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Les enjeux éthiques de la technologie CRISPR-Cas9

Le 13 juin dernier, le comité d’éthique de l’Inserm a rassemblé plus d’une centaine de personnes lors de sa journée annuelle. L’occasion pour toutes les personnes présentes de disposer d’un éclairage éthique sur de nombreuses problématiques posées par la recherche biomédicale. Parmi les questions abordées, celle de la technologie CRISPR-Cas9. Le comité d’éthique y consacre un avis alors que les NIH viennent d’obtenir un premier feu vert pour un essai d’immunothérapie anticancéreuse chez l’homme.

 

Le comité d’éthique de l’Inserm peut être « saisi » ou s’autosaisir pour réfléchir sur les questions éthiques soulevées par la recherche scientifique médicale et la recherche en santé telle qu’elle est mise en œuvre au sein de l’Institut. Au terme de sa réflexion, il rend un avis sous forme de notes qui peuvent évoluer en relation avec de nouvelles contributions. En 2015, le PDG de l’Inserm a saisi le comité d’éthique afin qu’il  examine spécifiquement les questions liées au développement de la technologie CRISPR et notamment :

1- Quelles sont les questions soulevées par la technologie en tant que telle ?

2- La rapidité de son développement soulève-t-elle des problèmes particuliers ?

3- Sa simplicité d’utilisation appelle-t-elle un encadrement de sa mise en œuvre en laboratoire ?

Compte tenu des avantages techniques de la méthode et de sa très rapide diffusion, la question est aujourd’hui d’évaluer où, quand et comment son usage pourrait poser un problème éthique. Il est apparu d’emblée important de distinguer trois domaines aux enjeux différents :

1/ l’application de la technologie  à l’homme qui soulève essentiellement la question des modifications de la lignée germinale ;

2/ l’application à l’animal, en particulier aux espèces « nuisibles », qui soulève la question d’un éventuel transfert latéral de gènes et l’émergence de dommages irréversibles à la biodiversité ;

3/ des risques d’atteinte à l’environnement.

 

Recommandations du comité d’éthique de l’Inserm

Le comité propose dans l’immédiat que l’Inserm adopte les principes suivants :

1- Encourager une recherche dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de la technologie CRISPR et des autres technologies d’édition du génome récemment publiées, dans des modèles expérimentaux pouvant permettre au cas par cas de déterminer la balance bénéfice/risque d’une application thérapeutique y compris éventuellement sur des cellules germinales et l’embryon. Cette information est essentielle pour pouvoir définir, dans le futur, ce qui pourrait être autorisé chez l’homme en termes d’approches thérapeutiques.

2- Les effets potentiellement indésirables du guidage de gènes doivent être évalués avant toute utilisation hors d’un laboratoire respectant des règles de confinement déjà en vigueur pour d’autres modifications génétiques. Les évaluations doivent se faire sur des périodes longues compte-tenu du caractère transmissible du gène guide. Des mesures de réversibilité devraient être prévues en cas d’échappement ou d’effet indésirable. De telles analyses et l’élaboration de scénarios multiples nécessitent la constitution d’équipes pluridisciplinaires.

3- Respecter l’interdiction de toute modification du génome nucléaire germinal à visée reproductive dans l’espèce humaine, et n’appuyer aucune demande de modification des conditions légales avant que les incertitudes concernant les risques ne soient clairement évaluées, et avant qu’une concertation élargie incluant les multiples partenaires de la société civile n’ait statué sur ce scénario.

4- Participer à toute initiative nationale ou internationale qui traiterait les questions de liberté de la recherche et d’éthique médicale y compris avec les pays émergents qui seront également impactés par le développement des technologies d’édition du génome.

5- Enfin attirer l’attention sur la question plus philosophique qui met en tension la plasticité du vivant avec l’idée d’une nature humaine fondée sur le seul invariant biologique. Il convient de susciter une conscience qui fasse la part de l’utopie et des dystopies que peuvent engendrer certaines promesses thérapeutiques.

 

2 minutes pour comprendre la technologie Crispr-cas 9

Remise du Plan France Médecine Génomique 2025

Le Plan France Médecine Génomique 2025 a été remis au Premier ministre Manuel Valls par Yves Lévy, Président de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé – Aviesan et Pdg de l’Inserm,  ce 22 juin 2016. Le Premier Ministre a adressé une lettre de mission en avril 2015 au Président d’Aviesan afin d’examiner les conditions nécessaires pour permettre l’utilisation du séquençage du génome entier dans la pratique clinique. Ce plan ambitieux, piloté et soutenu par l’Etat, vise à positionner, d’ici dix ans, la France dans le peloton de tête des grands pays engagés dans la médecine génomique. S’il répond à un enjeu de santé publique en termes diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques, ce plan ambitionne également de faire émerger une filière médicale et industrielle nationale en médecine génomique et d’exporter ce savoir-faire.

Accéder au Plan

La médecine génomique est une réalité : elle transforme d’ores et déjà la manière dont on prévient, diagnostique, soigne et pronostique l’évolution d’une maladie. C’est un domaine à forte compétitivité internationale, chaque pays souhaitant aujourd’hui introduire la médecine génomique dans le parcours de soin, développer une filière industrielle et attirer les talents scientifiques pour consolider ses avantages. Pour élaborer ce Plan, l’Alliance Aviesan a réuni une année durant des représentants institutionnels et des compétences transversales des domaines de la recherche, de la santé, et de l’industrie, les agences de recherche et sanitaires, les administrations centrales des ministères, les industriels représentés par l’Ariis, la CNAM et l’HAS, le CGI, l’École d’économie de Toulouse.

Remise du Plan Médecine Génomique 2025 à Manuel Valls

Remise du Plan France Médecine génomique 2025 le 22 juin 2016 © Jean-Marie Heidinger / Inserm

Plus de 150 personnes se sont ainsi attachées à :

  • Définir la place et l’importance du séquençage génomique dans la médecine actuelle et les développements futurs attendus dans 10 ans.
  • Établir le positionnement de la France dans le domaine de la recherche sur la génomique, sa place dans les plans santé en cours ainsi que les priorités à mettre en œuvre en cohérence avec les stratégies nationales de santé et de recherche.
  • Évaluer les enjeux associés en matière d’innovation, de valorisation et de développement économique, en prenant en compte les aspects technologiques, la gestion des grandes données et les implications éthiques.

Proposer un modèle médico-économique, sur le long terme, intégrant la prise en charge par l’Assurance maladie et le développement d’une filière industrielle pour soutenir une telle initiative.

« La médecine génomique est une révolution dans le domaine du soin et de la prévention, a affirmé Yves Lévy, Président d’Aviesan lors de la remise du Plan.  Elle est au cœur de l’innovation en matière de diagnostic, de pronostic, de traitements et d’administration du médicament. La France doit se donner les moyens de réussir cette révolution, d’y prendre sa place, parmi les toutes premières. Nous disposons pour cela des formidables atouts de notre recherche fondamentale, clinique et translationnelle ».

Organisé autour de 14 mesures opérationnelles structurées en 3 grands objectifs,  le plan France Médecine Génomique 2025 vise à :

  • Déployer les instruments du parcours de soins génomique en

– se dotant des capacités de séquençage avec le déploiement d’un réseau de douze plateformes de séquençage couvrant l’ensemble du territoire,

– mettant en place les outils pour exploiter les volumes de données générées avec l’installation d’un Collecteur analyseur de données (CAD), capable de traiter et d’exploiter le volume considérable de données générées en les appariant avec les données médicales et d’offrir les premiers services dans le cadre du parcours de soin.

  • Assurer le déploiement opérationnel et la montée en puissance du dispositif dans un cadre technique et éthique sécurisé afin de permettre un accès à la médecine génomique pour l’ensemble des personnes concernées (malades et leurs familles selon les indications) sur le territoire par :
  • La mise en œuvre effective du parcours de soin génomique dont les différents maillons seront testés et validés depuis le recueil des consentements, les modalités de prélèvements, de transport et de transfert des échantillons vers les centres de séquençage, jusqu’à la mise en place des personnels susceptibles d’en faire l’analyse et des contrôles qualité jusqu’à l’élaboration et la transmission des comptes rendus,
  • La mise en place d’un dispositif d’évaluation et de validation des indications d’accès à la médecine génomique,
  • La création d’un centre de référence, d’innovation, d’expertise et de transfert (CRefIX) capable, en partenariats avec les industriels, d’assurer les développements technologiques et informatiques indispensables,
  • La mise en place des formations à la santé génomique et digitale au sein des universités et des écoles nécessaires pour relever le défi de l’exploitation et de l’interprétation des données,
  • La garantie d’un parcours sécurisé et de qualité.
  • Contribuer à l’émergence rapide d’une filière « médecine génomique »

La mise en place d’une filière nationale de médecine génomique, capable d’être un levier d’innovation scientifique et technologique, de valorisation industrielle et de croissance économique, nécessitera l’implication des industriels concernés aux côtés de la recherche académique et des acteurs publics du soin.

Pour accompagner l’émergence de cette filière, le plan prévoit par ailleurs un suivi des évolutions de la médecine génomique à l’échelle internationale ainsi que la mise en œuvre d’un programme de recherche dédié aux aspects médico-économiques.

La dimension éthique est au cœur de ce Plan de médecine génomique. L’accès et  l’utilisation de données génomique représentant des populations entières soulèvent de nombreuses questions d’éthique tant au niveau individuel que sociétal. Aussi, le Plan prévoit notamment une saisine du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), indispensable afin d’approfondir ces aspects au niveau national, mais également de se doter des moyens pour informer, consulter et impliquer les citoyens dans cette révolution.

Enfin, conscientes des enjeux que représente la médecine génomique, les associations de malades en lien avec l’Inserm se sont particulièrement impliquées, comme en témoigne leur contribution à l’élaboration de ce Plan.

La médecine génomique, une compétition internationale et des enjeux majeurs

Les États-Unis, le Royaume Uni et la Chine ont lancé des plans nationaux ambitieux au cours des deux dernières années, visant à la fois à développer une stratégie nationale et à soutenir leurs acteurs industriels. Avec eux, de nombreux acteurs industriels se mobilisent pour déployer des solutions technologiques dédiées à la médecine génomique et à la gestion des données numériques massives associées. De grandes entreprises internationales ont perçu le fort potentiel de développement de cette santé numérique et investissent ce secteur.

En Europe, plusieurs pays ont commencé à intégrer la médecine génomique dans leur système de santé : Estonie, Pays-Bas, Slovénie. Le risque de voir se développer un tourisme médical vers des pays du Continent offrant ce type de service existe avec lui celui d’une aggravation des inégalités de santé.

C’est dans ce contexte qu’a été élaboré le Plan « France Médecine Génomique 2025 » pour répondre aux différents enjeux que pose la médecine génomique :

Un enjeu de santé publique en permettant à un nombre substantiel de patients de bénéficier grâce séquençage de leur génome d’une prise en charge diagnostic, pronostic et thérapeutique personnalisée.

Un enjeu scientifique et clinique visant à renforcer la chaîne translationnelle allant de l’exploration moléculaire des pathologies jusqu’au bénéfice thérapeutique du patient en passant par la constitution et l’appariement de bases de données hétérogènes et multiples qu’il s‘agisse de données biologiques, cliniques voire environnementales.

Un enjeu technologique à travers la convergence indispensable entre les sciences numériques et les sciences de la vie et de la santé qu’exige cette approche. La capacité à acquérir, stocker, distribuer, interpréter et adresser ces données massives est au cœur de cette convergence qui verra émerger une filière en sciences du calcul et des données en biologie.

Un enjeu économique à la fois en termes d’efficience et de cout pour notre système de soin (diminution du nombre de bilans inadaptés, imprécis et onéreux, réduction des délais d’analyse, suppression ou limitation de médicaments inutiles, élimination de certains effets secondaires handicapants, gain d’années de vie) mais également d’opportunité de développer une nouvelle filière industrielle sources d’innovation en santé, de croissance et d’emplois.

Tumeurs cérébrales : pour la 1ère fois, des ultrasons rendent perméables les vaisseaux sanguins pour accroître la diffusion du traitement

Des équipes de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, de l’Université Pierre et Marie Curie, de l’Inserm et de la société CarThera, hébergée à l’Institut du cerveau et de la moëlle épinière (ICM), coordonnées par le Pr Alexandre Carpentier, neurochirurgien à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, ont réussi grâce aux ultrasons à rendre temporairement perméables des vaisseaux sanguins cérébraux chez des patients atteints d’une tumeur cérébrale maligne en récidive. Cette méthode novatrice permet d’accroître la diffusion des traitements, notamment des chimiothérapies, dans le cerveau, et représente un espoir pour d’autres pathologies cérébrales. Ces travaux ont été publiés le 15 juin dans la revue internationale Science Translational Medicine.

cerveau-ultrasons

© CarThera

Aujourd’hui, le traitement des tumeurs cérébrales primitives malignes repose sur un acte neurochirurgical, suivi de séances de chimiothérapie et/ou radiothérapie. Ces traitements permettent une rémission de la maladie de durée variable selon les patients. La Barrière Hémato-Encéphalique (BHE), cette paroi de vaisseaux particulièrement étanche en vue de limiter l’exposition des neurones aux agents toxiques, limite le passage et donc la diffusion des traitements dans le cerveau.

Face à ce constat, l’équipe du Pr Alexandre Carpentier, l’équipe du Dr Ahmed Idbaih, et le groupe de neuro-oncologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, ont lancé en juillet 2014 un essai clinique de phase 1/2a, promu par l’AP-HP, chez des patients en situation de récidive de tumeur cérébrale maligne.

L’objectif est de parvenir à perméabiliser la Barrière Hémato-Encéphalique, afin d’accroître la pénétration et la diffusion des médicaments des chimiothérapies dans le cerveau,

grâce au dispositif ultrasonore « SonoCloud® » développé par la société CarThera. Implanté dans l’épaisseur du crâne, ce dispositif est activé quelques minutes avant l’injection intraveineuse du produit. Deux minutes d’émission d’ultrasons suffisent à perméabiliser temporairement la BHE pendant 6 heures, permettant ainsi une diffusion de la molécule thérapeutique dans le cerveau 5 fois plus importante que d’ordinaire.

A ce jour, et pour la première fois au monde, plusieurs « ouvertures » répétées de la BHE ont pu être observées chez les 20 patients traités. La tolérance est par ailleurs excellente : la technologie inventée par le Pr Carpentier et mise au point par la société CarThera, avec l’aide du laboratoire de physique LabTAU de l’Inserm, n’altère pas les neurones et la BHE se referme spontanément 6 heures après la perfusion intraveineuse.

Selon le Pr Alexandre Carpentier, « cette méthode novatrice offre un espoir dans le traitement des cancers du cerveau, mais aussi d’autres pathologies cérébrales, comme potentiellement la maladie d’Alzheimer, pour lesquelles les molécules thérapeutiques existantes peinent à pénétrer dans le cerveau. Cette technique doit continuer son processus d’évaluation pour envisager un passage en routine clinique dans quelques années ».

Attentats : « 13-Novembre », un programme de recherche inédit sur les mémoires traumatiques

Comment le souvenir traumatique des attentats du 13 novembre 2015 évolue-t-il dans les mémoires individuelles et la mémoire collective ? Comment ces mémoires individuelles se nourrissent-elles de la mémoire collective, et inversement ? Peut-on prédire, par l’étude des marqueurs cérébraux, quelles victimes développeront un état de stress post-traumatique, et lesquelles se remettront plus facilement ? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles tentera de répondre l’ambitieux programme « 13-Novembre », porté par le CNRS, l’Inserm et héSam Université, avec la collaboration de nombreux partenaires. Codirigé par l’historien Denis Peschanski et le neuropsychologue Francis Eustache, ce programme de recherche transdisciplinaire est fondé sur le recueil et l’analyse de témoignages de 1000 personnes volontaires interrogées à quatre reprises en dix ans. Mobilisant plusieurs centaines de professionnels, ce programme est une première mondiale par son ampleur, le nombre de disciplines associées et le protocole établi. Des retombées sont attendues dans les domaines socio-historique et biomédical, mais aussi du droit et des politiques publiques ou de la santé publique.

 

Suite à l’appel lancé par Alain Fuchs, président du CNRS[1] en novembre dernier, la communauté des chercheurs se mobilise pour répondre aux questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences. Elaboré dans la foulée de cet appel à projets, « 13-Novembre » est un programme transdisciplinaire qui se déroulera sur 12 ans. Porté par le CNRS et l’Inserm, en lien avec héSam Université, il a pour objectif d’étudier la construction et l’évolution de la mémoire après les attentats du 13 novembre 2015, mais aussi l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective. « La vocation du CNRS s’exprime pleinement dans le projet 13 novembre : soutenir deux scientifiques qui vont eux-mêmes orchestrer des études mobilisant 150 chercheur-e-s issues de disciplines différentes dans un programme de long terme et d’une ambition inégalée », estime Alain Fuchs, président du CNRS. «  L’Inserm s’est engagé dès le début pour faire aboutir le projet. Il associe les sciences humaines et sociales et les avancées les plus récentes des neurosciences. Il s’agit d’un projet interdisciplinaire, ambitieux qui répondra à des questions que nous nous posons tous. J’ai considéré que cela relevait des missions de deux organismes comme l’Inserm et le CNRS »,  indique Yves Lévy, PDG de l’Inserm.

1000 personnes suivies pendant dix ans

Les témoignages de 1000 personnes volontaires seront recueillis et analysés. Certaines ont vécu le drame au plus près – des survivants, leur entourage, des policiers, militaires, pompiers, médecins et aidants qui sont intervenus. D’autres ont été touchées indirectement : des habitants et usagers des quartiers touchés ; des personnes vivant aux abords de Paris ; et enfin, des habitants de plusieurs villes de France, dont Caen et Metz.

Cette étude est inédite par son ampleur : les 1000 participants seront suivis pendant 10 ans au cours de quatre campagnes d’entretiens filmés (en 2016, 2018, 2021 et 2026), grâce au concours de l’INA (chargé des captations parisiennes) et de l’ECPAD[2] (pour les entretiens en région). Sa conception est également sans précédent : les guides d’entretiens ont été construits en commun par des historiens, des sociologues, des psychologues, des psychopathologues et des neuroscientifiques, afin que le matériel recueilli soit utilisable par chacune de ces disciplines. À ce jour, il n’y a pas d’étude équivalente dans le monde.

Les témoignages individuels seront mis en perspective avec la mémoire collective telle qu’elle se construit au fil des années : les journaux télévisés et radiodiffusés, les articles de presse, les réactions sur les réseaux sociaux, les textes et les images des commémorations… autant de documents conservés par l’INA et analysés par ses équipes de recherches, en lien avec d’autres laboratoires. Un partenariat avec le Crédoc[3] permettra en outre de prendre le pouls de l’opinion aux dates des campagnes d’entretiens. Onze questions spécifiques sont ainsi incluses dans le traditionnel questionnaire semestriel du Crédoc en juin et juillet 2016.

Une étude biomédicale, intitulée « Remember », dont l’Inserm est promoteur, portera sur 180 des 1000 personnes : 120 personnes directement touchées par les attentats, souffrant ou non d’un état de stress post-traumatique, et 60 personnes habitant Caen. Grâce à des entretiens et à des IRM cérébrales, passés à la même fréquence que les entretiens filmés, il s’agira de mieux comprendre l’impact des chocs traumatiques sur la mémoire (notamment la résurgence incontrôlable de certaines images et pensées, caractéristique de l’état de stress post-traumatique), et d’identifier des marqueurs cérébraux associés à la résilience au traumatisme. Le tout, bien sûr, sans réexposer les personnes à des images et pensées traumatiques.

En parallèle, l’étude « ESPA » (étude de santé publique post-attentats) est lancée par Santé publique France[4] en collaboration avec le programme « 13-Novembre ». Celle-ci vise à analyser, par le biais d’un web questionnaire, l’impact psychotraumatique des attentats sur les personnes directement exposées, mais également la validité des circuits de soins.

Une étude transdisciplinaire et un engagement citoyen

L’intérêt de ce programme est majeur pour toutes les disciplines scientifiques qui y sont représentées. L’historien ou le sociologue essaieront de comprendre comment se co-construisent témoignage individuel et mémoire collective. Le linguiste mesurera l’évolution du vocabulaire et des constructions syntaxiques. Le neuropsychologue s’intéressera aux mécanismes de consolidation et reconsolidation de la mémoire et à son fonctionnement, différent selon que l’on a vécu l’événement lui-même ou que l’on se remémore les conditions dans lesquelles on a appris l’événement. Le neuroscientifique travaillera quant à lui sur les modifications des représentations mentales, l’état de stress post traumatique ou la possibilité d’évacuer le souvenir douloureux. Le psychopathologue s’attachera aux conséquences des attentats sur les représentations de soi, aux mécanismes de défense ou aux relations à la destructivité. En outre, le programme 13-Novembre aura des retombées dans le domaine des politiques pénales, des politiques de prise en charge des victimes, de gestion de crise et de pratiques mémorielles… Les entretiens filmés auront aussi une valeur patrimoniale : il s’agit également de conserver et de transmettre la mémoire des attentats du 13 novembre. C’est une forme d’engagement citoyen de la part de la communauté scientifique comme des professionnels de l’INA et de l’ECPAD en charge des captations des entretiens, de la description documentaire, de la mise à disposition des chercheurs et de l’archivage pérenne de cette mémoire.

Ce programme transpose au cas des attentats certains des concepts et des méthodologies transdisciplinaires développés par Denis Peschanski et Francis Eustache autour de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale et du 11-Septembre dans le cadre de l’équipement d’excellence Matrice porté par héSam Université et dont l’INA est déjà partenaire. Pour les deux chercheurs, il est impossible de comprendre pleinement la mémoire collective sans prendre en compte les dynamiques cérébrales de la mémoire ; de même, on ne peut comprendre pleinement ces dynamiques cérébrales sans prendre en compte l’apport des déterminants sociaux. Les chercheurs s’inspirent aussi de l’étude par questionnaires papier menée par le psychologue américain William Hirst, une semaine, quelques mois et quelques années après les attentats du 11 septembre 2001. Il est d’ailleurs prévu une analyse comparée des résultats de ces deux études.

Appel à volontaires

Que vous ayez été témoin ou intervenant lors des attentats, que vous soyez résident ou usager des quartiers touchés, ou simplement habitant de Paris et sa banlieue, les chercheurs ont besoin de vous.

Si vous souhaitez participer et apporter votre témoignage dans le cadre du programme 13-Novembre, contactez l’équipe de médiateurs du programme :

– par téléphone : 06 60 98 53 82 / 06 61 19 10 32

– par email : rf.yromemecirtam@erbmevon31eriomem

Une permanence est déjà tenue dans les locaux de la mairie du 11e arrondissement de Paris (place Léon Blum, 75011 Paris). Horaires : le lundi et le vendredi de 8h30 à 17h (sauf le 3e vendredi du mois de 8h30 à 14h).

 

Des partenaires et soutiens multiples

L’étude « 13-Novembre » a démarré le 13 mai à Caen et le 2 juin à Bry-sur-Marne pour les entretiens filmés, et l’étude biomédicale Remember a débuté le 7 juin au sein de la plateforme d’imagerie biomédicale « Cyceron » à Caen, et en lien avec Normandie Université. L’appel à volontaires est en cours, relayé notamment par le quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France (via son journal et son site web). Les premiers résultats devraient être livrés à l’automne 2017. Les résultats finaux sont attendus pour 2028, deux ans après les derniers entretiens.

Porté par le CNRS et l’Inserm pour le volet scientifique, par héSam Université pour le volet administratif, le programme « 13-Novembre » est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir (PIA).

Il mobilise plusieurs laboratoires de recherche :

  • le Centre de recherche sur les liens sociaux, Cerlis (CNRS/Université Paris Descartes/Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3),
  • le laboratoire Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (Inserm/EPHE/Université de Caen Normandie),
  • l’Institut des systèmes complexes – Paris-Île-de-France (CNRS),
  • le laboratoire Neuropsychiatrie : recherche épidémiologique et clinique (Inserm/Université de Montpellier),
  • le Centre de recherche sur les médiations (Université de Lorraine),
  • le laboratoire Bases, corpus, langage (CNRS/Université Nice Sophia Antipolis).

Il associe de nombreux autres partenaires :

  • l’INA,
  • Santé publique France,
  • l’ECPAD,
  • l’EPHE,
  • les Archives nationales,
  • les Archives de France,
  • l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne,
  • l’Université de Caen Normandie,
  • la plateforme d’imagerie biomédicale Cyceron,
  • le CHU de Caen,
  • le quotidien Le Parisien- Aujourd’hui en France,
  • Universcience,
  • le Crédoc.

En outre, il bénéficie du soutien de plusieurs ministères, collectivités territoriales et associations :

  • le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
  • le ministère de l’Intérieur,
  • le ministère de la Culture et de la Communication,
  • le secrétariat d’État à la Défense, chargé des Anciens combattants et de la Mémoire
  • la mairie de Paris,
  • la mairie du 10e arrondissement de la Ville de Paris,
  • la mairie du 11e arrondissement de la Ville de Paris,
  • la ville de Saint-Denis,
  • la communauté d’agglomération Caen la mer,
  • la région Normandie,
  • Normandie Université
  • l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem),
  • l’association Life for Paris : 13 novembre 2015,
  • l’association 13 novembre : Fraternité et Vérité,
  • l’association Paris aide aux victimes,
  • le groupe paritaire de protection sociale B2V,
  • l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC).

[1] Voir : http://intranet.cnrs.fr/intranet/actus/160225-attentats-recherche.html

[2] Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense.

[3] Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.

[4] Santé publique France est la nouvelle agence de santé publique issue de la fusion, le 1er mai 2016, de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), de l’Institut de veille sanitaire (InVS) et de l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus).

Des implants innovants pour réparer le cartilage

Face à l’augmentation du nombre de personnes souffrant d’arthrose, des stratégies émergent afin de reconstruire le cartilage. Une équipe de l’Inserm (Unité 1109 « Nanomédecine régénérative ostéoarticulaire et dentaire » Inserm/Université de Strasbourg), sous la direction de Nadia Benkirane-Jessel, a mis au point une nouvelle génération d’implants ostéo-articulaires. Leur étude, publiée dans Trends in Biotechnology, montre qu’en combinant des cellules souches et des facteurs de croissance de l’os, ces implants intelligents permettent de régénérer une articulation abimée.

 

Les articulations, zones de jonction entre deux os, accompagnent nos mouvements et nos efforts. Leur mobilité est assurée par le cartilage, qui tapisse les extrémités osseuses (os-sous-chondral) et permet le glissement des deux os l’un sur l’autre. Fragile, le cartilage s’use avec l’âge jusqu’à disparaitre peu à peu. On parle d’arthrose lorsque la destruction du cartilage s’étend aux autres structures de l’articulation, notamment l’os sous-chondral.

arthrose-V2

A l’heure actuelle, en dehors de la pose d’une prothèse, une des techniques utilisées pour réparer le cartilage consiste à injecter dans l’articulation du patient un échantillon de ses propres cellules de cartilage (chondrocytes). Toutefois, comme la réparation a lieu sur un os abimé, les résultats ne sont pas toujours satisfaisants.

Nadia Benkirane-Jessel et son équipe, spécialisée en nanomédecine régénérative, ont alors imaginé une nouvelle génération d’implants, composés de deux compartiments :

– le premier compartiment est une membrane nanofibreuse (à base de collagène et de polycaprolactone) conçue pour ressembler à la matrice extracellulaire entourant le cartilage. Des nanoréservoirs, recouvrant les fibres de cette membrane, renferment des facteurs de croissance de l’os.

– le second compartiment est une couche d’hydrogel (d’alginate et d’acide hyaluronique) contenant des cellules souches dérivées de la moelle osseuse du patient. Ces cellules peuvent se différencier aussi bien en cellules de l’os (ostéoblastes) qu’en cellules du cartilage (chondrocytes).

implant cartilage jpg

L. Keller, P. Schwiinté, Nadia Benkirane-Jessel UMR 1109, Laboratoire de Nanomédecine Régénérative Ostéoarticulaire et Dentaire, Inserm, Université de Strasbourg, HUS de Strasbourg, ARTiOS Nanomed (spin off Inserm).

Cette organisation en trois dimensions mime l’environnement physiologique de l’articulation et offre une porosité adéquate pour l’infiltration des cellules souches. Lorsque ces cellules grandissent et se divisent, elles s’infiltrent plus profondément dans la membrane poreuse et déclenchent la libération des facteurs de croissance, qui à leur tour stimulent la prolifération des cellules.

Comparée à d’autres traitements, cette technologie offre une double action thérapeutique : en plus de réparer le cartilage, elle régénère l’os sous-chondral situé juste en dessous.

Les chercheurs ont validé cette technique sur différents modèles animaux, et sont en attente de financement afin de lancer les essais cliniques de phase I chez l’homme. « Ces essais seront conduits sur 30 patients (de 18 à 50 ans) ayant des lésions du genou, et recrutés dans trois pays (France, Angleterre, Espagne). L’implant, déjà breveté, sera mis en place par un seul acte chirurgical. La membrane de nanoréservoirs est déposée en premier sur l’articulation lésée, puis les cellules souches y sont ajoutées » précise Nadia Benkirane-Jessel,  directrice de recherche à l’Inserm.

Si les essais sont concluants, cette technologie innovante permettra de réparer de façon robuste et durable les articulations en cas d’arthrose ou de lésions articulaires.

L’anorexie : plaisir de maigrir plutôt que peur de grossir

Une étude de l’Inserm, de l’université Paris Descartes, et du Centre Hospitalier Sainte-Anne suggère que l’anorexie mentale ne serait pas expliquée par une peur de prendre du poids, mais par le plaisir d’en perdre… et cela serait génétiquement influencé. Publiée dans Translational Psychiatry, cette étude dirigée par le Pr Gorwood, chef de service de la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale, remet en question la notion de peur de prise de poids chez les patients anorexiques.

Dish with a tomato and a dial of a bathroom scale

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Très souvent associée à une souffrance psychologique majeure, l’anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire qui affecte majoritairement les jeunes filles. Le diagnostic repose sur trois critères internationaux : la présence d’une restriction alimentaire menant à la perte de poids, une perception déformée du poids et du corps et une peur intense de grossir.

Alors qu’il n’existe aucun traitement pharmacologique, l’équipe du Pr Philip Gorwood s’est intéressée à ces critères cliniques. Comme l’explique le chercheur : « Lorsque la recherche piétine, il est important de remettre en question les critères qui sont à la base même du trouble. Nous avons donc ré-évalué le dernier critère, pourtant bien présent dans le discours des patientes, en faisant l’hypothèse qu’il s’agirait d’un reflet en miroir de ce qui est réellement impliqué, c’est-à-dire un effet récompense de la perte de poids. Nous avons établi le postulat que les patientes ressentaient le plaisir de maigrir plutôt que la peur de grossir.»

 

Afin de ne pas être influencé par le discours et l’analyse qu’ont les patients de leurs difficultés alimentaires, les chercheurs ont utilisé un test de « conductance cutanée » qui mesure le taux de sudation de la peau du sujet exposé à diverses images. L’émotion provoquée par certaines images entraine en effet une augmentation de la transpiration, rapide et automatique.

Les chercheurs ont montré des images de personnes de poids normal ou en surpoids à 70 patientes, consultant à la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale (CMME) du Centre hospitalier Sainte-Anne. Chez ces patientes, de poids variés et présentant divers degrés de sévérité de la maladie, la vision de ces images provoquait à peu près la même réaction que les sujets sains. A l’inverse, face à des images corporelles de maigreur, les patientes présentaient des émotions évaluées comme positives tandis que les sujets sains n’avaient pas de réaction particulière.

L’anorexie est un trouble qui a une forte héritabilité (70%). Un des gènes les plus souvent associés à l’anorexie mentale code pour le BDNF, un facteur impliqué dans la survie des neurones et la neuroplasticité. Dans le cas des patientes souffrant d’anorexie mentale, l’étude indique que l’augmentation de transpiration face aux images de maigreur corporelle s’explique par la présence d’une forme (allèle) spécifique du gène en question. Ce résultat a été confirmé après examen des variables potentiellement confondantes telles que le poids, le type d’anorexie, ou encore l’ancienneté du trouble.

 

Les conclusions de ce travail :

– renforcent l’approche génétique comme manière d’aborder différemment les symptômes clés de l’anorexie mentale ;

– orientent les travaux de recherche sur les circuits de récompense plutôt que d’évitement phobique,

– enfin, elles suggèrent que certaines approches thérapeutiques pourraient avoir un bénéfice net sur cette pathologie, telles que la remédiation cognitive et la thérapie en pleine conscience

Diabète lié à l’obésité : l’influence de l’épigénome

Des chercheurs de l’Inserm et de l’Université Pierre et Marie Curie du Centre de Recherche des Cordeliers, en collaboration avec des chercheurs de l’institut Karolinska en Suède,  ont décrit le mécanisme par lequel le facteur GPS2 réprime la survenue du diabète de type 2 chez les personnes obèses. Ces travaux, publiés dans la revue Nature Medicine, mettent en lumière l’importance de l’épigénome dans l’apparition de la maladie.

Paper with words diabetes type 2 and glasses.

Fréquemment associés, l’obésité et le diabète de type 2 sont des pathologies sévères qui sont en constante progression dans le monde et particulièrement en France. Chez les personnes obèses, l’excès de tissu adipeux s’accompagne d’une inflammation locale, qui participe au développement du diabète de type 2 et d’autres complications. Ce phénomène résulte d’une activation anormale des cellules immunitaires, notamment les macrophages qui produisent des facteurs propices à l’inflammation.

Un des mécanismes qui contrôle l’expression de certains gènes, dont ceux impliqués dans l’inflammation, est la modification de la structure de la chromatine (épigénome). En effet, celle-ci doit être décompactée afin d’être accessible à des complexes protéiques qui permettent aux gènes de s’exprimer. Les équipes de Nicolas Venteclef et de Eckardt Treuter ont décrit le rôle important du régulateur transcriptionel GPS2 dans le contrôle de l’activation des macrophages par la modification de l’épigénome, au cours de l’obésité et du diabète de type 2.

En comparant les tissus adipeux de personnes obèses et non-obèses, les chercheurs ont montré que le statut diabétique coïncide avec une faible expression de GPS2 dans les macrophages, associée à une inflammation élevée. Afin de confirmer la relation de cause à effet, ils ont généré des souris déficientes en GPS2 spécifiquement dans les macrophages, et les ont mises sous régime riche en graisses pour provoquer l’obésité et le diabète de type 2. Comme observé chez l’homme, la déficience en GPS2 amplifie la réponse inflammatoire et le profil diabétique (résistance à l’insuline) liés à l’obésité. A l’inverse, lorsque l’expression de GPS2 est augmentée chez les souris obèses et diabétiques, la progression de la maladie est ralentie. GPS2 réprime donc l’inflammation diabétogène.

Le décodage des mécanismes mis en jeu révèle que GPS2 agit en maintenant la chromatine dans un état transcriptionnel inactif (par le biais de l’acétylation des histones), ce qui empêche l’expression des gènes codant pour des molécules pro-inflammatoires. En modulant la structure de la chromatine, GPS2 contrôle l’activation des macrophages par des régulations dites « épi-génétiques ».

GPS2 schéma

L’ensemble de ce travail montre comment l’épigénome influence la survenue du diabète de type 2 en reprogrammant l’expression des gènes. Cette étude révèle un nouvel aspect important dans la compréhension du diabète lié à l’obésité et ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour lutter contre la maladie.

Afin de valider l’influence de l’épigénome sur la survenue du diabète de type-2, une étude sur un plus grand nombre de personnes pré-diabétiques et  diabétiques est actuellement en cours au Centre Universitaire du Diabète et de ses Complications (Hôpital Lariboisière, Paris). Cette étude est co-dirigée par le Professeur Jean-François Gauthier et Nicolas Venteclef.

Identification d’un composé thérapeutique pour un trouble autistique d’origine génétique : une étape vers une médecine de précision

Une équipe de chercheurs du laboratoire I-STEM (CECS/AFM-Téléthon/Inserm), dirigée par Alexandra Benchoua et Marc Peschanski, en collaboration avec les Pr Thomas Bourgeron (Institut Pasteur/Université Paris Diderot/CNRS) et Richard Delorme (Hôpital Robert Debré/AP-HP), ont mis en évidence le potentiel thérapeutique du lithium chez une patiente atteinte d’un trouble autistique rare associé au gène SHANK3. Cette molécule, habituellement utilisée pour traiter les troubles bipolaires, a pu être identifiée grâce au criblage à haut débit de composés chimiques sur des neurones humains obtenus à partir de cellules souches pluripotentes dont celles de la patiente traitée. Cette étude constitue une première étape vers le développement d’outils permettant une approche médicale plus personnalisée des personnes atteintes de troubles du spectre autistique. Ces travaux ont été publiés le 27 mai 2016 dans la revue EBioMedicine.

The word Autism revealed by a missing jigsaw puzzle piece

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Les troubles du spectre autistique (TSA) forment un groupe hétérogène de troubles neuro-développementaux qui affectent 1% de la population. Ils représentent un défi pour le développement de pharmacothérapies efficaces en raison de la complexité des symptômes et des degrés de sévérité très variables des symptômes. Pour 10 à 30% des patients avec autisme et déficience intellectuelle, une cause génétique a été identifiée. On estime qu’environ 1 à 2% des enfants avec autisme et retard mental présentent une déficience du gène SHANK3, celle-ci étant responsable du syndrome de Phelan-McDermid (la très grande majorité des patients atteints de ce syndrome ont perdu un fragment du chromosome 22 portant une copie de SHANK3). C’est principalement à cette population que s’est adressée l’étude. La perte d’une des deux copies de SHANK3 cause une diminution de la quantité de la protéine SHANK3 et entraine des atteintes principalement au niveau des points de contacts entre les neurones (les synapses). L’objectif des chercheurs a donc été d’identifier les médicaments susceptibles d’accroitre l’expression du gène en activant la seconde copie toujours fonctionnelle. Toutefois, SHANK3 n’étant exprimé que dans les neurones, il a donc fallu, pour mener cette approche, franchir une barrière technologique consistant à produire in vitro des neurones humains portant les mutations des patients à traiter.

Les chercheurs ont donc développé un modèle permettant de produire des neurones humains à partir de cellules souches pluripotentes. Ce modèle a permis de réaliser un criblage à haut débit de composés pharmacologiques afin de choisir ceux augmentant l’expression de SHANK3 dans les neurones et donc ayant le plus de chance d’être efficace. Les composés identifiés ont ensuite été testés sur des neurones de patients porteurs de mutations SHANK3. Parmi les 202 composés testés, le lithium et l’acide valproïque ont montré la meilleure efficacité, en permettant de rétablir des niveaux corrects de SHANK3 et donc d’améliorer le fonctionnement des cellules neuronales. Une pharmacothérapie au lithium a ensuite été proposée à une des patientes pour laquelle le lithium avait prouvé son efficacité lors des tests in vitro pratiqués sur ses propres neurones.

Après un an de traitement, cette étude pilote a permis de mettre en évidence chez la patiente une diminution encourageante du degré de sévérité de l’autisme. Les chercheurs envisagent aujourd’hui la mise en place d’un essai randomisé en double aveugle pour confirmer ces résultats chez un plus grand nombre de patients atteints de ce trouble autistique lié aux mutations de SHANK3.

Plus largement, cette étude montre que les neurones dérivés de cellules souches pluripotentes offrent un modèle cellulaire exploitable et pertinent dans la recherche de traitements spécifiques pour les troubles autistiques liés à des anomalies génétiques. La méthodologie utilisée pourrait ainsi ouvrir la voie à une médecine de précision pour des maladies psychiatriques ou neurologiques.

Ces travaux ont été soutenus par le programme Investissements d’avenir, de l’Agence nationale pour la recherche, de la Fondation Bettencourt-Schueller, de la Fondation Conny-Maeva, de la Fondation Cognacq Jay, de la Fondation Orange, de la Fondation Fondamental, des laboratoires Servier ainsi que par l’AFM-Téléthon grâce aux dons du Téléthon.

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