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Les infections fongiques, la nouvelle pandémie, vraiment ?

Spores fongiques et "tête aspergillaire" du champignon microscopique Aspergillus fumigatus en culture (grossissement x 400)
Spores fongiques et « tête aspergillaire » du champignon microscopique Aspergillus fumigatus en culture (grossissement x 400) © JP Gangneux/CHU de Rennes

Alors que les bactéries résistantes aux antibiotiques constituent un problème de santé publique toujours plus important, le corps médical et scientifique est aujourd’hui confronté à l’émergence d’une nouvelle menace infectieuse : celle des champignons résistants aux traitements antifongiques. Depuis quelques années, des épidémies dues à des champignons microscopiques ont émergé dans le monde, et la transmission de ces agents infectieux a été particulièrement visible lors de la pandémie de Covid-19, profitant de la promiscuité et des protocoles de soins dégradés causés par l’afflux massif de patients. Preuve que ce sujet est de plus en plus prégnant, l’Organisation mondiale de la santé a publié fin 2022 la toute première liste d’agents pathogènes fongiques prioritaires, répertoriant les dix-neuf champignons les plus menaçants pour la santé publique. L’objectif de cette liste est d’alerter et d’orienter les travaux de recherche et les politiques publiques sur ces pathogènes encore mal connus et peu étudiés[1].

Dans le même temps, la pop culture a vu revenir les infections fongiques sur le devant de la scène avec la sortie début 2023 de la première saison de la série post-apocalyptique The Last of Us, adaptée du jeu vidéo éponyme. Pourtant, le champignon responsable de la pandémie mis en scène ici ne fait pas partie de ceux considérés comme menaçants par l’OMS. Non, ce supposé pathogène qui transforme les personnes infectées en créatures cannibales est inspiré des champignons macromycètes[2] du genre Ophiocordyceps qui infectent certaines espèces d’insectes chez qui ils provoquent des comportements anormaux. La franchise The Last of Us propose une théorie intéressante : le réchauffement climatique aurait poussé ce champignon – qui habituellement prospère autour de 18 °C –, à s’adapter à des températures plus élevées. Il serait ainsi devenu capable de contaminer des espèces aux organismes plus chauds que les insectes, comme les mammifères et, par extension, les êtres humains.

Mais, au-delà de la fiction, cette théorie inquiétante est-elle scientifiquement crédible ? Peut-on envisager que le réchauffement climatique puisse a minima favoriser les infections fongiques, voire entraîner la mutation ou l’émergence d’une espèce de champignons susceptible d’altérer le comportement humain ? Les infections fongiques constituent-elles déjà la prochaine grande pandémie ? Canal Détox s’est penché sur ces questions.

 

Les personnes immunodéprimées et fortement médicalisées : une population à risque d’infections fongiques graves

Les champignons dont les spores sont capables d’infecter l’humain[3] peuvent causer des infections superficielles relativement simples à traiter, mais également des infections plus sévères, qui, à partir d’une infection locale, peuvent diffuser vers d’autres parties du corps par la circulation sanguine. Ces infections fongiques graves (dites « invasives et disséminées ») présentent un taux de mortalité élevé alors que le nombre d’antifongiques disponibles demeure limité.

Ces infections graves, responsables annuellement d’environ 1,6 million de décès dans le monde, touchent principalement des populations vulnérables de personnes immunodéprimées : patients bénéficiant d’une greffe d’organe ou de moelle osseuse, touchés par un cancer, par le sida ou atteints d’une maladie respiratoire chronique… Ces patients sont en outre fortement exposés au milieu hospitalier et à des soins et actes médicaux réguliers et parfois invasifs, pouvant favoriser les contaminations.

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, la situation des épidémies fongiques dans les hôpitaux, mais également dans la population générale, s’est brutalement aggravée : tandis que les infections courantes (comme les mycoses orales et vaginales) sont devenues plus résistantes aux traitements, les infections fongiques graves ont augmenté de manière significative chez les patients hospitalisés. Les chiffres étaient ainsi particulièrement alarmants pour les Covid sévères, avec une estimation de 10 à 20 % de patients sous assistance respiratoire touchés en réanimation et un risque de mortalité dépassant 60 %.

Plusieurs études se sont penchées sur cette période[4], soulignant que la pandémie de Covid-19 a présenté deux grandes caractéristiques particulièrement propices à la progression des infections fongiques en milieu hospitalier : les poumons des patients endommagés par le SARS-CoV-2 constituaient un environnement favorable à l’infection (notamment par les champignons du genre Aspergillus) ; l’immunodépression des patients, la réanimation et les traitements administrés au cours des Covid sévères ainsi que la saturation et la désorganisation du système de santé étaient également propices à diverses contaminations. Il n’est pas à exclure qu’une potentielle nouvelle pandémie recrée ces mêmes conditions à l’avenir.

 

Réchauffement climatique et Ophiocordyceps : le combo parfait pour une pandémie zombie ?

Selon des éléments récents rapportés par l’OMS, le réchauffement climatique et les échanges internationaux accrus seraient ensemble responsables de l’augmentation du nombre d’infections fongiques et de leur rayonnement géographique.

La virulence de certains pathogènes fongiques est fortement dépendante de leur tolérance au stress thermique ; ils ne peuvent pas causer de maladie chez les mammifères s’ils ne sont pas capables de supporter la température relativement élevée de leur organisme. Par exemple, début 2023, une équipe britannique a publié des travaux alertant sur l’accroissement du nombre d’infections graves causées par Cryptococcus neoformans sous l’influence du réchauffement climatique. Selon l’équipe de recherche, sous l’effet d’une augmentation de la température de son environnement, ce champignon particulièrement ravageur chez les malades du sida (presque 1 décès sur 5 au niveau mondial lui serait imputable) présenterait une intensification de mutations favorisant à la fois sa résistance à la chaleur et ses capacités infectieuses pour l’être humain. De même, Candida auris est l’exemple type d’une levure émergente, résistante aux antifongiques, transmise sur le mode épidémique, et probablement associée au réchauffement climatique.

Pour autant, est-il crédible d’anticiper une pandémie similaire à celle décrite dans la franchise d’anticipation The Last Of Us ? Sous l’effet du changement climatique, un champignon qui prospère à basse température est-il capable de s’adapter à la chaleur jusqu’à pouvoir contaminer notre espèce et atteindre son système nerveux, voire en prendre le contrôle pour se reproduire ?

La franchise met en scène un futur post-apocalyptique où un champignon appelé « Cordyceps » transforme les personnes infectées en créatures cannibales, mues par un seul objectif : la multiplication.

Ce champignon est inspiré des différentes espèces relatives au genre Ophiocordyceps qui sont des champignons macromycètes effectivement capables de parasiter des arthropodes (insectes, arachnides ou mille-pattes) et d’en altérer le comportement (par exemple hyperactivité et déplacements inhabituels ou encore propension à mordre dans une plante et à s’y accrocher jusqu’à la mort) afin de compléter leur propre cycle reproductif – au détriment de la vie de l’insecte qu’ils finissent par digérer de l’intérieur. Ce phénomène, couplé aux impressionnantes images, presque fantasmagoriques, montrant le champignon émerger progressivement de l’exosquelette de son hôte, est un vivier d’inspiration tout désigné pour une fiction horrifique. Cependant, aussi inquiétante que puisse paraître cette capacité, elle répond à des règles biologiques bien précises.

Tout d’abord, chaque espèce d’Ophiocordyceps est dite super-spécifique, c’est-à-dire qu’elle n’est capable de parasiter qu’une seule espèce bien précise d’arthropode. Les plus connus sont ceux surnommés zombie-ant fungi (champignons de la fourmi zombie), qui infectent chacun une espèce différente de fourmi, mais il existe plusieurs centaines d’espèces distinctes.

En 2020, des scientifiques ont pris en exemple deux espèces d’Ophiocordyceps, O. kimflemingiae et O. camponoti-floridani, et leurs deux espèces cibles de fourmis pour tenter de décrire le mécanisme moléculaire encore mal connu de cette interaction parasitaire. Un séquençage du génome des champignons et de leurs hôtes infectés, depuis la période de manipulation jusqu’après la mort, a permis de mettre en évidence chez les fourmis des modifications génétiques susceptibles d’impacter leurs fonctions neurologiques et, plus étonnant, des gènes fongiques relatifs à la sécrétion de molécules neurotoxiques. Ces altérations induites par le champignon et touchant le système nerveux de son hôte pourraient ainsi être responsables des modifications comportementales observées.

En outre, il semblerait que l’Ophiocordyceps ne soit pas le seul champignon impliqué dans cette « zombification » comme le montrent de récents travaux parus en 2022. Une équipe de recherche a ainsi découvert que O. camponoti-floridani est lui-même infecté par au moins deux autres champignons parasites jusque-là inconnus : Niveomyces coronatus et Torrubiellomyces zombiae. D’autres espèces d’Ophiocordyceps, en particulier ceux infectant les fourmis, seraient également parasitées par des champignons similaires. Selon les chercheurs, ces derniers semblent se nourrir du champignon hôte voire, dans certains cas, le stériliser. Si les raisons de cette interaction sont encore inconnues, l’une des hypothèses est que ces champignons pourraient participer à la régulation des populations d’Ophiocordyceps.

À la lumière des connaissances actuelles, cet ensemble imbriqué de mécaniques génétiques, moléculaires et environnementales extrêmement précises et finement régulées rend fortement improbable qu’un membre du genre Ophiocordyceps devienne un jour susceptible d’infecter et de contrôler une espèce à sang chaud comme il en est capable avec une espèce d’insecte bien spécifique, et ce, même en étant soumis à des variations environnementales telles que celles induites par le réchauffement climatique.

Le système nerveux sous influence : infection ou intoxication ?

Au tout début du premier épisode de la série The Last of Us, un scientifique fait un rapprochement fallacieux entre la forme de « contrôle » exercée par Ophiocordyceps sur ses hôtes et des champignons dont la consommation génère des effets hallucinogènes comme l’ergot de seigle (dont est extrait le LSD) ou certains champignons du genre Psylocybe consommés comme psychotropes. Cette comparaison erronée met en parallèle deux modes d’action bien distincts : l’infection et l’intoxication. L’infection passe par une contamination via les spores (l’organe de reproduction). Elle est rendue possible par une machinerie génétique et moléculaire extrêmement fine visant à permettre à un micro-organisme donné de se reproduire dans une espèce précise ; dans le cas rare d’Ophiocordyceps cette mécanique lui donne une forme de « contrôle » sur l’hôte pour répondre à des conditions bien spécifiques de reproduction.

L’intoxication, elle, n’a rien à voir avec la reproduction. Elle correspond à la sécrétion par le champignon de molécules appelées alcaloïdes, produites par de nombreuses espèces de champignons, végétaux et animaux. Leurs effets sur le système nerveux ne se révèlent que lors d’une consommation des organismes concernés. Au-delà de leurs effets psychotropes et/ou de leur toxicité (certains peuvent s’avérer mortels à très petite dose), nombreux sont ceux qui présentent des propriétés médicamenteuses et ils sont par conséquent très utilisés en pharmacopée (strychnine, quinine, morphine, codéine, scopolamine…). Certaines hypothèses suggèrent que les alcaloïdes pourraient constituer pour le champignon un moyen de défense contre les prédateurs et/ou, dans certains cas, une réserve nutritive d’azote.

 

Des champignons de plus en plus résistants

Si la menace d’une apocalypse zombie causée par une mutation d’un Ophiocordyceps peut être écartée à l’heure actuelle, l’évolution d’autres pathogènes fongiques microscopiques beaucoup plus proches de nous, bien que moins cinématographique, s’avère malgré tout alarmante. Le réchauffement climatique entre en jeu comme nous avons pu le voir précédemment, mais il n’est pas le seul.

À l’instar de la montée toujours plus préoccupante de l’antibiorésistance de bactéries pathogènes, la résistance des champignons micromycètes aux antifongiques – qui rend de plus en plus difficile la prévention et le soin des infections humaines – est en partie due à une utilisation inappropriée et abusive. Par exemple, selon l’OMS, le renforcement de la résistance du champignon Aspergillus fumigatus, dont le nombre d’infections est en forte augmentation, serait en partie lié au recours excessif aux antifongiques azolés dans le domaine agricole. Le champignon Candida auris, lui, a gagné l’appellation de « super champignon » (ou super bug) grâce à sa capacité à s’adapter très rapidement aux antifongiques.

Jusqu’à récemment, on pensait que la résistance des champignons aux antifongiques était permise uniquement par des mutations de leur ADN. Cependant, en 2020 dans la revue Nature, une équipe de recherche de l’université d’Édimbourg a publié une étude mettant à mal ce paradigme. Les travaux suggèrent que, sous l’influence de signaux environnementaux, pourraient survenir des altérations dites épigénétiques[5] susceptibles de modifier l’activité des gènes du champignon pour lui permettre de s’adapter à un environnement hostile. Les auteurs pointent également que les techniques de séquençage du génome habituellement utilisées pour détecter les mutations des pathogènes fongiques – et surveiller ainsi l’évolution de leur résistance ou diagnostiquer une infection – ne sont pas adaptées pour détecter les mutations épigénétiques et passeraient donc à côté de certains cas.

Les stratégies de survie découlant de cette malléabilité génétique se manifestent sous plusieurs formes en fonction de la menace affrontée et de l’espèce fongique concernée : expression de protéines et pigments évitant la reconnaissance ou formation de levures géantes trop grosses pour être digérées par les cellules de l’immunité (ou les prédateurs) et plus résistantes aux facteurs de stress environnementaux, structures permettant l’adhérence (formation de biofilms et production de filaments invasifs) ou encore la production de molécules toxiques. Elles pourraient ainsi expliquer comment ces pathogènes développent une résistance aux traitements antifongiques, et plus largement les raisons de leurs excellentes capacités d’adaptation et de leur virulence chez l’humain.

Beaucoup moins spectaculaires visuellement et plus insidieuses que les infections fongiques mises en scène par la fiction, celles qui nous concernent réellement à l’heure actuelle n’en restent pas moins inquiétantes. Entre manque de connaissances en recherche, capacités d’adaptation efficaces et variées, résistance aux traitements et conditions favorables au développement dans les milieux extérieurs et de soin, les champignons microscopiques constituent une menace bien réelle et de plus en plus prégnante pour la santé humaine.

 

Texte réalisé avec le soutien de Jean-Pierre Gangneux, médecin, chef du laboratoire de parasitologie-mycologie et du pôle de biologie médicale au CHU de Rennes et directeur de recherche au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (unité 1085 Inserm/École des hautes études en santé publique/Université d’Angers/Université de Rennes 1).

 

[1]Il est estimé que 98 % des champignons restent à ce jour non décrits par la science.

[2]Les macromycètes ou macrochampignons sont des champignons dont la fructification est visible à l’œil nu (par opposition aux micromycètes qui ne sont visibles qu’au microscope).

[3]Les champignons se reproduisent et se disséminent grâce à leurs spores qui, en fonction de l’espèce, peuvent se développer sur des plantes, des animaux ou d’autres champignons. La majorité des infections touchant l’humain sont causées par des champignons appartenant aux genres Candida, Aspergillus et Cryptococcus.

[4]Pour aller plus loin :

[5]Alors que la génétique correspond à l’étude des gènes, l’épigénétique s’intéresse à une « couche » d’informations complémentaires qui définit comment ces gènes vont être utilisés ou non par une cellule. Elle étudie les changements dans l’activité des gènes, qui n’impliquent pas de modification de la séquence d’ADN et peuvent être transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles et parfois temporaires. Elles sont induites par l’environnement au sens large : la cellule reçoit en permanence toutes sortes de signaux l’informant sur son environnement, de manière à ce qu’elle se spécialise au cours du développement, ou ajuste son activité à la situation.

Un virus créé en laboratoire, vraiment ?

Coronavirus SARS-CoV-2 responsable de la maladie COVID-19 observé en gros plan à la surface d’une cellule épithéliale respiratoire humaine.©M.Rosa-Calatrava/O.Terrier/A.Pizzorno/E.Errazuriz-cerda

Parmi les nombreuses interrogations que suscite l’épidémie de Covid-19, une en particulier inspire des théories parfois complotistes : le virus SARS-CoV-2 est-il issu des aléas de la sélection naturelle, ou a-t-il été fabriqué de toutes pièces en laboratoire ? Si cette idée semble plutôt populaire, en particulier en France, il est néanmoins possible d’y apporter une réponse scientifique la plus précise possible en convoquant les connaissances disponibles en génétique, en virologie et en infectiologie.

Certaines spéculations fortement relayées sur les réseaux sociaux évoquent la possibilité que le SARS-CoV-2 soit en réalité un virus « chimère » issu de la recombinaison en laboratoire d’un coronavirus dont la chauve-souris serait le réservoir initial et d’un autre virus. Certains avancent même que la chimère aurait été obtenue à partir du VIH, et serait le produit d’une tentative infructueuse pour mettre au point un vaccin. Mais qu’en disent les scientifiques ?

Tout d’abord, il faut bien différencier cette hypothèse d’un virus créé en laboratoire d’une autre théorie avec laquelle elle est souvent confondue : celle d’une éventuelle sélection en laboratoire d’un virus ayant naturellement muté. Cette dernière fera l’objet d’un point de décryptage ultérieur car elle implique des notions scientifiques différentes.

 

De la théorie…

Il faut savoir qu’il est possible, bien que complexe, de créer un virus chimère à visée vaccinale en laboratoire. Cette technique consiste à insérer à un endroit choisi du génome d’un premier virus (virus A) la séquence génétique codant pour l’antigène d’un autre virus (virus B) contre lequel on veut fabriquer un vaccin. Le virus A, appelé « plateforme vaccinale », est en général un virus vivant « atténué » (son pouvoir pathogène lui a été retiré) déjà utilisé comme base de vaccin. En combinant les deux, on obtient ainsi un virus chimère qui, une fois inoculé, permet à la plateforme vaccinale de « présenter » l’antigène du virus B au système immunitaire. Ce dernier le gardera en mémoire et sera capable de le reconnaître immédiatement si le virus B venait à infecter l’individu par la suite.

Les coronavirus sont des virus difficiles à manipuler en laboratoire. D’abord, ils sont encore mal connus. Mais surtout, ils appartiennent à la catégorie des virus à ARN pour laquelle les techniques de manipulation génétique décrites plus haut ne sont pas aussi abouties, et sont plus contraignantes que pour les virus à ADN. Le SARS-CoV-2 présente donc en théorie un profil peu adapté à la manipulation génétique, en particulier à but vaccinal.

 

… À la pratique

À ces arguments théoriques, des arguments d’analyses génétiques et structurelles du SARS-CoV-2 viennent réfuter l’idée d’un virus chimérique.

Dans le cas d’une chimère, pour que l’antigène du virus B s’exprime correctement à la surface du virus A, la séquence provenant du virus B doit avoir une longueur suffisante et être insérée à un endroit précis du génome du virus A. Une telle modification est très facilement détectable à l’aide d’outils permettant de comparer les séquences génomiques entre elles, au sein de banques de données. Les séquences génomiques similaires d’un virus à l’autre ou celles d’un même virus au sein d’une population sont alors mises en évidence.

En admettant que ce type de manipulation génétique a pu être réalisé sur le SARS-CoV-2, des « cicatrices » résiduelles devraient être détectables avec les techniques dont disposent les scientifiques actuellement, d’autant plus si cette manipulation a été faite avec la séquence d’un virus comme le VIH, très différent du SARS-CoV-2. On détecterait alors des régions du génome étranger à des endroits très spécifiques du génome du SARS-CoV-2.

Or, le génome du SARS-CoV-2 a été séquencé et comparé à de multiples reprises dans de nombreux laboratoires à travers le monde, au cours des derniers mois.

Une modification très importante, comme l’insertion d’un pan entier de la séquence d’un autre virus, aurait immédiatement été détectée par les outils de bio-informatique et n’aurait pas échappé à la communauté scientifique.

Il est par ailleurs tout à fait normal et fréquent de trouver de petites homologies (séquences génétiques similaires) répétées en comparant l’intégralité des génomes de deux ou plusieurs virus. Ces homologies apparentes résultent le plus souvent du hasard.

Les homologies de séquence identifiées entre le génome du SARS-CoV-2 et celui du VIH, en plus d’être également retrouvées chez d’autres virus, sont trop courtes (moins de 20 bases) par rapport à la taille globale du génome du SARS-CoV-2 (30 000 bases) pour être autre chose que le fruit du hasard.

Des travaux parus dans Nature Communications le 17 mars 2020 montrent une très haute affinité de liaison entre la protéine Spike, qui donne sa forme de couronne au SARS-CoV-2, et le récepteur ACE2 des cellules humaines qui permet au virus de se fixer pour infecter ces dernières. Selon les auteurs de l’étude, une telle affinité est très probablement le produit de mutations et de la sélection naturelle, et non le résultat d’une manipulation volontaire en laboratoire. Une autre publication plus récente, comparant la structure de la protéine Spike du SARS-CoV-2 avec celle d’un coronavirus de chauve-souris très proche génétiquement, vient renforcer l’hypothèse d’une provenance naturelle du virus.

Enfin, une modification aussi importante qu’une recombinaison aurait fortement réduit le niveau de ressemblance du virus avec les autres coronavirus. Or, le SARS-CoV-2 présente une très forte homologie avec plusieurs coronavirus retrouvés chez les chauves-souris du genre Rhinolophus.

À ce jour, aucun argument scientifique solide ne permet donc d’affirmer que le SARS-CoV-2 serait un virus recombiné. À l’inverse, les publications dans les revues à comité de lecture mettent en avant des arguments de plus en plus nombreux en faveur d’une origine naturelle du virus.

Texte réalisé en collaboration avec les chercheurs Vincent Maréchal et Guy Gorochov (Centre d’immunologie et de maladies infectieuses, unité 1135 Inserm/Sorbonne Université).

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