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Communiqués et dossiers de presse

Écrans et développement cognitif de l’enfant : le temps d’exposition n’est pas le seul facteur à prendre en compte

13 Sep 2023 | Par INSERM (Salle de presse) | Santé publique

Enfant déjeunant en regardant l'écran d'un ordinateur portableDans quelle mesure l’exposition précoce ou excessive aux écrans influence-t-elle le développement cognitif de l’enfant ? © AdobeStock

Dans quelle mesure l’exposition précoce ou excessive aux écrans influence-t-elle le développement cognitif de l’enfant ? À l’heure actuelle, cette question divise les scientifiques. Une équipe de recherche dirigée par le chercheur Inserm Jonathan Bernard au sein du Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Inserm/INRAE/Université Paris Cité/Université Sorbonne Paris Nord) a travaillé sur les données de près de 14 000 enfants de la cohorte française Elfe[1] de leurs 2 ans à leurs 5 ans et demi. Si comme d’autres avant elle, cette nouvelle étude montre une relation négative entre le temps d’exposition et le développement, elle met aussi en évidence que cette relation n’est pas vraie pour tous les domaines de la cognition et qu’elle est beaucoup plus faible lorsque le cadre de vie familial est correctement pris en compte. Ses résultats confirment[2] également une relation négative non négligeable entre l’exposition à la télévision pendant les repas familiaux et le développement précoce du langage. Ces travaux, publiés dans The Journal of Child Psychology and Psychiatry, suggèrent que, si le temps d’écran a son importance, le contexte d’exposition compte également.

Face aux évolutions rapides des usages et à une place toujours plus importante des écrans dans le quotidien, une question continue de diviser les scientifiques : dans quelle mesure l’exposition trop précoce et/ou excessive aux écrans influence-t-elle le développement infantile ? Si le développement du langage a été au cœur d’une majorité d’études, d’autres domaines cognitifs ont été moins étudiés. Il en est de même pour l’influence que pourraient avoir le cadre familial ainsi que les activités quotidiennes de l’enfant.

L’équipe de recherche dirigée par le chercheur Inserm Jonathan Bernard au sein du Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Inserm/INRAE/Université Paris Cité/Université Sorbonne Paris Nord) a cherché à évaluer les associations entre utilisation d’écran et développement cognitif dans la petite enfance, en prenant en compte les facteurs liés au contexte social, périnatal, familial et aux habitudes de vie. Pour cela, elle s’est intéressée aux données de près de 14 000 enfants de la cohorte française Elfe, collectées de leurs 2 ans à leurs 5 ans et demi, entre 2013 et 2017.

Les parents ont rapporté le temps d’écran quotidien chez leur enfant à 2, 3,5 et 5,5 ans. Il leur a également été demandé de rapporter s’ils allumaient la télévision durant les repas en famille lors de la 2e année de l’enfant. De nombreux facteurs liés aux habitudes de vie et aux activités quotidiennes de l’enfant devaient également être précisés. Enfin, différents domaines cognitifs ont été évalués : développement du langage à 2 ans, raisonnement non verbal à 3,5 ans et développement cognitif global à 3,5 et 5,5 ans.

L’équipe de recherche a ainsi observé qu’aux âges de 3,5 et 5,5 ans, le temps d’exposition aux écrans était associé à de moins bons scores de développement cognitif global, en particulier dans les domaines de la motricité fine, du langage et de l’autonomie. Cependant, lorsque les facteurs relatifs au mode de vie et susceptibles d’influencer le développement cognitif étaient pris en compte dans les modèles statistiques, la relation négative se réduisait et devenait de faible magnitude.

Les résultats de l’étude montrent aussi que, indépendamment du temps d’exposition, avoir la télévision allumée pendant les repas en famille à l’âge de 2 ans (ce qui concernait 41 % des enfants) était associé à de moins bons scores de développement du langage au même âge. Ces enfants présentaient également un moins bon développement cognitif global à 3 ans et demi.

« Cela pourrait s’expliquer par le fait que la télévision, en captant l’attention des membres de la famille, interfère avec la qualité et la quantité des interactions entre les parents et l’enfant. Or, celle-ci est cruciale à cet âge pour l’acquisition du langage », explique Shuai Yang, doctorant et premier auteur de l’étude. Il poursuit : « De plus, la télévision ajoute un fond sonore qui, lorsqu’il se superpose aux discussions familiales, va rendre difficile le déchiffrage des sons pour l’enfant et limiter la compréhension et l’expression verbales. »

Ces résultats suggèrent ainsi que le temps d’écran n’est pas le seul facteur à prendre en compte : le contexte dans lequel a lieu l’utilisation de l’écran pourrait également représenter un facteur important. En outre, tous les domaines de cognition ne seraient pas touchés de façon similaire.

« Les premières années de vie sont décisives pour le développement cognitif, mais aussi dans la mise en place des habitudes de vie, ajoute Jonathan Bernard. Lorsqu’un enfant utilise un écran excessivement, il le fait au détriment d’autres activités ou interactions sociales essentielles pour son développement. »

La robustesse de cette étude tient à la fois au grand nombre de participants, mais également à la prise en compte de facteurs liés au profil social des familles et aux activités des enfants.

« Si nos résultats suggèrent que les effets délétères de l’utilisation des écrans dans la petite enfance présentent un faible impact sur le développement cognitif au niveau individuel et peuvent être compensés dans les années suivantes, ils justifient cependant de rester vigilants à l’échelle de la population. En santé publique, les petits ruisseaux font les grandes rivières », précise Jonathan Bernard.

Il ajoute que davantage d’études de long terme sont nécessaires pour évaluer l’impact cumulatif de ces effets de la petite enfance à l’adolescence. Les travaux de son équipe se poursuivent grâce au suivi des enfants de la cohorte Elfe pour chercher à répondre à ces questions.

 

[1]Elfe est la première étude longitudinale française d’envergure nationale consacrée au suivi des enfants de la naissance à l’âge adulte. Plus de 18 000 enfants nés en France métropolitaine en 2011 ont été inclus dans l’étude (soit 1 enfant sur 50 parmi les naissances de 2011). Depuis le premier contact avec les familles à la maternité, les parents participant sont régulièrement interrogés pour mieux comprendre comment l’environnement, l’entourage familial et les conditions de vie influencent le développement, la santé et la socialisation des enfants. L’étude Elfe mobilise environ 150 chercheurs appartenant à diverses disciplines scientifiques.

[2]Voir à ce sujet le communiqué du 8 juin 2021 : La télévision allumée pendant les repas associée à un plus faible développement du langage chez les jeunes enfants

Contacts
Contact Chercheur

Jonathan Bernard

Chercheur Inserm

Unité 1153 InsermI/INRAE/Université Paris Cité/Université Sorbonne Paris Nord, Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS)

Équipe de recherche sur les origines précoces de la santé

E-mail : rf.mresni@dranreb.nahtanoj

Contact Presse

rf.mresni@esserp

Sources

Associations of screen use with cognitive development in early childhood: the ELFE birth cohort

 

Shuai Yang1, MSc, Mélèa Saïd1, MSc, Hugo Peyre2,3,4, MD, PhD, Franck Ramus2, PhD, Marion Taine5, MD, PhD, Evelyn C. Law6,7,8, MD, PhD, Marie-Noëlle Dufourg9, MD, PhD, Barbara Heude1, PhD, Marie-Aline Charles1,9, MD, PhD, Jonathan Y. Bernard1,6, PhD

  1. Université Paris Cité and Université Sorbonne Paris Nord, Inserm, INRAE, Centre de Recherche en Épidémiologie et StatistiqueS (CRESS), F-75004 Paris, France;
  2. Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique (ENS, EHESS, CNRS), Ecole Normale Supérieure, PSL University, Paris, France;
  3. Université Paris-Saclay, UVSQ, Inserm, CESP, Team DevPsy, 94807 Villejuif, France.
  4. Centre de Ressources Autisme Languedoc-Roussillon et Centre d’Excellence sur l’Autisme et les Troubles Neuro-développementaux, CHU Montpellier, 39 Avenue Charles Flahault, 34295 Montpellier cedex 05, France
  5. EPI-PHARE (French National Agency for Medicines and Health Products Safety, ANSM; and French National Health Insurance, CNAM), Saint-Denis, France.
  6. Singapore Institute for Clinical Sciences (SICS), Agency for Science, Technology and Research (A*STAR), Singapore;
  7. Department of Paediatrics, Yong Loo Lin School of Medicine, National University of Singapore, 21 Lower Kent Ridge Road, Singapore, 119077, Singapore;
  8. Department of Paediatrics, Khoo Teck Puat-National University Children’s Medical Institute, National University Health System, 1E Kent Ridge Road, Singapore, 119228, Singapore.
  9. Unité mixte Inserm-Ined-EFS ELFE, Ined, F-93300, Aubervilliers, France.

 

The Journal of Child Psychology and Psychiatry : https://doi.org/10.1111/jcpp.13887

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