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Méningites à méningocoque: un pas décisif dans la compréhension du mécanisme pathogène de cette bactérie

Neisseria meningitidis, ou méningocoque, est une bactérie responsable de méningites et de septicémies[1], dont la forme la plus grave, purpura fulminans, est souvent fatale. Cette bactérie, qui réside naturellement dans le rhinopharynx de l’Homme, est pathogène lorsqu’elle atteint la circulation sanguine. Les équipes du Dr Sandrine Bourdoulous, directrice de recherche CNRS à l’Institut Cochin (CNRS/Inserm/Université Paris Descartes), et du Pr Xavier Nassif de l’Institut Necker Enfants Malades (CNRS/Inserm/Université Paris Descartes/AP-HP) ont décrypté les événements moléculaires par lesquels les méningocoques ciblent les vaisseaux sanguins et les colonisent. Ces travaux ouvrent la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques pour le traitement des troubles vasculaires provoqués par ce type d’infection invasive. Leur étude est publiée le 1er juin 2014 dans Nature Medicine.

Lorsque Neisseria meningitidis se multiplie dans le sang, cette bactérie interagit avec les cellules endothéliales qui tapissent l’intérieur des vaisseaux sanguins et adhère aux parois de ces derniers. Au niveau de la peau et des muqueuses, l’infection des vaisseaux par le méningocoque crée des lésions hémorragiques (dites purpuriques), dues à des saignements dans les tissus, qui peuvent rapidement évoluer vers une forme grave et souvent mortelle de la maladie (le purpura fulminans). Au niveau du cerveau, l’adhérence des méningocoques aux vaisseaux leur permet de franchir la barrière hémato-encéphalique[2] et d’entraîner une méningite lorsqu’ils envahissent les méninges[3].

Les équipes de chercheurs ont décrypté le mécanisme d’adhérence de Neisseria meningitidis aux vaisseaux sanguins, étape au cœur de la pathogénicité de la bactérie. Du côté des vaisseaux sanguins, ils ont identifié le récepteur[4] CD147, dont l’expression est essentielle à l’adhérence initiale du méningocoque aux cellules endothéliales. Si ce récepteur est absent, N. meningitidis ne peut pas s’implanter et coloniser les vaisseaux sanguins.

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Colonisation des vaisseaux cérébraux par N. meningitidis
Analyse en immunofluorescence d’une coupe de cerveau humain infectée par N. meningitidis. Les bactéries (en rouge) ont colonisé les cellules endothéliales cérébrales qui expriment CD147 (en vert). (En bleu, marquage des noyaux cellulaires) © Nature Medicine

Du côté bactérien, il est connu que les processus d’adhérence du méningocoque aux cellules humaines reposent sur les pili, de longs appendices filamenteux exprimés par la bactérie, composés de différentes sous-unités (les pilines). Cependant, les pilines spécifiquement impliquées dans l’adhérence de N. meningitidis aux vaisseaux sanguins n’avaient jamais été identifiées. Les chercheurs ont ainsi déterminé que deux pilines, PilE et PilV, interagissent directement avec le récepteur CD147. Sans elles, les méningocoques ne peuvent pas adhérer aux cellules endothéliales.

L’Homme est la seule espèce pouvant être infectée par les méningocoques. Pour montrer in vivo que les pilines PilE et PilV sont essentielles à la colonisation du réseau vasculaire par N. meningitidis, les chercheurs ont utilisé un modèle de souris immunodéficientes greffées avec de la peau humaine, conservant des vaisseaux humains fonctionnels au sein de la greffe et permettant ainsi de reproduire chez la souris les phases cutanées de l’infection observée chez l’Homme. Ces souris ont alors été infectées par des méningocoques possédant naturellement les pilines PilE et PilV, ou des méningocoques dans lesquels l’expression de ces pilines a été artificiellement supprimée. Les vaisseaux sanguins humains ne sont infectés que par les méningocoques possédant PilE et PilV ce qui confirme que ces deux pilines sont essentielles au processus de colonisation de la bactérie.

Les chercheurs ont également montré, avec un modèle d’infection ex vivo[5], que les vaisseaux cérébraux et les méninges, particulièrement riches en récepteurs CD147, sont permissifs à la colonisation par les méningocoques à la différence d’autres parties du cerveau.

Les chercheurs souhaitent désormais développer un nouveau type de vaccin (en complément de ceux qui existent déjà) qui bloquerait l’interaction entre N. meningitidis et les récepteurs CD147 et empêcherait ainsi la colonisation des vaisseaux par la bactérie.

Cette étude a été réalisée grâce au soutien des équipes du Dr Frank Lafont, du Centre d’infection et d’immunité de Lille (CNRS/Inserm/Institut Pasteur de Lille/Université Lille 1/Université Lille 2), du Pr Fabrice Chrétien, de l’unité Histopathologie humaine et modèles animaux de l’Institut Pasteur de Paris et du Dr Eric Chevet du Groupe de recherches pour l’étude du foie (Inserm/Université de Bordeaux).


[1] Infections généralisées.

[2]Les cellules endothéliales des capillaires cérébraux constituent une barrière physiologique à l’interface entre le sang et le cerveau (la barrière hémato-encéphalique). Ces cellules, pourvues de propriétés uniques, agissent comme un filtre sélectif à travers lequel les aliments nécessaires sont transmis au cerveau et les déchets éliminés. Elles protègent ainsi le cerveau de l’environnement extérieur, y compris des agents pathogènes.

[3] Enveloppes qui protègent le système nerveux central.

[4] Un récepteur est une protéine de la membrane cellulaire sur laquelle peut se lier un facteur spécifique (un ligand), déclenchant ainsi une réponse dans la cellule.

[5] L’expression est utilisée pour des cultures de tissus ou de cellules vivantes effectuées au laboratoire, hors de l’organisme dont ils proviennent.

Comment le cerveau s’adapte à toutes les situations?

© CC BY-SA 2.0 by ZeroOne

Lorsque l’on est face à une situation incertaine, changeante voire nouvelle, notre cerveau opte, après un moment de réflexion, pour une solution plutôt qu’une autre. C’est le raisonnement par lequel l’Homme s’adapte à de telles situations, que vient de décrypter l’équipe d’Etienne Koechlin, directeur du laboratoire de Neurosciences Cognitives (Inserm/ENS). Les chercheurs ont découvert l’algorithme du cortex cérébral préfrontal permettant à l’Homme de raisonner pour s’adapter à ce type de situation grâce à deux processus distincts.

Les résultats sont publiés dans la revue Science Express le 29 mai 2014.

La prise de décision a lieu grâce à l’activité d’une zone cérébrale du lobe frontal appelée cortex préfrontal. Jusqu’à présent, on savait que cette zone était impliquée dans la prise de décision et le contrôle de l’action. Seulement, on ignorait comment cette zone cérébrale dotait l’homme de capacités de raisonnement et de jugement particulièrement développées et fortement sollicitées dans des situations nouvelles.

Dans cette étude publiée dans Science Express, les chercheurs du laboratoire de neurosciences Cognitives (Inserm/ENS) ont analysé l’activité cérébrale de 40 jeunes individus (18-26 ans) en bonne santé soumis à un protocole inspiré du jeu de société Mastermind. Ils devaient faire face à un scénario incertain et variable comme dans ce jeu où le joueur doit raisonner pour déduire la combinaison de pions de son partenaire à partir d’information parcellaire, mais aussi s’adapter car dans le protocole utilisé celle-ci pouvait changer à l’insu des participants.

Grâce à la neuroimagerie, les chercheurs ont découvert le fonctionnement algorithmique du cortex préfrontal expliquant comment les humains raisonnent pour s’adapter à des situations incertaines, changeantes et nouvelles.

L’étude révèle le rôle clé joué par deux régions. La première, située entre les régions ventro- et dorso-medial du cortex préfrontal, est capable d’évaluer la situation et détermine s’il faut ajuster le comportement de l’individu ou explorer de nouvelles stratégies plus ou moins connues par l’individu, c’est-à-dire émergeant de sa mémoire à long terme.

La seconde, appelée « frontopolaire », très antérieure et latérale des lobes frontaux, considéréee comme absente chez les primates non-humains, est capable d’analyser en parallèle la pertinence de 2 ou 3 stratégies alternatives. « La zone frontoplolaire permet à l’individu de tester en parallèle plusieurs hypothèses concurrentes et notamment de juger de la pertinence de former de nouvelles hypothèses émergeant de sa mémoire à long terme » explique Etienne Koechlin, directeur de recherche Inserm et principal auteur de l’étude.

Ces deux voies fonctionnent conjointement et sont à l’origine du raisonnement qui consiste à comparer, tester des hypothèses et les accepter ou les rejeter vis-à-vis d’autres stratégies nouvellement envisagées par l’individu.

« Nos résultats constituent une avancée majeure, puisque c’est la première fois que ce fonctionnement algorithmique est modélisé mathématiquement et mis à jour dans cette zone du cerveau «  conclut-il.

Le fonctionnement du cortex préfrontal est massivement altéré dans les maladies neuropsychiatriques. Son développement se poursuit tardivement dans l’adolescence et il est altéré dans le vieillissement. Ces résultats ouvrent de nombreuses perspectives puisqu’ils permettront de mieux comprendre comment son développement, son vieillissement et ses pathologies changent les capacités de jugement des individus et comment y remédier.

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