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Troubles du spectre de l’autisme: une étude d’imagerie cérébrale inédite semble remettre en cause le modèle théorique dominant.

©Inserm/Arribarat, Germain

Dans le cadre du programme scientifique InFoR-Autism*, soutenu par l’Institut Roche, une étude de neuroimagerie IRM s’est intéressée aux liens entre la connectivité anatomique locale et la cognition sociale chez des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA). Fruits de la collaboration entre la Fondation FondaMental, des chercheurs de l’Inserm, NeuroSpin (CEA Paris-Saclay) et les Hôpitaux universitaires Henri Mondor, AP-HP, les résultats semblent remettre en question le modèle théorique dominant selon lequel les TSA proviendraient d’un déficit de connexions « longue-distance » entre des neurones situés d’un bout à l’autre du cerveau, associé à une augmentation de la connectivité neuronale à « courte distance », entre des zones cérébrales adjacentes. Publiés dans Brain, ces travaux pourraient, s’ils étaient confirmés à plus large échelle, ouvrir la voie à l’exploration de nouvelles approches thérapeutiques.

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont des troubles du neuro-développement qui se caractérisent par des troubles de la communication, une altération des interactions sociales et des anomalies sensorielles et comportementales. Les travaux menés en génétique et en imagerie cérébrale suggèrent que des anomalies du développement du cerveau, concernant notamment la formation des réseaux neuronaux et le fonctionnement des synapses, pourraient participer à la survenue des TSA. 

Ces dernières années, des travaux de neuroimagerie ont mis en évidence, chez des personnes présentant des TSA, des anomalies du fonctionnement de certaines aires cérébrales que l’on sait responsables du traitement des émotions, du langage ou encore des compétences sociales. Des travaux sur la connectivité cérébrale des personnes avec TSA ont notamment mis en évidence un déficit de connexions « longue distance » contrastant avec une augmentation de la connectivité « courte distance ». Ces résultats ont servi de base à l’élaboration d’un modèle théorique de compréhension des TSA, selon lequel le défaut d’attention sociale et de traitement de l’information observé (difficulté à appréhender une situation dans son ensemble, attention portée à certains détails) s’explique par une saturation d’informations traitées par le cerveau, liée à l’augmentation de la connectivité neuronale entre des zones cérébrales adjacentes.

Pour autant, le Pr Josselin Houenou, professeur de psychiatrie à l’UPEC, chercheur au sein de l’Inserm, praticien aux Hôpitaux universitaires Henri Mondor, AP-HP et dernier auteur de l’étude publiée dans Brain, précise : « ce modèle repose sur l’étude de populations pédiatriques hétérogènes, comprenant des enfants autistes d’âges variables et à la symptomatologie très variée, et sur des méthodes de neuroimagerie peu spécifiques ne permettant pas de mesurer avec fiabilité la connectivité ‘’courte distance’’. »

Afin de tester le modèle actuel, les auteurs de cette étude ont utilisé une innovation conçue par Miguel Gevara, Jean-François Mangin et Cyril Poupon à NeuroSpin, à savoir un atlas spécifiquement dédié à l’analyse par tractographie de 63 connexions « courte distance » à partir d’images obtenues par IRM de diffusion (IRMd). L’IRMd permet de mettre en évidence in vivo les faisceaux de matière blanche du cerveau en mesurant la diffusion des molécules d’eau, notamment le long des axones. Il est alors possible par tractographie de reconstituer de proche en proche les trajets des faisceaux de fibres nerveuses représentés sous la forme d’un tractogramme.

Les auteurs ont pu ainsi étudier les liens entre la connectivité « courte distance » et la cognition sociale chez une population adulte homogène de personnes présentant des TSA, issues de la cohorte InFoR-Autism* (27 personnes présentant des TSA sans déficience intellectuelle et 31 personnes contrôle), cohorte offrant l’une des bases de données les plus riches par patient et par témoin.

« La puissance de la cohorte InFoR-Autism* réside dans la grande richesse des données recueillies pour chaque sujet inclus. Nous avons pu ainsi mettre en lien les résultats de neuroimagerie obtenus avec les scores de cognition sociale, mesurant l’habileté sociale, l’empathie, la motivation sociale, etc.) », rappelle le Dr Marc-Antoine d’Albis, Hôpital Henri Mondor, Inserm U955, premier auteur de l’étude.

Découverte d’un déficit de la connectivité cérébrale « courte distance » associé à un déficit d’interaction sociale et d’empathie

Les résultats obtenus montrent que les sujets souffrant de TSA présentent une diminution de la connectivité dans 13 faisceaux « courte distance », en comparaison avec les sujets contrôles. De plus, cette anomalie de la connectivité des faisceaux « courte distance » est corrélée au déficit de deux dimensions de la cognition sociale (à savoir, les interactions sociales et l’empathie) chez les sujets présentant des TSA. 

Ces résultats préliminaires sont bel et bien en opposition avec le modèle théorique actuel selon lequel le défaut d’attention sociale et de traitement de l’information chez les personnes présentant des TSA s’explique par une augmentation de la connectivité neuronale entre des zones cérébrales adjacentes. Ils nécessitent maintenant d’être confirmés par des études menées chez des enfants présentant des TSA ainsi que l’explique le Pr Josselin Houenou.

Pour le Pr Josselin Houenou, « ces résultats sont préliminaires mais ils suggèrent que ces anomalies de la connectivité ‘’courte distance’’ pourraient être impliquées dans certains déficits de la cognition sociale présents chez les sujets autistes. Il est maintenant nécessaire de conduire des études similaires chez des enfants afin de confirmer les résultats obtenus chez les adultes. Les cohortes pédiatriques permettent des études chez des enfants d’âges – et donc de maturations cérébrales – variés et cela implique de prendre en compte une population de sujets bien plus importante.

Si ces premières conclusions étaient confortées, cela permettrait d’envisager le développement de nouvelles approches thérapeutiques pour les déficits de la cognition sociale. Par exemple, la stimulation magnétique transcrânienne pourrait être explorée car la connectivité cérébrale entre des zones adjacentes est localisée en superficie du cerveau. »

* InFoR-Autism

La Fondation FondaMental, l’Inserm, Inserm Transfert et l’Institut Roche sont partenaires depuis fin 2012 dans le cadre du programme scientifique InFoR Autism, dont l’objectif est de réaliser un suivi des variables cliniques, biologiques et d’imagerie cérébrale afin d’étudier la stabilité et l’évolution des TSA. Au total, 117 patient·e·s et 57 volontaires sain·e·s, âgé·e·s de 6 à 56 ans, ont été inclus dans l’étude. Il s’agit de l’une des cohortes proposant l’une des bases de données (cliniques, biologiques, eye tracking, et imagerie) les plus riches par patient et témoin.

Les « séquences enchevêtrées » : un mécanisme indispensable à la formation de la mémoire

©Photo by Annie Spratt – Unsplash 

Une équipe de recherche du CNRS, de l’Université PSL, du Collège de France et de l’Inserm vient de lever une part du voile qui entoure encore l’activité du cerveau pendant notre sommeil.  Si l’on sait que certains neurones se réactivent à ce moment pour consolider nos souvenirs, on ignorait encore comment ces cellules pouvaient se « souvenir » de l’ordre dans lequel s’allumer. Les chercheurs ont découvert que la réactivation des neurones durant le sommeil repose sur une activation qui a lieu au cours de la journée : les séquences thêta « enchevêtrées ». Leurs résultats sont publiés le 9 novembre 2018 dans Science.

La répétition est la meilleure méthode de mémorisation, pour les neurones eux-mêmes. C’est le principe de ce que les neurobiologistes nomment réactivations de séquences : durant le sommeil, les neurones de l’hippocampe liés à une tâche s’activent très rapidement à tour de rôle dans un ordre précis, ce qui consolide le souvenir de cette tâche. Les réactivations de séquences sont fondamentales pour la mémorisation à long terme et les échanges entre l’hippocampe et le reste du cerveau. Présentes seulement au repos, elles apparaissent donc après l’activité initiale des neurones, ce qui sous-entend qu’ils « mémorisent » dans quel ordre s’allumer. Mais par quel mécanisme ?

Une équipe de chercheurs du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CNRS/Inserm/Collège de France)1 vient de répondre à cette question en étudiant chez des rats les séquences d’activité de leurs cellules de lieu. Celles-ci sont des neurones de l’hippocampe qui s’allument en suivant la position de l’animal dans l’environnement lorsqu’il se déplace. Lentement d’abord, pendant qu’il effectue son déplacement, puis très rapidement lors des réactivations de séquences au cours du sommeil. Mais les neurobiologistes connaissent un autre type de séquences, appelées séquences thêta, qui répètent rapidement l’activation des mêmes cellules de lieu lorsque l’animal se déplace, en parallèle des séquences lentes. Ces séquences thêta sont donc dites « enchevêtrées ».

Lentes ou enchevêtrées, lesquelles de ces séquences sont nécessaires à l’apparition des réactivations de séquences, et permettent donc la consolidation des souvenirs pendant le sommeil ? Les chercheurs l’ont découvert grâce à un système ingénieux qui désactive les séquences enchevêtrées, sans toucher aux séquences lentes : les animaux sont transportés sur un train électrique, dans un wagon muni d’un tapis roulant (voir Image). Lorsque le tapis est à l’arrêt, les séquences enchevêtrées disparaissent, et celles-ci reviennent quand le tapis fonctionne.

Les chercheurs ont alors pu observer qu’après plusieurs tours en train avec le tapis roulant à l’arrêt, les cellules de lieu de l’hippocampe des rats ne se réactivent pas au cours du sommeil dans le même ordre que pendant l’éveil. Au contraire, après un trajet en train avec le tapis en marche, les réactivations de séquences sont bien présentes. Ainsi, ce sont les séquences thêta enchevêtrées pendant le mouvement qui sont indispensables à la consolidation de la mémoire au cours du sommeil.

Les chercheurs poursuivent leurs travaux en s’intéressant maintenant à l’intégration d’informations non-spatiales, comme les objets ou les textures, dans les séquences enchevêtrées, ainsi qu’à leur réactivation pendant le sommeil.

 

  1. Membre associé de l’Université PSL, le Collège de France mène depuis 2009 une politique volontariste d’accueil d’équipes indépendantes qui bénéficient de services techniques et scientifiques mutualisés et d’un environnement multidisciplinaire exceptionnel. Vingt-deux équipes sont actuellement hébergées au sein du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie ainsi que dans les instituts de chimie et de physique du Collège de France. Soutenu notamment par le CNRS, ce dispositif est ouvert aux chercheurs français et étrangers. Il contribue à consolider l’attractivité de Paris dans la géographie mondiale de la recherche.

Un récepteur des sels biliaires contrôle la réplication du virus de l’hépatite B

 Hépatite en voie de guérison : foyers de macrophages contenant de la bile et des pigments. ©Inserm/Hadchouel, Michelle, 1990

Des chercheurs du CIRI – Centre international de recherche en infectiologie de Lyon (Inserm, CNRS, ENS de Lyon et Université Claude Bernard Lyon 1) soutenus par l’ANRS montrent le lien entre l’activation d’un récepteur des sels biliaires présent dans les cellules du foie et la diminution de la réplication du virus de l’hépatite B chez des souris infectées par ce virus. Cette étude coordonnée par le Pr. Patrice André (Université Claude Bernard Lyon 1) vient de faire l’objet d’une publication dans la revue The FASEB journal.

Malgré l’existence d’un vaccin efficace et bien toléré, l’hépatite B due à l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) reste un problème mondial de santé publique avec 250 millions de personnes chroniquement infectées, présentant un haut risque de développer une cirrhose du foie et un cancer. Les antiviraux directs actuels réduisent significativement ce risque de complications mais ne parviennent pas à induire le contrôle de l’infection par les défenses immunitaires de l’hôte, ce qui oblige à un traitement à vie.

Une équipe de chercheurs soutenue par l’ANRS a étudié le rôle du récepteur Farnesoid X (FXR) dans le contrôle de l’infection par le VHB. FXR est un récepteur nucléaire du foie qui est activé par les sels biliaires et dont la principale fonction connue est de contrôler la synthèse et l’excrétion des sels biliaires dans la bile.

Les travaux antérieurs de la même équipe de recherche avaient déjà suggéré une interdépendance entre les sels biliaires et l’hépatite B. Une première partie de l’étude publiée ce mois d’octobre, menée sur des modèles cellulaires in vitro, permet d’en révéler un mécanisme. Une seconde partie effectuée in vivo confirme ces résultats.

En effet, les chercheurs ont pu montrer in vitro que FXR est un facteur de l’hôte favorisant la réplication du VHB. Cette multiplication virale est réprimée en cas d’inhibition de l’expression de FXR ou lors de son activation via des molécules agonistes mimant l’action des sels biliaires.

Puis, dans un modèle de souris infectées par le VHB, les chercheurs ont évalué les effets d’un traitement par agonistes afin d’activer le récepteur FXR. Ils ont alors constaté que la réplication du VHB était moins active chez les souris traitées que chez les souris contrôles. Ce résultat montre pour la première fois in vivo que l’activation du récepteur FXR par une molécule agoniste peut mener à la répression de la réplication du VHB. Enfin, les scientifiques ont également observé que les jeunes souris infectées par le VHB ne répondaient pas au traitement contrairement aux souris adultes.

Ce fait suggère que le manque de maturation de la voie des sels biliaires pourrait participer au risque augmenté d’infection chronique par le VHB observé chez les nouveau-nés et les jeunes enfants.


« Cette étude introduit un nouveau concept, à savoir que le rôle du métabolisme des sels biliaires est plus large qu’attendu et s’étend au contrôle d’au moins une infection virale » commente Patrice André « Les agonistes de FXR pourraient fournir une approche thérapeutique complémentaire pour alléger le fardeau des traitements à vie pour ces patients infectés par le VHB. »

Ce travail a fait l’objet d’un dépôt de brevet par Inserm transfert. « Pour amener en clinique ces avancées et un nouvel agoniste que nous avons identifié, nous avons créé une start-up, EnyoPharma, qui a acquis la licence du brevet. » explique Patrice André qui ajoute : « les résultats d’un essai de phase 1 seront bientôt disponibles et une phase 2 est en préparation. »

Les personnes âgées ne porteraient pas de lunettes adaptées à leur vue

©AdobeStock

Des chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Bordeaux et de Sorbonne Université ont publié une étude qui montre, dans une population de personnes âgées, que près de 40 % ont un trouble visuel (tel que la myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme) mal corrigé et pourraient donc avoir une vue améliorée par le port de lunettes mieux adaptées. Ces résultats sont publiés dans la revue JAMA Ophthalmology.

Les troubles visuels sont fréquents dans la population âgée et associés à des conséquences délétères sur la santé, notamment sur la qualité de vie et la dépendance dans les activités de la vie quotidienne. La myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme représentent encore des causes importantes de troubles visuels alors qu’ils sont corrigeables par le port de lunettes bien adaptées à la vue.

A partir des données de la cohorte Alienor ayant évalué plus de 700 personnes âgées de 78 ans et plus, des chercheurs de l’Inserm, de l’Université de Bordeaux et de Sorbonne Université se sont intéressés aux troubles visuels liés aux erreurs de réfractions (telles que la myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme) mal ou non corrigés par des lunettes ou des lentilles de vue adaptées.

Dans cette étude, les chercheurs ont montré que près de 40 % des personnes âgées de 78 ans et plus ne portent pas de lunettes adaptées à leur vue.

« Les raisons sont multiples explique Catherine Helmer, chercheuse Inserm en charge de l’étude, elles peuvent être liées à un fatalisme laissant penser qu’il est normal que la vue décline avec l’âge ou encore à des raisons financières persistantes malgré les aides existantes. »

De plus, le port de lunettes non adaptées est estimé à près de 50 % chez les personnes examinées dans leur lieu de vie (parce qu’elles n’ont pas souhaité ou pas pu se déplacer au centre hospitalier) et elle est de 35 % chez les personnes avec des pathologies oculaires liées à l’âge (dégénérescence maculaire liée à l’âge, glaucome…).

 « Au-delà du nombre important de troubles visuels mal corrigés dans l’ensemble de la population étudiée, la part encore plus élevée de mauvaise correction chez les personnes examinées dans leur lieu de vie devrait inciter à la mise en place d’actions de prévention les ciblant spécifiquement. De plus, le fait de retrouver un nombre important de troubles visuels mal corrigés également chez des personnes présentant des pathologies oculaires – et qui sont le plus souvent suivies pour ces pathologies souligne la nécessité d’être attentif à ces corrections inadaptées. » conclut Catherine Helmer.

Expédition 5300, une mission scientifique dans la ville la plus haute du monde

©Flore Avram/Inserm

Une quinzaine de scientifiques sous la direction de Samuel Vergès, chercheur Inserm au sein du laboratoire « Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaire et respiratoire » (Inserm/Université Grenoble Alpes), vont mener une expédition scientifique sur l’effet du manque d’oxygène sur la santé. Début 2019, ils se rendront pendant 6 semaines dans la ville la plus haute du monde, à 5 300 m, au Pérou, pour étudier les adaptations physiologiques de ses habitants à des conditions de vies extrêmes mais aussi analyser leurs problèmes de santé spécifiques liés à l’altitude. À terme, les chercheurs souhaitent utiliser ces données pour mieux comprendre et traiter des pathologies liées au manque d’oxygène.

Comprendre comment l’organisme humain peut s’adapter au manque d’oxygène, déterminer pourquoi certaines personnes n’arrivent pas à développer de tels mécanismes, identifier des moyens d’aider à mieux tolérer le manque d’oxygène sont autant d’enjeux essentiels tant pour les personnes se rendant ou résidant en haute altitude que pour le traitement de nombreuses maladies dans des environnements moins extrêmes.

Située au Pérou à 5 300 m d’altitude, à la frontière avec la Bolivie, La Rinconada est une ville dont l’activité économique principale est liée à l’exploitation d’une mine d’or. Les employés de cette mine et leur famille y vivent dans des conditions extrêmes non seulement du fait de l’altitude (plus élevée que celle du Mont-Blanc) mais aussi de l’impossibilité d’acheminer des services tels que l’électricité ou l’eau courante.

L’altitude représente un environnement extrême mettant en valeur les capacités et les limites d’adaptation de l’organisme humain. La diminution de la quantité d’oxygène disponible en altitude (l’hypoxie) fait de cet environnement un véritable laboratoire à ciel ouvert. C’est pourquoi La Rinconada a retenu l’attention des scientifiques grenoblois.

Les objectifs scientifiques de la mission

Les chercheurs de l’unité 1042 de l’Inserm, spécialisés dans la recherche sur l’altitude et l’hypoxie, travailleront de concert avec d’autres équipes internationales pour mettre en place en février 2019 un laboratoire éphémère de physiologie et biologie humaines au cœur de la ville de La Rinconada. Afin de mieux soigner les conséquences physiopathologiques et les maladies liées au manque d’oxygène, ils souhaitent faire avancer la recherche dans différents domaines.

Améliorer les soins

Lorsqu’une personne résidant habituellement en plaine se rend en altitude, trois phénomènes majeurs et délétères pour la santé peuvent apparaître :

– le mal aigu des montagnes, un syndrome qui associe maux de tête, nausées, fatigue, trouble du sommeil et dont souffre la moitié des personnes qui montent à plus de 4 000 m d’altitude ;

– l’œdème pulmonaire de haute altitude ;

– l’œdème cérébral de haute altitude ;

Ces deux derniers phénomènes sont beaucoup plus graves et peuvent être fatals. Aujourd’hui, seul l’apport d’oxygène par des bouteilles ou la ré-oxygénation par le biais d’un caisson hyperbare peuvent y remédier. Pour y faire face, Il se pourrait que les habitants de La Rinconada aient pu au cours du temps développer des adaptations génétiques à la vie en altitude. Il semble cependant qu’ils soient aussi touchés de façon fréquente par un autre type de pathologie : le syndrome de mal chronique des montagnes, qui concerne les personnes résidant en permanence en altitude.

Comprendre les mécanismes d’adaptation à l’hypoxie d’altitude est la priorité des chercheurs pour soigner les patients souffrant du manque d’oxygène à La Rinconada mais également pour soigner des pathologies plus courantes en plaine. Des pathologies comme la bronchopneumopathie chronique obstructive, l’apnée du sommeil ou la drépanocytose se caractérisent en effet par une exposition du malade à des conditions d’oxygénation insuffisante du fait d’anomalies respiratoires ou hématologiques. Comprendre comment l’organisme humain peut tolérer plus ou moins difficilement l’hypoxie pourrait permettre d’individualiser les soins et d’affiner les prises en charge thérapeutiques.

Faire progresser la technologie

L’unité 1042 développe certains outils diagnostiques ou de prise en charge thérapeutique s’appliquant aux conditions de moindre oxygénation, que ce soit en altitude ou chez le malade respiratoire par exemple. Lors d’une expédition antérieure dans l’Himalaya, l’équipe du Dr Vergès a ainsi mis au point un masque d’altitude visant à améliorer la diffusion de l’oxygène à travers les poumons. Ce masque est sur le point d’être commercialisé auprès des personnes vivant en plaine et se rendant an altitude

Transposer à la vie dans l’espace

Une fois quitté l’environnement terrestre, il est très difficile de reproduire des conditions identiques à la vie sur Terre en termes de disponibilité en oxygène. Ceci signifie que les futurs voyageurs et habitants spatiaux devront être capables de vivre en permanence dans des conditions d’oxygénation équivalentes à la haute altitude et donc de développer des mécanismes d’adaptation à l’hypoxie dont les populations de haute altitude sur Terre sont devenues expertes au fil des générations. Comprendre ces mécanismes d’adaptation, leurs intérêts et leurs limites permet ainsi de mieux concevoir l’adaptation des hommes à une vie en dehors de l’atmosphère terrestre.

Près de 20 experts scientifiques et médicaux européens et péruviens seront présents lors de cette expédition.

Le déroulement de l’expédition

Un premier repérage de 10 jours début octobre au Pérou a permis à l’équipe de chercheurs de mettre en place les aspects logistiques particulièrement exigeants d’une telle expédition, d’établir les relations nécessaires avec les acteurs sur place ainsi que d’étudier avec Ivan Hancco, médecin péruvien à La Rinconada, les données préliminaires collectées ces derniers mois auprès des habitants de la ville. Ces données ont indiqué des niveaux très élevés par rapport à d’autres populations d’altitude du syndrome de mal chronique des montagnes. Des particularités sanguines traduisant des réponses physiologiques extrêmes à l’hypoxie ont été relevées également.

À partir de février 2019, 40 habitants de La Rinconada vont être scannés de la tête aux pieds par les scientifiques. Les participants volontaires seront séparés en deux groupes, l’un présentant une bonne santé et donc une bonne tolérance à l’hypoxie d’altitude, l’autre présentant des symptômes d’intolérance (céphalées, vertiges, palpitations, cyanose, varices…) et probablement des pathologies sous-jacentes spécifiques encore à élucider. Deux groupes supplémentaires de 20 Péruviens habitants à Lima et, à moindre altitude, à Puno (3 800 m) seront également évalués de façon identique aux habitants de La Rinconada, afin de pouvoir comparer leurs caractéristiques.

Pendant 30 jours, les chercheurs vont étudier le profil génétique des participants, la qualité de leur sommeil, leurs capacités à l’effort physique, et récolter des analyses concernant leurs caractéristiques sanguines, cardiovasculaires et cérébrales.

Concrètement, un laboratoire scientifique et médical sera installé sur place pendant 6 semaines. Plusieurs centaines de kilos de matériel spécialisé seront ainsi transportés par avion et véhicules tous terrains sur les 3 lieux des évaluations au Pérou (Lima, Puno et La Rinconada). L’équipe de chercheurs étudiera 6 à 8 volontaires par jour, chacun ayant à passer deux journées auprès de l’équipe pour réaliser l’ensemble des évaluations. Les personnes seront également étudiées pendant leur sommeil et devront porter des capteurs pendant 24 heures. Certains des échantillons sanguins prélevés feront l’objet d’analyses biologiques sur place (viscosité sanguine par exemple), d’autres seront ramenés congelés en France pour être soumis à des analyses spécifiques (génétiques et épigénétiques notamment).

Les résultats obtenus doivent permettre d’identifier les mécanismes développés par l’organisme humain pour vivre avec moins d’oxygène : ceux développés au fil des générations par les Péruviens vivant en altitude, y compris du point de vue génétique, et ceux sur lesquels il serait possible d’agir afin d’aider l’organisme de personnes manquant d’oxygène à préserver un état de santé suffisant. La publication des premiers résultats de l’équipe se fera à partir de septembre 2019.

Un savoir-faire éprouvé

Cette expédition scientifique fait suite à d’autres déjà conduites par la même équipe de chercheurs :

– en 2011, un véritable laboratoire a été reconstitué dans le massif du Mont-Blanc à 4 300 m d’altitude pour étudier les modifications cérébrales lors d’une exposition en haute altitude de sujets habitant en plaine ;

– en 2015, l’équipe a mené une expédition scientifique internationale dans l’Himalaya regroupant 7 pays pour étudier les adaptations cardiorespiratoires et métaboliques de 50 sujets volontaires réalisant un trek jusqu’à plus de 5 000 m d’altitude.

Ces deux projets scientifiques ont conduit à la publication de nombreux articles scientifiques internationaux ainsi qu’au développement de certaines technologies et brevets. Deux articles publiés dans Neurology en 2013 et dans Frontiers in Physiology en 2016 ont par exemple démontré pour la première fois par IRM les modifications cérébrales associées à un séjour d’une semaine à plus de 4 000 m d’altitude.

Un brevet relatif au masque évoqué plus haut a été déposé et mis au point en laboratoire et a déjà été testé dans ces deux précédentes expéditions. Son utilisation augmente de 8 à 9 % la saturation (quantité d’oxygène dans le sang) en haute altitude, ce qui équivaut à reproduire des conditions d’oxygénation pour l’organisme correspondant à une altitude plus basse de 1 000 à 1 500 m que celle à laquelle se trouve réellement l’utilisateur.

Un vaste dispositif de communication

Conscients du caractère exceptionnel de cette mission scientifique et humanitaire, les chercheurs partageront chaque jour leur quotidien sur place grâce à l’implication de spécialistes en communication, dont certains seront présents au Pérou pendant l’expédition. Pour cela, un site internet, une page Facebook et un compte Instagram ont été créés. L’expédition sera également à suivre sur les réseaux sociaux de l’Inserm (Twitter, Facebook). Un documentaire sera réalisé sur place par un vidéaste professionnel.

Retour en vidéo sur la conférence de presse du 6 Novembre 2018


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