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Étude sur les implications médico-économiques du niveau de précarité des patients hospitalisés en pédiatrie

 

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Des équipes de l’unité de recherche clinique en économie de la santé « ECO Île-de-France »* à l’Hôtel-Dieu AP-HP, de l’unité d’épidémiologie clinique et du service d’endocrinologie-diabétologie pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré AP-HP, et de l’unité mixte de recherche Inserm/Université de Paris U1123 « Epidémiologie clinique et évaluation économique appliquées aux populations vulnérables (ECEVE) ont mené une étude sur l’association entre précarité, durée de séjour à l’hôpital et coûts hospitaliers en pédiatrie. Plus de quatre millions de séjours pédiatriques ont été analysés et la précarité a été mesurée en s’appuyant sur le niveau de vie du lieu de résidence. Il existe une association entre précarité et durée de séjour, en particulier quand le groupe homogène de malades permettant de coder et de tarifer le séjour n’est pas spécifiquement pédiatrique. La précarité est associée aux coûts de la prise en charge et à l’équilibre financier, impactant particulièrement les établissements recevant de nombreux patients précaires. L’étude suggère qu’un mode de financement hospitalier prenant en compte le statut socio-économique des patients et leur âge rectifierait utilement la tarification à l’activité actuelle. Ces travaux qui ont fait l’objet d’un éditorial ont été publiés le 18 octobre 2019 dans la revue JAMA Network Open.

La précarité touche entre 20 et 25% de la population française. Elle est partiellement compensée pour les hôpitaux par une dotation allouée au titre d’une mission d’intérêt général (MIG). Les établissements éligibles sont ceux qui accueillent au moins 13% de patients précaires (ou > 7000 séjours de patients précaires), définis comme étant bénéficiaires des prestations suivantes : Aide médicale d’état (AME), Couverture maladie universelle complémentaire (CMU et CMUC), Soins urgents et Aide au paiement d’une complémentaire santé. En 2018, 282 établissements ont été financés pour un montant par structure médian de 267 488€. Les indicateurs utilisés ont toutefois des limites : ils sous-évaluent le nombre de patients précaires, les prestations sociales étant parfois méconnues des usagers, et créent un effet seuil du fait de leur caractère binaire, ne permettant ainsi pas d’apprécier l’impact de tout le gradient de la précarité.

Plusieurs études menées précédemment chez l’adulte ont montré que les patients précaires avaient une durée moyenne de séjour plus longue et généraient donc des coûts hospitaliers plus élevés que les patients non précaires, mais il existe peu de données chez l’enfant. Les auteurs ont donc mené une étude nationale à partir des bases de données du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) sur les années 2012 à 2014 et utilisé un indicateur écologique de précarité, mesuré au niveau du lieu de vie des enfants à travers le revenu médian dans la commune, le pourcentage de bacheliers, le taux de chômage et le pourcentage d’ouvriers. 4 121 187 séjours pédiatriques ont été inclus et répartis par quintile de précarité à partir de références nationales.

Les résultats de cette étude ont montré que :

> Les patients pédiatriques précaires ont des durées de séjour significativement plus longues que les patients moins précaires, même au sein d’un même groupe homogène de malades.

> Les recettes associées aux séjours des patients précaires ne compensent donc pas les coûts hospitaliers.

> Le pourcentage de patients précaires dans la patientèle d’un établissement est associé de façon significative à son équilibre financier.

> Le pourcentage de groupes homogènes de malades non spécifiques à la pédiatrie dans le case-mix d’un établissement est associé au déficit de l’établissement.

Ces résultats ont des implications majeures pour la tarification hospitalière et appellent à une réforme du mode de financement de la précarité dans les établissements de santé. Une modulation des tarifs des groupes homogènes de malades au niveau individuel en fonction de la précarité du patient permettrait de mieux prendre en compte l’impact de la précarité sur le budget des hôpitaux.

Par ailleurs, des groupes homogènes de malades spécifiques à la pédiatrie devraient être encouragés autant que possible afin que leurs tarifs reflètent mieux les ressources consommées par ces patients et que les hôpitaux accueillant des enfants ne soient pas désavantagés. De telles mesures permettraient d’améliorer l’efficience allocative du système de santé et l’équité de financement entre établissements.

* L’unité de recherche clinique en économie de la santé d’Île-de-France est une structure transversale de la Délégation de la Recherche Clinique et de l’Innovation (DRCI) de l’AP-HP qui est chargée de piloter les projets de recherche développés par l’AP-HP et de suivre l’ensemble des activités de recherche se déroulant au sein de l’institution :
> près de 3 000 projets de recherche en cours, tous promoteurs confondus ;
> près de 917 projets de recherche dont l’AP-HP assure la promotion et la gestion ;
> plus de 24 604 patients inclus dans des essais cliniques à promotion AP-HP.

Cancers pédiatriques : Pourquoi certaines leucémies touchent uniquement les enfants

Détection de la fusion ETO2-GLIS2 dans des cellules leucémiques de patients. Le signal rouge correspond au locus ETO2, le signal vert correspond au locus GLIS2 et le signal jaune indique la présence de la fusion ETO2-GLIS2.© Thomas Mercher

Les leucémies aiguës à mégacaryoblastes touchent principalement les enfants. Le pronostic est souvent mauvais malgré plusieurs décennies de recherches pour développer des traitements plus efficaces. De nouveaux travaux menés par Thomas Mercher, directeur de recherche de l’équipe « Génétique et modélisation des leucémies de l’enfant » au sein de l’unité 1170 « Hématopoïèse normale et pathologique » (Inserm/Gustave Roussy/Université Paris-Sud-Paris Saclay) expliquent pourquoi certaines leucémies se développent chez les très jeunes enfants. Réalisée en collaboration avec Jürg Schwaller (UKBB, Departement Biomedizin, Universität Basel), l’étude dévoile également de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles. Elle est publiée dans la revue Cancer Discovery, journal de l’Association Américaine de Recherche sur le cancer.

Chaque année, 2500 cancers pédiatriques sont diagnostiqués en France. Il s’agit pour un tiers des cas de leucémies, communément appelées cancers du sang. Au cours des dernières décennies, la recherche sur le cancer des enfants s’est intensifiée et les traitements se sont améliorés, mais le pronostic reste encore particulièrement défavorable pour ces jeunes patients.

Parmi les leucémies diagnostiquées chez les enfants et les adolescents, 15 % sont des leucémies aiguës myéloïdes (LAM). La survie globale demeure autour de 60 % à cinq ans et la rechute est la cause la plus fréquente de décès. 

Fusion de protéines

Il existe plusieurs sous-types de LAM. L’une des plus agressives, associée à une résistance aux traitements et à un pronostic particulièrement défavorable, est la leucémie aiguë mégacaryoblastique (LAM7). C’est sur ce type de leucémie aiguë myéloïde que l’équipe de Thomas Mercher a concentré ses efforts, dans sa nouvelle étude publiée dans Cancer Discovery. Ces travaux sont cofinancés par La Ligue Contre le Cancer.

A travers le réseau collaboratif CONECT-AML[1], les scientifiques ont obtenu les échantillons de jeunes patients atteints de LAM7. En 2012, leurs analyses de ces échantillons avaient déjà révélé que les LAM7 présentaient fréquemment des altérations génétiques conduisant à l’expression d’une protéine anormale résultant de la fusion des deux protéines normalement indépendantes dans la cellule. Cette fusion, appelée ETO2-GLIS2, est identifiée dans 30 % des LAM7. Néanmoins, les chercheurs n’étaient pas parvenus à expliquer cette anomalie.

Par ailleurs, ils voulaient aussi comprendre pourquoi les LAM7 sont diagnostiquées chez des enfants en moyenne beaucoup plus jeunes (moins de 2 ans) que les enfants diagnostiqués pour les autres sous-types de LAM pédiatriques (en moyenne vers 6 ans).

« Un des objectifs de notre nouvelle étude était d’étudier le fonctionnement de la fusion ETO2-GLIS2, et de mieux en caractériser les conséquences. Nous voulions répondre à deux questions majeures : tout d’abord pourquoi cette maladie est spécifique aux enfants, la fusion n’étant jamais retrouvée chez les adultes, et ensuite quelles sont les pistes thérapeutiques potentielles envisageables », explique Thomas Mercher.

Pour réaliser ces travaux, les chercheurs ont analysé les caractéristiques de cellules leucémiques humaines et développé un modèle murin permettant d’étudier l’expression de la fusion ETO2-GLIS2.

Vers des pistes de traitements nouvelles

Dans ce modèle, les chercheurs ont montré que cette fusion est suffisante pour induire rapidement des leucémies agressives, si elle est activée dans des cellules hématopoïétiques du fœtus. En revanche, son activation dans des cellules adultes est faiblement associée au développement de leucémie. Par ailleurs, lorsque la fusion ETO2-GLIS2 est bloquée dans le modèle in-vivo, la prolifération tumorale est stoppée. Les cellules sanguines anormales peuvent à nouveau se différencier en cellules du sang normales. 

Ces résultats suggèrent que certaines leucémies se développent spécifiquement chez les enfants car les cellules fœtales présentent des propriétés différentes par rapport aux cellules adultes.

Ils permettent également de proposer de nouveaux mécanismes à cibler dans les cellules fœtales et dans les leucémies de l’enfant afin d’améliorer les traitements chez ces patients. « Nous voulons maintenant comprendre le fonctionnement précis de cette fusion. Nous ne pouvons actuellement pas la cibler pour l’inhiber directement avec des molécules qui pourraient être utilisées chez les patients, nous allons donc identifier et tenter de cibler les protéines dans son entourage qui sont importantes pour son fonctionnement », conclut Thomas Mercher.

 

[1] Réseau qui regroupe plusieurs équipes de chercheurs, de médecins biologistes et de pédiatres hématologues sur le territoire français

Des erreurs à l’origine de la créativité de l’esprit humain ?

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Pourquoi certains de nos choix semblent-ils poussés par l’envie d’explorer l’inconnu ? Une équipe Inserm de l’École normale supérieure menée par Valentin Wyart, lauréat d’une bourse ERC en 2017, vient de montrer qu’une grande partie de ces choix n’est pas motivée par la curiosité, mais par des erreurs résultant des mécanismes cérébraux impliqués dans l’évaluation de nos options. Ces résultats ont été publiés dans Nature Neuroscience.

Où aller dîner ce soir : choisir son restaurant favori ou essayer un nouvel endroit ? Pour quelle destination opter pour ses prochaines vacances : la maison familiale que l’on connait par cœur ou une location à l’autre bout du monde ? Lorsque nous devons faire un choix entre plusieurs options, nos décisions ne se dirigent pas toujours vers l’option la plus sûre en se fondant sur nos expériences passées. Cette variabilité caractéristique des décisions humaines est le plus souvent décrite comme de la curiosité : nos choix seraient le reflet d’un compromis entre exploiter des options connues et explorer d’autres options aux issues plus incertaines. La curiosité serait même un attribut de l’intelligence humaine, source de créativité et de découvertes inattendues. Cette interprétation repose sur une hypothèse très forte, quoique rarement mentionnée explicitement, selon laquelle nous évaluons nos options sans jamais faire d’erreur.
Une équipe de recherche de l’Inserm du Laboratoire de neurosciences cognitives et computationnelles (LNC2) financée par le Conseil européen de la recherche (ERC) a voulu tester cette hypothèse implicite sur laquelle reposent de nombreux résultats. Les chercheurs soupçonnaient que notre capacité à évaluer nos options et à les réviser était largement surestimée, sur la base de résultats publiés en 2016 dans Neuron :

« L’un d’entre nous avait montré que notre capacité à faire le bon choix sur la base d’indices partiels est limitée par des erreurs de raisonnement au moment de combiner ces indices, et non par des hésitations au moment du choix. Nous nous sommes donc demandé si ces erreurs de raisonnement pouvaient être responsables d’une partie des choix considérés comme relevant de la curiosité par les théories actuelles. »

Pour étayer leurs soupçons, les chercheurs ont étudié le comportement d’une centaine de personnes dans un jeu de machines à sous qui consistait à choisir entre deux symboles associés à des récompenses incertaines. Ils ont analysé le comportement des participants à l’aide d’un nouveau modèle théorique tenant compte d’erreurs d’évaluation des symboles développé par Charles Findling, post-doctorant dans l’équipe et co-premier signataire de l’article.

Les chercheurs ont ainsi découvert que plus de la moitié des choix habituellement considérés comme relevant de la curiosité était en réalité due à des erreurs d’évaluation. « Ce résultat est important, car il implique que de nombreux choix vers l’inconnu le sont à notre insu, sans que nous en ayons conscience » explique Valentin Wyart, directeur de l’équipe.

« Nos participants ont l’impression de choisir le meilleur symbole et non pas le plus incertain, mais ils le font sur la base de mauvaises informations résultant d’erreurs de raisonnement. »

Les participants ont joué à un jeu de machine à sous qui consistait à choisir entre deux symboles associés à des récompenses incertaines. Dans cet exemple, le participant doit choisir entre le symbole de gauche qui lui a rapporté de l’argent dans les essais précédents, et le symbole de droite qui n’a pas été essayé récemment et dont le résultat est donc plus incertain. Les théories actuelles décrivent ce genre de choix comme le reflet d’un compromis entre exploiter des options connues (dans cet exemple, choisir le symbole de gauche) et explorer d’autres options plus incertaines (choisir le symbole de droite).

Pour comprendre d’où viennent ces erreurs, les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale d’une partie des participants en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Ils ont découvert que l’activité du cortex cingulaire antérieur, une région impliquée dans la prise de décision, fluctuait avec les erreurs d’évaluation des participants. Plus l’activité de cette région était grande au moment de l’évaluation des options, plus les erreurs d’évaluation étaient importantes. Pour Vasilisa Skvortsova, post-doctorante et co-première signataire de l’article, « ces erreurs d’évaluation pourraient être régulées via le cortex cingulaire antérieur par le système neuromodulateur de la noradrénaline, en contrôlant la précision des opérations mentales effectuées par le cerveau ». Autrement dit, notre cerveau utiliserait ses propres erreurs pour produire des choix vers l’inconnu, sans s’appuyer sur notre curiosité. « C’est une vision radicalement différente des théories actuelles qui considèrent ces erreurs comme négligeables », insiste Valentin Wyart.

Les chercheurs ont enregistré l’activité cérébrale des participants en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle. Ils ont découvert que les régions cérébrales qui s’activent lorsque les participants explorent des symboles incertains (en jaune) sont les mêmes qui s’activent lorsque les participants commettent des erreurs de raisonnement. Les régions cérébrales affichées sont le cortex cingulaire antérieur dorsal (dACC), le cortex dorsolatéral préfrontal (dlPFC), le cortex frontopolaire (FPC) et le cortex ventromédial préfrontal (vmPFC).

Si ces résultats peuvent paraître surprenants, le sont-ils vraiment ? De nombreuses découvertes majeures sont le résultat d’erreurs de raisonnement : la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, qui croit avoir atteint les « indes orientales » – une erreur de navigation de 10 000 km, mais aussi la découverte de la radioactivité par Henri Becquerel, qui pense initialement que les radiations émises par l’uranium sont dues à la réémission de l’énergie solaire, ou encore la découverte du pacemaker par John Hopps en essayant de traiter l’hypothermie à l’aide d’une fréquence radio. En allant plus loin, « l’évolution des espèces repose elle aussi sur des variations aléatoires du génome, autrement dit des erreurs génétiques, dont certaines sont conservées par sélection naturelle », rappelle Valentin Wyart. Il n’y aurait donc en fait rien d’étonnant à ce que notre cerveau tire parti de ses erreurs pour sortir des sentiers battus.

Comment les personnes autistes éviteraient les situations socio-émotionnelles

Le manque de flexibilité cognitive est une des hypothèses mises en avant pour expliquer les comportements répétitifs des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme. Et si ce n’était pas le cas ? C’est ce que suggèrent les travaux d’une équipe de chercheurs de l’Inserm et de l’université de Tours qui ont suivi par IRM l’activité cérébrale de participants autistes et non-autistes face à des situations similaires à celles posant problème aux personnes autistes au quotidien. Leurs résultats parus dans Brain and Cognition suggèrent que l’inflexibilité des personnes autistes proviendrait en fait d’une stratégie d’évitement des situations socio-émotionnelles. Ces travaux ouvrent de nouvelles pistes dans la compréhension et la prise en charge de l’autisme, en proposant de ne plus dissocier le domaine cognitif du domaine socio-émotionnel mais de les considérer comme étroitement liés.

Les personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) montrent dans leurs activités quotidiennes des difficultés à adapter leur comportement aux modifications de l’environnement. Le TSA est caractérisé par deux critères diagnostiques principaux : une difficulté persistante à communiquer socialement et un enfermement dans des schémas comportementaux répétitifs, des intérêts et/ou activités restreints. Mais si le diagnostic d’autisme requiert la présence simultanée de ces deux critères, leur interaction demeure peu étudiée.

Dans une étude dirigée par Marie Gomot, chercheuse Inserm, au sein du laboratoire « Imagerie et cerveau » (Inserm/Université de Tours), cette question a été abordée en comparant la gestion cognitive des informations socio-émotionnelles et celle des informations non-sociales chez les personnes autistes.

Si les processus à l’origine des symptômes du TSA ne sont pas encore bien compris, l’une des hypothèses aujourd’hui avancée est un manque de flexibilité cognitive, c’est-à-dire une difficulté à alterner entre plusieurs tâches et à analyser son environnement pour s’adapter à ses changements.

Pour évaluer cette flexibilité, les chercheurs ont suivi par IRM l’activité cérébrale de participants autistes et non-autistes soumis à un test simulant des situations similaires à celles posant problème aux personnes TSA au quotidien.

L’équipe de recherche a utilisé une version modifiée d’un test classique en neuropsychologie qui lui a permis de tester la flexibilité cognitive lors du traitement d’informations non sociales ou socio-émotionnelles. Cinq cartes étaient présentées, chacune illustrée d’un visage différent. Les participants devaient associer la carte centrale avec une des quatre cartes adjacentes selon un des trois critères suivants : couleur du cadre de la carte (information non sociale), identité du visage (information sociale) ou expression faciale (information socio-émotionnelle). Tout au long du test, pour évaluer la flexibilité cognitive des participants, il leur était demandé de réaliser différentes associations (même couleur, même identité ou même expression faciale) en changeant ou maintenant une des trois règles en vigueur.

L’équipe de recherche n’a constaté aucune différence significative entre les participants autistes et non-autistes sur les paramètres comportementaux mesurant purement la flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à adopter une nouvelle règle.

En revanche, l’étude révèle l’importance de la nature de l’information à traiter sur ces processus de flexibilité cognitive dans l’autisme. Ainsi, les participants TSA ont besoin de plus d’essais que les participants non-TSA pour s’orienter vers la règle liée à l’information socio-émotionnelle, alors qu’ils ne montrent pas de difficultés particulières à adopter celles impliquant le traitement d’informations non émotionnelles.

Parallèlement, l’IRM a mis en évidence une activité cérébrale significativement plus importante chez les participants autistes lorsqu’ils devaient faire preuve de flexibilité cognitive. Cette activité cérébrale ne se stabilisait que lorsque les participants TSA recevaient confirmation qu’ils avaient trouvé la bonne règle à appliquer. Cette observation suggère que l’adaptation à une nouvelle situation nécessiterait un niveau plus élevé de certitude chez les personnes autistes.

« Ces résultats sont importants car ils suggèrent que les personnes TSA pourraient mettre en place des routines et des comportements répétitifs non en raison d’un réel manque de flexibilité cognitive mais plutôt pour éviter d’être confrontées à certaines situations socio-émotionnelles, précise Marie Gomot. Le besoin d’un haut niveau de certitude combiné à une faible compréhension des codes régissant les interactions socio-émotionnelles mènerait ainsi à un évitement des tâches impliquant une composante socio-émotionnelle. » Et de conclure, « ces travaux confirment que les dysfonctionnements cognitifs et émotionnels sont étroitement liés dans le TSA et qu’ils devraient davantage être considérés conjointement dans de futures études. »

Maladies rares : plus de 300 millions de patients dans le monde

300 millions de personnes vivent avec une maladie rare dans le monde. Adobe Stock

Les maladies rares constituent un fléau qui touche toutes les populations, dans toutes les régions du monde. Jusqu’à présent, estimer leur prévalence s’était néanmoins avéré difficile, faute de données. Créée et coordonnée par l’Inserm, la base de connaissances Orphanet, qui contient le plus grand nombre de données épidémiologiques sur ces pathologies provenant des publications scientifiques, a permis d’obtenir une estimation au niveau mondial. Sous la coordination d’Ana Rath, directrice de l’US14 de l’Inserm, ces données ont montré que plus de 300 millions de personnes vivent aujourd’hui avec une maladie rare dans le monde. L’étude, publiée dans le European Journal of Human Genetics, est la première à analyser de manière aussi précise les chiffres disponibles sur les maladies rares.

Sclérodermie systémique, polyglobulie de Vaquez ou encore syndrome de Marfan… Toutes ces pathologies aux noms obscurs, encore peu connues du grand public, et très différentes dans leurs manifestations cliniques, ont un point commun : ce sont des maladies rares. Selon la définition européenne, elles ne touchent pas plus de 5 personnes sur 10 000.

Peu étudiées par la communauté scientifique, mal prises en charges par les personnels de santé, bénéficiant rarement de traitements adaptés, les milliers de maladies rares qui ont été identifiées au fil des années sont source de grandes souffrances pour de nombreux patients et leurs familles, partout dans le monde. Un nombre restreint d’études épidémiologiques ayant été publiées à ce jour sur le sujet, et ne comptant que rarement sur des registres en population générale, il était toutefois difficile d’établir leur prévalence exacte.

De tels chiffres seraient pourtant nécessaires pour définir les priorités en matière de politiques de santé et de recherche, connaître le poids sociétal de ces maladies, adapter la prise en charge des patients, et de manière plus générale, promouvoir une vraie politique de santé publique sur les maladies rares. « Les maladies rares étant méconnues, on pourrait penser que les malades sont rares. Or ils constituent, dans leur ensemble, une grande proportion de la population. Même si les maladies sont individuelles et particulières, elles partagent toutes la rareté, et les conséquences qui en découlent », souligne Ana Rath, de l’unité Inserm US14 (Plateforme d’Information et de services pour les maladies Rares et les médicaments orphelins).

Sous sa direction, Stéphanie Nguengang (Inserm US14), la première auteur de l’étude, et ses collègues, se sont appuyés sur la base de données Orphanet pour apporter un éclairage sur la question.

4 % de la population mondiale

Créé en 1997 par l’Inserm, Orphanet s’est progressivement transformé en un Consortium de 40 pays, principalement situés en Europe. Tous ces partenaires travaillent de concert afin de mettre en commun, au sein d’Orphanet, les données issues de la littérature scientifique dont ils disposent sur les maladies rares. Orphanet s’est ainsi imposée comme la ressource la plus complète sur le sujet, comportant de nombreuses informations qui permettent une meilleure compréhension de ces pathologies.

Dans leur étude, l’équipe d’Ana Rath a étudié les données disponibles sur la prévalence ponctuelle de 3.585 maladies rares (c’est-à-dire le nombre de personnes qui en sont atteintes à un moment donné). Les cancers rares, ainsi que les pathologies rares causées par des infections, ou par des empoisonnements, ont été exclus de leur analyse. 

Après avoir harmonisé les données provenant de la littérature selon une méthodologie prédéfinie, pour ensuite additionner toutes les prévalences ponctuelles des différentes maladies référencées dans la base de données, ils sont parvenus à estimer qu’à tout moment, 3,5 à 5,9 % de la population mondiale souffre de ces pathologies. Ceci correspond à environ 300 millions de personnes, soit 4 % de la population mondiale.

Prises collectivement, les maladies « rares » ne sont donc pas si rares. La mise en place de véritables politiques de santé publique à l’échelle mondiale et au niveau des pays serait donc justifiée, d’après les auteurs. Cette politique est une réalité en France, où le 3ème Plan National Maladies Rares a débuté il y a un an. « Nos données constituent vraisemblablement une estimation basse de la réalité. La plupart des maladies rares ne sont pas traçables dans les systèmes de santé et il n’y a pas de registres nationaux dans la plupart des pays. Rendre visibles les malades dans le système de santé en y implémentant le moyen de noter leurs diagnostics précis permettra à l’avenir non seulement de réviser nos estimations, mais plus fondamentalement de mieux adapter les politiques d’accompagnement et de prise en charge », précise Ana Rath.

Origines génétiques 

D’autres constats ont pu être établis au cours de ces travaux. Les chercheurs ont notamment montré que sur les plus de 6000 maladies définies dans Orphanet, 72 % d’entre elles sont d’origine génétique, et 70 % débutent dès l’enfance. Par ailleurs, parmi les pathologies analysées dans l’étude, 149 sont responsables à elles seules de 80 % des cas de maladies rares répertoriées dans le monde.

Les recherches devraient désormais s’orienter sur la collecte et l’analyse des données disponibles sur les maladies rares qui avaient été exclues de cette étude. Cancers et autres pathologies rares causées par des agents infectieux, ou encore associées à des facteurs environnementaux, feront ainsi l’objet de nouvelles analyses. Avec toujours la même priorité pour les chercheurs : étendre le champ de la connaissance sur les maladies rares pour mieux prendre en charge les patients, et s’assurer que plus personne ne soit laissé pour compte.

Un « Google Maps » du système immunitaire pour prédire la réponse aux traitements contre le cancer

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Comment prédire la réponse d’un patient à tel ou tel traitement ? Grâce à un travail colossal de mise en commun de données scientifiques, mené par une chercheuse de l’Institut Curie avec ses collègues de l’Inserm, un outil innovant et collaboratif pourrait aider à affiner les stratégies thérapeutiques pour lutter contre le cancer.  Ses résultats sont publiés dans Nature Communications du 22 octobre 2019.

« L’action du système immunitaire inné est à double tranchant dans le cancer. S’il doit normalement lutter contre son expansion, il peut aussi jouer un rôle qui favorise le développement d’une tumeur », explique Inna Kuperstein, chercheuse en bio-informatique (U900 Inserm – Institut Curie)[1].

Pour y voir plus clair dans ce double jeu, la chercheuse a coordonné l’élaboration d’une représentation cartographiée et interactive de ce système. Ce travail, mené en collaboration étroite avec les immunologistes de l’Institut Curie, autour de Sebastian Amigorena et Vassili Soumelis, est publié dans Nature Communications, une revue prestigieuse en open access. Ainsi ce nouvel outil est mis à la disposition de tous les membres de la communauté scientifique et médicale mondiale, qui peuvent l’utiliser pour mieux comprendre son action, mais aussi l’enrichir, l’améliorer, le personnaliser selon leurs besoins.

Le système immunitaire inné est un ensemble complexe, qui fait intervenir plusieurs types de cellules comme les macrophages, les cellules dendritiques, les lymphocytes NK (natural killers). La présence et le comportement de ces cellules sont sous le contrôle d’une multitude de facteurs biologiques. Et les tumeurs cancéreuses baignent dans ce micro-environnement qui peut avoir un impact critique sur la progression de la maladie et la réponse aux traitements. C’est pourquoi « le manque de ressources intégrées décrivant la complexité de la réponse du système immunitaire inné dans le cancer représente un goulot d’étranglement pour l’interprétation des données à haut débit », commente Sebastian Amigorena, directeur de l’unité Immunité et Cancer (U932 Inserm – Institut Curie)[2] .

Cette cartographie qui relie tous les éléments du système immunitaire inné offre donc aux chercheurs comme aux médecins une vision complète et intuitive des phénomènes en jeu. « Nous pouvons entrer dans la carte les données d’un patient ou d’un modèle d’étude et avoir immédiatement une idée du rôle que jouera le système immunitaire inné dans cette situation, note le Dr Vassili Soumelis, médecin-chercheur à l’Inserm. Nous pouvons alors tirer profit de la carte pour nous aider à prédire quelle sera la réponse du patient à tel ou tel traitement, et choisir la meilleure combinaison de médicaments et la meilleure stratégie thérapeutique ».

« L’élaboration de cette carte a demandé un travail colossal, à commencer par la lecture exhaustive de toute la littérature scientifique disponible sur le sujet », ajoute Inna Kuperstein. Soit 837 articles lus par Maria Kondratova, chercheuse à l’Institut Curie et premier auteure de cette publication.

Elle en a extrait les informations concernant plus de 1 000 réactions biochimiques, concernant 582 protéines et les a présentées sous forme d’une carte qui contient au final 1 466 « nœuds » reliés par plusieurs milliers de routes, les processus moléculaires impliqués dans chaque grande famille de phénomènes biologiques ayant été regroupés par « régions » : croissance tumorale, reconnaissance tumorale, recrutement des cellules immunitaires…

« La carte sera sans aucun doute utile pour introduire la connaissance biologique sur le système immunitaire dans l’analyse de « big data » en cancer, en utilisant les méthodes d’intelligence artificielle », commente Andrei Zinovyev, coordinateur scientifique de l’équipe « Biologie des systèmes du cancer » (U900 Inserm – Institut Curie).

Dans l’article, un exemple concret de cette approche est décrit dans le cas des données de séquençage de cellule unique de mélanome. Cette analyse réalisée par Urszula Czerwinska et Nicolas Sompairac, chercheurs à l’Institut Curie, a permis de distinguer plusieurs sous-types de cellules immunitaires à l’intérieur d’une tumeur, avec des fonctions distinctes.

Il est notable que toutes ces cartes et les données qui ont servi à leur élaboration sont mises à disposition sur plusieurs plateformes en ligne. « Cet outil n’est pas fait pour être figé. Les chercheurs peuvent en faire des analyses plus sophistiquées, couper ou étendre la carte selon leurs besoins… », indique Emmanuel Barillot, directeur de l’Unité « Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie » (U900 Inserm – Institut Curie), qui attend avec impatience les retours de la communauté internationale sur cet outil innovant.

[1] Unité U900 Inserm – Institut Curie « Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie » dirigée par Emmanuel Barillot.

[2] Sebastian Amigorena est directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre d’immunothérapie des cancers de l’Institut Curie.

Greffe de peau : une nouvelle cible moléculaire pour activer les cellules souches

Reconstitution d’un épiderme pluristratifié en utilisant des kératinocytes provenant de cellules souches embryonnaires humaines, hESC. IStem, Génopole d’Evry. Inserm/Baldeschi, Christine

Une équipe de chercheur du CEA-Jacob et de l’Inserm vient de publier une étude dans laquelle elle démontre le rôle central du facteur de transcription KLF4 dans le contrôle de la prolifération des cellules souches de l’épiderme et de leur capacité à régénérer ce tissu. Cette étude ouvre des perspectives pour la médecine régénérative de la peau. Elle est publiée le 21 octobre dans Nature Biomedical Engineering.

L’épiderme humain se renouvelle entièrement tous les mois grâce à la présence de cellules souches dans sa couche la plus profonde, qui donnent naissance à l’ensemble des couches plus superficielles de ce tissu. Le décryptage des gènes assurant le contrôle du caractère souche, ou « stemness », reste à ce jour une énigme imparfaitement résolue, en particulier pour la peau humaine.

Les découvertes d’une équipe de recherche française du CEA, de l’Inserm et de l’Université de Paris, générées en collaboration avec I-Stem, le laboratoire de l’AFM-Télethon, et l’Université d’Évry, ouvrent des perspectives pour la médecine régénérative cutanée, en particulier pour la bio-ingénierie des greffons de peau destinés à la reconstruction tissulaire. En effet, l’amplification massive en culture de cellules de l’épiderme (appelées kératinocytes) est nécessaire à la production de greffons. Elle est effectuée à partir d’un échantillon de peau issu du patient qui contient des kératinocytes matures et une population minoritaire de cellules souches kératinocytaires. Cette phase d’amplification comporte un risque : elle peut s’accompagner d’une perte quantitative ou d’une altération des cellules souches, conduisant à une perte de potentiel régénératif.

Les résultats de l’étude publiée dans Nature Biomedical Engineering montrent que diminuer l’expression du gène KLF4 pendant la préparation du greffon favorise une amplification rapide de cellules souches fonctionnelles1, sans altérer leur stabilité génomique. Les kératinocytes amplifiés dans ces conditions présentent un potentiel régénératif à long terme accru dans des modèles de reconstruction épidermique in vitro et de greffes in vivo 2. KLF4 constitue donc une nouvelle cible moléculaire pour préserver la fonctionnalité des cellules souches et faire progresser la bio-ingénierie des greffons cutanés. Ces résultats constituent une démonstration de principe, qui nécessite des développements complémentaires pour envisager des applications cliniques.Parmi celles-ci, citons le soin des grands brûlés, des ulcères chroniques et la reconstruction mammaire.

Ces travaux ont été étendus à d’autres types cellulaires d’intérêt pour la thérapie cellulaire cutanée. A l’avenir, les kératinocytes produits à partir de cellules pluripotentes pourraient constituer une alternative aux cellules souches adultes dans certaines applications de bio-ingénierie de tissus reconstruits.

Une des difficultés rencontrées dans cette voie est le fait que les kératinocytes obtenus ne possèdent pas toutes les fonctionnalités des cellules souches adultes. Ils sont notamment déficients au niveau de leur potentiel de prolifération. L’étude a permis de montrer que la manipulation de l’expression de KLF4 est également adaptée à ces cellules, car la diminution de son expression dans les kératinocytes dérivés d’ESC améliore leur capacité de prolifération ainsi que leur capacité à reconstruire de la peau.

Cellules souches en culture                     Greffon de peau obtenu par bioingéniérie

Des cellules souches de peau humaine multipliées en culture peuvent être utilisées pour régénérer l’épiderme© LGRK, IRCM, CEA-Jacob

1 Une cellules souche fonctionnelle est capable de régénérer l’épiderme pendant toute la vie de l’individu. Ceci grâce à une capacité de prolifération à très long terme, un caractère immature et une capacité d’organisation en trois dimensions.
2 Xénogreffe de peau reconstruite humaine sur un modèle animal

Certains polluants organiques persistants pourraient augmenter l’agressivité du cancer du sein

Transformation des cellules mammaires tumorales dans le cancer du sein ©Xavier Coumoul/Inserm/Université de Paris

 

Si les polluants organiques persistants ou POPs sont déjà soupçonnés de favoriser le cancer du sein, leur impact sur son agressivité demeure peu étudié. Une équipe de recherche de l’Inserm et d’Université de Paris, au sein du laboratoire « Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs » a réalisé une étude préliminaire pour explorer l’hypothèse selon laquelle les POPs pourraient favoriser le développement des métastases dans le cancer du sein. Leurs résultats suggèrent une association entre l’agressivité du cancer du sein et la concentration de certains POPs dans le tissu adipeux, en particulier chez les femmes en surpoids. Ces travaux publiés dans Environment International ouvrent des pistes inédites pour l’étude de l’impact des POPs sur le cancer du sein. Ils sont toutefois à prendre avec précaution compte tenu de la taille de l’effectif étudié.

Le cancer du sein est un enjeu majeur de santé publique avec plus de 2 millions de nouveaux cas diagnostiqués et plus de 600 000 décès dans le monde en 2018. La présence de métastases à distance de la tumeur d’origine est un marqueur d’agressivité de ce cancer. En effet, lorsque des métastases distantes sont retrouvées, le taux de survie à 5 ans est de seulement 26 %, contre 99 % si le cancer est uniquement localisé au niveau du sein, et 85 % si seuls les ganglions lymphatiques sont également touchés.

De récentes études ont suggéré que l’exposition à des polluants organiques persistants ou POPs (polluants environnementaux perturbateurs endocriniens et/ou carcinogènes que l’organisme ne peut éliminer), qui s’accumulent dans la chaîne alimentaire[1], serait un facteur de risque du cancer du sein. Cependant, l’influence de ces POPs sur le niveau d’agressivité du cancer reste peu étudiée.

Une équipe de recherche dirigée par Xavier Coumoul, au sein du laboratoire « Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs » (Inserm/Université de Paris) a testé pour la première fois l’hypothèse que l’exposition aux POPs pourrait avoir un impact sur le stade de développement des métastases dans le cancer du sein.

Les POPs sont très lipophiles et se stockent par conséquent dans le tissu adipeux. Les chercheurs ont donc mesuré la concentration de 49 POPs – dont la dioxine de Seveso (un déchet des procédés d’incinération) et plusieurs PCB (générés par divers procédés industriels) – dans des échantillons de tissu adipeux environnant les tumeurs de 91 femmes atteintes de cancer du sein[2]. Enfin, le surpoids (indice de masse corporelle > 25) étant connu pour être un facteur favorisant et aggravant le cancer du sein, une attention particulière a été portée sur les femmes concernées.

L’analyse biologique et statistique de ces échantillons a permis aux chercheurs de mettre en évidence une association entre la présence de métastases distantes et la concentration en dioxine dans le tissu adipeux chez les femmes en surpoids.  De plus, chez toutes les patientes, la concentration en dioxine et en deux des PCB mesurés apparaissait associée à la taille de la tumeur ainsi qu’au niveau d’invasion et au stade métastatique des ganglions lymphatiques. Les femmes présentant de plus grandes concentrations de PCB présentaient également un plus grand risque de récidive.

Ces résultats suggèrent donc que plus la concentration en POPs dans le tissu adipeux est élevée, plus le cancer du sein est agressif, en particulier chez les femmes en surpoids.

Plusieurs hypothèses, fondées sur des travaux antérieurs, ont été émises par l’équipe de recherche pour expliquer cette association. Notamment, la dioxine et certains PCB enverraient un signal qui favoriserait la migration des cellules tumorales (mécanisme essentiel dans le processus métastatique) et renforcerait ainsi l’agressivité du cancer.

Selon Xavier Coumoul qui a dirigé ces travaux, « les adipocytes, les cellules du tissu adipeux qui stockent les graisses, jouent un rôle important en tant que cellules associées dans le développement du cancer du sein. En effet, le tissu adipeux fonctionne comme une glande ʺ endocrineʺ (sécrétant des hormones dans la circulation sanguine) et nous avions précédemment montré que les POPs étaient responsables d’une inflammation de ce tissu adipeux changeant la nature et le comportement des adipocytes. La sécrétion excessive de molécules inflammatoires et le relargage des POPs stockés par ces adipocytes, pourraient alors favoriser la formation de métastases. »

Cependant, le chercheur insiste sur le fait que cette étude n’est que préliminaire et que ses résultats doivent être considérés avec précaution ; la méthodologie utilisée présente en effet certaines limites. Elle comprend notamment un nombre limité d’individus, ce qui favorise les biais statistiques et rend certaines sous-catégories de population étudiées peu représentatives. « Si elle ne permet donc pas de tirer des conclusions fermes sur le lien entre POPs et agressivité du cancer du sein, elle propose en revanche une piste inédite, en particulier chez les patientes en surpoids. Cette piste devrait être explorée par de futures études impliquant un plus grand nombre de patientes pour offrir des résultats statistiques plus représentatifs », conclut Xavier Coumoul.

 

[1] Les POPs pour « polluants organiques persistants » sont définis et listés par la convention de Stockholm

[2] Les hommes ont été exclus de l’étude pour limiter les biais statistiques dus aux différences biologiques spécifiques à chaque sexe.

Nouvelle découverte sur la stabilisation de nos souvenirs pendant le sommeil

Des scientifiques du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie (CNRS/Collège de France/Inserm)1 ont démontré que les ondes delta émises pendant notre sommeil ne sont pas des périodes de silence généralisé durant lesquelles le cortex se repose, comme cela est décrit depuis des décennies dans la littérature scientifique. Au contraire, elles permettent d’isoler des assemblées de neurones jouant un rôle essentiel lors de la formation des souvenirs à long terme. Ces résultats sont publiés le 18 octobre 2019 dans la revue Science.

Pendant le sommeil, l’hippocampe se réactive spontanément en générant une activité semblable à celle de l’éveil. Il transmet alors des informations au cortex qui réagit en conséquence. Cet échange est souvent suivi par une période de silence appelée « onde delta » puis d’une activité rythmique appelée « fuseau de sommeil ». C’est à ce moment que les circuits corticaux se réorganisent pour former des souvenirs stables. Cependant, le rôle des ondes delta dans la formation de nouveaux souvenirs reste une énigme : pourquoi une période de silence vient-elle interrompre l’enchaînement entre les échanges d’information hippocampo-corticaux et la réorganisation fonctionnelle du cortex ?

La chercheuse et le chercheur co-auteurs de cet article ont regardé de plus près ce qui se passe au cours des ondes delta elles-mêmes. Ils ont découvert, avec surprise, que le cortex n’est pas tout à fait silencieux mais que quelques neurones restent actifs et s’organisent en assemblées, c’est-à-dire en de petits ensembles coactifs codant des informations. Cette observation inattendue suggère que les quelques neurones qui s’activent alors que tous les autres se taisent peuvent ainsi effectuer des calculs importants à l’abri de possibles perturbations. Et les découvertes de cette étude vont encore plus loin ! En effet, les réactivations spontanées de l’hippocampe déterminent quels neurones corticaux restent actifs pendant les ondes delta et révèlent ainsi la transmission d’informations entre les deux structures cérébrales. En outre, les assemblées activées pendant les ondes delta sont constituées de neurones qui ont été fortement sollicités lors de l’apprentissage d’une tâche de mémoire spatiale au cours de la journée. Tous ces éléments suggèrent que ces processus sont impliqués dans la consolidation de la mémoire. Pour le démontrer, les scientifiques ont provoqué, chez les rats, des ondes delta artificielles afin d’isoler soit des neurones associés aux réactivations de l’hippocampe, soit des neurones au hasard.

Résultat : lorsque les bons neurones sont isolés, les rats parviennent à stabiliser leurs souvenirs et réussissent le test spatial le lendemain.

Ces résultats engendrent ainsi une profonde révision de notre compréhension du cortex. Les ondes delta seraient un moyen d’isoler sélectivement des assemblées de neurones choisies, qui transmettent une information cruciale entre les périodes de dialogue hippocampo-cortical et de réorganisation des circuits corticaux, pour former des souvenirs à long terme.

1 Membre associé de l’Université PSL, le Collège de France mène depuis 2009 une politique volontariste d’accueil d’équipes indépendantes qui bénéficient de services techniques et scientifiques mutualisés et d’un environnement multidisciplinaire exceptionnel. Vingt-deux équipes sont actuellement hébergées au sein du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie ainsi que dans les instituts de chimie et de physique du Collège de France. Soutenu notamment par le CNRS, ce dispositif est ouvert aux chercheurs français et étrangers. Il contribue à consolider l’attractivité de Paris dans la géographie mondiale de la recherche.

Vieillir avec le VIH associé à un risque accru de développer des déficiences cognitives

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Grâce aux thérapies antirétrovirales, vieillir en contrôlant le VIH est possible. Cependant, l’impact de cette infection chronique pourrait ne pas être sans conséquences sur les fonctions cognitives. C’est pourquoi Alain Makinson (Unité « Recherche translationnelle sur le VIH et les maladies infectieuses », CHU de Montpellier, Université de Montpellier, Inserm, IRD) et son équipe se sont intéressés à la survenue de déficiences neurocognitives (DNC)  -telles qu’une baisse de l’attention, de la mémoire et des capacités motrices- chez les patients vivant avec le VIH dans l’étude ANRS EP58 HAND 55-70. Dans leur dernier travail paru dans Clinical Infectious diseases, les chercheurs décrivent les résultats de leurs observations sur 200 personnes vivant avec le VIH recrutées dans six centres français. Les mesures collectées chez ces patients ont ensuite été comparées, en utilisant les mêmes méthodes d’évaluation neurocognitives, à celles d’une population témoin composée de 1 000 personnes de même âge, genre et niveau d’éducation issues de la cohorte Constances recrutées en population générale (comportant plus de 200.000 volontaires). Les chercheurs mettent en évidence que chez des personnes vivant avec le VIH, âgées de  55 à 70 ans, le risque de développer des déficiences neurocognitives légères (et dans certains cas, sans symptômes) est accru de 50%.

Grâce aux thérapies antirétrovirales, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) peuvent contrôler le virus. Cependant, si la mortalité de ces personnes n’est plus majoritairement causée par le VIH et a beaucoup diminué depuis l’avènement de ces thérapies, d’autres risques sont à prendre en compte. Ainsi, quelques études récentes ont souligné l’augmentation de la prévalence des déficiences neurocognitives (DNC) chez les PVVIH par rapport aux personnes non-infectées par le virus. Cette augmentation est d’autant plus marquée chez les patients qui ne contrôlent pas le virus. Cependant, ces DNC pourraient également être dues à des facteurs cardiovasculaires ou encore à la survenue de dépression, plus fréquente dans cette population.

Pour tenter de préciser la nature de l’association entre le fait de vivre avec le VIH et être atteint de déficiences neurocognitives (telles qu’une baisse de l’attention, de la mémoire et des capacités motrices), Alain Makinson et ses collaborateurs ont étudié les données de 200 PVVIH, âgées de 55 à 70 ans et contrôlant le VIH, enrôlées entre janvier 2016 et octobre 2017 dans l’étude ANRS EP58 HAND (HIV-Associated Neurocognitive Disorder). Chaque patient a été comparé à cinq personnes non exposées au VIH de même âge, genre et niveau d’éducation, appartenant à la cohorte Constances recrutées en population générale. Les méthodes de passage des tests cognitifs et de recueil des données de l’étude étaient identiques dans les deux populations. Au total, 1 200 personnes ont donc été incluses dans le cadre de cette étude.

Bien que les déficiences observées dans l’étude soient légères ou sans symptôme apparent (c’est à dire n’impactant pas ou légèrement les activités de la vie malgré des résultats anormaux aux tests), les PVVIH étaient plus touchées par la DNC : 35% contre 24% pour le groupe contrôle.

Le risque de souffrir d’une DNC est donc augmenté de 50 % pour une personne infectée par le VIH, comparée à une personne non infectée, tous critères égaux par ailleurs (âge, genre, niveau d’éducation).

Les auteurs parviennent à la même conclusion après prise en compte de plusieurs facteurs de confusion potentiels (consommation d’alcool ou de tabac, activité physique, diabète, hypertension…), y compris en utilisant plusieurs méthodes d’évaluation des tests cognitifs.

Malgré ces résultats très solides, un lien de causalité entre le fait de vivre avec le VIH et la survenue de DNC ne peut pas être établi, et plusieurs hypothèses sont possibles. L’une est que l’infection par le VIH et ses traitements causent une inflammation récurrente du cerveau. Une deuxième est que les complications associées à l’immunodéficience ont pu impacter la cognition avant la mise sous traitement contre le VIH, mais sans aggravation plus rapide par la suite par rapport à la population générale. Enfin, la séropositivité  pourrait être associée à d’autres facteurs de risques (consommation de drogues notamment) qui sont difficiles à mesurer pleinement dans les deux populations de cette étude.

 Les auteurs souhaitent continuer à suivre la même population plus longtemps afin de mieux préciser les causes de DNC dans cette population vieillissante et tester l’hypothèse d’un vieillissement cognitif accéléré chez les PVVIH, d’autant que très peu d’études avec un groupe contrôle sont disponibles. Tester l’hypothèse de l’inflammation du cerveau en recueillant certains biomarqueurs spécifiques présents dans le sang constitue une autre perspective de l’équipe pour mieux comprendre les mécanismes causant les dommages au cerveau.

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