Les équipes Inserm du Pr Jean-Yves Blay et de Christophe Caux à Lyon[1], de Franck Tirode et d’Olivier Delattre à Paris[2] viennent de mettre en évidence un nouveau variant génétique de tumeurs non identifiées à ce jour. Leurs résultats permettent de mieux diagnostiquer ces tumeurs grâce à un biomarqueur validé. Cette étude est publiée dans la revue Nature Genetics.
L’application en cancérologie des techniques de séquençage dites de « haut débit » bouleverse actuellement notre compréhension de la genèse et de l’évolution naturelle des cancers. Ces nouvelles données ont partiellement remis en cause les classifications des tumeurs établies à partir des techniques classiques comme l’anatomopathologie. Selon le Pr Jean-Yves Blay, codirecteur de cette étude, « notre priorité est d’affiner les classifications des tumeurs utilisées en pratique clinique afin d’offrir aux patients l’option thérapeutique la plus adaptée. C’est particulièrement important dans le domaine des sarcomes, où nous sommes régulièrement confrontés au problème de tumeurs très indifférenciées dont le classement est difficile ».
Un même objectif, deux stratégies
L’étude publiée dans Nature Genetics vise à caractériser des tumeurs malignes suspectées d’appartenir au groupe des sarcomes mais restées jusqu’à présent inclassables. Les investigations moléculaires ont mis en évidence des altérations du gène SMARCA4 codant une des sous-unités des complexes BAF. Ces complexes participent à la régulation de la structure de la chromatine, forme compactée de l’ADN dans le noyau des cellules.
Pour obtenir ces résultats, deux approches complémentaires et indépendantes ont été menées (schéma en annexe page 4). La première, basée sur des analyses anatomopathologiques, a été conduite par les chercheurs du Centre de recherche en cancérologie de Lyon (Inserm/CNRS/Université Lyon 1/Centre Léon Bérard), et s’est focalisée sur des sarcomes non classés à partir de leurs caractéristiques microscopiques.
Parallèlement, les chercheurs de l’Institut Curie ont entrepris une démarche de caractérisation « à l’aveugle » en effectuant l’analyse des profils d’expression par séquençage de l’ARN à haut-débit d’une trentaine de sarcomes indifférenciés. Franck Tirode, chargé de recherche Inserm et codirecteur de l’étude, a ainsi identifié dans cette cohorte un sous-groupe de tumeurs dont les profils d’expression étaient très semblables, suggérant leur nature commune.
Les chercheurs parisiens et lyonnais ont ensuite mis en commun leurs résultats après s’être aperçu qu’ils s’intéressaient au même type de pathologie. Ils ont validé ces résultats préliminaires prometteurs en retrouvant d’autres cas ou observations similaires en un an grâce à la collaboration de nombreux établissements hospitaliers répartis sur toute la France.
Une nouvelle entité tumorale
Cette étude collaborative a permis d’identifier au final 19 échantillons tumoraux comportant tous une inactivation du gène SMARCA4. Ces tumeurs présentaient des caractéristiques cliniques et pathologiques similaires, produisant de larges masses tumorales comprimant les voies respiratoires et progressant très rapidement, le plus souvent chez des hommes jeunes et consommateurs de tabac. Par ailleurs, elles étaient toutes, vues au microscope, très proches des tumeurs rhabdoïdes, une forme de cancer pédiatrique de très mauvais pronostic. Or, ces mêmes tumeurs, décrites il y a près de 17 ans par l’équipe d’Olivier Delattre à l’Institut Curie sont, de manière remarquable, associées à des mutations du gène SMARCB1, codant une sous-unité du complexe BAF, dont SMARCA4 fait partie.
Les chercheurs ont comparé les profils d’expression de toutes leurs tumeurs avec de nombreux autres types tumoraux et confirment non seulement l’exceptionnelle homogénéité de ces tumeurs entre elles mais surtout la parenté de leur signature avec les tumeurs rhabdoïdes. « Toutefois, bien que l’événement oncogénique soit comparable, la complexité génomique des tumeurs que nous avons étudiées diffère considérablement de la génomique simple des tumeurs rhabdoïdes », précise Franck Tirode.
Forts de ces résultats, les scientifiques ont ainsi pu affirmer que leur cohorte correspondait à une nouvelle entité homogène qu’ils ont baptisée « sarcome thoracique SMARCA4-déficient ».
Mieux diagnostiquer pour accélérer la prise en charge
Les chercheurs soulignent que ces tumeurs sont très agressives et résistent aux modalités actuelles de traitements. Le complexe BAF présente des altérations dans près de 20% des cancers humains et fait l’objet d’intenses recherches pour son ciblage thérapeutique. Si cette publication n’apporte pas dans l’immédiat de proposition thérapeutique pour les patients affectés, elle démontre en revanche que ces tumeurs sont facilement reconnaissables dans la pratique clinique. En effet, des nouveaux cas « prospectifs » ont pu être identifiés pendant l’étude permettant d’accélérer la prise en charge des patients.
C’est dans cet objectif que les auteurs de l’étude ont validé le biomarqueur SOX2, qui est particulièrement surexprimé par cette nouvelle entité tumorale, facilitant ainsi le diagnostic clinique. Ils soulignent que l’agressivité de ces tumeurs n’est sans doute pas sans lien avec la surexpression de SOX2, capable de conférer aux cellules des propriétés de cellules souches.
En conclusion, ce travail s’inscrit pleinement dans la conception actuelle de l’oncologie et de la « thérapie personnalisée », dans laquelle établir un diagnostic précis est un préalable indispensable au succès de la médecine de précision.
Les sarcomes sont des tumeurs rares qui représentent moins de 1 % de tous les nouveaux cas de cancer, soit environ 3 500 nouveaux cas par an. Ils affectent des personnes de tous âges, même si on les observe le plus souvent chez des enfants et jeunes adultes. Ils sont situés dans les os, le cartilage, les tissus adipeux, les muscles, les vaisseaux sanguins ou d’autres tissus conjonctifs ou de soutien. Le diagnostic de ces tumeurs rares est coordonné à l’échelle nationale par le réseau du Groupe Sarcome Français comprenant 3 centres de référence régionaux incluant l’Institut Bergonié (Bordeaux), le Centre Léon Bérard (Lyon) et l’Institut Gustave Roussy (Villejuif).
[1] Centre de recherche en cancérologie de Lyon, Inserm U1052 CNRS 5286 Université Claude Bernard Lyon 1 Centre Léon Bérard, Equipe Ciblage thérapeutique de la cellule tumorale et de son environnement immunitaire
[2] Institut Curie, Inserm U830, Equipe Génétique et Biologie des cancers pédiatriques