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Diminuer l’apport en protéines dans l’alimentation pour mieux combattre les tumeurs

©Brooke Lark on Unsplash

Et si l’efficacité du système immunitaire contre les cellules cancéreuses pouvait être renforcée par un régime alimentaire sans réduction calorique mais avec des nutriments précisément dosés ? C’est sur cette question que se sont penchés des chercheurs de l’Inserm de l’Université Côte d’Azur, à travers l’étude des effets de régimes alimentaires restrictifs, sur la croissance tumorale chez la souris. Ils ont observé qu’un régime diminué en protéines, permettait de limiter le développement des tumeurs par accroissement de la réponse immunitaire.  Les résultats, à paraître dans Cell metabolism, s’avèrent prometteurs pour la compréhension de l’immunité anti-tumorale chez la souris et ouvrent la voie à de nouvelles études chez l’homme.

Si le jeûne a acquis une récente popularité dans la prévention de l’occurrence de cancers, dans le renforcement de la chimiothérapie et dans la prolongation de l’espérance de vie chez les patients atteints de tumeurs, aucune preuve scientifique solide ne vient à ce jour étayer l’efficacité de cette pratique. Les essais cliniques sont en réalité quasi inexistants chez l’homme et les résultats obtenus à partir de modèles animaux sont très débattus. Une réduction calorique prolongée peut en outre s’avérer être un facteur aggravant de la dénutrition et de la perte de masse musculaire (sarcopénie) fréquemment associées aux chimiothérapies.

Une équipe de l’Inserm au sein de l’Université Côte d’Azur s’est intéressée à l’hypothèse selon laquelle une modulation de l’apport en macronutriments (glucides, lipides et protéines), plutôt que de l’apport calorique, pouvait avoir un impact restrictif sur la croissance tumorale. Les chercheurs ont comparé l’effet sur la croissance des tumeurs chez la souris de plusieurs régimes alimentaires, plus ou moins appauvris en glucides ou en protéines, mais de même apport calorique. Les résultats ont montré qu’un régime appauvri en protéines mais pas en glucides avait un impact positif sur la limitation de la croissance tumorale et l’allongement de la durée de vie des souris.

L’analyse du contenu cellulaire des tumeurs des souris sous régime appauvri en protéines, a montré une quantité accrue et une activité plus intense des cellules anti-tumorales spécifiques du système immunitaire.

Les chercheurs ont constatés que la limitation de la croissance tumorale était due non pas à une inhibition de la prolifération des cellules cancéreuses comme on pouvait le croire, mais à un accroissement de l’efficacité de la réponse immunitaire, aussi appelée immunosurveillance, pour détruire les cellules cancéreuses.

En se penchant sur les mécanismes moléculaires liés à ce phénomène, les chercheurs ont constaté que ce renforcement de l’immunosurveillance était lié à la sécrétion par les cellules tumorales de protéines d’alerte du système immunitaire : les cytokines. Selon l’étude, la diminution en protéines dans le régime alimentaire rendrait insuffisante la quantité disponible de certains acides aminés (constituants des protéines) auxquels les cellules cancéreuses sont très sensibles. Une diminution de l’accès aux acides aminés provoquerait un stress chez les cellules tumorales, qui libèreraient alors des cytokines, activant ainsi une forte réponse immunitaire au niveau de la tumeur.

Si ces résultats chez la souris sont prometteurs pour la compréhension des mécanismes d’activation de l’immunosurveillance anti-tumorale,  plusieurs inconnues majeures demeurent à l’étude : une définition précise de la restriction protéique nécessaire et suffisante pour que le régime soit efficace, l’identification des acides aminés impliqués dans le stress des cellules tumorales et la transposabilité des résultats chez l’homme, dont l’immunosurveillance et le métabolisme présentent des différences notables avec ceux de la souris. Les études cliniques en cours chez l’homme doivent enfin tenir compte de la difficulté à imposer un régime alimentaire aussi rigoureux sur une longue durée chez des patients.

Comment détecte-t-on le danger ?

Les êtres vivants sont capables d’intégrer et d’identifier les informations sensorielles pertinentes telles que les odeurs, les sons ou la lumière afin de réguler leurs réponses comportementales en présence d’un danger potentiel. C’est ce qu’on appelle la discrimination contextuelle. Des chercheurs de l’Inserm basés au Neurocentre Magendie de Bordeaux, viennent de découvrir quels sont les neurones impliqués dans ce phénomène et où ils se situent. Une bonne nouvelle pour les personnes souffrant de stress post traumatique chez qui cette discrimination contextuelle est déréglée. Ces travaux sont publiés dans la revue Neuron 

Vivre des expériences traumatisantes comme une catastrophe naturelle, une attaque terroriste, ou un combat militaire, sont des événements qui peuvent mener au développement de troubles psychiatriques, comme l’état de stress post-traumatique (PTSD). Quand ces personnes se trouvent confrontées à un environnement semblable à celui dans lequel l’évènement traumatisant est arrivé, elles revivent avec la même intensité les stress du trauma original. Chez ces patients, les troubles anxieux sont associés à une généralisation contextuelle. Ils sont effectivement devenus incapables d’intégrer et d’identifier les informations sensorielles pertinentes issues de leurs cinq sens- captées dans l’environnement- afin de réguler les réponses comportementales. Les circuits neuronaux impliqués dans ce phénomène sont inconnus.

Une équipe de chercheurs dirigée par le Dr. Cyril Herry vient d’identifier pour la première fois chez la souris une population de neurones impliqués dans la discrimination contextuelle. Ces neurones sont situés dans le cortex préfrontal médial.

Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé notamment des approches optogénétiques (voir encadré) qui permettent d’activer ou d’inhiber l’activité de populations de neurones afin de déterminer leur implication dans un comportement particulier. Afin d’évaluer les circuits neuronaux jouant un rôle dans la discrimination contextuelle, les chercheurs ont exposé des souris à un contexte composé de différents éléments sensoriels (lumière, odeur, son) dans lequel elles ont reçu un ou plusieurs chocs électriques légers afin de rendre ce contexte aversif.

Dans une deuxième étape, les souris étaient exposées au même contexte mais sans les éléments sensoriels pertinents (odeur, son, lumière) leur faisant croire à un contexte non aversif. Grâce à des enregistrements en temps réel de l’activité des neurones du cortex préfrontal médian et leur manipulation optogénétique, les chercheurs ont pu identifier une population de neurones spécifiquement activée pendant la discrimination contextuelle.

Ces travaux démontrent que l’activité neuronale dans cette zone particulière du cerveau, qu’est le cortex préfrontal médian, est un élément clé de la discrimination contextuelle. Les chercheurs ont en outre démontré que ce groupe de neurones projette spécifiquement sur le tronc cérébral, une zone du cerveau directement impliquée dans la régulation motrice des comportements émotionnels.

 » Ces travaux qui améliorent notre compréhension de l’activité neuronale menant à la discrimination contextuelle pourrait contribuer au développement de traitements et de thérapies pour les personnes souffrant de troubles anxieux » estime le Dr. Cyril Herry, directeur de recherche à l’Inserm et investigateur de ce travail. »

L’optogénétique consiste à introduire dans les neurones des protéines photosensibles naturelles, comme la channelrhodopsine, extraite d’une algue qui est une protéine sensible à la lumière bleue ou l’archaerhodopsine sensible à la lumière verte ou jaune. Lorsque la lumière bleue est introduite dans le cerveau de la souris par une fibre optique, l’activation de la channelrhodopsine génère un courant dépolarisant : cela revient à activer les neurones. En revanche, si l’archaerhodopsine est activée par une lumière verte ou jaune, cela génère un courant hyperpolarisant et les neurones sont inhibés. Ces protéines photosensibles exprimées au niveau de la membrane neuronale sont donc capables d’activer ou d’inhiber l’influx nerveux à volonté. Cela permet aux chercheurs d’identifier des réseaux neuronaux impliqués dans une tâche particulière et d’en définir le rôle causal.

Comment les allergènes déclenchent des crises d’asthme

©Adobe Stock

Un véritable capteur : une équipe de chercheurs de l’Inserm et du CNRS au sein de l’Institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS, CNRS/Université Toulouse III – Paul Sabatier) a identifié une protéine capable de détecter divers allergènes dans les voies respiratoires à l’origine de crises d’asthme. Cette étude co-dirigée par Corinne Cayrol et Jean-Philippe Girard est publiée dans la revue Nature Immunology le 19 mars 2018. Elle augure des avancées dans le traitement des maladies allergiques.

Quel est le point commun entre moisissures, pollens et cafards ? Bien qu’ils appartiennent à trois règnes distincts du monde vivant, ils peuvent déclencher des crises d’asthme chez les personnes sensibles. En dépit de compositions très différentes, ils partagent un point commun : ils contiennent tous des enzymes appelées protéases.   

L’équipe de l’IPBS vient d’identifier une protéine humaine réagissant à bon nombre d’allergènes de l’environnement : l’interleukine-33 (IL-33). Lorsqu’ils arrivent dans les voies respiratoires, les allergènes libèrent leurs protéases qui découpent l’IL-33 en fragments hyperactifs à l’origine des réactions en chaîne responsables des symptômes allergiques.

Or, il s’agirait d’un mécanisme général de déclenchement des réactions allergiques. En effet, l’IL-33 s’est montrée capable de détecter chacun des 14 allergènes testés, parmi lesquels certains sont présents dans l’air ambiant (plusieurs types de pollens, des acariens, des spores de champignons) et d’autres impliqués dans l’asthme professionnel (comme la subtilisine utilisée dans des détergents). 

Ces résultats sont d’autant plus importants qu’ils établissent un lien direct entre génétique et environnement. En effet, le gène codant pour l’IL-33 est reconnu comme étant l’un des principaux gènes de prédisposition à l’asthme chez l’humain.

Des essais cliniques en cours ont d’ailleurs pris pour cible cette protéine. Une stratégie que vient confirmer cette découverte d’un mécanisme unique de détection par l’IL-33 des allergènes aériens. Empêcher la production des fragments hyperactifs de l’IL-33 après une exposition aux allergènes pourrait, par exemple, permettre de limiter les réactions allergiques sévères chez les patients asthmatiques. 

Ces travaux ont été financés par l’Agence nationale pour la recherche (ANR).

©Corinne Cayrol et Jean-Philippe Girard / IPBS / CNRS-Université Toulouse III – Paul Sabatier

Production de mucus dans le poumon après inhalation d’un allergène (coupes de poumon, coloration du mucus en rose magenta). 
L’hyperproduction de mucus est l’une des caractéristiques de l’asthme allergique. La protéine IL-33, un facteur majeur de prédisposition à l’asthme chez l’homme, détecte l’activité protéase de l’allergène. Elle s’en trouve activée et déclenche une cascade de réactions, dont la production de mucus, associées à l’asthme et aux autres maladies allergiques. Lorsque l’activation de l’IL-33 est bloquée (à droite), la réaction n’est pas déclenchée.

Zika : une estimation précise des risques neurologiques chez les enfants à naître

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Grâce à une étude menée pendant l’épidémie de Zika dans les territoires français d’Amérique auprès de femmes enceintes et de leurs enfants à naitre, les chercheurs, de l’Inserm, de l’Institut Pasteur et du CHU de la Guadeloupe ont pu estimer précisément le risque de complications neurologiques graves pour les bébés. Ils ont également déterminé que le 1er trimestre de grossesse était la période la plus à risque. Si le risque global est de 7 % il est effectivement de 12.7%, (soit plus d’un enfant sur 10) quand l’infection survient dans les 3 premiers mois de grossesse. Ces travaux sont publiés dans le New England Journal of Medicine (NEJM).

En février 2016, face à l’augmentation drastique du nombre de personnes infectées par le virus Zika et surtout pour établir le lien entre le virus et les complications neurologiques, l’OMS déclare une « urgence de santé publique de portée internationale ». Au mois de mars 2016, avec l’aide du consortium REACting, l’Inserm a pris en charge la mise en place, la promotion et le suivi scientifique d’une cohorte de femmes enceintes exposées au virus Zika dans les Territoires Français d’Amérique, suivie par le Centre d’Investigation Clinique Antilles-Guyane (Inserm CIC 1424 des CHU de la Guadeloupe, de la Martinique et du CH de Cayenne). L’objectif : étudier en situation épidémique, les complications fœtales et néonatales associées à l’infection par le virus Zika. Cette cohorte a été financée par la Direction générale de l’offre de soins (Soutien Exceptionnel à la Recherche et à l’Innovation) et s’inscrit dans le cadre du programme européen ZIKAlliance[1].

Plusieurs milliers de femmes enceintes ayant conduit leur grossesse pendant l’épidémie de Zika dans les Territoires français dans les Amériques ont été incluses dans cette cohorte entre mars 2016 et août 2017. L’article publié dans le NEJM porte sur les femmes de la cohorte qui ont présenté une infection à virus Zika confirmée biologiquement entre mars 2016 et novembre 2016. Elles ont alors été suivies tous les mois jusqu’au terme de leur grossesse. Toutes les complications et traitements reçus ont été consignés et si une anomalie fœtale était détectée lors d’une échographie, un examen supplémentaire du fœtus par imagerie par résonance magnétique était réalisé.

Les résultats obtenus par les chercheurs montrent que le taux d’anomalies neurologiques congénitales observées chez les fœtus et bébés issus de cette cohorte de femmes enceintes est de 7 %, ce qui est beaucoup plus faible que ce qui a été initialement observé au Brésil, et proche de ce qui a été observé dans le registre américain.

L’étude confirme que le risque est surtout important lorsque l’infection survient au cours du premier trimestre de grossesse.

En détail les résultats montrent que la fréquence des complications neurologiques est de :
12.7% lorsque la mère est infectée au cours du 1er trimestre de grossesse.
3.6% lorsque la mère est infectée au cours du 2er trimestre de grossesse
5.3% lorsque la mère est infectée au cours du 3eme trimestre de grossesse

De même, le pourcentage de microcéphalies graves (périmètre crânien < -3DS ) est de 1,6% globalement, et :
3.7% lorsque la mère est infectée au cours du 1er trimestre de grossesse.
0.8% lorsque la mère est infectée au cours du 2er trimestre de grossesse
0 lorsque la mère est infectée au cours du 3eme trimestre de grossesse

« Ces résultats sont les premiers issus des analyses de cette cohorte car les bébés sont encore très jeunes mais le suivi de l’ensemble des enfants sera indispensable pour identifier d’éventuelles complications plus tardives. » explique Bruno Hoen, médecin chercheur à l’Inserm et au CHU de la Guadeloupe et investigateur principal de l’étude.

 « Même si ces taux de complications sont faibles par rapport à d’autres infections virales chez la femme enceinte, ils restent préoccupants car en phase épidémique le virus Zika peut contaminer plus de 50% d’une population », commente Arnaud Fontanet, responsable de l’unité d’Epidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur, et co-investigateur de l’étude.

[1] ZIKAlliance est un projet de 3 ans financé par le programme Horizon 2020 pour la recherche et l’innovation de l’Union Européenne selon l’accord de financement n° 734548.

REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases)

L’Inserm et ses partenaires d’Aviesan ont mis en place REACTing, un consortium multidisciplinaire rassemblant des équipes et laboratoires d’excellence, afin de préparer et coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes. Depuis sa création, REACTing a ainsi monté des programmes autour de des épidémies de Chikungunya, Ébola ou encore Zika.

La recherche clinique à l’Inserm

Le pôle de recherche clinique assure la promotion pour le compte de l’Inserm d’essais cliniques et exerce la co-tutelle avec la DGOS, des centres d’investigation clinique (CIC). En 2017 Il a été en charge de 238 études dont 15 projets européens et/ou internationaux.

Dans l’œil du médulloblastome

Des gènes, normalement exprimés uniquement dans l’œil, qui s’activent dans des tumeurs du cerveau ? Bien que surprenante, c’est pourtant l’observation faite dans certains médulloblastomes, des tumeurs pédiatriques du cervelet. Des chercheurs du CNRS, de l’Institut Curie, de l’Inserm et de l’Université Paris-Sud1 en collaboration avec des chercheurs du St. Jude Children’s Research Hospital (Memphis, États-Unis) ont identifié leur rôle dans le processus tumoral, offrant de nouvelles cibles thérapeutiques. Ces travaux sont publiés dans le journal Cancer Cell le 12 mars 2018.

Le médulloblastome se traite en associant chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, ce qui permet un taux de survie de 80 %, avec cependant des effets secondaires importants. Les médulloblastomes de groupe 3, pour lesquels les rechutes sont fréquentes et qui ont un taux de survie bien inférieur, se caractérisent par l’expression d’un ensemble de gènes appelé « programme photorécepteur ». Ces gènes sont normalement exprimés uniquement dans la rétine où ils permettent de définir l’identité des photorécepteurs et assurent notamment la conversion du signal lumineux en influx nerveux.

L’activation de ces gènes dans le médulloblastome est donc très surprenante puisqu’ils ne sont pas exprimés au cours du développement normal du cervelet. Des programmes de différenciation aberrante – sans rapport avec le tissu d’origine de la tumeur – ont déjà été retrouvés dans d’autres cancers mais sans que cela soit reconnu comme étant directement impliqué dans le processus tumoral.

Celio Pouponnot, chercheur du CNRS travaillant à l’Institut Curie, en collaboration avec Franck Bourdeaut, médecin-chercheur à l’Institut Curie, et avec Paul Northcott au St. Jude Children’s Research Hospital (Memphis, États-Unis) se sont demandé quel rôle pouvait jouer ce « programme photorécepteur » dans le médulloblastome.

La présence au sein du « programme photorécepteur » d’une protéine appelée NRL a d’abord attiré leur attention, car l’équipe de Celio Pouponnot étudie depuis de nombreuses années une famille de protéines ressemblant à NRL, et impliquées dans la formation de cancers. Les chercheurs ont également identifié la responsabilité d’une autre protéine spécifique de la rétine : CRX. De manière frappante, cette étude montre que ces deux facteurs sont requis pour le développement du médulloblastome en actionnant des gènes clés : CCND2 qui favorise la prolifération cellulaire et BCL2L1 qui inhibe la mort cellulaire (apoptose).

L’équipe de chercheurs a ensuite utilisé des agents pharmacologiques ciblant ces protéines anti-apoptotiques dans des modèles précliniques (greffes de cellules de médulloblastome humain chez la souris). Ce traitement a permis de faire régresser la masse tumorale et d’augmenter la survie des souris, prouvant l’intérêt de cette cible thérapeutique. Ces résultats ne pourront néanmoins pas être directement transposés aux enfants, chez qui ces agents pharmacologiques peuvent être toxiques.

Plus généralement, cette étude montre l’intérêt d’étudier les marques de différenciation aberrantes dans les processus cancéreux, mettant ainsi en évidence un nouvel axe de recherche en cancérologie.

Coupe de cervelet normal (à gauche) et envahi par un médulloblastome (à droite). Le médulloblastome exprime des gènes normalement uniquement actifs dans la rétine, dont NRL et CRX, qui jouent un rôle dans la formation de la tumeur. © Morgane Morabito / UMR3347 CNRS-Institut Curie-Inserm-Université Paris-Sud

[1] Aux laboratoires Signalisation normale et pathologique : de l’embryon aux thérapies innovantes des cancers (CNRS/Institut Curie/Inserm/Université Paris-Sud), Génétique et biologie des cancers (Inserm/Université Paris Descartes) et Chimie, modélisation et imagerie pour la biologie (CNRS/Institut Curie/Inserm/Université Paris-Sud)

Une piste innovante pour combattre la douleur chronique

La douleur neuropathique est une maladie chronique qui affecte 7 à 10 % de la population française et pour laquelle aucun traitement n’est efficace. Des chercheurs de l’Institut des neurosciences de Montpellier (Inserm/Université de Montpellier) et du Laboratoire d’innovation thérapeutique (CNRS/Université de Strasbourg)1 ont mis en évidence le mécanisme responsable de l’installation et du maintien de la douleur. Grâce à leur découverte, ils ont mis au point un prototype de traitement innovant qui montre, sur des modèles animaux, un effet thérapeutique immédiat et durable sur les symptômes douloureux. Cette étude est publiée le 12 mars 2018 dans Nature Communications.

Des chercheurs français viennent de mettre en évidence un rôle inattendu dans la douleur chronique d’une molécule particulière, appelée FLT3, connue pour son rôle dans différentes fonctions sanguines et produite par les cellules souches hématopoïétiques à l’origine de toutes les cellules sanguines. La douleur neuropathique est le résultat d’une lésion des nerfs périphériques provoquée par des pathologies comme le diabète, le cancer ou le zona ou bien causée par un traumatisme accidentel ou par une intervention chirurgicale. Dans cette étude, les chercheurs ont montré que les cellules immunitaires sanguines qui envahissent le nerf au site de la lésion synthétisent et libèrent une autre molécule, appelée FL, qui s’accroche et active FLT3, ce qui déclenche dans le système sensoriel une réaction en chaîne qui est à l’origine de la douleur. Ils ont mis en évidence que FLT3 induit et maintient la douleur en agissant très en amont sur d’autres constituants du système sensoriel, connus pour rendre permanente la douleur : c’est le phénomène de « chronicisation ».

Au-delà de la découverte du rôle de FLT3, les chercheurs ont créé, en passant informatiquement au crible trois millions de configurations possibles, une molécule anti-FLT3 (BDT001) ciblant le site d’accrochage de FL. Cette molécule bloque la liaison entre FL et FLT3, empêchant ainsi la chaîne d’événements conduisant à la douleur chronique. Administrée à des modèles animaux, BDT001 a réduit, en trois heures, les symptômes douloureux neuropathiques typiques comme l’hyperalgie, une sensation douloureuse accrue, ou l’allodynie, une réaction douloureuse à des stimuli normalement non douloureux, avec un effet qui persiste 48 heures après une seule administration.

La douleur neuropathique, qui affecte environ 4 millions de personnes en France, est une maladie invalidante avec un coût social très élevé. Les traitements actuels, essentiellement constitués de médicaments repositionnés, comme les antidépresseurs et les antiépileptiques, sont peu efficaces : moins de 50 % des patients obtiennent une réduction significative de leurs douleurs. De plus, ils peuvent générer des effets secondaires importants. Le développement de l’innovation thérapeutique2 issue de ces travaux de recherche est assuré par la start-up Biodol Therapeutics, qui pourrait ainsi mettre au point la toute première thérapie spécifique des douleurs neuropathiques et, à terme, soulager de nombreuses personnes.

Vulnérabilité à l’addiction : une mauvaise production des nouveaux neurones en cause

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Les comportements d’addiction aux drogues et la vulnérabilité aux rechutes seraient liés à l’aptitude de notre cerveau à produire de nouveaux neurones. C’est la conclusion de chercheurs de l’Inserm du Neurocentre Magendie de l’Université Bordeaux, obtenue après avoir observé le comportement de souris ayant appris à s’auto-administrer de la cocaïne. Leurs résultats, à paraître dans Molecular Psychiatry, mettent en évidence un lien entre production déficiente de nouveaux neurones dans l’hippocampe et dépendance aux drogues. 

Dans le cerveau, l’hippocampe est l’un des centres de la mémoire. Il comprend le gyrus dentelé, qui présente la particularité de produire de nouveaux neurones (neurogenèse) chez l’adulte. Une neurogenèse anormale est corrélée à de nombreux désordres neuropsychiatriques comme des troubles de la mémoire ou de l’humeur.

Bien qu’une relation entre neurogenèse erratique et addiction à la drogue ait déjà été soupçonnée, jusqu’à aujourd’hui aucune preuve scientifique concrète ne venait étayer cette hypothèse. Les équipes de recherche Inserm de Nora Abrous et de Pier-Vicenzo Piazza, du Neurocentre Magendie (Unité 1215) de l’Université de Bordeaux, se sont penchées sur le rôle de la neurogenèse dans la dépendance à la cocaïne.

Deux groupes de souris ont été comparés : un groupe sain et un groupe génétiquement modifié pour que la neurogenèse au niveau de l’hippocampe soit moindre. Les souris ont été entraînées à s’auto-administrer de la cocaïne en introduisant leur nez dans un trou, déclenchant ainsi la diffusion par voie intraveineuse de cocaïne dans leur sang. Le nombre d’actions à fournir pour obtenir une quantité similaire de drogue a ensuite été progressivement augmenté. Les chercheurs ont constaté que les souris transgéniques montraient une plus grande motivation (mesurée en nombre d’actions dans les trous) à « travailler » pour obtenir de la cocaïne.

Après plusieurs semaines de sevrage, les souris ont été de nouveau exposées à l’environnement dans lequel elles avaient appris à s’auto-administrer de la cocaïne. Les souris transgéniques ont alors montré une plus grande susceptibilité à la rechute en cherchant à nouveau à déclencher l’administration de la drogue.

La transition vers l’addiction est un processus associant l’exposition répétée à des stupéfiants et une vulnérabilité propre à chaque individu : en démontrant que la neurogenèse est un facteur clé dans la vulnérabilité à l’addiction, ces travaux offrent de nouvelles perspectives dans la compréhension de la fragilité individuelle face à la pharmacodépendance.

Ces recherches ouvrent également de nouvelles pistes pour la compréhension des conduites addictives chez les adolescents. « L’adolescence, période d’initiation à la consommation de drogues, est une étape de maturation du cerveau importante, caractérisée en particulier par une production de neurones extrêmement intense dans le gyrus dentelé »  précise Nora Abrous, chercheuse Inserm, qui avait déjà montré en 2002 l’impact négatif de la prise de drogues sur la production et la survie des nouveaux neurones de l’hippocampe. Elle ajoute que « la prise de drogue, en diminuant la production de ces neurones, rendraient les adolescents plus addicts et plus vulnérables à la rechute lors de tentatives de sevrage ».

Dans ses prochains travaux, son équipe « cherchera à manipuler les nouveaux neurones à l’aide d’approches de pharmacogénétique, de façon à diminuer la motivation des souris pour la drogue et à bloquer les rechutes au cours du sevrage ».

Tatouages : vraiment indélébiles ?

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Des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Aix Marseille Université  regroupés au sein du Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy (CIML) ont découvert que, si un tatouage peut être éternel, ce n’est pas le cas des cellules de la peau porteuses de son pigment. Celles-ci transmettent ce pigment à de nouvelles cellules lorsqu’elles meurent. Agir sur ce processus pourrait améliorer les techniques d’effacement de tatouages actuelles réalisées par laser. Cette étude est publiée le 6 mars 2018 dans le Journal of Experimental Medicine.

Pendant de nombreuses années, on pensait que les tatouages teintaient les cellules du derme de la peau, les fibroblastes. Cependant, des chercheurs ont suggéré plus récemment que les macrophages de la peau (des cellules immunitaires spécialisées résidant dans le derme) « engloutissaient » le pigment du tatouage, comme ils le feraient normalement avec un pathogène envahisseur ou un morceau de cellule mourante. Dans les deux cas, on présumait que la cellule porteuse de pigment vivait éternellement, permettant ainsi au tatouage d’être plus ou moins permanent.

Cette hypothèse est remise en question par une équipe de recherche associant des chercheurs de l’Inserm et du CNRS, dirigée par Sandrine Henri et Bernard Malissen du Centre d’Immunologie de Marseille-Luminy, qui a développé avec l’aide du Centre d’Immunophénomique de Marseille une souris génétiquement modifiée capable de tuer les macrophages résidant dans son derme. Au cours des semaines, les chercheurs ont observé que les cellules ainsi détruites avaient été remplacées par de nouveaux macrophages dérivés de cellules précurseurs présentes dans le sang et en provenance de la moelle osseuse et connues sous le nom de monocytes.

Ils ont ainsi découvert que les macrophages du derme étaient le seul type de cellules à absorber le pigment lors du tatouage de la queue des souris. Malgré la mort programmée de ces macrophages, l’apparence du tatouage ne changeait pas. L’équipe a donc conclu que les macrophages morts libéraient le pigment dans la zone les environnant où, au cours des semaines suivantes, ce pigment était réabsorbé par de nouveaux macrophages

Etant donné que le pigment du tatouage peut être recapturé par de nouveaux macrophages, l’aspect d’un tatouage semble être le même avant (à gauche) et après (à droite) que les macrophages du derme ont été tués. Crédits: Baranska et coll., 2018

Ce cycle de capture, libération et recapture du pigment se produit continuellement dans une peau tatouée, même lorsque les macrophages ne sont pas tués en une seule fois. Les chercheurs ont ainsi transféré un morceau de peau tatouée d’une souris à une autre et découvert que, six semaines plus tard, la plupart des macrophages porteurs de pigment provenaient de l’animal destinataire plutôt que de l’animal donneur.

« Nous pensons que, lorsque des macrophages porteurs de pigment de tatouage meurent au cours de la vie adulte, d’autres macrophages environnants recapturent les pigments libérés et assurent d’une manière dynamique l’apparence stable et la persistance à long terme des tatouages », explique Sandrine Henri, chercheuse Inserm et co-responsable du projet de recherche.

le pigment vert du tatouage est absorbé par les macrophages dermiques (à gauche). Puis, le pigment est libéré lorsque ces cellules sont tuées (au centre) ; cependant, 90 jours plus tard, il est réabsorbé dans de nouveaux macrophages ayant remplacé les anciens (à droite). Crédits: Baranska et coll., 2018

Les tatouages peuvent être effacés par des impulsions laser qui provoquent la mort des cellules cutanées et la libération et fragmentation de leurs pigments. Ces derniers peuvent ensuite être transportés loin de la peau via les vaisseaux lymphatiques qui drainent la peau. « Le détatouage via cette technique laser peut probablement être amélioré par l’élimination temporaire des macrophages présents dans la zone du tatouage», déclarent les chercheurs. « Ainsi, les particules fragmentées de pigment générées au moyen des impulsions laser ne seront pas immédiatement recapturées : cet état augmente la probabilité de les voir évacuées par les vaisseaux lymphatiques. »

De nouvelles courbes de croissance de référence françaises

 

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Grâce à un travail coordonné par l’Inserm et ses chercheurs au sein du Centre de Recherche Épidémiologie et Statistique Sorbonne Paris Cité (CRESS), les carnets de santé distribués à partir du 1er avril 2018 contiendront de nouvelles courbes de croissance de référence. Ces dernières ont été construites via une méthode totalement innovante qui a permis l’analyse de plus de 5 millions de mesures recueillies sur des enfants âgés de 0 à 18 ans. Comme attendu, les nouvelles courbes de taille, de poids et de périmètre crânien se situent au-dessus des courbes précédentes. De nombreuses innovations dans leur présentation vont aider les parents et les médecins à suivre la croissance des enfants.

La surveillance de la croissance des enfants est une activité essentielle. Elle peut avoir des buts variés, comme le suivi de l’adéquation des apports nutritionnels en situation normale ou pathologique, ou le repérage précoce de maladies dont certaines très graves. Cette surveillance repose sur des mesures régulières de poids, de taille, de périmètre crânien, le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC) et leur comparaison à des données de références. Les courbes de croissance françaises contenues dans la version précédente du carnet de santé datent de 1979 et ont été établies à partir des mesures de quelques centaines d’enfants nés dans les années 50 et suivis jusqu’à l’âge adulte. Il a été démontré que ces courbes, ainsi que celles proposées par l’Organisation Mondiale de la Santé, n’étaient pas optimales pour le suivi de la croissance des enfants contemporains en France[1].

La Direction Générale de la Santé a donc chargé en octobre 2016 les chercheurs de l’unité Inserm 1153/CRESS de produire des courbes de croissance actualisées des enfants français pour la nouvelle édition du carnet de santé. Pour cela, ils ont opté pour une approche innovante de type « big data ». Un partenariat public/privé a été mis en place. L’extraction massive de données a permis de recueillir et d’analyser environ 5 000 000 de mesures de poids, de taille ou de périmètres crâniens, provenant de 261 000 enfants âgés de 0 à 18 ans. Ces données ont été obtenues auprès de 42 médecins tirés au sort ayant donné leur accord parmi les pédiatres de l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) et médecins généralistes, en tenant compte de la région et de la taille des villes d’exercice, et ce, afin d’assurer une bonne représentativité de l’ensemble du territoire métropolitain[2]. Puis, la construction des nouvelles courbes a été menée en concertation avec les représentants des futurs utilisateurs afin de répondre au mieux à leurs attentes.

Qu’est-ce qui a changé en pratique ?

Comme attendu, les courbes « AFPA- CRESS/Inserm -CompuGroup Medical 2018 » de taille et de poids se situent « nettement au-dessus » des courbes précédentes.

Par exemple, à 10 ans, la médiane de la taille des filles des nouvelles références est de 139,5 cm contre 134,7 cm sur les courbes précédentes, soit quasiment 5 cm. Même si ces différences se réduisent à la fin de la puberté, cette évolution pourrait théoriquement amener à s’inquiéter sur la normalité de la croissance d’un nombre plus important d’enfants, c’est pourquoi il est indispensable de prendre en compte dans leur interprétation la taille cible parentale dont la formule a été introduite dans les carnets de santé.

Concernant le poids et comme recommandé par la Haute Autorité de Santé, le repérage du surpoids et de l’obésité de l’enfant doit reposer sur le suivi de la courbe de corpulence (c’est-à-dire de l’IMC) et non de la courbe de poids. A partir de deux ans, les courbes de corpulence représentées dans le carnet de santé sont donc celles proposées par l’International Obesity Task Force (IOTF) mais le comité d’expertise a souhaité les faire précéder des courbes « AFPA-Inserm/CRESS-CompuGroup Medical 2018 » avant deux ans, afin de permettre la visualisation du pic de corpulence autour de neuf mois. » Les nouvelles courbes de référence doivent permettre de détecter précocement des maladies chez les enfants apparemment sains, sans pour autant inquiéter à tort les familles » explique Barbara Heude, chercheuse Inserm qui a coordonné ce travail avec Pauline Scherdel et Martin Chalumeau du service de pédiatrie générale et maladies infectieuses pédiatriques, hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP.

De nombreux autres changements ont été introduits : des courbes de poids et de taille différentes pour les garçons et les filles dès la période 0-3 ans; des courbes de périmètre crânien 0 et 5 ans elles aussi spécifiques garçon/fille et la représentation de plus nombreux couloirs de croissance afin de mieux suivre les trajectoires individuelles. Enfin, le carnet contient des indications des périodes pubertaires normales pour inciter à leur utilisation dans l’interprétation des courbes. « Des messages courts au fil des pages visent à sensibiliser parents et médecins à l’importance d’un suivi régulier de la croissance et insistent sur les paramètres devant être pris en compte pour l’interprétation des mesures » concluent les chercheurs qui travaillent depuis 2016 à l’élaboration de ces nouvelles courbes et de nouveaux algorithmes de détection précoces d’anomalies de la croissance.

Au-delà de la création de nouvelles courbes qui seront utilisées quotidiennement en France, la prouesse technique et scientifique réalisée par cette approche « low-cost big data » va permettre à d’autres équipes dans le monde de reproduire et d’améliorer cette stratégie pour produire facilement des références anthropométriques calibrées.

Compte-tenu du caractère innovant de l’approche, les choix méthodologiques et épidémiologiques ont été faits en concertation avec un comité d’expertise composé notamment de des sociétés savantes et professionnelles suivantes : Société française de médecine générale, Société de formation thérapeutique du généraliste, Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique, Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatrique, Société française de neuropédiatrie, Société de néphrologie Pédiatrique, Groupe de pédiatrie générale et Groupe de pédiatrie sociale de la Société française de pédiatrie et association française de pédiatrie ambulatoire.

[1] Scherdel et al. PLoS One 2015 et Lancet Diabetes Endocrinol 2016.

[2] Il a été nécessaire d’identifier un réseau de professionnels de santé assurant le suivi médical régulier d’un grand nombre d’enfants de la naissance à l’âge adulte et utilisant le même système informatique. Les chercheurs du CRESS ont donc mis en place un partenariat public/privé avec l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) et l’entreprise CompuGroup Medical. C’est pourquoi les nouvelles courbes sont dénommées « AFPA-Inserm/CRESS-CompuGroup Medical 2018 ».

Des mécanismes de compensation intellectuelle chez les malades en début d’Alzheimer

©Tiago Muraro – Unsplash

L’étude INSIGHT-preAD, dirigée par le Pr Bruno Dubois et menée par des équipes AP-HP, Inserm, CNRS et Sorbonne Université au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) et de l’Institut de la mémoire et de la maladie d’Alzheimer (IM2A), à l’Hôpital Pitié Salpêtrière AP-HP, en collaboration avec la cohorte MEMENTO, vise à observer chez des sujets âgés de plus de 70 ans, bien portants et sans trouble cognitif, les facteurs de développement de la maladie d’Alzheimer. 

Promue par l’Inserm, cette étude montre, à 30 mois de suivi, que la présence de lésions amyloïdes (lésions Alzheimer) n’a pas d’impact sur la cognition et le comportement des sujets qui en sont porteurs.

Ses résultats, publiés le 28 février 2018 dans la revue Lancet neurology, suggèrent l’existence de mécanismes de compensation chez les sujets porteurs de ces lésions.

Les médicaments actuellement en développement dans le traitement de la maladie d’Alzheimer montrent une efficacité significative sur les lésions cérébrales des patients, sans toutefois réduire de manière conjointe les symptômes. Les essais thérapeutiques seraient ainsi réalisés trop tardivement, chez des patients trop avancés dans la maladie. D’où l’idée de tester l’efficacité des traitements de façon plus précoce, c’est-à-dire au début ou avant même l’apparition des symptômes chez des patients porteurs de lésions cérébrales de la maladie d’Alzheimer. Ce qui nécessite de bien comprendre les marqueurs de la progression de la maladie à son stade pré-clinique.

L’étude INSIGHT-preAD (pour “INveStIGation of AlzHeimer’s PredicTors in subjective memory complainers – Pre Alzheimer’s disease”), pilotée par le Pr Bruno Dubois, directeur du centre des maladies cognitives et comportementales de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP et professeur de neurologie à Sorbonne Université, vise à identifier ces facteurs de développement.

Elle s’appuie sur le suivi longitudinal (dans le temps) d’une cohorte active, lancée en mai 2013 à la Pitié-Salpêtrière AP-HP, de 318 patients volontaires âgés de plus de 70 ans, avec une plainte de mémoire subjective mais dont les performances cognitives et mnésiques sont normales.

Les participants ont accepté au départ que l’on détermine la présence ou non de lésions de la maladie d’Alzheimer (lésions dites « amyloïdes ») dans leur cerveau grâce à un examen d’imagerie. 28% d’entre eux étaient porteurs de lésions même s’ils n’en présentaient à ce stade aucun facteur.

A leur entrée dans l’étude INSIGHT-preAD, aucune différence n’était observée entre les sujets amyloïdes positifs et amyloïdes négatifs dans les tests cognitifs (mémoire, langage, orientation), fonctionnels et comportementaux. Aucune différence n’était observée entre les sous-groupes dans l’intensité de la plainte de mémoire, ni en neuro-imagerie structurelle (IRM) ou métabolique (PET-FDG).

L’étude INSIGHT-preAD prévoyait ensuite un suivi avec bilan neuropsychologique, électroencéphalogramme et actigraphie tous les ans, ainsi que des prélèvements sanguins (pour la recherche de biomarqueurs) et des examens de neuro-imagerie (IRM, PET-FDG et PET-amyloïde) tous les deux ans.

Les équipes ont analysé l’ensemble des données recueillies au démarrage de l’étude et à deux ans, en plus d’une évaluation clinique des sujets volontaires à 30 mois de suivi.

Elles n’ont pas noté de changement significatif entre les sujets amyloïdes positifs et ceux négatifs pour l’ensemble des marqueurs (comportementaux, cognitifs, fonctionnels) observés ainsi qu’en neuro-imagerie. En revanche, l’électroencéphalogramme montrait chez les patients porteurs de lésions une modification de l’activité électrique des régions antérieures de leur cerveau, notamment frontales, pour un maintien de leurs performances intellectuelles et mnésiques.

A deux ans et demi de suivi, seuls quatre sujets ont progressé vers la maladie d’Alzheimer. A leur entrée dans l’étude, ces patients présentaient des facteurs prédictifs, comme un âge plus avancé, une concentration de lésions amyloïdes plus élevée et un volume hippocampique diminué.

Ces résultats montrent ainsi que la présence de lésions amyloïdes cérébrales ne s’accompagne pas de modifications cognitives, morphologiques, métaboliques ou fonctionnelles chez les patients porteurs de ces lésions. Ils suggèrent l’existence de mécanismes de compensation confortés par les modifications électro-encéphalographiques observées.

La progression vers la maladie d’Alzheimer de ces patients âgés en moyenne de 76 ans est donc faible, ce qui témoigne d’une réserve cognitive importante pour ce type de population. Poursuivre ce suivi est donc nécessaire pour déterminer si ce constat se vérifie toujours après une plus longue période. 

L’étude INSIGHT-preAD fera l’objet d’un nouveau point d’étape en 2022. 

Ces travaux bénéficient d’un soutien financier du Ministère de la Recherche (Investissement d’avenir), de la Fondation Plan-Alzheimer et du laboratoire Pfizer.

En 2017 le pôle de recherche clinique de l’Inserm a été en charge de 238 études en phase de mise en conformité et en cours de réalisation et de 28 projets en cours d’expertise. Le pôle de recherche clinique accompagne 15 projets européens et/ou internationaux. En 2017, il a été impliqué dans l’élaboration de 6 futurs projets internationaux, dont 4 débuteront en 2018

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