alcool chez l’adolescent, et notamment l’intoxication massive, exerce des effets neurotoxiques plus prononcés sur le cerveau, aussi bien au niveau structural (par exemple sur la génération de nouveaux neurones/neurogenèse) que fonctionnel, ce qui se traduit par une plus grande interférence avec les fonctions cognitives (apprentissage/mémoire). Il a été documenté que les atteintes morphologiques et fonctionnelles sont plus importantes chez les filles que chez les garçons du même âge. Les déficits observés à moyen terme sont proportionnels à la quantité d’alcool consommée.

Les jeunes sont moins sensibles aux effets « négatifs » de l’alcool (hypnose, hypothermie, incoordination motrice…) mais plus réceptifs aux effets ressentis comme « positifs » (désinhibition, facilitation des interactions sociales…).

  • Tabac

En 2011, en France, plus de 2 jeunes sur 3 âgés de 17 ans (68 %) ont expérimenté le tabac.

Le tabac est le premier produit psychoactif consommé quotidiennement à l’adolescence : à 17 ans, 30 % des filles et 33 % des garçons sont fumeurs quotidiens. Selon les données de 2011, on observe des usages quotidiens dès le collège (8 % parmi les élèves de 4ème et 16 % parmi ceux de 3ème). Il est observé une légère augmentation du tabagisme quotidien entre 2008 et 2011.

La France se situe en 2011 parmi les pays européens où la prévalence du tabagisme chez les jeunes âgés de 16 ans est la plus élevée.

Dommages associés

Outre le risque élevé de dépendance, le tabac entraîne de nombreuses conséquences sanitaires à long terme bien connues (pathologies respiratoires, cardiovasculaires, cancers…).

  • Cannabis

En France, le cannabis est le premier produit psychoactif illicite consommé à l’adolescence. En 2011, 42 % des adolescents de 17 ans ont déjà fumé du cannabis au moins une fois (39 % des filles et 44 % des garçons). Les garçons sont plus consommateurs que les filles qui expérimentent plus tardivement le produit.

Les premières expérimentations, encore très rares à l’entrée au collège, sont observées dès les dernières années de collège (11 % des élèves de 4ème, 24 % des élèves de 3ème) et concernent près d’un lycéen sur 2 en 2011.

Les usages réguliers de cannabis (au moins dix fois dans le mois) concernent 2 % des élèves de 3ème en 2010-2011, 6 % des élèves de 2nde, 7 % des élèves de terminale. Parmi les adolescents âgés de 17 ans, 5 % présenteraient en 2011 un risque d’usage problématique voire de dépendance : 7 % des garçons et 3 % des filles.

La France, avec le Canada, la République tchèque, la Suisse, les États-Unis et l’Espagne, se situe en 2011 parmi les pays où la prévalence de consommation de cannabis chez les adolescents est la plus élevée.

Dommages & vulnérabilité des adolescents

Dans les heures qui suivent l’usage de cannabis, les troubles cognitifs observés concernent l’attention, le temps de réaction, la mémoire de travail, et les fonctions exécutives. Il existe par ailleurs une corrélation significative entre l’usage et divers « passages à l’acte » (tentatives de suicide, boulimie, comportements sexuels à risque…) dus à la levée de l’inhibition comportementale.

Ces troubles cognitifs ont tendance à disparaître dans le mois suivant l’arrêt de la consommation.  Chez l’adolescent, certains de ces troubles peuvent persister, y compris après sevrage, en particulier si la consommation a débuté avant l’âge de 15 ans. Les troubles cognitifs observés à long terme sont corrélés à la dose, la fréquence, la durée d’exposition et à l’âge de la première consommation de cannabis.

La consommation régulière de cannabis a des effets à long terme qui peuvent altérer les résultats scolaires, et les relations interpersonnelles.

Enfin, l’usage de cannabis peut également précipiter la survenue de troubles psychiatriques (troubles anxieux, troubles dépressifs, symptômes psychotiques et schizophrénie) chez l’adolescent. Concernant les troubles psychotiques, ce risque peut être modulé par certains facteurs génétiques, l’âge d’exposition et l’existence préalable d’une vulnérabilité à la psychose (antécédents familiaux).

  • Autres substances et polyconsommations

==> Médicaments psychotropes et autres produits illicites

En 2011, 41 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir pris au cours de leur vie au moins un médicament psychotrope. Les médicaments psychotropes les plus fréquemment expérimentés sont : les anxiolytiques (15 %), les somnifères (11 %), puis les antidépresseurs (6 %).

Les expérimentations de produits illicites autres que le cannabis, comme les amphétamines (dont l’ecstasy), les champignons hallucinogènes, le LSD, la cocaïne ou encore l’héroïne, n’apparaissent qu’à la fin de l’adolescence, dans des proportions comprises entre 3 % pour les champignons hallucinogènes et la cocaine, et 0,8 % pour l’héroïne. La plupart de ces expérimentations sont en baisse sur la période 2008-2011, en particulier celle de l’ecstasy.

À 17 ans, on n’observe quasiment pas d’usage répété dans le mois de substances illicites autres que le cannabis. Seuls les produits à inhaler comme les colles, les solvants ou les poppers présentent des niveaux d’expérimentation relativement élevés à cet âge (9 % disent avoir expérimenté ces derniers).

==> Boissons énergisantes et prémix

Les boissons énergisantes sont consommées seules ou mélangées à de l’alcool, à l’instar des prémix (ou alcopops), mélange de sodas et d’alcools forts titrant de 5 à 8 degrés. À tous les âges de l’adolescence, les garçons sont plus souvent consommateurs de boissons énergisantes que les filles. En France, la consommation de boissons énergisantes est passée de 20 % en 6ème à 36 % en 2nde.

L’usage des prémix reste relativement moins fréquent que celui des autres grandes catégories de boissons alcoolisées. L’engouement des jeunes, notamment des filles pour ce type de boissons très sucrées et au goût masquant largement le degré d’alcool a été freiné par la mise en place en France d’une taxe très élevée spécifique à ces produits.

L’association des boissons énergisantes à des boissons alcoolisées a été identifiée comme présentant des risques : elle augmente les conséquences de l’alcool et notamment le risque de rapports sexuels non protégés. Par ailleurs, il pourrait y avoir un lien entre la consommation de boissons énergisantes associées à l’alcool et la survenue ultérieure d’une dépendance à l’alcool.

==> Polyconsommations

À 17 ans, 4 % des adolescents se déclarent à la fois fumeurs quotidiens de tabac et consommateurs réguliers (au moins 10 fois par mois) de boissons alcoolisées ou à la fois fumeurs quotidiens de tabac et réguliers de cannabis. Enfin, 2 % sont polyconsommateurs réguliers de tabac, alcool et cannabis.

Pratiques des jeux vidéo/Internet et des jeux de hasard et d’argent[4] et dommages associés

Dans le cas des jeux vidéo/Internet et des jeux de hasard et d’argent, on parle de pratique sociale ou récréative (c’est-à-dire d’usage simple), de pratique à risque ou problématique (c’est-à-dire d’abus) et de jeu pathologique ou excessif (c’est-à-dire la dépendance).

  • Pratique des jeux vidéo /Internet

En 2011, parmi les 80 % des 17 ans déclarant avoir utilisé Internet durant les sept derniers jours, environ 1/4 l’utilise entre 2 et 5 heures par jour ; moins d’1/5 entre 5 et 10 heures et 1/10 plus de 10 heures par jour.

Selon les outils de mesure utilisés et les pays, la prévalence d’utilisation problématique d’Internet par les adolescents varierait de 2 à 12 %. En France, en 2011, des premières estimations révèlent que 3 à 5 % des adolescents de 17 ans seraient concernés.

Par ailleurs, 5 % des adolescents de 17 ans joueraient aux jeux vidéo entre 5 et 10 heures par jour. Si les garçons totalisent des durées moyennes de pratique des jeux plus élevées que les filles, le temps passé devant l’écran est identique, les filles utilisant davantage les réseaux sociaux.

Alors que les jeux vidéo peuvent présenter des aspects positifs, notamment sur le développement des fonctions cognitives et spatiales, ils peuvent entraîner une perte de contrôle et un comportement problématique. Parmi les différents types de jeux, les MMORPG (Massive Multiplayer Online Role Playing Games) auxquels les garçons jouent le plus souvent, sont décrits comme potentiellement très addictogènes.

Parmi les joueurs (tous types de jeux vidéo) de 17 ans, 26 % disent avoir rencontré au cours de l’année écoulée, à cause de leur pratique de jeu, des problèmes à l’école ou au travail et environ 4 % des problèmes d’argent.

Dommages associés

Au-delà du temps passé qui s’avère parfois très long, des problèmes d’ordres psychique et somatique peuvent survenir en cas d’usage excessif : troubles du sommeil, irritabilité, tristesse, anxiété, isolement, baisse des performances scolaires, difficultés rencontrées avec les parents… Une pratique problématique des jeux vidéo peut favoriser l’usage de substances (tabac, cannabis, alcool, boissons énergisantes…) et augmenter le risque de sédentarité et de surpoids.

  • Pratique des jeux de hasard et d’argent

En France comme dans la plupart des pays occidentaux, la pratique des jeux de hasard et d’argent est illégale avant 18 ans. Pourtant, selon les études internationales, les mineurs pratiquent les jeux de hasard et d’argent : 80 % ont déjà joué au cours de la vie et 10-20 % ont une pratique hebdomadaire.

L’initiation a lieu le plus souvent à l’adolescence (voire même au début de l’adolescence selon certains auteurs), généralement dans le cercle familial ; les garçons jouent plus que les filles, quel que soit le pays étudié ou la période de référence.

En France, la pratique des jeux de hasard et d’argent chez les adolescents de 17 ans a été explorée pour la première fois en 2011 : 44 % ont déjà joué au cours de leur vie et 10 % ont joué au cours de la semaine. Parmi les jeunes de 17 ans ayant joué dans la semaine écoulée, 14 % seraient des joueurs à risque modéré et 3 % des joueurs excessifs. On peut donc considérer que 1,7 % des adolescents de 17 ans pourraient présenter une pratique des jeux à risque modéré ou excessive.

En France, les adolescents jouent principalement à des jeux de grattage et de tirage achetés dans un bureau de tabac. La possibilité de jouer en ligne est particulièrement attractive pour les jeunes, même mineurs. Près de 14 % des adolescents de 17 ans ont déclaré avoir joué à un jeu de hasard et d’argent sur Internet au moins une fois dans l’année écoulée.

Dommages associés

Si la dérive addictive liée à la pratique des jeux n’entraîne pas directement de dommages physiques, elle peut avoir des conséquences négatives (usage de substances psychoactives, symptômes dépressifs et anxieux, risque suicidaire, pertes financières, diminution des performances scolaires, activités délictueuses…). Les travaux évaluant les dommages du jeu problématique/pathologique à l’adolescence sont encore rares même si l’on constate que la prévalence du jeu problématique/pathologique est plus élevée chez les adolescents que chez les adultes.

Facteurs associés aux usages problématiques

Les facteurs psychologiques (mauvaise estime de soi, manque de confiance en soi…), socioéconomiques, scolaires (parcours scolaire perturbé) et familiaux (transmission intergénérationnelle des conduites addictives) concourent aux usages problématiques des substances ou aux pratiques aboutissant à des conduites addictives.

Alors que les adolescents issus de milieux favorisés ont des niveaux d’expérimentation plus élevés, les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés ou qui ont des difficultés scolaires ont un risque plus élevé de s’engager dans une consommation régulière excessive de tabac, alcool ou cannabis. De même, les jeunes dont les parents présentent des conduites addictives ont un risque majoré de consommation régulière ou excessive : les enfants de fumeurs sont 2 fois plus souvent eux-mêmes fumeurs, les enfants de consommateurs excessifs d’alcool sont 2 fois plus souvent eux-mêmes consommateurs réguliers d’alcool. Il en est de même au sujet de la pratique des jeux de hasard et d’argent.

La cohésion familiale (entente entre parents et enfants, connaissance qu’ont les parents de l’entourage et des activités de leurs enfants) réduit le risque de conduites addictives des adolescents.

Les experts notent également le rôle influent du cercle amical et de l’ensemble des produits marketing et des informations publicitaires déployés par les industriels qui incitent les jeunes à acheter les produits addictifs licites (tabac, alcool, jeux dans leur globalité). Ces publicités et outils marketing peuvent par ailleurs limiter l’efficacité des programmes de prévention destinés aux jeunes.

Enfin, il faut souligner le rôle des facteurs génétiques dans le risque de dépendance. Selon les études, une part non négligeable du risque de développer une addiction serait attribuable à des facteurs génétiques, parmi lesquels de nombreux gènes candidats ont été identifiés en fonction des produits.

Accompagnement des adolescents et stratégies de prévention

  • Accompagnement des adolescents

L’accompagnement sur les lieux de vie de l’adolescent repose sur une intervention précoce et des stratégies de réduction des risques. L’intervention précoce consiste à agir le plus tôt possible afin de ne pas laisser s’installer les comportements à risque ; les stratégies de réduction des risques visent à réduire les dommages sans rechercher l’abstinence. L’accompagnement dans les lieux de consultation et les traitements en milieu hospitalier/résidentiel a pour objectif  la réduction des consommations, voire un sevrage.

Les « Consultations jeunes consommateurs » (CJC), gratuites, anonymes et mises en place depuis 2004, sont des lieux d’accueil et de prise en charge dédiés aux jeunes consommateurs de substances psychoactives. Ces consultations proposent des prises en charge validées au niveau scientifique. Les « entretiens motivationnels » réalisés en consultation externe se fondent sur la nécessité de mettre en lumière et d’appuyer la motivation de l’adolescent pour qu’il puisse changer le(s) comportement(s) addictif(s). Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) fournissent aux jeunes des stratégies alternatives pour gérer des situations qui concourent au passage à l’acte addictif et les thérapies familiales mobilisent les parents et leur environnement pour encadrer et accompagner le jeune. Elles ont montré leur efficacité dans le contexte des CJC en France et en Europe. Elles s’avèrent davantage efficaces pour les situations sévères, les moins de 16 ans et lorsque les troubles du comportement sont importants.

D’autres approches existent comme les approches psychodynamiques, centrées sur l’individu et le renforcement « du moi ». Elles servent le plus souvent de modèle de compréhension que de base d’action.

En cas d’échec des soins ambulatoires, les soins résidentiels qui incluent les hospitalisations longues et les postcures, permettent une évaluation et un suivi global de l’adolescent (addictions et insertion/scolarisation).

  • Stratégies de prévention efficaces 

Plusieurs stratégies d’interventions ont montré des effets bénéfiques sur la prévention ou la diminution de la consommation de substances psychoactives. En particulier, trois types d’intervention sont le plus souvent présents dans les programmes validés comme efficaces : le développement des compétences psychosociales[5] des jeunes (gestion des émotions, prise de décisions, estime de soi) et de leurs parents (amélioration de la communication, gestion des conflits) ; les stratégies à composantes multiples (intégrant au niveau local d’autres acteurs que l’école et les parents en plus du développement des compétences des jeunes et des parents).

Il existe également d’autres types d’interventions : les interventions d’aide à distance (ordinateur ou téléphone mobile); les campagnes dans les médias (notamment pour la réduction du tabac) ou encore les actions législatives et réglementaires visant à limiter l’accès aux produits addictifs.

Recommandations

Les experts soulignent que les actions à développer doivent cibler en priorité l’alcool et le tabac, voire le cannabis, en raison des niveaux d’usage et des dommages associés qui prédominent sur les autres substances et les jeux.

Les recommandations d’actions préconisées par le groupe d’experts ont trois objectifs principaux :

==> Prévenir l’initiation ou en retarder l’âge 

Le groupe d’experts recommande de sensibiliser le public et les différents acteurs (jeunes, parents, intervenants du secteur scolaire, parascolaire ou médical…) à la vulnérabilité de l’adolescent et aux dangers associés à une initiation précoce. Il s’agirait de renforcer, sans dramatiser, les messages décrivant l’impact durable sur la santé, et en particulier sur le cerveau, d’une consommation massive et rapide d’alcool ainsi que d’une consommation régulière de cannabis pendant l’adolescence. Pour modifier les motivations, les attentes et les représentations existantes de ces produits, les campagnes média doivent être accompagnées de mesures éducatives et législatives.

Pour prévenir l’initiation, les experts soulignent également l’importance du développement des compétences psychosociales des adolescents. Cela pourrait s’inscrire dans des activités de groupe, notamment en milieu scolaire, et être en adéquation avec l’entrée dans la consommation des différents produits (10-12 ans par exemple pour le tabac).

Les adolescents demeurent très sensibles aux messages véhiculés par les parents. C’est pourquoi le groupe d’experts recommande d’informer régulièrement les parents sur les dommages liés aux consommations précoces, sur l’évolution des modes de consommation chez les jeunes et sur les codes marketing qui leur sont destinés et qui visent à promouvoir la consommation. Il s’agit d’aider les parents à avoir l’attitude la mieux adaptée à la situation.

En renforçant la formation des intervenants en milieu scolaire, sportif ou de loisir, l’ensemble des acteurs en contact avec les adolescents seraient informés des problématiques addictives et formés au repérage précoce des adolescents et aux interventions qui peuvent être réalisées.

Afin de mieux encadrer la vente du tabac et de l’alcool, les experts préconisent que l’achat de ces produits soit systématiquement assorti de la présentation d’un document officiel indiquant l’âge. Ils mettent l’accent sur le respect et le renforcement des lois réglementant la publicité qui favorise également la pratique précoce des jeux de hasard et d’argent. Il conviendrait également d’assurer une meilleure visibilité du contenu des jeux vidéo grâce à la présence et l’amélioration des logos définissant les classifications d’âge et de contenus.

==> Eviter les usages réguliers et les dommages sanitaires et sociaux

Pour éviter l’installation d’une conduite addictive, le groupe d’experts préconise d’améliorer le repérage des usages à risque et les interventions précoces, de renforcer les actions de première ligne telles que les « Consultations Jeunes Consommateurs » en formant le personnel aux méthodes de prise en charge précoce et de former un certain nombre aux thérapies ayant fait preuve de leur efficacité (TCC, thérapie familiale type MDFT[6]). En cas d’échec des soins en ambulatoire, une prise en charge des adolescents présentant des conduites addictives devrait être proposée dans les centres spécialisés et en milieu résidentiel.

L’existence de souffrances ou de troubles psychiques associés à une consommation excessive ou à des pratiques addictives exige de renforcer les liens entre les dispositifs d’addictologie et les services de pédopsychiatrie/psychiatrie, notamment ceux spécialisés dans l’évaluation et l’intervention précoce chez le jeune adulte ainsi qu’avec les maisons des adolescents.

Enfin, le groupe d’experts recommande d’améliorer la coopération des professionnels de l’éducation, de la santé et de la justice (lien avec les juges pour enfants et la protection judiciaire de la jeunesse) pour optimiser l’orientation et la prise en charge.

==> Assurer une coordination nationale et régionale des acteurs territoriaux

Le groupe d’experts souligne la nécessité de soutenir et développer au niveau local des structures publiques transversales d’animation dédiées aux addictions afin d’assurer une coordination régionale des acteurs territoriaux. Le recensement des actions de prévention à l’échelle régionale en France, permettrait de connaître et de diffuser les stratégies de prévention validées et de proposer des recommandations à l’intention des établissements scolaires et collectivités territoriales. Pour assurer cette coordination, les experts recommandent la mise en place d’une commission d’évaluation des programmes de prévention, qui sont actuellement rarement évalués.

Des recommandations de recherche ont également été formulées :

Des recherches multidisciplinaires, cliniques et fondamentales associées à des études longitudinales doivent être soutenues afin de suivre les trajectoires de consommations et de vie afin de mieux connaître les usages, les facteurs de risque, de résilience et les effets sanitaires et sociaux (conséquences sur la scolarité par exemple) de la consommation de substances psychoactives ou la pratique de jeux menant à des conduites addictives.

Les recherches en sciences humaines et sociales, notamment sur les motivations des adolescents et leurs pratiques sociales, apparaissent nécessaires pour des interventions de prévention plus efficaces.

Les experts insistent sur l’intérêt de développer, évaluer et valider les outils de dépistage et les stratégies de prise en charge des jeunes présentant des conduites addictives.
Ils recommandent également de conduire des recherches sur les moyens de prévenir les pratiques addictives des jeunes (rôle des technologies numériques par exemple).

Sensibiliser les jeunes aux addictions par la recherche : le pari du programme Apprentis-Chercheurs MAAD (Mécanismes des Addictions à l’Alcool et aux Drogues)

« On a cherché à voir s’il y avait une différence entre les individus addicts et ceux n’ayant jamais touché à la drogue » ; « on a coloré des coupes de cerveaux pour voir quels sont les différents neurones impliqués dans l’addiction » ; « on a calculé le taux d’expression des gènes après consommation ». Voilà quelques propos tenus par les adolescents qui ont été sélectionnés pour le programme MAAD et ont travaillé tout au long de l’année scolaire, à raison de 1 ou 2 mercredi après-midi par mois, dans un des 5 laboratoires de recherche sur les addictions participant au programme, à Amiens, Bordeaux, Marseille, Paris et Poitiers.

Piloté par l’Inserm et financé par la Mildt, le projet MAAD s’appuie sur le dispositif Apprentis-Chercheurs mis en place par l’association Arbre des connaissances créée en 2004 par des chercheurs de l’Institut d’Hématologie de l’hôpital St Louis et dont l’objectif principal est d’intéresser les jeunes aux questions de science par la pratique de la recherche expérimentale.

Encadrés par un chercheur senior de l’équipe d’accueil, les jeunes, en binôme constitué par un collégien en classe de 3ème et un lycéen en classe de 1èreS, sont engagés dans une vraie démarche expérimentale : question scientifique, planification et  réalisation des expériences, analyse des résultats. Dix binômes ont pu être accueillis. Plasticité synaptique, expression génomique, immuno-histochimie, méthodes d’analyse comportementale, électrophysiologie… n’ont plus de secrets pour eux.

Après le laboratoire vient le temps de la communication. A l’occasion des congrès qui se sont tenus dans chaque ville, les apprentis-chercheurs MAAD, comme des scientifiques chevronnés, présentent leurs travaux au public, élèves de leur établissement scolaire, parents, enseignants…. , devenant ainsi des médiateurs scientifiques ; les 5 congrès organisés ont réuni environ 500 personnes.

Le regard des apprentis-chercheurs MAAD sur les drogues a changé : « c’est intéressant de savoir pourquoi on devient addict » ; « j’ai compris que l’addiction ne relève pas seulement de la volonté de l’individu » ; «  ce n’est pas seulement une faiblesse de l’esprit »…

Autant de messages et d’autres encore qui seront relayés par la génération suivante d’apprentis-chercheurs MAAD, car l’aventure continue. En effet, la deuxième édition du programme, 2013-2014, s’appuie sur 9 laboratoires et s’est élargie au tabac et au cannabis.

Pour plus d’informations et assister à une séance MAAD le mercredi après-midi et/ou aux congrès de fin d’année qui auront lieu du 2 au 10 Juin 2014 dans toute la France: rf.mresni@esserp


[1]  Plan adopté le 19 Septembre 2013. http://www.drogues.gouv.fr/site-professionnel/la-mildt/plan-gouvernemental/plan-gouvernemental-2013-2017/

[2] Depuis la fin des années 1990, trois enquêtes documentent les usages de produits psychoactifs en population adolescente : HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), Espad (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs) et Escapad (Enquête sur la santé et les consommations réalisée lors de la Journée Défense et Citoyenneté) permettant de couvrir l’ensemble de la période 11-17 ans.

[3] D’après les enquêtes HBSC, Espad et Escapad

[4] D’après l’enquête Escapad

[5] Capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne (OMS)

[6] Thérapie familiale multidimensionnelle

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