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Une femme sur cinq ne reprend pas le travail un an après la fin des traitements d’un cancer du sein dans la cohorte CANTO

Publiée dans le Journal of Clinical Oncology, une nouvelle analyse de la cohorte CANTO (CANcer TOxicities) identifie les déterminants de la reprise de l’activité professionnelle après un cancer du sein. Le premier constat est que 21 % des femmes, soit une femme sur cinq, n’a pas repris une activité professionnelle alors que les traitements sont achevés depuis un an. Les déterminants d’une reprise d’emploi après la maladie sont multiples mais les chercheurs ont identifié trois principaux paramètres qui pèsent davantage : les symptômes dépressifs, un travail manuel et le type de traitement (chimiothérapie et trastuzumab). Les résultats mettent également en avant, pour la première fois, le rôle des toxicités sévères liées aux traitements.

De plus en plus de femmes atteintes d’un cancer du sein sont traitées avec succès même si 25 à 50 % d’entre-elles conservent des séquelles physiques et psychologiques liées à la maladie et ses traitements1. « En se chronicisant, cette pathologie qui touche des femmes souvent encore en activité a rendu centrale la question du retour au travail qui est devenu un véritable enjeu sociétal, le non-retour au travail ayant un coût associé pour la collectivité aussi important que celui des traitements2 » précise Agnès Dumas, sociologue à l’INSERM et chercheuse associée à Gustave Roussy.

La reprise d’une activité professionnelle après les traitements est une question complexe, de nombreux paramètres agissant sur la capacité à travailler. L’objet de cette analyse est d’identifier quels facteurs cliniques, psychologiques et sociaux déterminent le retour au travail et de comprendre leur poids relatif.

Pour cela, l’analyse s’est basée sur une extraction de près de 1 900 femmes inclues dans la cohorte CANTO âgées de moins de 57 ans, en emploi au moment du diagnostic et dont la maladie n’avait pas rechuté. Un des points forts de CANTO est que toutes les femmes inclues dans cette cohorte répondent à plusieurs questionnaires répétés dans le temps, au diagnostic, à la fin des traitements et un an après, permettant d’éviter les biais de mémoire d’un questionnaire rétrospectif. C’est la première analyse prospective de cette ampleur sur les causes du non-retour au travail après un cancer du sein.

De manière globale, les chercheurs ont constaté que 21 % de femmes ne reprenaient pas le travail ; parmi ces femmes, 74 % étaient en arrêt maladie, 9 % à la recherche d’un emploi et 17 % étaient dans une autre situation.

Le retour au travail dépend d’un ensemble de facteurs et c’est pourquoi les chercheurs ont pris en considération de multiples paramètres pour comprendre les déterminants du non-retour : le stade de la maladie, l’état de santé général des femmes au moment du diagnostic de la maladie incluant la présence d’autres pathologies comme les troubles musculo-squelettiques, les toxicités et effets secondaires des traitements, la qualité de vie et notamment différents types de fatigue, selon qu’elle est physique, émotionnelle ou cognitive, l’anxiété, la dépression ainsi que des caractéristiques sociodémographiques (âge, vie en couple…) et socioprofessionnelles (catégorie professionnelle, temps de travail).

En prenant en compte tous ces facteurs, les chercheurs ont mis en évidence trois principales causes du non-retour un an après l’arrêt des traitements :

  • Les symptômes psychologiques sont le premier paramètre à peser. Les femmes rapportant des symptômes dépressifs à la fin des traitements sont moins enclines à reprendre le travail.
  • Vient ensuite le type de travail. Les femmes avec un travail manuel ont un risque de non-reprise très important. A cela s’ajoute la question du temps de travail, les femmes travaillant à temps partiel reprenant moins le travail que celles travaillant à temps plein au moment du diagnostic.
  • Enfin, le type de traitement a également un rôle important. Ainsi, les femmes ayant été traitées par chimiothérapie (sans distinction du type) associée à du trastuzumab avaient significativement moins repris une activité professionnelle un an après la fin des traitements.

« Toutes choses égales par ailleurs, par exemple le même type de chirurgie ou la prise en compte des symptômes dépressifs, le fait d’avoir du trastuzumab augmente clairement le risque de ne pas retourner au travail. Nous n’avons pas encore trouvé d’explication satisfaisante à son rôle : ce médicament n’ayant pas une toxicité considérée comme sévère (grade 3 ou 4), il ne devrait pas avoir un tel impact sur l’emploi. Est-ce sa toxicité à long terme, même si elle est faible, la cause ? Est-ce la formulation par voie intraveineuse et son administration à l’hôpital sur une longue durée qui joue ? Nous sommes en train d’affiner les paramètres pour mieux comprendre » conclut Ines Vaz-Luis, oncologue à Gustave Roussy et co-auteur de l’article.

En plus de ces trois principaux facteurs, l’étude CANTO montre pour la première fois le rôle des toxicités sévères liées aux traitements (dites de grade 3 ou supérieur, concernant les domaines cardiovasculaire, gynécologique, gastro-intestinal, rhumatologique, dermatologique, pulmonaire ou neurologique) à côté de facteurs déjà démontrés dans la littérature pour leur rôle négatif sur l’emploi tels que les douleurs au bras suite à la chirurgie.

Promue par Unicancer et dirigée par le Pr Fabrice André, oncologue spécialisé dans le cancer du sein à Gustave Roussy, directeur de recherche Inserm et responsable du laboratoire « Identification de nouvelles cibles thérapeutiques en cancérologie » (Inserm/Université Paris-Sud/Gustave Roussy), la cohorte prospective CANTO pour CANcer TOxicities est composée de 12 000 femmes atteintes d’un cancer du sein localisé prises en charge dans 26 centres français. Elle a pour objectif de décrire les toxicités associées aux traitements, d’identifier les populations susceptibles de les développer et d’adapter les traitements en conséquence pour garantir une meilleure qualité de vie dans l’après-cancer.

Les travaux de cette étude ont été soutenus par la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, l’association Susan G. Komen, le programme Odyssea et la Fondation Gustave Roussy ; l’étude CANTO est soutenue par l’Agence nationale de la recherche, la Ligue Nationale contre le cancer et l’IRESP.

1 Ferreira AR, Di Meglio A, Pistilli B, Gbenou AS, El-Mouhebb M, Dauchy S, et al. Differential impact of endocrine therapy and chemotherapy on quality of life of breast cancer survivors: a prospective patient-reported outcomes analysis. Ann Oncol. 2019
2 Institut national du cancer (INCA), 2007, Analyse économique des coûts du cancer en France, INCA, Boulogne-Billancourt.

La mémoire collective façonne la construction des souvenirs personnels

Les chercheurs ont procédé à une analyse de la couverture médiatique de la Seconde Guerre mondiale, afin d’identifier les représentations collectives communes associées à cette période. Crédits : Adobe Stock

Pour les sociologues, nos souvenirs sont modelés par la mémoire collective de notre communauté. Jusqu’à maintenant, ce phénomène n’avait jamais été étudié au niveau neurobiologique. Des travaux menés par les chercheurs Inserm Pierre Gagnepain et Francis Eustache (Inserm/Université de Caen Normandie/Ecole Pratique des Hautes Etudes/CHU Caen/GIP Cyceron), associés à leurs collègues du projet Matrice piloté par Denis Peschanski, historien au CNRS, se sont intéressés aux représentations collectives de la Seconde Guerre mondiale en France. Ils montrent grâce à l’imagerie cérébrale comment la mémoire collective façonne la mémoire individuelle. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Human Behaviour.

Au siècle dernier, le sociologue français Maurice Halbwachs soulignait que les souvenirs individuels sont influencés par les cadres sociaux dans lesquels ils s’insèrent. Selon cette perspective, le fonctionnement de la mémoire des individus ne peut être compris sans s’intéresser également à leur appartenance à un groupe, et aux cadres sociaux liés à la mémoire collective.

Jusqu’ici, ces théories n’avaient jamais été testées par les neuroscientifiques. Les chercheurs Inserm Pierre Gagnepain et Francis Eustache (Inserm/Université de Caen Normandie/Ecole Pratique des Hautes Etudes/CHU Caen/GIP Cyceron), associés notamment à leurs collègues du programme Matrice[1] piloté par l’historien CNRS Denis Peschanski, ont décidé de se pencher sur la question, en utilisant des techniques d’imagerie cérébrale. Ils ont pour la première fois mis en évidence dans le cerveau le lien qui existe entre mémoire collective et souvenirs personnels.

La mémoire collective est constituée de symboles, de récits, de narrations, et d’images qui participent à la construction identitaire d’une communauté. Pour mieux appréhender cette notion, les chercheurs ont d’abord procédé à une analyse de la couverture médiatique de la Seconde Guerre mondiale, afin d’identifier les représentations collectives communes associées à cette période. Ils se sont intéressés au contenu de 30 ans de reportages et de documentaires sur la guerre, diffusés entre 1980 et 2010 à la télévision française, et retranscrits par écrit.

A l’aide d’un algorithme, ils ont analysé ce corpus inédit et identifié des groupes de mots utilisés régulièrement pour parler de grandes thématiques associées à notre mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale, comme par exemple le débarquement allié en Normandie. « Notre algorithme identifiait automatiquement les thématiques centrales et les mots qui y étaient associés de façon récurrente, dévoilant ainsi nos représentations collectives de cette période cruciale de notre histoire », précise Pierre Gagnepain.

Visite du Mémorial de Caen

Mais quel est le lien entre ces représentations collectives de la guerre et la mémoire individuelle ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont recruté 24 volontaires pour visiter le Mémorial de Caen et les ont invités à observer des photos de la période, accompagnées de légendes.

En s’appuyant sur les mots contenus dans ces légendes, l’équipe a pu définir le degré de relation entre les photos et les différentes thématiques de la mémoire collective identifiées précédemment. Si des mots qui avaient précédemment été associés à la thématique du débarquement se retrouvaient dans une légende par exemple, la photo était alors considérée comme associée à cette thématique dans la mémoire collective. Les chercheurs ont ainsi pu établir une proximité entre chacune des images : lorsque deux photos étaient associées aux mêmes thématiques, elles étaient considérées comme « proches » dans la mémoire collective.

Pierre Gagnepain et ses collègues se sont ensuite intéressés à la perception de ces photos dans la mémoire des individus. Ils ont cherché à savoir si le même degré de proximité entre les photos se retrouvait aussi dans les souvenirs individuels. Ils ont donc fait passer un examen IRM aux volontaires, pendant que ceux-ci se remémoraient les images vues la veille au Mémorial. Les chercheurs se sont notamment penchés sur l’activité du cortex préfrontal médian, zone du cerveau associée à la cognition sociale.

Proximité entre les photos

Avec toutes ces données, ils ont ainsi pu comparer le degré de proximité entre les photos, à la fois en s’intéressant aux représentations collectives de la guerre dans les médias, et par le biais de l’imagerie cérébrale, en s’intéressant aux souvenirs individuels que les participants à l’étude avaient de ces images suite à une visite du Mémorial. L’équipe a ainsi montré que lorsqu’une photo A était considérée comme proche d’une photo B, parce qu’associée de la même manière à une même thématique collective, elle avait aussi une probabilité plus élevée de déclencher une activité cérébrale similaire que cette photo B dans le cerveau des individus.

Cette approche novatrice a permis une comparaison indirecte entre mémoire collective et mémoire individuelle. « Nos données démontrent que la mémoire collective, qui existe en dehors et au-delà des individus, organise et façonne la mémoire individuelle. Elle constitue un modèle mental commun permettant de connecter les souvenirs des individus à travers le temps et l’espace », souligne Pierre Gagnepain.

D’autres travaux sont en cours pour mieux comprendre l’interaction entre mémoire collective et mémoire individuelle. Néanmoins, un enseignement peut déjà être tiré de cette étude : aucune recherche sur le fonctionnement de nos souvenirs ne peut se faire sans prendre en compte le contexte social et culturel dans lequel nous évoluons en tant qu’individus.    

[1] Dirigée par l’historien Denis Peschanski, l’équipex Matrice est un programme de recherche sur la mémoire prenant en compte tous ses aspects dans une approche transdisciplinaire, fondée sur les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant et celles de l’ingénierie. Les autres laboratoires français impliqués sont le Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CNRS/Université Panthéon-Sorbonne/EHESS), l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités (CNRS/ENS de Lyon/Universités Jean Monnet, Lumière Lyon 2, Jean Moulin et Clermont Auvergne) et le Laboratoire CNRS d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur.

La pollution de l’air pourrait influencer le déroulement du cycle menstruel

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Les polluants atmosphériques pourraient-ils avoir un impact sur le bon déroulement du cycle menstruel ? C’est la question sur laquelle s’est penchée une équipe de recherche dirigée par le chercheur Inserm Rémy Slama au sein de l’Institut pour l’avancée des biosciences (Inserm/CNRS1/Université Grenoble Alpes). Les dosages hormonaux réalisés dans les urines de 184 femmes durant un cycle menstruel complet ont été mis en relation avec les niveaux de pollution auxquels ces femmes étaient exposées durant les 30 jours précédant ce cycle. Les chercheurs ont observé une association entre la concentration de particules fines dans l’air et la durée de la phase folliculaire du cycle (la phase précédant l’ovulation), cette dernière tendant à augmenter avec les niveaux de pollution.

Ces résultats originaux publiés dans Environmental Pollution incitent à mettre en place des études à plus grande échelle afin de confirmer ces résultats.

La pollution atmosphérique contient des milliers de composants gazeux, liquides et solides. De nombreuses études ont déjà démontré les effets toxiques de plusieurs de ces composants et en particulier des particules fines. Une fraction de ces polluants inhalés peut en effet atteindre, au-delà des poumons, la circulation sanguine, le cœur, le cerveau et les organes reproducteurs. Si les effets sur la mortalité et la fonction cardiovasculaire sont bien caractérisés, concernant la fonction de reproduction, c’est principalement un effet sur la croissance du fœtus et le risque de prééclampsie qui sont probables. Jusqu’à présent cependant, très peu d’études ont examiné l’impact de la pollution sur l’activité ovarienne et les différentes phases du cycle menstruel.

Le cycle menstruel est divisé en deux phases principales séparées par l’ovulation : la phase folliculaire, qui correspond à la croissance d’un ovocyte jusqu’à l’ovulation, et la phase lutéale, qui se situe après l’ovulation. La bonne régulation de ces phases est assurée par l’axe hypothalamo-hypophysaire-ovarien, chaîne de transmission d’informations hormonales entre l’hypothalamus dans le cerveau, l’hypophyse (la glande située sous l’hypothalamus) et les ovaires, lui-même influencé par d’autres chaînes de régulation hormonales. Or certains travaux suggèrent que cet axe peut être altéré par l’exposition aux particules fines.

Une équipe de recherche dirigée par Rémy Slama, chercheur Inserm, au sein de l’Institut pour l’avancée des biosciences (Inserm/CNRS/Université Grenoble Alpes) s’est intéressée aux potentiels effets à court terme d’une exposition récente aux polluants atmosphériques sur la durée du cycle menstruel et de ses deux phases.

Dans le cadre de l’Observatoire de la fertilité en France (Obseff)2, les chercheurs ont recruté et suivi 184 femmes n’utilisant pas de contraception hormonale. Ces dernières ont accepté de recueillir de l’urine tous les un ou deux jours durant un cycle complet. Des dosages hormonaux ont ensuite permis d’évaluer le jour correspondant à l’ovulation et de quantifier la durée de la phase folliculaire et de la phase lutéale.

Les niveaux de pollution (particules fines ou PM10 et dioxyde d’azote) à l’adresse du domicile de ces femmes ont été estimés et moyennés durant les 30 jours précédant le cycle3, via les informations fournies par le réseau des stations de mesure permanentes et un modèle national.

Les chercheurs ont observé que chaque augmentation de 10 µg/m3 de la concentration en particules fines (PM10) dans l’air sur la période de 30 jours avant le cycle considéré était associée à une augmentation de durée de la phase folliculaire d’environ 0,7 jour. En revanche, aucune variation nette de la durée de la phase lutéale ou de la durée totale du cycle n’a été constatée.

Selon Rémy Slama « Ces résultats sont cohérents avec les données plus fondamentales suggérant que la pollution atmosphérique peut perturber l’axe qui contrôle le cycle menstruel, et les hormones de stress comme le cortisol, qui peuvent l’influencer. »

 Il conclut « Il s’agit de travaux originaux qui génèrent une hypothèse nouvelle. Il faudra probablement un certain temps pour l’infirmer ou la confirmer sur de plus grands échantillons de population, étant donné le coût et l’effort que représentent de telles études. »

1 Autre laboratoire impliqué : Mathématiques appliquées à Paris 5 (CNRS/Université de Paris)

2 L’Observatoire épidémiologique de la fertilité en France est une vaste étude représentative réalisée par l’Inserm en 2007-2009 avec le soutien de Santé Publique France, de l’ANR et de l’ANSES, qui avait permis de fournir une description de la fréquence de l’hypofertilité sur le territoire. Environ 50 000 foyers avaient été contactés pour permettre l’identification d’environ un millier de femmes en âge de se reproduire et n’utilisant aucune méthode contraceptive ; un sous-groupe d’entre elles ont accepté de participer à cette étude.

3 Pour des raisons liées aux biais de confusion pouvant survenir quand on s’intéresse aux effets à long terme de l’exposition et à l’existence d’une étude expérimentale chez l’animal suggérant un effet à court terme, les chercheurs se sont restreints à une fenêtre correspondant au cycle menstruel précédant celui durant lequel ils ont mesuré les paramètres hormonaux.

Explorer la « carte » de notre cerveau pour ouvrir la voie à la médecine personnalisée du futur

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L’imagerie cérébrale permet de visualiser les connexions qui existent entre les régions du cerveau. Ces connexions dessinent une véritable « carte » de la structure cérébrale, propre à chaque individu. Une équipe menée par Christophe Bernard, chercheur Inserm, et Viktor Jirsa au sein de l’Institut de Neurosciences des Systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université), a montré que la connaissance de cette carte permet de prédire le fonctionnement du cerveau, le développement potentiel de maladies neurologiques et leur traitement. Leurs résultats sont publiés dans la revue PNAS.

 

Depuis une trentaine d’années, les rapides progrès de l’imagerie cérébrale (imagerie par résonnance magnétique ou IRM) ont permis de grandes avancées en neurosciences. Cette technique a ouvert la voie à une meilleure compréhension du cerveau et des mécanismes de certaines pathologies.

L’IRM permet d’avoir accès à l’organisation générale du cerveau, notamment la carte des connexions neuronales qui existent entre les différentes régions cérébrales (un peu comme une carte des routes qui relient les différentes villes entre elles). « Cette carte est unique à chaque personne, elle est même plus précise qu’une empreinte digitale », souligne le chercheur Inserm Christophe Bernard. Pour poursuivre l’analogie, les maladies neurologiques, telles que la maladie d’Alzheimer ou les épilepsies, sont associées à une réorganisation des cartes. Ainsi, les connexions entre régions cérébrales sont modifiées, certaines « routes » disparaissent.

Mais s’il est possible de visualiser très précisément le cerveau de chaque individu après avoir obtenu la carte des connexions avec l’IRM, est-il possible à partir de là de prévoir tout aussi précisément son fonctionnement cérébral ainsi que le développement éventuel de pathologies et leur traitement ? La connaissance de cette « carte » est-elle suffisante pour faire ce type de prédictions de manière individuelle, chez chaque patient ?

 

Cerveau virtuel

C’est à ces questions que Christophe Bernard, chercheur à l’Institut de Neurosciences des Systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université) et ses collègues ont tenté de répondre dans une nouvelle étude publiée dans la revue PNAS. Les chercheurs ont d’abord visualisé très précisément par imagerie cérébrale les connexions existantes entre les régions cérébrales du cerveau de plusieurs souris.

À partir de ces « cartes », ils ont créé des modèles virtuels du cerveau de chaque souris grâce à une technologie appelée « Cerveau Virtuel »[1], en collaboration avec des chercheurs de Technion en Israël. Dans chacun de ces cerveaux virtuels, les chercheurs ont ensuite généré une activité électrique, mimant ce qui se passe dans un cerveau réel.

La carte des connexions cérébrales d’une souris permet de prédire l’activité du cerveau de cette même souris. Résultats obtenus après virtualisation du cerveau de souris sur la plateforme « Le Cerveau Virtuel ». Crédits : Christophe Bernard

Ceci leur a permis d’étudier quelle région du cerveau communique avec quelle région, résultats qui ont été comparés avec les données expérimentales obtenues à l’état de repos chez chaque souris en imagerie fonctionnelle. Les chercheurs ont ainsi montré que la connaissance de la « carte » de chaque souris suffit à expliquer l’activité du cerveau de cette même souris comme vue en imagerie fonctionnelle. Ils ont aussi pu démontrer quelles connexions font que chaque cerveau de souris est unique.

Ces résultats devront être validés chez l’Homme, mais ils permettent d’ores et déjà d’ouvrir la voie à la médecine personnalisée du futur. « Nos travaux valident la stratégie de virtualisation du cerveau des patients pour explorer dans l’ordinateur les stratégies thérapeutiques optimales avant leur transfert personnalisé. Nous pouvons imaginer que le fait de pouvoir prédire le développement de certaines pathologies chez un individu à partir de la carte unique de son cerveau nous permettent d’envisager des stratégies de prévention et des options thérapeutiques personnalisées », souligne Christophe Bernard.

[1] Le « Cerveau virtuel est une plateforme neuro-informatique, développée par Viktor Jirsa à l’Institut de Neuroscience des Systèmes (Inserm/Aix-Marseille Université) en collaboration avec Randy McIntosh (Baycrest Centre, Toronto) et Petra Ritter (Charité, Berlin). La technologie permet la création de modèles individuels du cerveau. En cours d’évaluation dans le contexte de patients épileptiques résistants aux médicaments, cet outil permet par exemple, après la virtualisation du cerveau d’un patient, d’explorer et de prédire quelle serait la meilleure intervention neurochirurgicale pour guérir une épilepsie résistante à tout traitement.

Un vaccin contre les maladies inflammatoires chroniques

Observation de colon par microscopie confocale. Les bactéries du microbiote sont visualisées en rouge, le mucus intestinal en vert, les cellules intestinales en violet et leur ADN en bleu. Crédits : Benoît Chassaing

Chez l’animal, un vaccin modifiant la composition et la fonction du microbiote intestinal permet de protéger contre l’apparition des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin et contre certaines dérégulations métaboliques, telles que le diabète ou l’obésité. Ces travaux sont menés par l’équipe de Benoît Chassaing, chercheur Inserm au sein de l’Institut Cochin (Inserm/CNRS/Université de Paris), et les premiers résultats sont parus dans Nature Communications.

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, comme la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique, sont associées à des anomalies du microbiote intestinal chez l’animal et chez l’homme. Les sujets concernés présentent le plus souvent une moindre diversité bactérienne au sein de leur flore intestinale, mais également un excès de bactéries exprimant une protéine appelée flagelline, qui favorise leur mobilité. Cela leur permet notamment de pénétrer dans la couche de mucus qui recouvre la paroi intestinale et qui est normalement stérile. En effet, cette couche est censée former un mur hermétique aux bactéries entre l’intérieur du tube digestif et le reste de l’organisme, le protégeant ainsi du risque d’inflammation lié à la présence des milliards de bactéries de la flore intestinale.

De précédents travaux avaient déjà montré qu’au sein de cette couche de mucus, on trouve naturellement des anticorps, dont certains dirigés contre la flagelline. Cela signifie que l’organisme développe spontanément une protection immunitaire contre la flagelline, qui permet de contrôler la présence des bactéries qui l’expriment. Avec ses collègues, Benoit Chassaing, chercheur Inserm a eu l’idée de stimuler cette production d’anticorps anti-flagelline afin de réduire la présence de bactéries exprimant la flagelline dans le microbiote intestinal, dans le but de diminuer le risque d’inflammation chronique.

Comme ils le décrivent dans leur étude publiée dans Nature Communications, les chercheurs ont administré de la flagelline par voie péritonéale à des souris, induisant ainsi une forte augmentation des anticorps anti-flagelline, notamment au niveau de la muqueuse intestinale. Les chercheurs ont ensuite appliqué un protocole visant à induire une inflammation intestinale chronique chez ces animaux. Ils ont constaté qu’une immunisation contre la flagelline permettait de protéger significativement les animaux contre l’inflammation intestinale. En outre, une analyse fine du microbiote et de leurs intestins a montré, d’une part, une réduction de la quantité de bactéries exprimant fortement la flagelline et d’autre part, l’absence de ces bactéries dans la muqueuse intestinale, par opposition au groupe non vacciné.

L’excès de flagelline dans le microbiote intestinal ayant également été associé à des désordres métaboliques, notamment au diabète et l’obésité, les chercheurs ont testé leur stratégie vaccinale chez des souris exposées à un régime riche en graisse. Alors que les animaux non vaccinés ont développé une obésité, les animaux vaccinés ont été protégés.

« Cette stratégie vaccinale est envisageable chez l’homme, puisque de telles anomalies de microbiote ont été observées chez les patients atteints de maladies inflammatoires et métaboliques. Pour cela, nous travaillons actuellement sur un moyen d’administrer localement la flagelline au niveau de la muqueuse intestinale », explique Benoît Chassaing. Les chercheurs réfléchissent par exemple à la possibilité de développer des nanoparticules ingérables et remplies de flagelline. Enfin, au-delà de l’aspect préventif, ils souhaitent maintenant tester cette vaccination en mode curatif, chez des animaux présentant déjà une maladie inflammatoire chronique ou des dérégulations métaboliques.

Troubles développementaux de la coordination ou dyspraxie, une expertise collective de l’Inserm

©Frédérique Koulikoff/Inserm

L’Inserm publie une nouvelle expertise collective sur le trouble développemental de la coordination (TDC), ou dyspraxie. Commandée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), elle repose sur l’étude, par un groupe d’experts, de plus de 1400 articles scientifiques pour explorer ce trouble encore méconnu mais qui touche environ 5 % des enfants. Parmi les recommandations de cette expertise figurent celle de garantir l’accès pour tous à des professionnels formés au diagnostic et à la prise en charge des TDC, ainsi que celle de permettre à chaque enfant de mener à bien sa scolarité.

Chez l’enfant, le trouble développemental de la coordination (TDC), aussi appelé dyspraxie, est un trouble fréquent (5% en moyenne). Pour les activités nécessitant une certaine coordination motrice, les enfants atteints de TDC ont des performances inférieures à celles attendues d’un enfant du même âge dans sa vie quotidienne (habillage, toilette, repas, etc.) et à l’école (difficultés d’écriture).

La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) a commandé à l’Inserm une expertise collective pour faire le point sur les connaissances scientifiques autour des TDC. Pendant deux ans, le pôle Expertise collective de l’Inserm a coordonné une douzaine de chercheurs et auditionné une dizaine de spécialistes pour passer en revue un corpus scientifique de plus de 1400 articles internationaux et proposer des recommandations pour un meilleur diagnostic et une meilleure prise en charge des jeunes présentant un TDC.

On observe une grande hétérogénéité dans l’intensité et la manifestation des TDC. Par ailleurs, l’expertise pointe leur association fréquente avec d’autres troubles neurodéveloppementaux (troubles du langage, de l’attention et des apprentissages) ainsi qu’avec un risque élevé d’apparition de troubles anxieux, émotionnels ou comportementaux. Ces troubles ont un impact sur la qualité de vie de l’enfant et sur sa participation aux activités, en particulier scolaires. Une des difficultés centrales pour l’insertion scolaire de ces enfants concerne l’écriture manuscrite.

Pour limiter ces répercussions du TDC sur la vie de l’enfant, l’expertise précise que le repérage des signes d’appel est un enjeu majeur pour la mise en place d’un suivi rapide de l’enfant et d’une prise en charge personnalisée en fonction de son âge, de la sévérité de son trouble, des troubles associés ou encore de ses compétences verbales.

 

Recommandations de l’expertise collective de l’Inserm

Les recommandations avancées par cette expertise collective peuvent être résumées selon trois grands axes.

Le premier axe de recommandations consiste à garantir l’accès pour tous à un diagnostic, et ce dans les meilleurs délais après le repérage des premiers signes. L’expertise pointe ainsi la nécessité de former des professionnels. Elle met l’accent sur l’importance d’approfondir les critères et de standardiser les outils nécessaires à l’établissement d’un diagnostic selon des normes internationales.

La pose d’un tel diagnostic implique au minimum la contribution d’un médecin formé aux troubles du développement ainsi que celle d’un psychomotricien ou d’un ergothérapeute.

Le deuxième axe de recommandations s’intéresse aux interventions post-diagnostic. Il n’existe pas d’intervention-type dont l’efficacité serait unanimement reconnue. Une fois le diagnostic posé, l’enjeu est donc de mettre en place une intervention adaptée prenant en compte le profil de l’enfant, sa qualité de vie ainsi que celle de sa famille. Les experts conseillent de prescrire des séances de groupe pour les enfants les moins touchés et des séances individuelles pour les autres. Par ailleurs, ils recommandent également de privilégier les interventions centrées sur l’apprentissage des compétences nécessaires à la scolarité et à la vie quotidienne. Enfin, ces interventions doivent impliquer davantage les familles, les enseignants et les encadrants extérieurs qui gravitent autour de l’enfant.

Le troisième et dernier axe a pour objectif de permettre à chaque enfant de mener à bien sa scolarité. Cela nécessite la mise en place par les enseignants et l’institution scolaire des aménagements nécessaires à l’enfant lors des examens, en application de la loi de 2005 sur le handicap. En outre, cela passe également par la sensibilisation et la formation des acteurs menés à encadrer et à interagir avec l’enfant dans la vie quotidienne, que ce soit à la maison, à l’école ou dans les loisirs.

Une analyse rapide du génome aide au diagnostic d’enfants hospitalisés en réanimation néonatale

 

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Des équipes du CHU de Dijon-Bourgogne, de l’Inserm et du CEA viennent d’établir des résultats d’analyse génomique sur des nouveaux nés, sévèrement malades et hospitalisés en service de réanimation néonatale, dont le délai a été raccourci jusqu’à 38 jours contre 18 mois en moyenne actuellement. Grâce à cette analyse rapide du génome entier, le diagnostic apporté chez deux tiers des enfants inclus dans ce projet a permis une prise en charge plus rapide et mieux adaptée chez un tiers d’entre eux. Le déploiement de ce processus au cours des prochaines années permettra d’optimiser la prise en charge de ces enfants malades.

Alors que le séquençage du génome entier se déploie actuellement en diagnostic dans différents pays et que la France vient de lancer le Plan France Médecine Génomique 2025 (PFMG2025)¹, son utilisation en urgence en période néonatale reste encore peu répandue. Pourtant, la rapidité de réalisation de l’examen génétique est un facteur crucial lorsqu’un diagnostic est requis en urgence, situation fréquente en ce qui concerne les maladies rares à révélation pédiatrique précoce ou à progression rapide. Les équipes de CHU de Dijon-Bourgogne, de l’Inserm et du CEA ont mené une étude pilote de faisabilité du séquençage haut débit de génome en urgence avant d’envisager un tel processus à l’avenir dans le cadre du PFMG2025.

Dans le cadre de cette étude pilote, Fastgenomics², une trentaine d’enfants hospitalisés en réanimation néonatale dans huit CHU de la filière AnDDI-rares³ a bénéficié, au cours des neuf derniers mois, d’une analyse génomique en urgence. Le séquençage haut débit du génome des enfants et de leurs parents et une analyse bioinformatique primaire ont été effectués sur la plateforme de production de séquences du Centre national de recherche en génomique humaine (CEA-CNRGH), en collaboration avec le Très Grand Centre de Calcul (TGCC) du CEA et au centre de calcul de l’Université de Bourgogne (CCuB). L’interprétation des données génomiques a été réalisée par la Fédération Hospitalo-Universitaire (FHU) TRANSLAD, en collaboration étroite avec l’équipe de recherche Inserm U1231 GAD.

La mobilisation des équipes a permis de rendre les résultats d’analyse dans un délai de 49 jours, allant au plus vite à 38 jours. Ce délai est particulièrement court pour un diagnostic génétique. En effet, malgré des évolutions importantes, le délai moyen d’obtention d’un diagnostic génétique en France reste actuellement encore long : de 1,5 ans en moyenne, et jusqu’à 5 ans pour 25 % des patients. L’analyse rapide des génomes de ces nouveau-nés a permis de poser un diagnostic pour deux tiers d’entre eux, un tiers ayant pu bénéficier d’une prise en charge plus rapide et mieux adaptée.

Ces analyses rapides du génome ont été rendues possibles grâce aux avancées majeures dans le séquençage haut débit de l’ensemble des gènes. Les technologies de nouvelle génération de séquençage haut débit de l’ADN, qui permettent l’étude de l’ensemble du génome d’un individu, sont apparues ces dernières années comme un outil de choix pour l’étude des maladies rares. Ces technologies de pointe sont déployées au CNRGH et ont déjà permis d’impliquer de nombreux gènes dans de nombreuses maladies. L’équipe de la FHU TRANSLAD du CHU DijonBourgogne a été l’une des premières en France à démontrer l’intérêt du séquençage de l’exome (représentant 1% de la taille totale du génome) dans le diagnostic de pathologies sévères à révélation pédiatrique précoce, des anomalies du développement et de la déficience intellectuelle.

Le diagnostic des maladies rares en période néonatale

Les maladies rares (touchant moins d’une personne sur 2 000) constituent un enjeu majeur de santé publique car elles représentent environ 8 000 maladies et touchent plus de 3 millions de personnes en France. Majoritairement de révélation pédiatrique, elles sont responsables de 10 % des décès avant l’âge de 5 ans. Jusqu’à 80 % de ces maladies seraient d’origine génétique. L’établissement d’un diagnostic apporte de nombreux bénéfices aux patients et à leurs familles : clarifier la cause, proposer un pronostic plus précis, accéder à un traitement ou à des protocoles d’essais thérapeutiques, établir les risques de récurrence, éviter la redondance de nombreux autres tests diagnostiques, prévenir des futures complications connues, faciliter l’obtention d’aides spécifiques aux familles, et parfois de se mettre en lien avec d’autres familles affectées par la même pathologie.

L’obtention d’un diagnostic est un défi de taille pour des pathologies à révélation pédiatrique précoce et à évolution rapide, dont les causes génétiques sont très hétérogènes, telles que les épilepsies, les maladies du métabolisme, les cardiopathies, les pathologies musculo-squelettiques ou autres syndromes polymalformatifs. Le Plan National Maladies Rares 3 (PNMR3) prévoit de réduire l’errance diagnostique à une année, car elle est responsable d’ « une aggravation possible de l’état des malades, un retard sur les possibilités de conseil génétique et un gaspillage de ressources médicales (multiplicité des consultations diagnostiques) ».

Dans le contexte de maladies graves néonatales, l’obtention d’un diagnostic rapide est d’autant plus importante. En effet, le diagnostic, posé précisément, permettrait de modifier la prise en charge de l’enfant, qu’il s’agisse d’une adaptation thérapeutique (par exemple dans le cas de maladies métaboliques ou d’épilepsies), de l’adressage à un spécialiste de la pathologie, d’une adaptation diététique, de la réalisation d’examens complémentaires, et/ou de la réévaluation d’indication chirurgicale, voire de la prise en compte de ce résultat dans une discussion de poursuite des soins.

 

1 En 2016, la France a lancé le Plan France Médecine Génomique 2025 (PFMG2025). Son ambition est de déployer le séquençage de génome pour le diagnostic des maladies rares, par la mise en place de plateformes de séquençage à très haut débit pour réaliser massivement le séquençage du génome entier et d’études pilotes permettant de définir les modalités de prescription de ces examens.

2 Fastgenomics : Etude pilote nationale élaborée par la filière de santé nationale AnDDI-rares, la Fédération Hospitalo-Universitaire TRANSLAD et le CEA-CNRGH et soutenu par un don financier du laboratoire SANOFIGENZYME.

3 Filière AnDDI-rares : Filière de santé nationale maladies rares dédiées aux maladies avec anomalie du développement somatique et cognitif. http://anddi-rares.org

Les métastases au fil du sang

Imagerie de billes fluorescentes filmées à très haute vitesse

Des billes fluorescentes sont filmées à très haute vitesse, et analysées pour suivre leur trajectoire, pour comprendre l’influence des forces fluidiques sur l’arrêt d’une cellule tumorale sur un tapis de cellules endothéliales. ©Harlepp S. /Goetz J

Les cellules tumorales circulantes utilisent les réseaux lymphatiques et sanguins pour se disséminer dans l’organisme et former des métastases à distance de la tumeur primaire. Jacky Goetz, chercheur Inserm, et son équipe Tumor biomechanics au sein du laboratoire Immunologie et rhumatologie moléculaire (Inserm/Université de Strasbourg) ont contribué à montrer que les propriétés des flux de ces liquides biologiques influent énormément sur le risque d’apparition de ces métastases. Ils ont notamment observé que le ralentissement du flux sanguin au niveau de la ramification des artères permettait aux cellules cancéreuses de s’accrocher à la paroi vasculaire et de s’extraire des vaisseaux pour aller coloniser les tissus. L’équipe de recherche fait le point sur ses travaux dans une revue de littérature publiée dans Nature Reviews Cancer.

Les cellules cancéreuses exploitent largement les fluides biologiques pour se disséminer dans l’organisme et former des métastases à distance des tumeurs primaires. Ainsi, si certaines empruntent directement la circulation sanguine, d’autres la rejoignent en s’échappant d’abord de la tumeur par le liquide interstitiel et le réseau lymphatique pour coloniser ensuite les ganglions lymphatiques avant de rejoindre le sang.

Jacky Goetz, directeur de recherche Inserm de l’équipe Tumor biomechanics au sein du laboratoire Immunologie et rhumatologie moléculaire (Inserm/Université de Strasbourg), s’intéresse depuis plusieurs années à ces mécanismes. Ses travaux sont mis à l’honneur dans Nature Reviews Cancer.

Jacky Goetz et son équipe ont mis au point un modèle animal chez l’embryon de poisson zèbre, pour étudier les liens entre les propriétés du flux sanguin, la formation de terrains favorables à l’apparition des métastases et la survenue de celles-ci dans l’organisme. Cet animal transparent permet d’observer in vivo et en temps réel par microscopie le déplacement de cellules ou de vésicules extracellulaires tumorales rendues fluorescentes. Les scientifiques peuvent ainsi calculer précisément les caractéristiques du flux — ­vitesse et pression exercées sur les cellules ­­— et corréler ces données avec l’apparition de métastases.

Les chercheurs ont ainsi constaté que les cellules cancéreuses circulent rapidement dans les grandes artères sans pouvoir s’arrêter. En revanche, quand le diamètre des artères diminue et que le réseau sanguin se ramifie, le flux ralentit nettement, ce qui permet aux cellules tumorales de s’accrocher à la paroi des vaisseaux puis de s’en extraire pour aller coloniser les tissus. L’équipe de recherche a identifié un certain nombre d’endroits préférentiels (hotspots) pour cette extraction qui correspondent exactement aux sites métastatiques les plus fréquents chez l’humain, là où le réseau sanguin est formé de nombreux petits capillaires ; le cerveau, les poumons ou encore le foie. Ces travaux ont été confirmés en collaboration avec des équipes allemandes, dans une cohorte de 100 patients atteints de métastases cérébrales. L’équipe de Jacky Goetz a également découvert qu’il était possible chez le poisson zèbre de modifier l’emplacement des hotspots et donc des métastases en modifiant la vitesse du flux sanguin.

Toujours chez le poisson zèbre, les chercheurs ont observé que la formation de métastases était précédée par la libération de vésicules extracellulaires provenant de la tumeur. Celles-ci contiennent des protéines, de l’ADN ou encore des ARN et semblent agir comme de véritables éclaireurs pour les cellules tumorales, peut-être pour préparer leur implantation. L’équipe de recherche a pu montrer que le comportement dans le sang de ces vésicules est similaire à celui des cellules tumorales, et dépend également de la force du flux sanguin. 

Enfin, les chercheurs ont pu corréler la force du flux avec l’action de deux protéines situées à la surface des cellules tumorales et ne pouvant agir que lorsque le flux sanguin est ralenti. La première, CD44 agit comme un frein en s’accrochant à la paroi vasculaire.  La seconde, l’intégrine α5ß1 permet à la cellule de s’arrêter et de s’extraire du réseau sanguin. Chez le poisson zèbre et la souris, l’absence d’intégrine α5ß1 ralentit fortement la croissance des métastases.

« L’ensemble de ces travaux montre que pour prévenir l’apparition des métastases, il ne faut pas se focaliser seulement sur les propriétés intrinsèques de la tumeur, de son microenvironnement ou de celui des métastases, mais tenir compte aussi du rôle des fluides biologiques. Empêcher l’arrêt des cellules circulantes ou leur attachement à la paroi pourrait par exemple réduire ce risque », conclut Jacky Goetz.

 

Légende : Circulation, adhérence et extraction des cellules et vésicules tumorales pour former une métastase en fonction de la variation de la vitesse du flux sanguin. ©Jacky Goetz / Nature Reviews Cancer, 2019

Les promesses de la rétine artificielle pour restaurer la vue se concrétisent

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Depuis plusieurs années, la perspective de restaurer la vision des patients souffrant de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) ou de rétinopathies pigmentaire devient de plus en plus tangible. De nombreux chercheurs ont ainsi tenté de développer une rétine artificielle permettant de lutter contre la cécité. Dans une nouvelle étude, une équipe de l’Institut de la vision (Inserm-CNRS- Sorbonne Université) menée par le chercheur Inserm Serge Picaud a montré, dans des modèles animaux, qu’un dispositif fabriqué par la société Pixium Vision permettrait d’induire une perception visuelle de haute résolution. Leurs résultats, publiés dans Nature Biomedical Engineering, ont ouvert la voie à des essais cliniques chez l’Homme.

Maladie du vieillissement particulièrement invalidante, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) se caractérise par une dégradation de la rétine pouvant mener à une perte de la vision centrale. Jusqu’à 30 % des personnes âgées de plus de 75 ans seraient concernées. Depuis des années, plusieurs groupes de chercheurs œuvrent pour développer une rétine artificielle qui pourrait redonner la vue à ces patients, ainsi qu’aux individus atteints de rétinopathie pigmentaire.

La rétine est composée de cellules sensibles à la lumière appelées photorécepteurs, dont le but est de transformer les signaux lumineux reçus par l’œil en signaux électriques acheminés vers le cerveau. Ce sont ces cellules qui sont détruites au cours de ces pathologies, ce qui peut mener à la cécité. Le principe d’une rétine artificielle est simple : elle est développée pour se substituer à ces photorécepteurs. Le dispositif est en fait constitué d’implants fixés sous la rétine et composés d’électrodes qui viennent stimuler les neurones rétiniens pour porter les messages au cerveau. 

Deux dispositifs de ce type, l’Argus II (Second sight, Etats-Unis) et le Retina Implant (AG, Allemagne), ont déjà largement été implantés. « Néanmoins, ces deux entreprises se désengagent petit à petit du marché, notamment parce que le rendu pour les patients n’était pas suffisant pour cibler les patients atteints de DMLA. Les patients parvenaient à voir des signaux lumineux, mais ceux qui arrivaient à distinguer des lettres étaient très minoritaires », souligne Serge Picaud.

Vers une implantation chez les patients

Réinventer le dispositif pour le rendre plus performant : telle a été l’ambition de ce chercheur Inserm et de ses collègues. Portée par l’entreprise Pixium Vision, leur rétine artificielle, inventée par le Pr Palanker à l’Université de Stanford (USA), est un dispositif sans fil, moins complexe, contrairement aux dispositifs précédents. De plus, cet implant introduit un retour local du courant induisant ainsi une meilleure résolution des images perçues par l’œil. Enfin, l’image est projetée sur l’implant par une stimulation infrarouge qui active des photodiodes reliées aux électrodes, permettant une stimulation plus directe des neurones rétiniens.

La rétine artificielle développée par Pixium Vision. Crédits : Serge Picaud

Dans leur étude publiée dans Nature Biomedical Engineering, Serge Picaud et ses collègues ont testé ce dispositif chez des primates non-humains, montrant qu’il permet de restaurer une acuité visuelle significative. Des tests in vitro ont d’abord montré que chaque pixel active des cellules différentes dans la rétine. Cette sélectivité se traduit par une très haute résolution, de sorte que des animaux implantés peuvent percevoir l’activation d’un seul pixel de l’implant dans un test de comportement.

La haute résolution de ces implants a permis d’ouvrir la voie à l’implantation du dispositif chez cinq patients français atteints de DMLA dans le service de José-Alain Sahel à la Fondation ophtalmologique A. de Rothschild. Les premiers résultats indiquent que ceux-ci retrouvent peu à peu une vision centrale. Ils sont en mesure de percevoir des signaux lumineux, et certains peuvent même identifier des séquences de lettres, de plus en plus rapidement au cours du temps.

« L’objectif est maintenant de faire un essai de phase 3 chez un groupe plus conséquent de patients atteints de DMLA. Si la rétine artificielle fonctionne chez eux, nous pensons qu’il n’y a pas de raison pour qu’elle ne fonctionne pas chez des patients souffrant de rétinopathie pigmentaire, maladie également liée à la dégénérescence des photorécepteurs », conclut Serge Picaud.

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