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Persistance d’une fibrose hépatique sévère malgré une perte de poids substantielle avec chirurgie bariatrique

stéatose hépatique.

Détail d’une stéatose, accumulation d’une graisse, triglycéride, dans la cellule hépatique. © Inserm/Hadchouel, Michelle

Une équipe de recherche de l’AP-HP, de l’Inserm et de Sorbonne Université a mené des travaux, au sein de l’IHU ICAN, portant sur les effets de la chirurgie bariatrique sur la sévérité de l’atteinte hépatique chez les patients avec NASH (Non-Alcoholic Steatohepatitis ou Steatohepatite métabolique) et fibrose sévère (fibrose en pont ou cirrhose compensée). Cette étude montre que chez 50% des patients ayant subi une chirurgie bariatrique, malgré une perte de poids importante (20% à 30% de l’IMC initial) et une amélioration des facteurs de risque métaboliques (principalement le diabète de type 2), la fibrose sévère persiste à moyen terme (5 ans après la chirurgie). Les résultats de ces travaux ont fait l’objet d’une publication le 25 janvier 2022 dans la revue Hepatology.

L’obésité en France concerne 17% de la population adulte et elle touche de plus en plus les enfants et les adolescents. Elle a de nombreuses conséquences sur l’état de santé des personnes qui en sont atteintes dont le développement d’un « foie gras » (stéatose du foie). La stéatose hépatique est définie par l’accumulation de graisse dans les cellules du foie favorisée par la présence des facteurs de risque métabolique (particulièrement le diabète et l’obésité).

En France, la stéatose du foie touche 18% de la population et 25% de la population générale au niveau mondial. A terme, cette pathologie, également appelée NASH, peut conduire à l’apparition de maladies plus graves comme la cirrhose ou le cancer du foie. A ce jour, il n’existe aucun traitement médicamenteux efficace contre la NASH, ce qui rend la recherche autour d’autres voies de prise en charge pour les patients d’autant plus importante.

Des travaux antérieurs ont montré une amélioration spectaculaire des lésions hépatiques de NASH après la chirurgie bariatrique en parallèle à la perte de poids. Néanmoins, les données d’efficacité chez les patients ayant des formes avancées de NASH restent limitées.

L’étude, coordonnée par le Dr Raluca Pais (AP-HP, IHU ICAN), le Dr Judith Aron-Wisnewsky (AP-HP, Inserm, Sorbonne Université, IHU ICAN), le Pr Vlad Ratziu (AP-HP, INSERM, Sorbonne Université, IHU ICAN) et le Pr Karine Clément (AP-HP, Inserm, Sorbonne université, Unité NutriOmique), a permis d’analyser les effets de la chirurgie bariatrique sur l’évolution des lésions histologiques sévères de la NASH. Les patients, issus de la cohorte « chirurgie bariatrique BARICAN » coordonnée par le service de nutrition dirigé par le Pr Jean-Michel Oppert à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, ont eu une biopsie hépatique initiale au moment de la chirurgie bariatrique et une biopsie de suivi. 

Cette étude confirme les excellents résultats de la chirurgie bariatrique : globalement, 29% des patients avaient une histologie normale à la biopsie de suivi ; 74% avaient une résolution de la NASH sans progression de la fibrose ; 70% avaient une régression de la fibrose.

Cependant, chez les patients atteints d’une fibrose sévère avant la chirurgie, la fibrose sévère persistait dans 47% des cas, à moyen terme après la chirurgie, malgré la résolution de la NASH dans 69% des cas.

Les patients non répondeurs à la chirurgie bariatrique ont une moindre amélioration des facteurs de risque métaboliques (moins de perte du poids, rémission du diabète) même si cliniquement significative. Les facteurs associés à la persistance de la fibrose après chirurgie bariatrique, en plus de l’intervalle de suivi, étaient l’âge et le type de chirurgie (moins de régression de la fibrose après la sleeve indépendamment de la perte du poids). Les facteurs associés à l’absence des lésions hépatiques après la chirurgie bariatrique étaient une plus grande perte du poids, une amélioration de la résistance à l’insuline et une moindre sévérité initiale des lésions nécro inflammatoires.

En conclusion, le Dr Raluca Pais précise que « cette étude montre que, malgré une efficacité établie pour la régression de la NASH, la chirurgie bariatrique est moins efficace pour la régression de la fibrose sévère. La régression de la fibrose nécessite plus de temps et probablement des mécanismes additionnels. La perte de poids seule peut ne pas être suffisante pour inverser la fibrose sévère. »

Amélioration de la santé de deux nourrissons atteints de formes sévères de syndromes d’hypercroissance dysharmonieuse

Co-marquages de peau de souris exprimant une mutation du gène PIK3CA. © Marina Firpion/Guillaume Canaud – unité 1151 Inserm

Les syndromes d’hypercroissance dysharmonieuse sont des maladies génétiques rares associées à une mutation du gène PIK3CA. Depuis 2016, une équipe composée de chercheurs de l’Inserm, de l’AP-HP, d’Université de Paris, à l’Institut Necker-Enfants malades (Unité d’hypercroissance dysharmonieuse et anomalies vasculaires) et des services cliniques des Hospices civils de Lyon a démontré l’efficacité thérapeutique d’une molécule utilisée contre certains cancers, l’Alpelisib, pour traiter un groupe d’enfants et d’adultes présentant des formes sévères de ces maladies. Dans une nouvelle publication, l’équipe rapporte cette fois-ci une amélioration à la fois clinique, biologique et d’imagerie de formes sévères de deux nourrissons atteints de syndromes d’hypercroissance dysharmonieuse traités par Alpelisib. Il s’agit des premières données obtenues concernant le traitement par cette molécule de formes graves néonatales. Les résultats de ce suivi sur un an font l’objet d’une publication dans le Journal of Experimental Medicine (JEM).

Les syndromes d’hypercroissance dysharmonieuse sont des maladies génétiques rares caractérisées par une augmentation de la taille mais aussi du nombre de cellules dans le corps. Ils se manifestent par une asymétrie pouvant toucher n’importe quelle partie ou tissu du corps (graisse, vaisseaux, muscles, os…), y compris le cerveau. Dans 95 % des cas, la maladie est liée à une mutation, lors du développement embryonnaire, du gène PIK3CA, qui régule la prolifération et la croissance des cellules.

Lorsque PIK3CA est trop activé, les parties du corps touchées par la mutation subissent une croissance excessive donnant lieu à des déformations physiques, plus ou moins invalidantes selon le nombre de tissus affectés. La chirurgie et d’autres formes de soins de support permettent d’atténuer certains symptômes, mais il n’existe actuellement aucun traitement médical approuvé pour traiter la maladie.

Dans de précédents travaux, l’Alpelisib, un médicament inhibiteur de PIK3CA récemment autorisé pour traiter certaines formes de cancer du sein[1], a montré des résultats prometteurs, d’abord dans des modèles animaux de syndrome d’hypercroissance, puis chez un petit nombre de patients adultes et enfants. Le médicament fait actuellement l’objet d’une série d’essais cliniques de plus grande envergure mais, jusqu’à présent, il n’existait aucune donnée sur son efficacité chez les nourrissons.

Dans cette nouvelle étude, une équipe de chercheurs de l’Inserm, de l’AP-HP et d’Université de Paris, coordonnée par le professeur Guillaume Canaud, rapporte les résultats encourageants du traitement par Alpelisib administré sur une durée d’un an à deux nourrissons – une fille de 8 mois et un garçon de 9 mois au début du traitement – présentant une variété de symptômes sévères causés par des mutations du gène PIK3CA. Ces symptômes comprenaient des malformations extrêmes des vaisseaux sanguins, une anémie, une croissance excessive asymétrique des membres et des doigts, ainsi que, dans le cas du garçon, une croissance excessive d’un hémisphère cérébral (hémimégalencéphalie) associée à des crises d’épilepsie[2]. Avant le début du traitement, le pronostic vital de la fille était engagé, et le garçon présentait un pronostic neurologique grave, ne répondant pas aux antiépileptiques classiques.

Une bonne tolérance au traitement

Des doses orales quotidiennes de 25 mg d’Alpelisib ont induit chez les deux nourrissons une amélioration clinique rapide et significative des symptômes. Ainsi, 12 mois de traitement ont permis de faire cesser les spasmes épileptiques du garçon et de réduire le nombre de malformations vasculaires de la fille. La diminution considérable du volume de sa jambe droite lui a permis de se tenir debout et de réussir à marcher avec de l’aide. L’anémie s’est corrigée chez les deux enfants dans les suites de l’introduction du traitement.

Les deux enfants présentaient une cassure de leurs courbes de croissance staturo-pondérale (lorsque le poids ou la taille sortent de la courbe indiquant la norme) qui s’est corrigée après introduction de l’Alpelisib. Il est important de noter qu’ils n’ont pas développé d’effets indésirables liés au traitement. Des analyses plus poussées ont révélé qu’à une dose quotidienne de 25 mg, les niveaux d’Alpelisib accumulés dans leur sang étaient beaucoup plus bas que les niveaux tolérés en toute sécurité par les adultes[3].

« Les résultats du traitement par Alpelisib de ces deux nourrissons sont encourageants car ils montrent une amélioration de l’ensemble des paramètres que ce soit cliniques, biologiques ou encore radiologiques. La grande efficacité observée est peut-être liée à l’introduction précoce de l’Alpelisib. En effet, les deux enfants étaient naïfs de toute chirurgie, or nous savons que les remaniements induits par un geste chirurgical peuvent modifier la bonne pénétration de l’Alpelisib dans les tissus. Par ailleurs, il est très probable que la plasticité des tissus à cet âge permette une meilleure efficacité du traitement, explique le professeur Guillaume Canaud, coordinateur de l’étude. Ces résultats doivent toutefois être interprétés avec prudence et devront être confirmés dans le temps et par le biais de nouveaux suivis », nuance-t-il.

Ce traitement par Alpelisib des syndromes d’hypercroissance continue de faire l’objet d’essais cliniques parmi une population composée d’adultes mais aussi d’enfants à partir de 6 ans. Ces résultats encourageants permettent d’envisager une extension d’autorisations pour traiter en clinique les formes graves néonatales.

Le traitement par Alpelisib de ces nourrissons entre dans le cadre d’un protocole d’utilisation compassionnel d’un médicament, qui est une autorisation exceptionnelle délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé permettant de traiter des patients souffrant de maladies avec un pronostic grave et sans traitement approprié, dans une indication thérapeutique donnée.

 

[1] Le gène PIK3CA est fréquemment muté dans un certain nombre de cancers. Cette mutation serait retrouvée dans environ 40 % des cancers du sein.

[2] Le garçon était atteint d’un syndrome de West, aussi appelé spasmes infantiles, une forme rare d’épilepsie chez le nourrisson.

[3] Dans le cadre du traitement d’un cancer, la dose quotidienne d’Alpelisib administrée à un adulte est environ 15 fois plus élevée puisqu’elle est comprise entre 300 et 350 mg.

Drépanocytose et beta thalassémie-transfusion dépendante : résultats prometteurs d’un traitement par thérapie génique

Globules rouges en forme de faucille (drépanocytose)

Globules rouges en forme de faucille (drépanocytose) ©Inserm/Chevance de Boisfleury, Anne-Marie

Des équipes de l’AP-HP, d’Université de Paris, de l’Inserm, au sein de l’Institut Imagine, de l’Université Paris-Est Créteil et du CEA ont mené une étude clinique de thérapie génique consistant à transplanter chez le patient ses propres cellules souches hématopoïétiques1 génétiquement modifiées. Cet essai clinique de phase I/II, promu par bluebird bio, a été réalisé chez des patients atteints de drépanocytose ou de beta thalassémie dépendante des transfusions, des maladies génétiques fréquentes qui touchent les globules rouges. Les résultats de ces travaux, coordonnés par le Pr Marina Cavazzana et le Pr Philippe Leboulch, ont fait l’objet d’une publication le 24 janvier 2022 dans Nature Medicine.

Dans le cadre de l’essai clinique HGB-205 de phase I/II, quatre patients b-thalassémiques et trois patients drépanocytaires âgés de 13 à 21 ans ont été traités par thérapie génique lentivirale. Ils ont été suivis pendant une durée médiane de 4,5 ans après inclusion dans les protocoles spécifiques dédiés LTF-303 (pour les patients b-thalassémiques) et LFT-307 (pour les patients drépanocytaires).

Selon les résultats, les patients atteints de b-thalassémie sont tous devenus « transfusion indépendants », dès le premier mois après le traitement, avec une nette amélioration de la surcharge en fer et une correction des paramètres biologiques liés à l’anémie chronique.

Une rémission de toute la symptomatologie clinique2 et une correction des paramètres biologiques soutenues dans le temps ont été obtenues chez deux des trois patients drépanocytaires traités. Une réduction du rythme transfusionnel a été obtenue pour le troisième patient drépanocytaire.

L’ensemble de ces résultats est maintenu dans le temps avec plus de 4 ans et demi de suivi pour trois patients. Aucun effet adverse lié à l’utilisation du vecteur lentiviral thérapeutique n’a été observé.

Pour les patients atteints de b-thalassémie, les résultats rapportés à long terme montrent que la thérapie génique par addition des gènes est devenue une option curative potentiellement utilisable chez l’ensemble des patients qui ne disposent pas d’un donneur de cellules souches hématopoïétiques compatible.

Dans le cas de la drépanocytose, la correction des paramètres biologiques liés à l’anémie chronique de deux patients sur trois apporte la preuve du principe de son efficacité et ouvre la voie à l’introduction d’améliorations ultérieures dans le but d’obtenir le même résultat chez l’ensemble des patients drépanocytaires traités.

 

Drépanocytose et beta thalassémie dépendante des transfusions

La drépanocytose et la b-thalassémie dépendante des transfusions sont des maladies génétiques fréquentes. Elles constituent donc un problème important de santé publique. Ces deux anémies chroniques sont dues à des mutations du gène codant la chaîne beta (b) de l’hémoglobine adulte (HbA).

La b-thalassémie dépendante des transfusions se caractérise par une absence (b0) ou une forte réduction (b+) de la synthèse de chaînes b-globine, responsable d’une fabrication inefficace des globules rouges et d’une anémie hémolytique chronique et sévère, requérant des transfusions de globules rouges tout au long de la vie. L’accumulation de fer qui s’en suit peut provoquer la survenue d’une insuffisance cardiaque, de cirrhose, d’un cancer du foie et de multiples anomalies endocriniennes.

La drépanocytose résulte de la mutation d’un acide aminé en position 6 de la chaîne b-globine (mutation E6V), avec comme conséquence la polymérisation de l’hémoglobine drépanocytaire HbS (hemoglobine « sickle » en anglais) une fois les molécules d’oxygène (O2) délivrées. La polymérisation de l’HbS est à l’origine de crises vaso-occlusives douloureuses caractérisées par une obstruction locale de la circulation sanguine qui peuvent toucher tous les organes et d’une anémie hémolytique chronique3. La répétition des crises vaso-occlusives et l’atteinte vasculaire portent atteinte à plusieurs organes vitaux comme les poumons, les reins, le système nerveux central et le cœur, avec une diminution importante de la durée de vie moyenne des sujets atteints.

Comme pour la quasi-totalité des maladies génétiques du système hématopoïétique, la seule option curative consiste à greffer des cellules souches hématopoïétiques. Cette approche donne de très bons résultats cliniques et une faible mortalité lorsqu’un donneur de la fratrie HLA-compatible est disponible. Malheureusement, un pourcentage limité des patients peut bénéficier de ce traitement (<20%). Le recours à des donneurs partiellement compatibles limite grandement les chances de succès et comporte une morbidité à long terme significative, en particulier chez les patients les plus âgés.

 

Thérapie génique

La thérapie génique, grâce à la transplantation des cellules souches provenant du patient même, génétiquement modifiées, est une alternative prometteuse. Elle comporte de faibles risques de toxicité immunologique étant donné qu’aucun traitement immunosuppresseur n’est requis. Elle peut être mise en place pour chaque patient qui en a besoin, le patient étant son propre donneur.

La thérapie génique par addition des gènes est la première stratégie à avoir vu le jour dans cette indication en exploitant la capacité des vecteurs lentiviraux4 à transférer une information génétique complexe dans le génome de cellules souches hématopoïétiques sans que les cellules n’aient besoin d’effectuer une division cellulaire.

Le vecteur lentiviral utilisé dans cet essai clinique de phase I/II a été mis au point par l’équipe dirigée par le Pr Philippe Leboulch. Ce vecteur permet la synthèse d’une forme modifiée de la chaîne b-globine (bT87Q), modification génétique qui a un double intérêt: elle lui confère une propriété anti-polymérisante comparable à celle de la chaîne gamma (g) de l’hémoglobine fœtale (HbF) chez les patients drépanocytaires et permet son dosage spécifique dans le sang des patients traités. En effet la chaîne bT87Q-globine peut être distinguée des autres chaînes de globines par chromatographie liquide sous haute pression, en particulier de la chaîne b-globine issue de l’hémoglobines adulte (HbA), produite de manière endogène chez les patients b-thalassémiques porteurs de mutations b+ et présente dans les globules rouges transfusés.

 

1Les cellules souches hématopoïétiques sont nichées dans la moelle osseuse et sont à l’origine des différentes cellules du sang : les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes.

2L’ensemble de signes cliniques pathologiques qui caractérisent une maladie.

3Il s’agit d’une pathologie souvent héréditaire qui atteint les globules rouges avec, in fine, une réduction pathologique de leur nombre incompatible avec la vie et nécessitant des transfusions sanguines régulières dont la fréquence est dictée par le niveau d’Hémoglobine et les symptômes cliniques.

4Il s’agit des navettes d’informations génétiques dans le noyau des cellules dérivées du virus HIV-1 auquel on a enlevé les éléments génétiques qui lui permettent de se répliquer et de donner la maladie infectieuse dont il est responsable. Les éléments qui leur permettent de franchir la membrane nucléaire et de s’intégrer d’une façon stable dans le génome des cellules cibles ont en revanche été conservés.

Étude du traitement par thérapie génique dans le syndrome de Wiskott-Aldrich

ADN

ADN © Fotolia

 

Des équipes de l’AP-HP, d’Université de Paris, de l’Inserm, au sein de l’Institut Imagine, de l’University College of London, et de Généthon, ont mené des travaux sur le traitement par thérapie génique consistant à transplanter chez le patient ses propres cellules souches hématopoïétiques génétiquement modifiées dans le cadre d’un essai clinique de phase I/II, promu par Genethon, chez 8 patients atteints du syndrome de Wiskott-Aldrich (WAS). Les résultats de ces travaux, menés en parallèle à l’Hôpital Necker-Enfants malades AP-HP, au Great Ormond Street Hospital et au Royal Free Hospital à Londres et coordonnés par le Pr Marina Cavazzana, le Pr Adrian Thrasher et le Pr Emma Moris, ont fait l’objet d’une publication le 24 janvier 2022 dans Nature Medicine.

Le syndrome de Wiskott-Aldrich (WAS) est un déficit immunitaire complexe lié au chromosome –X et causé par des mutations du gène WAS qui code pour la protéine WAS (WASp). Cette protéine est clef dans la régulation de l’actine du cytosquelette1 dans les cellules hématopoïétiques.

Le défaut de cette protéine est responsable d’une thrombocytopénie à plaquettes de petite taille2 et d’une mauvaise fonction des globules blancs, spécialement des lymphocytes T, B, Natural killer et des cellules dendritiques.

Le phénotype clinique plus grave se caractérise par des infections sévères, saignements, eczéma et manifestations d’auto-immunité avec un risque important de développer des complications tumorales. La gravité de l’expression clinique est liée au niveau d’expression de la protéine WAS. Sans traitement curatif les patients ne survivent pas au-delà de la deuxième-troisième décade de vie.

Le traitement de choix est constitué par la greffe allogénique3 de cellules souches hématopoïétiques HLA-geno-identiques qui a de très bons résultats surtout si elle est réalisée précocement (<5 ans).

Le pronostic de la greffe allogénique dépend effectivement d’un certain nombre de paramètres en plus de l’âge du patient, dont le degré de compatibilité HLA entre donneur et receveur et le niveau de prise hématopoïétique.

En l’absence d’un donneur HLA–compatible, les équipes de recherche ont proposé un traitement par thérapie génique qui consiste à prélever chez les malades des cellules souches sanguines porteuses de l’anomalie génétique (cellules souches hématopoïétiques CD34+), puis à les corriger au laboratoire en introduisant le gène WAS sain grâce à un vecteur lentiviral développé par l’équipe d’Anne Galy, à Généthon où ont également été produits les lots cliniques de vecteurs. Les cellules corrigées sont ensuite injectées aux malades, au préalable traités par chimiothérapie afin d’éliminer les cellules malades et faire place aux cellules autologues corrigées in vitro qui vont alors donner naissance aux diverses cellules qui composent le sang (globules blancs et rouges, plaquettes).

Dans l’article qui vient d’être publié dans Nature Médicine, les résultats cliniques et biologiques à long terme (suivi médian de 7,6 ans) de l’essai de phase I/II chez 8 patients atteints de WAS sont décrits avec une attention particulière portée à deux complications graves de cette maladie : la thrombocytopénie et l’auto-immunité. Il est à souligner que tous les patients inclus dans cet essai présentaient la forme plus sévère de ce déficit immunitaire et n’étaient pas éligibles à une greffe de moelle osseuse allogénique.

Après , les cellules hématopoïétiques génétiquement corrigées ont montré une greffe stabilisée, confirmant ainsi les premiers résultats rapportés dans JAMA il y a quelques années pour 6 d’entre eux.

La stabilité des cellules souches génétiquement modifiées greffées a permis de corriger les principaux symptômes de la maladie comme les infections sévères récurrentes ou l’eczéma et a permis d’améliorer ou de résoudre les hémorragies et les signes d’auto-immunité. La fonction des lymphocytes T a été complètement restaurée comme cela est démontré par le nombre total de lymphocytes T naïfs, la restauration de la synapse immunologique ainsi que des fonctions de ces cellules indispensables pour combattre les infections.

Aucun effet adverse lié à l’utilisation d’un vecteur rétroviral n’a été rapporté ni une absence de stabilité de la greffe de cellules génétiquement modifiées.

L’analyse de sites d’intégration lentivirale révèle un profil polyclonal sans aucune expansion clonale ou intégration dangereuse du vecteur (risque de transformation néoplasique). En effet, grâce aux vecteurs lentiviraux, la nouvelle information génétique est introduite d’une façon stable et aléatoire dans le génome du patient. La capacité à séquencer le génome entier permet de suivre exactement les sites d’intégration du nouveau matériel génétique et de s’assurer de leur innocuité au regard des fonctions physiologiques de la cellule cible. Ce séquençage a permis de valider à long terme la sécurité de ces vecteurs rétroviraux car aucune perturbation génétique n’a été observée.

A noter : un patient âgé de 30 ans a été traité dans cet essai montrant ainsi l’efficacité de ce traitement chez des patients adultes avec un thymus qu’on pouvait penser peu ou pas fonctionnel après des longues années de maladie. De même une correction complète du compartiment lymphocytaire B a été obtenu, ce qui a permis d’arrêter la substitution d’immunoglobuline chez 5 patients traités et de voir une diminution significative voire une disparition des signes d’auto-immunité.

Tous les patients traités ont vu leurs épisodes de saignements spontanés diminuer d’une façon significative en fréquence et sévérité même si pour 5 patients, le nombre des plaquettes reste au-dessous des valeurs normales.

Au total, la thérapie génique par addition des gènes confirme son intérêt thérapeutique pour un déficit complexe de l’immunité cellulaire tel que le syndrome de Wiskott Aldrich. De nouvelles études sont en cours pour essayer de continuer à optimiser ces résultats cliniques à long terme. 

 

1Il s’agit d’une protéine de la membrane cellulaire dont l’activité de contraction et relâchement permet à chaque cellule sanguine de bien faire son travail comme les déplacements d’un endroit à l’autre ou d’éliminer une cellule « malade » dans le cas des cellules tueuses.

2Il s’agit de la diminution pathologique du nombre de plaquettes qui en plus ont une taille diminuée par rapport à la valeur physiologique.

3Le terme allogénique fait référence aux cellules, tissus ou organes prélevés chez un donneur sain pour être greffés à un receveur qui est fortement, mais non entièrement, compatible avec le donneur sur le plan génétique.

Nouvelles anomalies cérébrales associées à la maltraitance infantile

Immunomarquage de neurones à parvalbumine en vert entourés par des filets perineuronaux en rouge dans le cortex préfrontal humain. © Arnaud Tanti/Inserm

En collaboration avec une équipe canadienne, des scientifiques de l’Inserm et de l’Université de Tours, au sein de l’unité 1253 Imagerie & Cerveau[1], ont montré sur des échantillons cérébraux post-mortem que les victimes de maltraitance infantile présentent des caractéristiques cérébrales particulières. Les équipes ont ainsi mis en évidence pour la première fois chez l’Homme, une augmentation du nombre et une maturation plus importante des filets perineuronaux, des structures protéiques denses entourant les neurones. Chez l’animal, ce phénomène régule la plasticité du cerveau en freinant le remodelage des réseaux neuronaux. Ce travail suggère que la maltraitance pourrait modifier durablement les trajectoires développementales de certaines régions cérébrales avec des effets potentiels sur la santé psychologique. L’étude est publiée dans le journal Molecular Psychiatry.

La maltraitance infantile a des effets sur le développement psychologique avec notamment un risque accru de dépression et de suicide au cours de la vie. Violences sexuelles, physiques ou encore négligence chronique pendant l’enfance ou l’adolescence sont suspectées d’entrainer des modifications structurelles et fonctionnelles durables sur le cerveau. C’est en effet au cours de ces périodes que les traits de personnalité, les modèles d’attachement, les fonctions cognitives et les réponses émotionnelles sont façonnés par ce que nous vivons, y compris les traumatismes.

Pour mieux comprendre les modifications neurobiologiques associées à la maltraitance infantile, des chercheurs et chercheuses de l’Inserm et de l’université de Tours, en collaboration avec l’université McGill University – Douglas Mental Health University Institute, à Montréal au Canada, se sont intéressés au cortex préfrontal ventromédian, une région cérébrale régulant les réponses émotionnelles. Ils ont tout particulièrement étudié les « filets périneuronaux », des structures particulièrement compactes et denses qui encerclent certains neurones, en particulier ceux à parvalbumine, dont l’action inhibitrice participe au contrôle de l’activité de larges ensembles de neurones.

Les filets périneuronaux apparaissent au cours de la petite enfance et se développent jusqu’à la fin de l’adolescence, augmentant en taille et en nombre. Chez l’animal, leur développement est une étape importante de la maturation cérébrale. Leur apparition marque en effet la fermeture de « périodes critiques » de plasticité pendant lesquelles le développement de la circuiterie neuronale peut être facilement modifiée par les expériences.

Les chercheurs estiment que ces filets périneuronaux pourraient jouer un rôle en cas de traumatisme pendant l’enfance, en figeant les réseaux neuronaux associés à ces souvenirs, prédisposant à des troubles dépressifs ou comportementaux par la suite.

Des filets périneuronaux plus denses

Pour étudier ces structures, les chercheurs ont analysé des coupes de cerveau post-mortem d’adultes (issus de dons de cerveau sur accord des familles), qui s’étaient suicidés au cours d’un épisode de dépression majeure. Sur les 28 sujets concernés, 12 sujets avaient eu une histoire lourde de maltraitance infantile. Ces coupes ont par ailleurs été comparées avec celles de sujets contrôles, décédés de mort naturelle et sans antécédent de maltraitance ou de maladie psychiatrique. Différents types d’analyses ont abouti à plusieurs observations.

Tout d’abord, chez les sujets maltraités au cours de l’enfance, les filets périneuronaux étaient plus denses et plus nombreux que ceux des autres individus. Ils présentaient en outre des caractéristiques de maturation plus importante, notamment un développement structurel accru autour des neurones à parvalbumine Enfin, les chercheurs ont montré que les cellules qui produisent les principales protéines qui composent les filets périneuronaux sont les progéniteurs d’oligodendrocytes, des cellules présentes partout dans le cerveau.

Les chercheurs vont maintenant préciser chez la souris, les conséquences de ces observations, notamment sur la persistance des souvenirs traumatiques liés à l’adversité précoce.

« Ces observations renforcent l’hypothèse d’une corrélation entre stress précoce et développement accru des filets périneuronaux. Reste à découvrir s’il existe un lien causal, c’est-à-dire si ces changements contribuent au développement de comportements associés à la maltraitance et de quelle façon. On pourrait peut-être à plus long terme envisager de manipuler les filets périneuronaux pour permettre de restaurer une certaine plasticité et réduire l’impact du traumatisme et le risque psychiatrique par la suite », explique Arnaud Tanti, chercheur Inserm et premier auteur de ces travaux.

 

[1] UMR 1253, iBrain, Inserm, Université de Tours

Les cyclistes et piétons inhaleraient plus de particules produites par le trafic routier que les usagers de transports motorisés

pollution transports

Pour une même période de 30 minutes, les usagers de différents types de transports lorsqu’ils se déplacent inhalent plus de 2 fois la dose de carbone suie qu’ils inhalent lorsqu’ils sont à un lieu (résidence, travail, autre). © Unsplash

Les mesures d’exposition individuelle à la pollution, qui se font en général au lieu de résidence, ignorent deux paramètres majeurs : l’exposition beaucoup plus importante lors des trajets et les variations des volumes d’air, et par conséquent de la quantité de polluants aériens, inhalés en fonction de l’activité physique des personnes lors de leurs déplacements. Une équipe de scientifiques encadrée par Basile Chaix, directeur de recherche Inserm, au sein de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université), s’est intéressée à l’impact de ces paramètres dans l’exposition au carbone suie, un polluant aérien produit par le trafic routier. Dans des travaux publiés dans Environment International, l’équipe de recherche compare différents modes de transports et montre que, bien que la marche à pied et le vélo exposent l’usager à une concentration en carbone suie très inférieure à celle des transports motorisés (en commun ou privatifs), l’augmentation de la ventilation due à l’activité physique entraîne l’inhalation de quantités plus importantes de ce polluant.

Le carbone suie est considéré comme un des meilleurs marqueurs du trafic routier. Il est notamment généré par la combustion incomplète des carburants fossiles et d’autres molécules produites par le trafic routier. Des études précédentes ont montré que l’exposition au carbone suie peut provoquer des maladies respiratoires chroniques, des atteintes neurologiques et des maladies cardiovasculaires.

En général, l’exposition individuelle aux polluants aériens est définie par la quantité de ces polluants dans l’air estimée ou mesurée au lieu de résidence. Cependant, cette méthode met de côté les importantes variations d’exposition liées aux déplacements et aux activités. Or, celles-ci sont responsables d’une partie importante de l’exposition quotidienne aux polluants aériens.

Un certain nombre d’études épidémiologiques ont suggéré que les usagers de véhicules motorisés (privatifs ou transports en commun) seraient davantage exposés à la pollution de l’air que les usagers de transports dits « actifs », même si les cyclistes circulent en proximité du trafic routier. Cependant, ces études ne prennent pas en compte le rôle de la ventilation minute (débit correspondant au volume pulmonaire mobilisé en 1 minute par la respiration) qui est propre à chacun et varie très largement en fonction de l’activité réalisée lors des activités, et qui a donc un effet sur la dose de polluants inhalée par chaque individu.

Le doctorant Sanjeev Bista et le directeur de recherche Inserm Basile Chaix, au sein de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université), ont donc cherché à quantifier les concentrations de carbone suie auxquelles sont exposés les usagers de différents types de transports et les quantités de ce polluant aérien inhalées durant leurs trajets quotidiens. Les données ont été collectées dans la métropole du Grand Paris entre 2018 et 2020 dans le cadre de l’étude MobiliSense financée par le Conseil européen de la recherche.

L’équipe de recherche a suivi 283 participants pendant 6 jours chacun. Pendant leurs trajets (localisations collectées par GPS) et entre deux trajets (lorsqu’ils se trouvaient à leur lieu d’habitation ou au travail par exemple), un capteur porté en bandoulière à l’épaule par chaque participant a permis de mesurer la concentration aérienne de carbone suie au niveau de leur zone de respiration (à proximité du nez et de la bouche). Les trajets ont été segmentés en fonction des différents modes de transport utilisés au cours d’un déplacement ; au final ce sont presque 7 500 segments de déplacements qui ont été analysés. En prenant en compte la ventilation minute de chaque personne dans chaque segment de déplacement (estimée au moyen d’un accéléromètre mesurant l’activité physique), la dose de carbone suie inhalée par les participants lors de chaque trajet a pu ainsi être quantifiée.

Les résultats des analyses montrent que pour une même période de 30 minutes, les participants lorsqu’ils se déplacent inhalent plus de 2 fois la dose de carbone suie qu’ils inhalent lorsqu’ils sont à un lieu (résidence, travail, autre).

Par ailleurs, les modes de transport dits « actifs » sont associés à une concentration moyenne en carbone suie dans la zone de respiration plus basse que les transports motorisés (avec une exposition encore plus faible pour la marche que pour le vélo). Par rapport à la marche, cela représente +2,20 μg de carbone suie par m3 d’air en moyenne dans les transports publics avec un maximum de +3,08 μg/m3 dans le métro – soit presque 2 fois plus que lors des transports actifs – et +2,29 μg/m3 dans les véhicules motorisés privatifs.

Cependant, le classement des modes par rapport à l’exposition se trouve largement inversé lorsque l’on considère la dose réellement inhalée au lieu de la concentration mesurée dans la zone de respiration. Le vélo est associé à l’inhalation de carbone suie la plus élevée (+0,41 µg pour 30 minutes de trajet par rapport à la marche), alors que d’autres modes de transport en commun (à l’exception du métro toutefois) impliquent une inhalation moindre de carbone suie (par exemple -0,94 µg pour le tramway pour 30 minutes de trajet comparé à la marche). De même, l’utilisation d’un véhicule motorisé privatif est associé à une inhalation moindre de carbone suie, alors que ce mode est associé à une concentration plus importante comparée à la marche.

Ainsi, bien que moins exposés en termes de concentrations de carbone suie que les usagers des transports motorisés, les piétons et cyclistes inhalent davantage de ce polluant pour un temps de trajet équivalent.

« Le fait que la quantité de carbone suie inhalée soit plus importante dans les modes de transport actifs alors que l’usager y est exposé à une concentration aérienne inférieure à un usager de transports motorisés s’explique par une ventilation minute beaucoup plus importante lorsque l’on utilise les transports actifs », précise Basile Chaix. En effet, le volume d’air absorbé augmente avec l’intensité de l’activité physique. Les variations de cette dernière d’un mode de transport à un autre ont par conséquent un impact déterminant sur la quantité de polluants inhalés. Ainsi, si les cyclistes inhalent plus de carbone suie, c’est parce que le vélo combine une activité physique et une proximité au trafic routier plus importantes que la marche.

« Il est toutefois important de préciser que l’inhalation de polluants aériens ne constitue qu’un élément du tableau des bénéfices et des risques associés aux différents modes de transport, et qu’il faut également considérer les autres pièces du puzzle que sont l’exposition au bruit, le stress dans les transports et l’activité physique réalisée, pour laquelle la pratique de la marche et du vélo est largement recommandée » conclue le chercheur. Les études à venir de l’équipe vont explorer la réponse physiologique des participants de l’étude, en termes de pression artérielle et de fonction pulmonaire, aux polluants aériens dans les microenvironnements de transport.

Un récepteur synaptique impliqué dans l’émergence de croyances aberrantes


Dans le système nerveux, une synapse est une structure qui permet à un neurone (ou cellule nerveuse) de transmettre un signal électrique ou chimique à un autre neurone. © National Institute on Aging, NIH. flickr.com

Pourquoi sommes-nous parfois enclins à croire à l’improbable envers et contre tout ? Une étude menée par une équipe de neuroscientifiques et de médecins psychiatres de l’Hôpital Sainte-Anne et d’Université de Paris, ainsi que de l’École Normale Supérieure – PSL et de l’Inserm pointe vers un récepteur synaptique spécifique. Son blocage induit des décisions prématurées et aberrantes, ainsi que des symptômes ressemblant à ceux rapportés dans les stades précoces de psychose. Les résultats viennent d’être publiés dans Nature Communications.

Lorsque le monde qui nous entoure devient imprévisible et incertain, nous devenons plus prompt à croire à l’improbable  – comme des théories complotistes  pendant une pandémie.  Ce type de réaction à l’incertitude s’observe de façon exacerbée pendant les stades précoces de psychose : un  sentiment  d’étrangeté général  précède  l’émergence  de  croyances  délirantes.  Ces  stades précoces de psychose sont difficiles à étudier, car les patients n’accèdent aux soins que lorsque les croyances délirantes sont déjà installées.

L’équipe, dirigée par Valentin Wyart, directeur de recherche Inserm au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles (Inserm/ENS-PSL) et par le professeur Raphaël Gaillard d’Université de Paris à l’Hôpital Sainte-Anne-GHU Paris, a étudié le rôle d’un récepteur synaptique spécifique appelé NMDA (N-méthyl-D-aspartate) dans l’émergence de ces croyances aberrantes. Dans le cerveau, les récepteurs synaptiques régulent la communication au niveau des synapses, les zones de contact entre neurones. Les chercheurs ne se sont pas intéressés à ce récepteur par hasard. En effet, les encéphalites provoquées par une réaction auto-immune contre le récepteur NMDA sont connues pour donner lieu à des symptômes psychotiques.

Pour comprendre si une anomalie de ce récepteur favorise l’émergence de croyances aberrantes, l’équipe a demandé à un groupe de volontaires sains de prendre des décisions sur la base d’informations visuelles incertaines tout en se voyant administré par intraveineuse une très faible dose de kétamine, une molécule qui vient bloquer de façon temporaire le récepteur NMDA.

En comparant les effets de la kétamine à ceux d’un placebo sur le comportement et l’activité cérébrale des volontaires testés, les chercheurs ont observé que l’administration de kétamine produit non seulement un sentiment d’incertitude élevé, mais aussi des décisions prématurées.

« Un blocage du récepteur NMDA déstabilise la prise de décision, en favorisant les informations qui confirment nos opinions au détriment des informations qui les invalident », explique Valentin Wyart. « C’est  ce  biais  de raisonnement  qui  produit  des décisions prématurées et souvent erronées ». C’est ce type de biais qui est notamment reproché aux réseaux sociaux qui proposent aux utilisateurs une sélection d’informations en fonction de leurs opinions.

L’équipe est allée plus loin en montrant  que ce biais de raisonnement vient compenser le sentiment d’incertitude élevé ressenti sous kétamine. « Ce résultat suggère que les décisions prématurées que nous observons ne sont pas la conséquence d’une confiance exagérée », poursuit Valentin Wyart. « Au contraire, ces décisions semblent résulter d’une incertitude élevée, et provoquer l’émergence d’idées pourtant très improbables, qui se renforcent d’elles-mêmes sans pouvoir être invalidées par des informations extérieures. »

Ces résultats ouvrent de nouvelles pistes de réflexion pour la prise en charge de patients atteints de psychose. « Nos traitements agissent sur les idées délirantes, mais agissent peu sur ce qui les induit », précise Raphaël Gaillard. « Des  essais  cliniques  devraient  donc  être  menés  pour déterminer comment augmenter la tolérance des patients à l’incertitude dans les stades précoces de psychose. »

Des mesures qui payent pour lutter contre la pollution atmosphérique

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Épisode de pollution aux particules fines (« smog »)  à Grenoble, en 2016. © Rémy Slam

    • La pollution aux particules fines, qui touche une majorité de la population mondiale, est responsable de maladies respiratoires et cardiovasculaires, de décès prématurés, associés à un coût pour la société.
    • En s’appuyant sur le cas de Grenoble, une équipe de recherche pluridisciplinaire a construit différents scénarios permettant de diminuer de deux tiers la mortalité attribuable aux particules fines à l’échelle de l’agglomération, et a démontré que les bénéfices obtenus dépassent les coûts des mesures à mettre en place.

Diminuer de deux tiers la mortalité attribuable aux particules fines à l’échelle d’une agglomération peut se faire pour un coût bien inférieur aux bénéfices sociétaux et économiques. C’est ce que vient de démontrer une équipe pluridisciplinaire du CNRS, de l’Inserm, d’INRAE, de l’Université Grenoble Alpes (UGA) et d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes. L’étude identifie des politiques publiques concrètes pour atteindre un objectif sanitaire fixé par les élus, ainsi que les co-bénéfices attendus. Ces résultats sont publiés par Environment International le 15 janvier 2022.

Chaque année en France, la pollution aux particules fines (celles ayant un diamètre inférieur à 2,5 microns1) entraîne la mort prématurée d’environ 40 000 personnes. Le coût associé est estimé à 100 milliards d’euros annuels2. Or, les politiques publiques de lutte contre la pollution atmosphérique sont généralement mises en place sans évaluer au préalable leur futur impact sanitaire ou économique.

Le projet MobilAir comble cette lacune en identifiant des mesures concrètes qui permettraient de répondre aux objectifs sanitaires fixés par les décideurs de l’agglomération grenobloise. À savoir : une réduction de 67 % du taux de mortalité associé aux particules fines entre 2016 et 2030. Plusieurs pistes ont ainsi fait l’objet d’une analyse coûts-bénéfices dans le cadre d‘une collaboration entre le Laboratoire d’économie appliquée de Grenoble (CNRS/INRAE/UGA), l’Institut pour l’avancée des biosciences (Inserm/CNRS/UGA), le Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux (AgroSup Dijon/INRAE) et Atmo Auvergne-Rhône-Alpes.

L’équipe a ciblé les deux secteurs locaux les plus émetteurs de particules fines : le chauffage au bois et les transports. Elle démontre que l’objectif sanitaire peut être atteint en combinant deux mesures : le remplacement de tous les équipements de chauffage au bois non performants par des poêles à granulés récents, et la réduction de 36 % du trafic des véhicules personnels au sein de l’agglomération. Concrètement, ces démarches devront s’accompagner d’aides financières aux ménages, du développement d’infrastructures (transports en commun et/ou pistes cyclables, etc.) et de programmes de sensibilisation très ciblés.

La mise en œuvre réussie de ces mesures entraînerait des bénéfices sanitaires en cascade, qui dépassent le gain sanitaire directement associé aux particules fines. En effet, elles favorisent l’activité physique, réduisent le bruit dans la ville et les émissions de gaz à effet de serre.

Les scénarios avec le plus fort développement des modes actifs (marche et vélo) conduisent alors à un bénéfice net de 8,7 milliards d’euros sur la période 2016-2045, soit un gain annuel de 629 € par habitant de la métropole3.

Il s’agit ici de la première étude en France démontrant que les bénéfices sociétaux associés à des mesures d’amélioration de la qualité de l’air sont supérieurs au coût de ces mêmes mesures. Les décideurs disposent ainsi de pistes scientifiquement validées pour améliorer significativement la santé à l’échelle de l’agglomération 

Ces travaux ont été financés par l’Idex de l’Université Grenoble Alpes et l’ADEME.

 

1 Plus de 30 fois plus fines qu’un cheveu.

2 Source : rapport du Sénat, 2015. Dans une précédente étude (Morelli et al., 2019), l’équipe a évalué le coût sanitaire annuel pour l’agglomération de Grenoble à 495 millions d’euros et 145 décès prématurés.

3 Ce gain est calculé en faisant la différence entre les bénéfices sanitaires des mesures (qu’ils soient tangibles, comme la baisse des frais médicaux et des congés maladies, ou intangibles, tels que la perte de qualité de vie ou la mortalité) et les investissements et coûts, privés et pour la collectivité, associés à ces mesures. Dit autrement : selon les scénarios, chaque euro investi par la collectivité génèrerait entre 1,1 et 4,7 euros de bénéfice sociétal.

Identification d’une nouvelle cible thérapeutique du myélome multiple

Cellules de myélome multiple © KGH, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

Le myélome multiple est un cancer de la moelle osseuse pour lequel l’espérance de vie, suite au diagnostic, est de 5 ans en moyenne. Les traitements de référence, les inhibiteurs du protéasome, sont généralement très efficaces pour traiter les cancers nouvellement diagnostiqués, mais des résistances ou des intolérances à ces molécules se développent inéluctablement, entraînant des rechutes. Des chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’Inserm ont découvert lors de recherches sur une maladie tropicale négligée[1], l’ulcère de Buruli, une nouvelle cible thérapeutique du myélome multiple qui pourrait permettre de contourner ces résistances. Les résultats de cette étude ont été publiés dans la revue EMBO Molecular Medicine, le 11 janvier 2022.

Le myélome multiple est un cancer causé par la prolifération anormale des plasmocytes, les globules blancs responsables de la production d’anticorps, dans la moelle osseuse. Des scientifiques de l’Institut Pasteur et de l’Inserm, en collaboration avec l’Université de Paris et l’hôpital Saint Louis (AP-HP) décrivent un nouveau mécanisme permettant de tuer efficacement et sélectivement ces cellules cancéreuses.

C’est en travaillant sur une toute autre maladie, l’ulcère de Buruli, que les chercheurs de l’unité Immunobiologie de l’infection à l’Institut Pasteur ont fait cette découverte. Cette maladie tropicale négligée, causée par une bactérie (Mycobacterium ulcerans), provoque des nécroses cutanées parfois importantes et irréversibles. Ces lésions sont dues à la production par les bactéries d’une toxine appelée « mycolactone ». En 2017, cette même équipe a élucidé comment la production bactérienne de mycolactone dans la peau infectée entraîne les manifestations cliniques de l’ulcère de Buruli. Elle a découvert que la mycolactone agit en ciblant le translocon (Sec61).

Le translocon est un canal ancré dans la paroi d’un compartiment cellulaire appelé le réticulum endoplasmique qui joue un rôle crucial dans la synthèse d’un sous-groupe de protéines : celles qui sont destinées à être sécrétées. Le translocon permet le transport de ces protéines dans le réticulum endoplasmique et est un passage obligé vers la voie de sécrétion. En bloquant Sec61, la mycolactone retient ces protéines à l’intérieur de la cellule et entraîne leur dégradation par le protéasome, ce qui génère un stress qui peut évoluer vers un processus de mort programmée.

Grâce à des modèles murins et des tumeurs issues de biopsies de patients, les chercheurs ont démontré que la mycolactone était hautement toxique pour les plasmocytes du myélome multiple, y compris ceux devenus résistants aux inhibiteurs du protéasome, et ceci à doses non toxiques pour les autres cellules du corps. De plus, ils ont montré que la mycolactone et les inhibiteurs du protéasome avaient un effet synergique, potentialisant leurs effets anti-cancéreux respectifs.

« Cette étude apporte la preuve de concept que le translocon est une nouvelle cible thérapeutique du myélome multiple. La prochaine étape consistera à identifier des molécules médicamenteuses inhibant Sec61, qui pourraient constituer un nouveau traitement de ce cancer. Par ailleurs, nous allons étudier si cette cible pourrait être commune à d’autres cancers. » explique Caroline Demangel, responsable de l’unité Immunobiologie de l’infection à l’Institut Pasteur.

 

[1] Définition de l’OMS : Les maladies tropicales négligées (MTN) sont un ensemble diversifié de 20 maladies et groupes de maladies avec un unique point commun : leur impact sur les communautés appauvries. Ensemble, ils touchent plus d’un milliard de personnes avec des conséquences dévastatrices sur la santé, le social et l’économie.

La consommation de cannabis dès l’adolescence serait associée à un risque plus élevé de chômage à l’âge adulte

cannabis

Parmi les 17,1 millions de jeunes Européens ayant déclaré avoir consommé du cannabis au cours de l’année précédente, 10 millions étaient âgés de 15 à 24 ans. © Unsplash

 

La France compte l’un des plus hauts niveaux de consommation de cannabis au monde, près de 40 % des jeunes de 17 ans indiquant une consommation au cours de l’année écoulée. Alors que de précédentes études avaient mis en lumière l’existence d’une éventuelle relation causale entre l’initiation précoce de la consommation de cannabis pendant l’adolescence et le niveau d’étude atteint plus tard, des chercheuses et chercheurs de l’Inserm et Sorbonne Université à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique se sont penchés sur l’impact de cette expérimentation précoce sur la situation de l’emploi à l’âge adulte. Les résultats de l’étude indiquent que les personnes ayant consommé du cannabis seraient plus susceptibles de connaître une période de chômage par la suite, surtout si l’initiation à cette drogue a eu lieu avant l’âge de 16 ans. Les résultats, qui portent sur le suivi de 1 500 personnes sur neuf ans, sont publiés dans la revue Drug and Alcohol Dependence.

Parmi les 17,1 millions de jeunes Européens (âgés de 15 à 34 ans) ayant déclaré avoir consommé du cannabis au cours de l’année précédente, 10 millions d’entre eux étaient âgés de 15 à 24 ans[1]. Des données de recherches en neurosciences montrant des lésions spécifiques chez les adolescents consommateurs soutiennent l’idée qu’il existerait un effet négatif direct de la consommation de cannabis sur la concentration, la motivation, et à terme la réussite scolaire des jeunes.

Des chercheuses et chercheurs de l’Inserm et de Sorbonne Université se sont désormais intéressés à l’âge de début de la consommation de cannabis et à son impact sur l’insertion professionnelle future des jeunes. Grâce à des données collectées via la cohorte Tempo[2], ils ont identifié une association entre expérimentation précoce de la drogue (avant 16 ans) et difficultés d’insertion professionnelle à l’âge adulte.

L’analyse a porté plus précisément sur un échantillon de 1 487 jeunes adultes qui ont été suivis sur une période de neuf ans, entre 2009 et 2018[3]. À quatre reprises au cours de cette période, les participants ont été interrogés sur l’âge de leur première consommation de cannabis et leur statut professionnel. D’autres éléments ont également été pris en compte pour éviter de biaiser l’analyse, comme le niveau socio-économique, la situation familiale, les difficultés scolaires rencontrées au cours de l’enfance et de l’adolescence ainsi que l’évaluation psychologique des participants.

Les résultats suggèrent que les personnes qui ont déclaré avoir initié leur consommation de cannabis à l’âge de 16 ans ou avant auraient environ deux fois plus de chances de vivre une période de chômage à l’âge adulte[4] que celles n’ayant jamais consommé de cannabis.

Tandis que les consommateurs de cannabis ayant débuté leur consommation après l’âge de 16 ans auraient 39 % plus de chances de rencontrer une période de chômage à l’âge adulte que celles n’ayant jamais consommé cette drogue.

La consommation précoce : un marqueur de risque d’épisodes de chômage répétés

Les chercheurs se sont également intéressés à l’impact potentiel de la consommation précoce de cannabis sur le risque de connaître des épisodes de chômage répétés. Les personnes ayant initié leur consommation de cannabis à un âge précoce auraient trois fois plus de chances de connaître plusieurs épisodes de chômage que celles qui ont déclaré ne jamais avoir expérimenté le cannabis.

Toujours selon les résultats de cette étude, les expérimentateurs tardifs de cannabis (âgés de plus de 16 ans lors de leur première consommation de cannabis) auraient 51 % de chances supplémentaires de connaître une période de chômage au moins une fois par rapport à ceux n’ayant jamais consommé de cannabis et deux fois plus de chances de connaître des épisodes de chômage répétés.

Par ailleurs, en comparant les expérimentateurs précoces et tardifs de cannabis, les chercheurs ont constaté que la probabilité de connaître des épisodes de chômage répétés était 92 % plus élevée dans le groupe des consommateurs les plus jeunes, par rapport aux consommateurs âgés de plus de 16 ans au moment de leur initiation à la drogue.

« Ces résultats viennent s’ajouter à la littérature existante qui montre qu’en plus de la fréquence de la consommation de cannabis, l’âge de la première expérience du cannabis est associé à des conséquences néfastes non seulement sur la santé mais aussi sur la vie sociale et économique des individus. La consommation de cannabis avant l’âge de 16 ans peut donc être considérée comme un marqueur de risque de chômage. Reporter le plus tard possible les expérimentations de cannabis devrait être un objectif des politiques publiques », explique Maria Melchior, directrice de recherche Inserm et dernière auteure de l’étude.

En s’appuyant sur les données recueillies via la cohorte Tempo sur près de 30 ans, les chercheurs souhaitent désormais identifier les facteurs prédictifs des trajectoires de consommation du cannabis dans le temps. Une démarche d’autant plus importante que les usagers de cannabis ayant démarré au cours de l’adolescence sont de plus en plus nombreux à poursuivre cette consommation à l’âge adulte sans que les mécanismes sous-jacents ne soient bien connus.

 

[1] OEDT, 2017

[2] La cohorte Tempo est un projet de recherche sur la santé au long cours mis en place par des chercheurs en santé publique de l’Inserm.

[3] Les participants de l’étude étaient âgés de 22 à 35 ans au moment de leur inclusion en 2009.

[4] Ici cet âge adulte correspond à la tranche des 31-44 ans, les participants étant âgés de 22 à 35 ans au moment de leur inclusion en 2009.

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