Menu

Comprendre la capacité du poisson-zèbre à reconstituer sa nageoire ouvre des pistes pour les progrès de la médecine régénérative

zebra fish _ poisson zèbre

Le poisson-zèbre, aussi appelé Danio rerio, est une espèce tropicale couramment utilisée dans les laboratoires de recherche en tant qu’organisme modèle. © Adobe Stock

 

Dans le règne animal, plusieurs espèces partagent l’extraordinaire capacité de régénérer leurs membres ou leurs appendices suite à une amputation. Parmi elles, le poisson-zèbre est particulièrement étudié dans les laboratoires de recherche, en raison de sa capacité à régénérer sa nageoire caudale. Ce phénomène est rendu possible par la formation d’un blastème, une structure transitoire composée de cellules indifférenciées, qui amorce et contrôle la régénération du tissu. Mieux comprendre les cellules qui composent le blastème et décrypter leurs interactions, c’est ouvrir la voie à une meilleure compréhension des processus de régénération, avec l’ambition de développer des applications cliniques dans le domaine de la médecine régénérative. Dans une étude publiée dans Nature Communications, des scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Montpellier ont fait un pas en avant vers cet objectif, en identifiant au sein du blastème, la population cellulaire qui orchestre le processus de régénération chez le poisson-zèbre.

Le poisson-zèbre, aussi appelé Danio rerio, est une espèce tropicale couramment utilisée dans les laboratoires de recherche en tant qu’organisme modèle, depuis la fin des années 1990. Il présente en effet de nombreux intérêts pour les scientifiques, tels que la transparence de l’embryon et son développement externe, plus facile à observer que celui des mammifères. Par ailleurs, 70% des gènes présents chez l’Homme trouvent un homologue chez le poisson-zèbre. Cette conservation génétique avec les autres vertébrés fait du Danio rerio, un modèle de choix pour décrypter plusieurs processus biologiques majeurs et leur conservation au fil de l’évolution.

De manière surprenante, le poisson-zèbre est aussi capable de régénérer sa nageoire caudale lorsque celle-ci a été amputée, grâce à la formation transitoire d’une masse de cellules appelée « blastème ».

Au stade larvaire, cette structure assure la régénération de l’appendice sectionné en seulement trois jours : de quoi susciter l’intérêt de la communauté scientifique, car la compréhension des mécanismes qui sont associés à ce processus pourrait ouvrir la voie à des applications multiples dans le domaine de la médecine régénérative.

Cependant, seules quelques cellules du blastème avaient été décrites jusqu’ici et les mécanismes biologiques sous-jacents demeuraient mal documentés. Dans leurs précédents travaux, Farida Djouad, directrice de recherche à l’Inserm, et son équipe avaient mis en évidence le rôle inédit des macrophages, cellules du système immunitaire, lors de la formation du blastème des poissons-zèbres. L’équipe avait ainsi prouvé que les macrophages orchestrent les processus inflammatoires nécessaires à la prolifération des cellules du blastème et à la régénération de la nageoire caudale.

 

Identifier la cellule chef d’orchestre de la régénération

Dans leur nouvelle étude, ces chercheurs ont été plus loin dans l’exploration du blastème et ont révélé l’implication majeure d’une nouvelle population cellulaire, les cellules dérivées de la crête neurale[1]. Ces cellules sont présentes chez tous les vertébrés, y compris chez l’espèce humaine, et jouent notamment un rôle clé dans le développement de l’embryon.

Les scientifiques ont déployé plusieurs approches méthodologiques pour observer et suivre le devenir des cellules du blastème. En combinant notamment l’imagerie confocale en temps réel et la technologie de séquençage de cellule unique (single cell RNA-seq)[2] sur des larves de poisson-zèbre, l’équipe de Montpellier est parvenue à démontrer que les cellules dérivées de la crête neurale orchestrent le processus de régénération de la nageoire, en dialoguant avec les macrophages et avec les autres cellules du blastème afin de contrôler et de réguler leur réponse. Ce dialogue se fait notamment via un facteur clé appelé NRG1 (Neuregulin 1).

Interactions entre les macrophages (en rouge) et les cellules de la crête neurale (en vert) au cours de la régénération de la nageoire caudale de la larve de zebrafish. © Farida Djouad

L’ensemble de ces données permet d’aller plus loin dans la compréhension des processus de régénération et de leur activation chez le poisson-zèbre. En s’appuyant sur ces résultats, l’objectif suivant sera de comprendre pourquoi les mammifères, qui pourtant possèdent aussi des macrophages et des cellules dérivées de la crête neurale, ne parviennent pas à régénérer leurs appendices comme le poisson-zèbre.

« Nous continuons ces travaux sur d’autres modèles de vertébrés, notamment la souris, afin de mieux comprendre à quel moment du développement embryonnaire les mammifères perdent cette capacité de régénération, et pour quelle raison, tout en focalisant notre intérêt sur le rôle des cellules dérivées de la crête neurale », explique Farida Djouad.

 « Les travaux menés sur plusieurs modèles animaux capables de régénération ont pour but d’identifier « LA » cellule chef d’orchestre, commune à tous les processus de régénération. Une meilleure compréhension de son rôle, et surtout des facteurs qu’elle sécrète pourrait ouvrir la voie à de nouvelles pistes pour promouvoir la régénération de certains tissus dans le traitement de maladies dégénératives comme l’arthrose par exemple ».

 

[1] La crête neurale des vertébrés est une structure embryonnaire transitoire, impliquée dans le développement, capable de produire nombre de tissus de la face et du crâne, en particulier le squelette cartilagineux et ostéo-membraneux, les méninges, les parois vasculaires du système carotidien externe et interne, le derme… Source : Académie de médecine

[2] Le séquençage de cellule unique s’appuie sur un ensemble de méthodes de biologie moléculaire pour analyser l’information génétique (ADN, ARN, épigénome…) à l’échelle d’une seule cellule.

Création d’un Groupement d’intérêt scientifique, référence française pour toutes les questions relatives aux 3R

L’utilisation d’animaux à des fins scientifiques se fonde sur le principe des « 3R » (remplacement, réduction, raffinement) pour guider au mieux les recherches et promouvoir des méthodes responsables et innovantes. Un groupement d’acteurs de la recherche composé de l’Inserm, du CNRS, d’INRAE, d’Inria, du CEA, de l’Institut Pasteur de Paris, de la CPU et de l’association Udice annonce la création, en France, du FC3R (France Centre 3R) pour soutenir l’application des règles qui découlent du principe des 3R. Créée à la demande du ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, sous la forme d’un Groupement d’intérêt scientifique (GIS), et dotée de missions et de moyens d’actions conséquents, cette structure a l’ambition d’être reconnue en France et en Europe comme référence et point de contact pour toutes les questions relatives aux 3R, dans la recherche publique comme privée.

Structure et composition

Fondé par des opérateurs majeurs de la recherche publique[1], le FC3R favorisera la synergie et la collaboration entre les entités existantes dans le domaine de l’utilisation des animaux à des fins scientifiques, mobilisant toutes les compétences disponibles pour remplir ses missions. Il fonctionnera notamment en lien étroit avec le ministère de lʼEnseignement supérieur, de la Recherche et de lʼInnovation et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et aura pour vocation d’interagir avec des partenaires privés.

Le FC3R sera structuré autour d’une équipe initialement composée de cinq personnes (directeur, secrétaire/gestionnaire, webmaster, responsable de la formation, responsable des appels à projets) et doté d’un comité de pilotage, d’un comité scientifique et d’un conseil d’orientation et de réflexion. Il sera à l’écoute de toutes les parties prenantes, notamment du monde associatif.

Le FC3R sera localisé à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, à Maisons-Alfort, où il disposera d’une structure opérationnelle et bénéficiera d’un soutien fort de cet acteur majeur de la formation en biologie animale, pour ses missions de formation.

Les grandes missions du FC3R

La formation aux 3R

  • Faire connaître toutes les offres de formation aux 3R grâce à un site internet listant en langue française et en anglais les offres existantes ;
  • Promouvoir l’émergence de formations en incitant les partenaires du FC3R, qu’ils soient privés ou publics, à créer des formations dans les domaines de carence identifiés ;
  • Développer des outils de formation à distance (webinaires, e-learning, MOOC…);
  • Mettre à disposition des contenus innovants : création de modules de formation pour des approches en émergence ou pour promouvoir une harmonisation des approches existantes ;
  • Développer son ouverture internationale : faire connaître et reconnaître ses formations au niveau européen et ainsi contribuer à la reconnaissance des formations françaises.

L’ingénierie de projets conformes aux 3R

  • Assistance au design de projets : devenir un point de contact et de conseil ;
  • Traitement des données non publiées d’intérêt pour les 3R, création d’une plateforme de dépôt des résultats négatifs (sur le site internet du FC3R) pour mieux disséminer les connaissances obtenues mais non publiées par les auteurs.

Le financement de projets 3R

  • Appel à projets annuel pour développer et valider des méthodes de recherche permettant de mieux respecter le principe des 3R ;
  • Appels à projets sur des questions spécifiques liées aux 3R pour financement des meilleurs projets permettant de mettre au point et valider des approches innovantes, associant tout partenaire public ou privé ;
  • Financement de Prix 3R.

La communication

  • Mise en place d’une communication spécifique suivant la devise « Pour une recherche responsable et innovante » ;
  • Création d’un site internet et d’une stratégie de communication sur les réseaux sociaux : diffusion d’informations pertinentes concernant la bonne application du principe des 3R et sur les activités propres au FC3R, en priorité en direction du monde de la recherche, et aussi en direction de la société civile.

Les objectifs du FC3R sur dix ans

  • Obtenir une réduction notable du nombre d’animaux utilisés en expérimentation, notamment par des approches multimodales longitudinales, assurer un meilleur remplacement par des modèles invertébrés ou des approches complémentaires notamment in vitro, et assurer un raffinement fondé sur des pratiques innovantes ;
  • S’assurer de la formation à une pratique rigoureuse et responsable, conforme au principe des 3R, de tout étudiant, et toute étudiante et/ou nouvel entrant, nouvelle entrante amené à utiliser des animaux à des fins scientifiques ;
  • Positionner le FC3R comme un acteur incontournable en France et en Europe sur le développement des méthodes alternatives à l’utilisation d’animaux et sur les autres questions relatives aux 3R.

 

[1] Les membres fondateurs du GIS sont l’Inserm, le CNRS, INRAE, l’INRIA, le CEA, l’Institut Pasteur de Paris, la CPU et Udice.

Les conséquences d’une exposition précoce aux perturbateurs endocriniens sur les fonctions reproductrices

 

Astrocyte né pendant la période infantile

Astrocyte né pendant la période infantile (rouge) (période de 7 à 20 jours après la naissance) arrimé à un corps cellulaire de neurone à GnRH (vert). Les prolongements des astrocytes sont marqués en blanc.© Vincent Prévot, Inserm.

Des chercheuses et chercheurs de l’Inserm, du CHU de Lille et de l’Université de Lille, au sein du laboratoire Lille Neuroscience et Cognition, ont découvert un des mécanismes par lequel les perturbateurs endocriniens peuvent altérer le développement des fonctions reproductrices des individus dès la naissance. À l’échelle neuronale, ils ont observé chez l’animal comment une exposition à de faibles doses de bisphénol A (un perturbateur endocrinien reconnu) quelques jours après la naissance, perturbe l’intégration des neurones à GnRH dans leur circuit neural et altère leur activité de régulation des fonctions reproductrices. Les résultats de cette étude font l’objet d’une publication dans la revue Nature Neuroscience.

Chez les mammifères, la reproduction est régulée par les neurones à GnRH, une population de neurones qui, au cours du développement embryonnaire, apparaît au niveau du nez puis migre vers le cerveau jusqu’à l’hypothalamus. Bien établis dans le cerveau à la naissance, ces neurones contrôleront tous les processus associés aux fonctions reproductrices : la puberté, l’acquisition des
caractères sexuels secondaires et la fertilité à l’âge adulte.

Pour assurer leurs fonctions, les neurones à GnRH doivent s’entourer d’un autre type de cellules neurales : les astrocytes. L’arrimage de ces dernières aux neurones à GnRH est une étape déterminante pour leur intégration dans le réseau neuronal. La rencontre entre ces deux types de cellules survient à la période dite de « mini-puberté », qui débute une semaine après la naissance chez les mammifères, lors de la première activation des neurones à GnRH (c’est à ce moment qu’ont lieu les premières sécrétions des hormones sexuelles).

« Un échec de l’intégration des neurones à GnRH lors de la mini-puberté peut entraîner une prédisposition à développer des troubles de la puberté et/ou de la fertilité, mais aussi affecter potentiellement le développement du cerveau et ainsi entraîner des troubles de l’apprentissage ou encore des désordres métaboliques tels qu’un surpoids », explique Vincent Prévot, directeur de recherche à l’Inserm et dernier auteur de l’étude.

Mais comment se déroule cette rencontre entre neurones à GnRH et astrocytes ? Selon les résultats de ces travaux, les astrocytes n’arrivent pas là par hasard mais répondent à des signaux moléculaires émis par les neurones à GnRH, qui les recrutent dès leur apparition dans l’hypothalamus.

L’exposition précoce au bisphénol A empêche la communication entre les neurones à GnRH et les astrocytes

Pour aller plus loin, les chercheurs ont souhaité comprendre l’importance de cette rencontre entre astrocytes et neurones à GnRH dans le développement des fonctions reproductrices des mammifères lors de la période de mini-puberté. De récentes études ayant montré que le réseau neuronal à GnRH est particulièrement sensible aux perturbateurs endocriniens et qu’il existe une association entre ces derniers et les troubles de la puberté, les chercheurs se sont intéressés à l’impact de l’exposition à l’un de ces perturbateurs endocriniens, le bisphénol A, chez le rat.

Le bisphénol A est un composé utilisé dans la fabrication industrielle des plastiques dont le caractère perturbateur endocrinien est aujourd’hui largement reconnu. Il est utilisé par exemple dans la fabrication de récipients alimentaires tels que les bouteilles et biberons. On le retrouve également dans les films de protection à l’intérieur des canettes et des boîtes de conserve ou encore sur les tickets de caisse où il est utilisé comme révélateur. En France, le bisphénol A est interdit dans les biberons et autres contenants alimentaires depuis 2015. Il a été remplacé par des substituts comme le bisphénol S ou BPS ou le bisphénol B ou BPB qui suscitent eux aussi des interrogations quant à leur innocuité.

« Malgré son interdiction, le bisphénol A est toujours présent dans notre environnement du fait de la dégradation lente des déchets plastiques, mais également car il se trouve dans des contenants alimentaires achetés avant 2015 et qui ont été conservés. Avec le recyclage des déchets, le bisphénol A contenu dans des plastiques datant d’avant 2015 a également pu se retrouver dans des produits neufs », explique Vincent Prévot.

Pendant les 10 jours suivant la naissance, des rats femelles ont reçu des injections de bisphénol A à faibles doses. Grâce à une technique de marquage des astrocytes, les chercheurs ont pu observer que sous l’effet du bisphénol A, les astrocytes ne parviennent pas à s’arrimer de manière permanente aux neurones à GnRH. L’absence d’une telle association entre ces cellules nerveuses entraîne alors un retard pubertaire ainsi qu’une absence de cycle œstral chez les rates adultes (équivalent du cycle menstruel chez la femme), ce qui suggère que les fonctions reproductives sont affectées.

« Nos résultats soulèvent l’idée que l’exposition précoce à des produits chimiques en contact avec les aliments, tels que le bisphénol A, peut perturber l’apparition de la puberté et avoir un impact durable sur les fonctions reproductrices, en empêchant les neurones à GnRH de construire, dans l’hypothalamus, un environnement approprié et nécessaire à leur rôle de chef d’orchestre de la fertilité », explique Ariane Sharif, Maître de Conférences à l’Université de Lille qui a codirigé l’étude.

Dans la continuité de ces travaux, les scientifiques cherchent désormais à comprendre par quel mécanisme précis le bisphénol A empêche la communication entre les neurones à GnRH et les astrocytes. Une des hypothèses avancées est que le bisphénol A pourrait agir directement sur les récepteurs des astrocytes et les empêcher de s’arrimer aux neurones à GnRH. L’équipe de recherche s’intéresse par ailleurs à l’action du bisphénol A sur l’ADN et aux traces qu’il pourrait y laisser.

Détecter la survenue d’hallucinations auditives à partir de l’activité cérébrale de patients souffrant de schizophrénie

cerveau hallucination

Les chercheurs ont pu mettre en évidence des activités cérébrales spécifiques, prédictives des hallucinations acoustico-verbales. Crédits Adobe Stock

Une étude conduite par Renaud Jardri, Professeur à l’Université de Lille et pédopsychiatre au CHU de Lille (Unité Inserm U-1172 Lille Neuroscience & Cognition), le Dr Philippe Domenech à l’Institut  du Cerveau (Inserm/CNRS/AP-HP/Sorbonne Université), et leurs collaborateurs, montre qu’il est possible de prédire la survenue des hallucinations auditives chez les patients schizophrènes grâce à la combinaison d’IRM fonctionnelle et d’algorithmes d’intelligence artificielle. Ces résultats, publiés dans Biological Psychiatry, ouvrent la voie au développement de nouvelles thérapies de neuromodulation et de neurofeedback en boucle fermée pour traiter ces hallucinations.

Les hallucinations auditives et verbales (AVH) sont malheureusement résistantes aux thérapeutiques conventionnelles chez près de 30% des patients atteints de schizophrénie. Elles se manifestent et sont ressenties de façon très variable, rendant d’autant plus difficile à la fois leur compréhension et leur traitement. Pour répondre à ces enjeux, les équipes de Renaud Jardri et Philippe Domenech ont cherché à développer une méthode de détection des épisodes hallucinatoires par imagerie cérébrale, robuste et facilement applicables à l’ensemble des patients.

Pour cela, ils ont développé une nouvelle approche d’IRM fonctionnelle combinée à des algorithmes d’intelligence artificielle sur la base des données obtenues dans un premier groupe de 23 patients atteints de schizophrénie. Ils ont ainsi pu mettre en évidence des activités cérébrales spécifiques, prédictives des hallucinations acoustico-verbales, à la fois chez un même patient, mais également entre patients. Ils ont ensuite validé la capacité de leur approche à être généralisée   à n’importe quel nouveau groupe  de  patient  souffrant  de  schizophrénie  grâce à une validation croisée de leurs résultats avec un second groupe de 34 patients schizophrènes, ainsi que chez des sujets témoins.

Les chercheurs ont ainsi validé l’efficacité de leur méthode à distinguer l’activité cérébrale associée aux hallucinations auditives de l’état de repos et d’un état d’activité associé à une tâche d’imagerie verbale, durant laquelle des volontaires sains imaginaient volontairement entendre des voix. Les chercheurs ont également pu montrer que cette détection des hallucinations auditives dépendait quasi-exclusivement d’une région cérébrale, centrée sur l’aire de Broca qui est classiquement connue pour son rôle dans la production des mots parlés.

Pour le Pr. Jardri, coordonnateur de l’étude : « Il s’agit d’une étape importante dans ce que l’on appelle la psychiatrie de précision, c’est-à-dire l’utilisation d’outils de caractérisation modernes, tels que l’imagerie cérébrale, afin de définir de nouvelles cibles thérapeutiques en psychiatrie. Dans le cas présent, nous souhaitons désormais guider des traitements à partir de ce nouvel outil   de capture fonctionnelle du symptôme et ainsi soulager les personnes souffrant d’hallucinations pharmaco-résistantes. Un essai thérapeutique doit justement démarrer sur la base de cette découverte dans les mois qui viennent au CHU de Lille afin de tester et valider ce nouveau champ d’application en psychiatrie »

Maltraitance physique infantile : homogénéiser les recommandations pour optimiser le diagnostic

La maltraitance physique concerne 4% à 16% des enfants âgés de moins de 18 ans dans les pays développés. © Adobe Stock

 

Le diagnostic de maltraitance physique chez le nourrisson peut être difficile à établir. Pour guider les professionnels de santé, des recommandations définissant les pratiques à adopter lors d’une suspicion de maltraitance physique sont produites par des sociétés savantes, des autorités publiques ou par des groupes d’experts indépendants. Malgré ce cadre, les prises en charge observées sont différentes en fonction des praticiens, en France comme dans d’autres pays avec des économies développées. Pour tenter de comprendre cette variabilité, des chercheurs de l’Inserm et enseignants-chercheurs d’Université de Paris au Centre de Recherche en Épidémiologie et Statistiques (CRESS), de l’AP-HP et du CHU de Nantes, ont analysé et comparé différentes recommandations cliniques publiées dans quinze pays. Ils ont découvert une grande hétérogénéité entre les différents pays et même au sein d’un même pays où plusieurs documents de référence coexistent parfois. Les résultats de cette revue systématique soulignent la nécessité d’un processus de consensus international afin de produire des recommandations claires et standardisées pour optimiser les pratiques des professionnels de santé. Ils font l’objet d’une publication dans JAMA Network Open.

La maltraitance physique concerne 4% à 16% des enfants âgés de moins de 18 ans dans les pays développés et environ un tiers des diagnostics de maltraitance physique sont posés avec retard. Les nourrissons âgés de moins de deux ans sont les plus concernés, ce qui ajoute aux difficultés d’un diagnostic rapide reposant sur une combinaison d’évaluations cliniques et sociales, d’examens d’imagerie et de laboratoire.

Plusieurs études antérieures ont révélé des pratiques divergentes de la part des praticiens lors d’une suspicion de maltraitance physique. Une étude française publiée en 2015[1] a par exemple montré que dans le cas théorique d’un nourrisson de 9 mois présentant une fracture du fémur, de nombreuses ecchymoses et un traumatisme crânien, seuls 28% des pédiatres interrogés auraient demandé une IRM du crâne, un examen pourtant recommandé après le scanner dans ce cadre de potentiels traumatismes infligés.

Face à ce constat, et pour essayer de comprendre ces différences entre les pratiques, l’étude s’est intéressée aux recommandations destinées à guider les professionnels de santé dans le diagnostic de la maltraitance physique infantile. Ces dernières, accessibles en ligne, sont émises par des sociétés savantes, des agences sanitaires ou par des groupes d’experts de pédiatrie. Il s’agit notamment de documents rédigés par la Haute Autorité de Santé en France, le Royal College of Paediatrics and Child Health au Royaume-Uni ou encore l’American Academy of Pediatrics aux Etats-Unis.

Les scientifiques ont pu extraire les données contenues dans 20 documents de référence publiés entre 2010 et 2020, issus de 15 des 24 pays les plus développés selon les Nations-Unies. Ils ont comparé les recommandations d’examens diagnostiques préconisés en cas de suspicion de maltraitance physique infantile. Ils ont ensuite déterminé pour chaque examen si celui-ci était recommandé de façon systématique, conditionnelle (au cas par cas en fonction du contexte clinique), n’était pas recommandé ou n’était même pas mentionné.

Des divergences entre les documents de référence qui créent le flou

Selon les résultats de l’étude, il existe une grande hétérogénéité entre les recommandations internationales qui pourrait expliquer une partie des différences entre les pratiques cliniques observées pour le diagnostic de maltraitance physique infantile.

Quand certains examens sont recommandés de façon homogène, comme les radiographies du squelette, d’autres ne le sont qu’au cas par cas, voire jamais selon les pays. Par exemple, la réalisation d’une scintigraphie osseuse, un examen d’imagerie destiné à la recherche de fractures en complément de radiographies du squelette, est recommandée par la Haute Autorité de Santé et l’American Academy of Pediatrics alors qu’elle n’est pas recommandée par le Royal College of Radiologists. Au sein même du Royaume-Uni, le Royal College of Radiologists et le Royal College of Paediatrics and Child Health diffèrent quant à la recommandation d’un recours à cette scintigraphie.

Les chercheurs ont également observé des différences significatives dans la définition de « lésions sentinelles », des lésions traumatiques retrouvées chez des nourrissons qui n’ont pas acquis la capacité de se déplacer seuls et qui doivent conduire à évaluer le risque de maltraitance physique. Si tous les documents analysés proposent une description de ces lésions, les contenus diffèrent : six en donnent une brève caractérisation et se concentrent uniquement sur les lésions cutanées, dix ajoutent la notion de fractures, de lésions intra-buccales, intracrâniennes ou abdominales.

Enfin, les chercheurs ont constaté que certains éléments cités fréquemment parmi les recommandations n’apparaissaient pas dans tous les documents de référence. Pour les chercheurs, même les examens qui ne sont pas recommandés devraient être cités dans l’ensemble des documents, ne serait-ce que pour expliquer au praticien pourquoi ils ne sont pas recommandés.

« Notre objectif était d’examiner systématiquement l’exhaustivité, la clarté et la cohérence des recommandations cliniques pour la détection précoce et le bilan diagnostique de la maltraitance physique infantile. Nous avons estimé que, dans les pays dits développés, les rédacteurs de recommandations ont théoriquement tous accès aux mêmes connaissances et les praticiens ont tous accès à la prescription des mêmes examens. Les examens recommandés en cas de suspicion de maltraitance physique infantile et ceux réalisés en pratique devraient donc peu varier. Nous ne nous attendions pas à identifier de si grandes disparités entre les recommandations. Nous pensons que ces différences peuvent expliquer une partie de l’absence de standardisation des pratiques », explique Flora Blangis, première auteure de l’étude et doctorante à l’Inserm.

Selon les chercheurs à l’origine de cette revue systématique, les résultats soulignent la nécessité d’un processus de consensus international afin de produire des recommandations claires et standardisées pour optimiser les pratiques des professionnels de santé dans le diagnostic de la maltraitance physique infantile. Une telle démarche a été conduite dans beaucoup d’autres domaines de la médecine, notamment pour le dépistage de l’hypertension artérielle.

 « Les médecins généralistes et les pédiatres sont les acteurs clés pour la détection précoce et le diagnostic de la maltraitance physique des nourrissons. Leurs décisions devraient pouvoir s’appuyer sur des recommandations complètes, claires et cohérentes comme c’est le cas dans d’autres pathologies », conclut Flora Blangis.

Uniformiser les pratiques[2] est un enjeu d’autant plus important qu’un diagnostic erroné peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant. En particulier, des résultats faussement négatifs exposent les nourrissons à un risque de récidive de maltraitance estimé entre 35% et 50%.

 

[1] Ledoyen A, Bresson V, Dubus J-C, et al. Explorations complémentaires face à une situation d’enfant en danger : état des lieux des pratiques en France en 2015. Arch Ped. 2016

[2] Le déploiement sur tout le territoire des Unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED) devrait contribuer à une uniformisation des pratiques dans le dépistage des maltraitances et le parcours de soins des mineurs victimes. Il s’agit d’un axe fort du plan de lutte contre les violences faites aux enfants décidé par le ministère des Solidarités et de la Santé, et soutenu par la Société française de pédiatrie médico-légale.

Lancement du Groupement d’intérêt scientifique Obépine sur les eaux usées

 

eau

© Unsplash

 

Le 19 octobre, les représentants de dix établissements  ̶  CNRS, Eau de Paris, EPHE, Ifremer, Inserm, IRBA, Sorbonne Université, Université Clermont Auvergne, Université de Lorraine et Université de Paris  ̶ membres du Groupement d’intérêt scientifique (GIS) de l’Observatoire épidémiologique dans les eaux usées (Obépine), se sont réunis pour la première fois. Sorbonne Université, qui assure la gestion de ce GIS, en préside le Comité des membres.

Le consortium Obépine, créé au printemps 2020, réunit des chercheurs et des chercheuses en virologie médicale, microbiologie de l’environnement, mathématiques appliquées, hydrologie et infectiologie ayant pour ambition de suivre l’état sanitaire des populations par l’analyse des eaux usées.

Soutenu par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ce consortium a démontré qu’il est possible de suivre l’évolution de l’épidémie de Covid-19 en quantifiant le génome du SARS-CoV-2 et ses variants dans les eaux usées des stations d’épuration.

Obépine a en effet produit de nombreux résultats portant sur l’évaluation du risque sanitaire à partir de l’analyse de selles, de boues résiduaires et de coquillages. Le consortium a également construit et validé des modèles mathématiques qui ont mis en évidence une excellente corrélation entre les indicateurs individuels (taux d’incidence) et les niveaux de circulation du virus dans les eaux usées.

Depuis janvier 2021, l’activité de recherche du réseau Obépine a permis de proposer de façon opérationnelle un indicateur des eaux usées reposant sur des prélèvements effectués dans quelque 200 stations de traitement des eaux usées en France métropolitaine et d’outre-mer. Le réseau permet, aujourd’hui, de donner des informations sur la circulation du virus SARS-CoV-2 dans des bassins versants couvrant plus de 33 % de la population. Le consortium assure ainsi, via son réseau, une activité opérationnelle du suivi de circulation du virus. Celle-ci a été aujourd’hui financée jusqu’au 31 octobre 2021 par le ministère des Solidarités et de la Santé qui prépare la mise en place sous sa responsabilité, d’un réseau national opérationnel agrégeant l’ensemble des acteurs.

Dans le cadre du GIS, le consortium Obépine a pour objectif de poursuivre le développement des activités de recherche appliquées dans le domaine des eaux usées sur le SARS-CoV-2 et ses variants.

En tirant parti du réseau opérationnel qu’il a mis en place, comme d’un réseau Sentinelles, il a vocation à traiter des questions sur l’état sanitaire des populations en étendant ses recherches à d’autres pathogènes ou agents chimiques détectés dans les eaux usées.

Pour le premier mandat, la direction sera assurée par Vincent Maréchal, professeur de virologie à Sorbonne Université et virologue au Centre de recherche Saint-Antoine (Inserm/Sorbonne Université), associé à deux co-directeurs : Christophe Gantzer, professeur de virologie à l’université de Lorraine, directeur du Laboratoire de chimie physique et microbiologie pour les matériaux et l’environnement (CNRS/Université de Lorraine) et Laurent Moulin, responsable du laboratoire R&D d’Eau de Paris.

Pour plus d’information sur le réseau Obépine : https://www.reseau-obepine.fr

Leucémies myéloïdes : comprendre les résistances aux traitements pour aller vers la médecine personnalisée

mitochondries © Adobe Stock

Les patients qui répondent le mieux à la bithérapie dans cette étude présentent une « signature Mitoscore », associée à une forte activité des mitochondries. © Adobe Stock

 

La prise en charge et le traitement des leucémies aiguës myéloïdes (LAM) se sont beaucoup améliorés ces dernières années, mais la survie globale demeure encore faible. En effet, la résistance aux différents traitements représente toujours un défi clinique majeur. A partir de modèles animaux mais également en travaillant avec des patients, des scientifiques de l’Inserm, du CNRS et de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier au Centre de Recherches en Cancérologie de Toulouse ont identifié un nouveau biomarqueur prédictif de la réponse à une bithérapie (combinaison d’une chimiothérapie et d’une thérapie ciblée) utilisée dans le traitement des LAM, ainsi que des mécanismes de résistance permettant d’expliquer les rechutes. Les résultats de ces travaux sont publiés dans Nature Cancer.

Les leucémies regroupent plusieurs types de cancer du sang et touchent près de 10 000 personnes chaque année en France. Parmi-elles, les leucémies aiguës myéloïdes (LAM), qui affectent les cellules hématopoïétiques[1] de la moelle osseuse.

La chimiothérapie intensive a longtemps été le traitement de choix pour les patients atteints. Si la plupart d’entre eux y répond favorablement et entre en rémission, la survie globale à plus long terme reste faible. En effet, certaines cellules cancéreuses résistantes persistent dans l’organisme suite à la chimiothérapie, entrainant des rechutes. 

Depuis quelques années, le développement de thérapies ciblées a permis d’améliorer la prise en charge et la réponse des patients, allongeant un peu la survie, notamment chez les personnes âgées non éligibles à la chimiothérapie. Toutefois, même avec ces thérapies, les rechutes constituent toujours une problématique importante. Comprendre les mécanismes qui sous-tendent les résistances aux traitements des leucémies et trouver un moyen de les lever sont au cœur des travaux du chercheur Inserm Jean-Emmanuel Sarry et de son équipe au Centre de Recherches en Cancérologie de Toulouse (Inserm/CNRS/Université de Toulouse III -Paul Sabatier).

Alors que la plupart des scientifiques qui travaillent sur le sujet s’intéressent plutôt aux mécanismes génétiques associées aux résistances, l’équipe étudie les mécanismes non génétiques pour comprendre pourquoi certains patients sont plus susceptibles de faire des rechutes.

 

Identification d’une « signature Mitoscore »

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs se sont intéressés à une bithérapie (chimiothérapie conventionnelle combiné à une nouvelle thérapie ciblée) récemment approuvée et de plus en plus utilisée dans le traitement des LAM.

A partir des transcriptomes de patients (c’est-à-dire l’ensemble des ARN messagers issus de l’expression du génome), ils montrent que les personnes qui répondent le mieux à la bithérapie et qui ont un allongement de leur survie présentent un biomarqueur particulier – une « signature Mitoscore » – associée à une forte activité mitochondriale[2]. « Autrement dit, cette signature Mitoscore élevée, qui traduit une activité mitochondriale importante, serait prédictive d’une meilleure réponse à ces traitements », précise Jean-Emmanuel Sarry.

Enfin, grâce au séquençage à l’échelle de la cellule unique[3] de la maladie résiduelle[4] après cette bithérapie, les chercheurs ont constaté un remodelage particulier de la fonction mitochondriale permettant aux cellules cancéreuses de s’adapter aux thérapies et induire la rechute du patient. Chez la souris, l’équipe montre aussi qu’un traitement fondé sur une molécule qui inhibe l’action des mitochondries permet de bloquer ce remodelage de la fonction mitochondriale, de prévenir les rechutes et d’allonger la survie des animaux.

« L’objectif est maintenant de tester cette signature Mitoscore sur de très grosses cohortes afin de valider l’utilité de ce biomarqueur. A terme, l’idée serait de pouvoir l’utiliser pour améliorer le suivi des patients et pour proposer les thérapies de manière plus personnalisée, en donnant la bithérapie, en association ou non avec l’inhibiteur des mitochondries, aux personnes susceptibles d’en tirer un bénéfice.  Ces travaux pourraient donc avoir un réel impact clinique dans les prochaines années », explique Jean-Emmanuel Sarry.

 

[1] Les cellules souches hématopoïétiques sont fabriquées par la moelle osseuse et sont à l’origine des différentes cellules du sang : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes. Source INCa

[2] Les mitochondries sont les organelles intracellulaires dont le rôle est de fournir aux cellules l’énergie dont elles ont besoin. Elles ont donc un rôle central dans le métabolisme énergétique cellulaire.

[3] Le séquençage de la cellule unique est un ensemble de techniques de biologie moléculaire pour analyser l’information génétique à l’échelle d’une seule cellule, avec des technologies du séquençage nouvelle génération.

Manier des outils améliore nos compétences langagières

 

aires cérébrales liées au langage

Les aires cérébrales liées au langage se seraient étendues chez nos ancêtres dans des périodes d’explosion technologique, au moment où l’usage d’outils devenait plus répandu. © Adobe Stock

 

Notre capacité à comprendre la syntaxe de certaines phrases complexes fait partie des compétences langagières les plus difficiles à acquérir. En 2019, des travaux avaient révélé une corrélation entre le fait d’être particulièrement habile dans le maniement d’outils et d’avoir de bonnes compétences syntaxiques. Une nouvelle étude, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS et de l’Université Claude Bernard Lyon 1 et l’Université Lumière Lyon 2, en collaboration avec le Karolinska Institutet en Suède, montre désormais que ces deux habiletés font appel à de mêmes ressources cérébrales, localisées dans la même région du cerveau. Par ailleurs, un entraînement moteur avec un outil améliore nos capacités à comprendre la syntaxe de phrases complexes et à l’inverse, un entrainement syntaxique améliore les performances d’utilisation d’outils. Dans le domaine clinique, ces résultats pourraient être exploités pour soutenir la rééducation de patients ayant perdu une partie de leurs compétences langagières. L’étude est publiée dans la revue Science.

Le langage a longtemps été considéré dans le domaine des neurosciences comme une habileté très complexe, mobilisant des réseaux cérébraux spécifiquement dédiés à cette faculté. Cependant, depuis plusieurs années, des travaux scientifiques ont réexaminé cette idée.

Des études ont ainsi suggéré que des zones du cerveau qui contrôlent certaines fonctions langagières, comme le traitement du sens des mots par exemple, sont également impliquées dans le contrôle de la motricité fine. Toutefois, aucune preuve fondée sur l’imagerie cérébrale n’a permis de révéler de tels liens entre langage et utilisation d’outil. La paléo-neurobiologie[1] a indiqué que les aires cérébrales liées au langage se seraient étendues chez nos ancêtres dans des périodes d’explosion technologique, au moment où l’usage d’outils devenait plus répandu.

En considérant ces données, des équipes de recherche se sont donc interrogées : et si l’usage de certains outils, qui suppose de réaliser des mouvements complexes, impliquait des ressources cérébrales similaires à celles mobilisées dans des fonctions langagières complexes comme la syntaxe?

 

Exercices de syntaxe et maniement d’une pince

En 2019, le chercheur Inserm Claudio Brozzoli en collaboration avec la chercheuse CNRS Alice C. Roy et leur équipe a montré que des individus particulièrement habiles dans l’utilisation d’outils étaient aussi généralement plus performants dans le maniement des subtilités de la syntaxe suédoise.

Pour aller plus loin, la même équipe en collaboration avec la chercheuse CNRS Véronique Boulenger[2], a mis au point toute une série d’expériences en s’appuyant sur des techniques d’imagerie cérébrale (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ou IRM) et des mesures du comportement. Les participants ont été invités à réaliser plusieurs tests consistant en un entraînement moteur avec une pince mécanique et des exercices de syntaxe en français. Cela a permis aux scientifiques d’identifier les réseaux cérébraux spécifiques à chaque tâche, mais aussi communs aux deux tâches.

ganglions de la base

Le maniement de la pince et les exercices de syntaxe proposés aux participants produisaient des activations dans une région appelée « ganglions de la base ». © Claudio Brozzoli


 « Le choix de la pince et non d’un autre objet n’est pas un hasard. En effet, il s’agit d’un outil qui permet un mouvement sophistiqué, dans lequel interviennent des paramètres comme la distance parcourue pour rejoindre l’objet que l’on veut attraper, l’ouverture « des doigts » de la pince et l’orientation, et que l’on peut donc comparer en termes de complexité au maniement de la syntaxe dans le langage », explique Claudio Brozzoli.

À travers les différentes expériences, les scientifiques ont observé pour la première fois que le maniement de la pince et les exercices de syntaxe proposés aux participants produisaient des activations cérébrales dans des zones communes, avec une même distribution spatiale, dans une région appelée « ganglions de la base ».

 

Entraînement cognitif

Si ces deux types d’habiletés utilisent les mêmes ressources cérébrales, est-il possible d’en entraîner une pour améliorer l’autre ? Un entraînement moteur avec la pince mécanique permet-il d’améliorer la compréhension de phrases complexes ? Dans la seconde partie de leur étude, les scientifiques se sont intéressés à ces questions et ont montré que c’est bien le cas.

Les participants ont cette fois été invités à réaliser une tâche de compréhension syntaxique avant et après un entraînement moteur de 30 minutes avec la pince (voir encadré pour le détail de l’expérience). Les chercheurs et chercheuses ont ainsi démontré que l’entraînement moteur avec la pince s’accompagne d’une amélioration des performances dans les exercices de compréhension syntaxique.

Par ailleurs, les résultats obtenus soulignent que l’inverse est également vrai : un entraînement des facultés langagières, avec des exercices de compréhension de phrases à la structure complexe, améliore les performances motrices avec une pince mécanique.

Entraînement moteur et exercices de syntaxe

L’entraînement moteur consistait à insérer avec la pince de petits pions dans des trous adaptés à leur forme mais avec des orientations variables.

L’exercice de syntaxe réalisé avant et après cet entraînement consistait à lire des phrases à la syntaxe simple comme « Le scientifique qui admire le poète rédige un article » ou à la syntaxe plus complexe comme « Le scientifique que le poète admire rédige un article ». Ensuite, les participants devaient juger comme vraies ou fausses des affirmations du type : « Le poète admire le scientifique ». Les phrases comportant le pronom relatif objet « QUE » sont plus difficiles à traiter et les performances étaient donc généralement moins bonnes pour ce type de phrases.

Ces expériences ont révélé qu’après l’entraînement moteur, les participants présentaient de meilleures performances avec les phrases considérées plus difficiles. Les groupes contrôles, qui ont réalisé la même tâche langagière mais après un entraînement moteur à main nue ou sans entraînement, n’ont pas montré une telle amélioration.

Les scientifiques réfléchissent désormais à la meilleure manière d’appliquer ces résultats dans le domaine clinique. « Nous sommes en train d’imaginer des protocoles qui pourraient être mis en place pour soutenir la rééducation et la récupération des compétences langagières de certains patients ayant des facultés motrices relativement préservées, comme par exemple des jeunes présentant un trouble développemental du langage. Au-delà de ces applications, qui pourraient se révéler innovantes, ces résultats nous donnent aussi un aperçu de la manière dont le langage a évolué dans l’Histoire. Lorsque nos ancêtres ont commencé à développer et utiliser des outils, cette habileté a profondément changé le cerveau et a imposé des demandes cognitives qui pourraient avoir amené à l’émergence de certaines fonctions comme la syntaxe », conclut Claudio Brozzoli.

 

[1] Champ d’étude dans lequel les scientifiques s’intéressent à l’évolution de l’anatomie du cerveau de nos ancêtres.

[2] Sont impliqués dans ces résultats le Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) et le laboratoire Dynamique du langage (CNRS/Université Lumière Lyon 2).

Covid-19 : Le lourd impact de l’épidémie sur la santé mentale des étudiants, notamment pendant les périodes de confinements

 

santé mentale étudiants Covid

Les étudiants sont un groupe particulièrement vulnérable en ce qui concerne la santé mentale suite à la pandémie de Covid-19. © Adobe Stock

 

La pandémie de Covid-19 s’est accompagnée d’une dégradation de l’état de santé mentale d’une grande partie de la population française. Afin de mettre en place des dispositifs de soutien adaptés, il est nécessaire de mesurer l’impact de l’épidémie et d’identifier les populations les plus exposées. Dans une nouvelle étude, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’Université de Bordeaux au Bordeaux Population Health Center montrent que les étudiants sont particulièrement vulnérables. Pendant les deux premiers confinements, les prévalences des troubles anxieux et dépressifs, ainsi que des pensées suicidaires, étaient plus élevées dans cette population en comparaison à des non étudiants. Ces résultats, publiés dans la revue Scientific Reports mettent en lumière la nécessité d’une grande vigilance en ce qui concerne la santé mentale des étudiants en contexte épidémique ainsi que l’importance de mettre en place rapidement des interventions spécifiques pour les aider à surmonter les effets délétères de cette crise sanitaire.

Les épidémies sont connues pour exacerber les problèmes de santé mentale de la population. Ainsi, des travaux antérieurs, réalisés lors de l’épidémie de SRAS au début des années 2000, ont montré que l’anxiété, la dépression et le stress post-traumatique étaient plus fréquents pendant et plusieurs années après la fin de l’épidémie.

Par ailleurs, les données de la littérature scientifique montrent que les étudiants constituent une population particulièrement vulnérable aux problèmes de santé mentale, même hors contexte d’épidémie. En France par exemple, le suicide est la deuxième cause de décès chez les 15-25 ans et des résultats portant sur une cohorte nationale, la cohorte i-Share, ont montré un taux élevé d’anxiété et de dépression dans cette population.

Face à ces différents constats, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université de Bordeaux ont étudié de plus près la santé mentale des étudiants durant la pandémie de Covid-19 et lors des différents confinements. Les étudiants sont-ils plus à risque de développer des problèmes psychologiques dans ce contexte que les non-étudiants ?

 

Dépression, anxiété et pensées suicidaires

Les scientifiques ont recruté via les réseaux sociaux 3783 participants entre mars 2020 et janvier 2021, une période couvrant le premier et deuxième confinement, ainsi que la période intermédiaire de relâchement des restrictions à l’été 2020. Cette étude, désignée sous le nom de cohorte CONFINS, a permis de comparer deux groupes lors des analyses : les étudiants d’un côté et les adultes non-étudiants de l’autre. Au-delà de cette différence de statut et d’âge moyen, les deux groupes étaient très proches, avec des pourcentages similaires de femmes, de personnes ayant eu des antécédents de maladie mentale ou encore de personnes travaillant (ou étudiant) dans le domaine de la santé.

Chaque participant a été invité à remplir en ligne des échelles de référence pour l’évaluation de l’anxiété et de la dépression (le GAD-7, une échelle qui évalue les symptômes de l’anxiété et le PHQ-9, qui évalue la sévérité de la dépression) ainsi qu’à répondre à des questions sur la fréquence des pensées suicidaires au cours des 7 derniers jours.

Les analyses montrent que sur toute la période considérée, les étudiants sont plus touchés que les non étudiants par les problèmes de santé mentale. Ils sont ainsi 36,6 % à déclarer des symptômes dépressifs (contre 20,1 % des non étudiants) et 27,5 % des symptômes d’anxiété (contre 16,9 %). De plus, 12,7 % des étudiants ont rapporté des pensées suicidaires (contre 7,9 % des non étudiants).

 

Des inégalités importantes et qui se creusent

Les scientifiques se sont aussi penchés plus précisément sur chaque étape de la période considérée (premier confinement, déconfinement et deuxième confinement). Alors que la prévalence des troubles mentaux reste globalement stable dans le groupe des non-étudiants tout au long de la période, de grandes variations sont observées pour le groupe étudiant.

Ainsi, on observe que les fréquences des troubles de santé mentale sont beaucoup plus élevées en période de confinement que pendant le déconfinement dans ce groupe, et particulièrement lors du deuxième confinement. En effet, plus de la moitié des étudiants rapportaient des symptômes dépressifs lors du deuxième confinement (contre un quart des non étudiants), alors que cette proportion était de 36 % lors du premier confinement. 

« La comparaison entre étudiants et non étudiants a rarement été étudiée jusqu’ici. Nous démontrons dans notre étude qu’il existe d’importantes inégalités de santé mentale entre ces deux groupes, et que l’écart s’est encore plus creusé avec le deuxième confinement. La vulnérabilité des étudiants n’a probablement pas une cause unique mais l’isolement et la solitude ont certainement beaucoup pesé. Les conditions matérielles et la difficulté de suivre les études sont également des facteurs importants. », explique Mélissa Macalli, première autrice de l’étude.

 

De l’observation à l’intervention

Ce travail de comparaison directe montre donc que, même si toute la population française a été affectée par la crise sanitaire et les restrictions associées, les étudiants sont une population particulièrement vulnérable. Ces chiffres devraient permettre d’orienter les stratégies de prévention et de renforcer les dispositifs d’accompagnement psychologique.

 « Il est aussi important de réaliser que ce problème ne sera pas résolu simplement parce que les confinements ont cessé. La détresse d’un grand nombre d’étudiants est toujours très présente et beaucoup plus forte qu’avant l’épidémie. Il faut réaliser que les problèmes de santé mentale des étudiants ne sont pas derrière nous mais devant nous et qu’ils sont très diffus. Tous n’ont pas de maladie mentale sévère mais tous sont affectés, ont du mal à « fonctionner » correctement, et certains risquent de s’aggraver au cours du temps avec les risques de décrochage des études, de dépression, voire des comportements suicidaires dans le pire des cas », souligne le chercheur Christophe Tzourio, dernier auteur de l’étude.

Les scientifiques ont donc décidé d’aller au-delà du constat et du plaidoyer et ils travaillent désormais sur une intervention afin d’aider les étudiants sur ces questions complexes. Dans les mois qui viennent, l’équipe va développer une application mobile qui sera testée dans le cadre de la cohorte CONFINS, afin d’évaluer son impact réel lors d’une intervention contrôlée.

« Le but est que l’application, qui sera co-créée avec étudiants et professionnels de santé, apporte au plus grand nombre des connaissances sur les troubles mentaux et sur les dispositifs de soutien existants (professionnel de santé, numéros d’aide). D’autre part, pour ceux qui le souhaitent, elle leur permettra de mieux évaluer leur propre niveau de stress, d’anxiété et de dépression au cours du temps. Le plus souvent cela permettra de les rassurer et d’aider ceux qui en ont besoin à franchir le pas en sollicitant de l’aide de professionnels de la santé mentale dans une période de détresse », explique Mélissa Macalli.

Une étude de cohorte permet d’identifier une cause génétique d’une forme rare du syndrome de Cushing induit par l’alimentation

Coupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique

Coupe de rein humain grossie 400 fois par un microscope à immunofluorescence polychromatique.© Inserm/Oriol, Rafael

 

L’équipe composée de chercheurs et chercheuses du service d’endocrinologie et des maladies de la reproduction de l’hôpital Bicêtre AP-HP, de l’Inserm et de l’Université Paris-Saclay, a mené des travaux, coordonnés par le Professeur Peter Kamenický, pour étudier la cause génétique de l’hyperplasie bilatérale macronodulaire des surrénales avec syndrome de Cushing induit par l’alimentation. Cette maladie rare touche les deux glandes surrénales situées au-dessus des reins et entraine une surproduction du cortisol, une hormone stéroïde dont l’excès a des conséquences néfastes pour l’organisme. Les chercheurs ont pu déterminer l’explication moléculaire de la survenue de cette maladie 30 ans après sa description initiale. Ces travaux ont fait l’objet d’une publication le 13 octobre 2021 dans la revue The Lancet Diabetes & Endocrinology.

Cette forme rare du syndrome de Cushing surrénalien, étudiée par ces chercheurs, est due à l’expression anormale du récepteur du GIP (Glucose-dependent insulinotropic peptide), dans les deux glandes surrénales des patients. Le GIP est une hormone produite par l’intestin grêle en réponse à l’ingestion d’aliments. Chez les patients atteints de cette forme particulière du syndrome de Cushing, les concentrations de cortisol augmentent anormalement après chaque prise alimentaire. Les patients atteints de cette maladie développent les signes cliniques typiques du syndrome de Cushing tels que la prise de poids associée à une atrophie musculaire, l’hypertension artérielle, le diabète sucrée, l’ostéoporose et la dépression. La pathologie est associée à une augmentation de la mortalité, surtout des causes cardiovasculaires.

Dans cette étude internationale impliquant les chercheurs de six pays, et reposant notamment sur une collaboration étroite franco-québécoise, l’équipe rapporte que l’hyperplasie macronodulaire des surrénales GIP-dépendante, dans ses formes familiales comme sporadiques, est une maladie génétique, causée par des mutations germinales de Lysine Déméthylase 1A (KDM1A) avec une perte secondaire du second locus de KDM1A, comportant la seconde copie du gène, dans le tissu surrénalien. KDM1A agit principalement comme un répresseur transcriptionnel (i.e. un régulateur qui empêche un gène d’être exprimé), la perte de sa fonction aboutit à une dérégulation d’expression de différents gènes dans le tissu surrénalien, incluant le récepteur du GIP mais également d’autres récepteurs couplés aux protéines G.

Cette découverte permettra de proposer un conseil génétique et une détection plus précoce de cette maladie rare aux patients et à leurs apparentés. Les maladies rares sont en général sous-diagnostiquées. Ceci est d’autant plus important que les variations pathogènes de KDM1A prédisposent également au myélome et à d’autres types de cancer.

De plus, ce nouveau rôle de KDM1A comme régulateur épigénétique de l’expression du récepteur du GIP et d’autres récepteurs couplés aux protéines G pourrait avoir des implications pharmacologiques.

fermer