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Le « Féminin Sacré » pour lutter contre l’endométriose, vraiment ?

« Je propose des soins énergétiques du Féminin sacré pour renouer avec soi-même, retrouver sa véritable nature sensuelle, puissante, sauvage et libre… Des soins pour soulager l’endométriose et le syndrome polykystique. »

« Je vous guide vers la guérison de votre féminin blessé (endométriose, cancer du sein, de l’utérus, troubles gynécologiques …). »

De telles propositions fleurissent sur certains sites de thérapeutes auto-proclamés ou encore sur des comptes Instagram. Au cœur des discours qui sont relayés, on retrouve bien souvent le concept de Féminin sacré, qui se situe à l’intersection entre la spiritualité et le développement personnel.

Définir le Féminin sacré n’est pas aisé, car il s’agit d’un mouvement pluriel, qui ne fait ni référence à une communauté homogène ni à des pratiques ou des idées toujours bien définies. Néanmoins, un aspect semble être central : la notion que les femmes possèderaient un « pouvoir », une puissance intérieure particulière, à explorer et à célébrer.

Comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) le souligne dans un rapport datant de 2022, le Féminin sacré est d’ailleurs souvent présenté comme un travail de « reconnexion » du corps et de l’esprit, enseigné lors de stages et de rituels ou encore auprès de personnes qui se définissent comme « thérapeutes ».

Si l’émancipation des femmes, la sororité et la quête de sens sont au cœur de la théorie du Féminin sacré, certains observateurs, dont la Miviludes, s’inquiètent toutefois de potentielles dérives. Parmi les critiques qui sont soulevées : une tendance à essentialiser les femmes en les réduisant à des fonctions biologiques ou des facultés reproductives, ou encore le fait que le Féminin sacré s’apparente souvent à un business, reposant sur une offre de stages et de pratiques non réglementées aux coûts élevés.

Ces dernières années, des craintes ont également été évoquées en lien avec de potentielles répercussions sur la santé des femmes, notamment celles qui souffrent d’endométriose. Canal Détox revient ici plus spécifiquement sur cette problématique.

 

Des patientes à la recherche de solutions

L’endométriose est une maladie gynécologique qui concerne environ une femme sur dix en âge de procréer. Causée par la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus, elle peut provoquer des douleurs parfois invalidantes, notamment au moment des règles. D’autres symptômes peuvent être observés, variables d’une femme à l’autre : troubles digestifs, fatigue chronique, douleurs pendant les rapports sexuels, en allant aux toilettes… Enfin, pour les femmes en âge de procréer, la maladie peut dans certains cas être associée à une infertilité.

Ces dernières années ont été marquées par un renouveau d’intérêt pour l’endométriose dans la communauté scientifique et médicale, renforcé en 2022 par le lancement de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose.

Aucune solution n’existe à ce jour pour guérir de l’endométriose. Des traitements visant à réduire les symptômes sont disponibles, mais ils ne sont pas efficaces pour toutes les patientes. En cas d’échec de ces médicaments, une chirurgie peut être proposée pour éliminer les lésions associées à la maladie, ce qui peut entraîner une disparition des symptômes à plus ou moins long terme.

Néanmoins, cette stratégie n’est là encore pas toujours efficace, puisqu’il y a un risque de récidive. Des travaux ont ainsi estimé qu’environ la moitié des patientes présentaient des symptômes récurrents dans les cinq ans, quelle que soit l’approche thérapeutique utilisée.

Par ailleurs, des retards de diagnostic peuvent aussi compliquer la prise en charge. Il n’existe aujourd’hui pas de technique de dépistage spécifique de la maladie, que ce soit pour les femmes à risque ou en population générale. Les patientes qui présentent des symptômes peuvent se voir proposer un examen clinique (examen gynécologique) qui permet ensuite d’orienter la prescription d’une échographie endovaginale ou d’une IRM pelvienne. Seuls ces examens couplés à une biopsie (lorsque celle-ci est possible) sont capables de donner des réponses fiables aux patientes.

Cette situation, associée à une connaissance insuffisante de l’endométriose par les professionnels de santé, engendre des retards de diagnostic importants, et explique qu’à l’heure actuelle, il s’écoule en moyenne un délai de 7 à 12 ans, selon les études, avant que le diagnostic ne soit définitivement posé.

Confrontées à une large palette de symptômes qui impactent directement leur qualité de vie, à des traitements pas toujours efficaces et à des retards de diagnostic qui peuvent partiellement être dus à une minimisation, une normalisation ou une psychologisation des symptômes par certains professionnels de santé, une forme de découragement et de défiance des patientes envers la médecine peut s’installer. 

Certaines patientes peuvent être amenées à se détourner d’une prise en charge médicale « conventionnelle » pour chercher d’autres solutions.

 

Des approches non médicamenteuses utiles ?

Les premiers résultats issus de la cohorte ComPaRe Endométriose coordonnée par la chercheuse Marina Kvaskoff, Prix Inserm Science et société-Opecst 2023, ont ainsi souligné que 80 % des participantes atteintes d’endométriose ont eu recours au moins une fois à une pratique alternative comme l’ostéopathie, l’acupuncture, la méditation ou la sophrologie…

Il faut noter qu’à l’heure actuelle, la plupart de ces pratiques n’ont pas démontré d’efficacité propre, supérieure à un placebo. Si certaines études démontrent une efficacité pour certaines pratiques, leur méthodologie peut comporter des limites. Et à l’inverse, d’autres travaux n’ont pas démontré l’efficacité de ces pratiques. Aucun consensus clair n’est donc en mesure de se dégager à leur sujet.

Néanmoins, il semblerait que l’efficacité perçue de certaines approches non conventionnelles serait principalement liée au contexte de ces consultations : les praticiens qui proposent ces approches prennent généralement le temps de recevoir les patientes, et ont une écoute attentionnée et bienveillante qui peut parfois manquer dans les consultations de médecine conventionnelle.

En ce sens, les effets contextuels, présents dans ces approches comme dans tout acte thérapeutique, peuvent aider les patientes dans la gestion de leurs symptômes. Toutefois, le recours à ces pratiques ne doit en aucun cas se substituer entièrement aux traitements médicaux, et il est important d’en faire part à l’équipe médicale qui suit la patiente.

 

« Culpabilisation » des femmes

Or c’est justement ce point qui inquiète certains soignants. Ils craignent que des « thérapeutes » autoproclamés qui proposent des approches non médicamenteuse – tout particulièrement des approches peu documentées s’appuyant sur une rhétorique propre au Féminin sacré – conduisent certaines patientes à renoncer entièrement aux soins et aux traitements médicamenteux.

Nuançons : nous ne disposons pas de données solides concernant le nombre de patientes qui ont recours à de telles approches pour « soigner leur féminin blessé » ou qui participent à des cérémonies de bénédiction de l’utérus – des rituels s’appuyant sur une « technique énergétique cherchant à harmoniser les énergies des femmes » – dans l’espoir d’apaiser leurs symptômes. Il est néanmoins utile, alors que les mouvements fondés sur le Féminin sacré prennent de l’ampleur, de rappeler que toutes les approches « thérapeutiques » qui en découlent ne s’appuient en aucun cas sur des preuves scientifiques solides, qu’elles sont souvent coûteuses pour les patientes et qu’elles peuvent conduire à une culpabilisation des femmes.

Sur ce dernier point, la Miviludes alertait notamment sur le fait que certaines femmes peuvent être confrontées à un discours hasardeux et culpabilisant, qui les ferait se sentir responsables de leurs symptômes : « Il est affirmé que si une femme a des règles douloureuses, c’est qu’elle n’est pas en accord avec sa nature profonde de femme. En d’autres termes, elle serait responsable de cette souffrance. »

L’endométriose est une maladie qui est longtemps restée dans l’ombre, ce qui explique le désarroi des patientes et leur volonté de se tourner parfois vers des solutions non médicamenteuses et des alternatives à la médecine conventionnelle.

De nouvelles connaissances sur l’endométriose, et un accompagnement plus bienveillant des patientes, émergent peu à peu, ouvrant la voie à un meilleur repérage ainsi qu’une meilleure prise en charge.

Il est maintenant nécessaire de continuer les efforts de recherche et de communication auprès des patientes et d’apprendre à mieux les écouter.

Améliorer les parcours de soin, notamment en matière de relation de soin, est une voie qu’il faut poursuivre si l’on veut réellement accompagner les patientes et si l’on souhaite éviter toute dérive et tout renoncement à une prise en charge médicale.

Il pourrait également être intéressant que les soignants soient eux-mêmes formés sur les fondements des « thérapies » ou des pratiques qui n’ont pas de base scientifique solide, ainsi que sur leurs dérives, afin qu’ils puissent mieux informer les patientes de manière transparente, et que celles-ci puissent faire un choix parfaitement éclairé sur les soins complémentaires auxquels elles souhaitent avoir recours.

Texte rédigé avec le soutien de Marina Kvaskoff, directrice de recherche Inserm, épidémiologiste au Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP) à Villejuif et d’Hélèna Schoefs, doctorante en sociologie au Laboratoire de psychologie sociale et cognitive (Lapsco), université Clermont-Auvergne – Unité de recherche Adaptation, résilience et changement (ARCh), université de Liège (Belgique)

Changement climatique : un impact différent sur la santé des femmes, vraiment ?

Le dérèglement climatique est l’une des plus graves menaces qui pèse sur la planète. Si des recherches supplémentaires sont nécessaires pour bien décrire tous les risques associés à ce phénomène, l’impact sur la santé de différentes populations commence à être bien documenté.

On sait par exemple aujourd’hui que la hausse des températures modifie la répartition géographique de certaines maladies à transmission vectorielle. Les températures plus élevées et l’exposition aux UV constituent aussi une menace directe pour la physiologie et la santé humaine. Citons notamment les conséquences délétères des canicules, plus fréquentes du fait du changement climatique : en Europe la chaleur record de l’été 2022 a par exemple entraîné plus de 61 000 décès.

Par ailleurs, les catastrophes naturelles liées au changement climatique, telles que les épisodes de sécheresse et les inondations, s’accélèrent avec des impacts directs et indirects sur la santé. Ces catastrophes entraînent en effet des problèmes de sécurité alimentaire ainsi que d’accès à l’eau potable, d’assainissement et d’hygiène, et limitent l’accès aux services de santé et à l’information médicale. Le changement climatique est aussi associé à un risque pandémique futur dans la mesure où il pourrait accélérer les déplacements d’espèces sauvages qui constituent de potentiels réservoirs viraux ainsi que les mouvements de populations, augmentant ainsi la diffusion des maladies.

Tous ces phénomènes sont de plus en plus médiatisés et expliqués au public. Néanmoins, il faut se rendre à l’évidence : les conséquences du dérèglement climatique ne touchent pas toutes les populations de la même manière.

Des facteurs de risque liés au pays de résidence, à l’âge, au sexe et au genre ou encore au milieu socio-économique peuvent rendre les individus plus vulnérables au changement climatique. Parmi ces différents facteurs, de nombreuses études ont été publiées pour examiner le poids du sexe et du genre et décrire la manière dont ces inégalités s’entrecroisent avec les inégalités de santé face aux phénomènes climatiques.

Alors les femmes sont-elles plus à risque de voir leur santé se dégrader à cause du changement climatique ? L’impact du changement climatique sur la santé des femmes est-il seulement physique ? Comment s’intéresser, dans ce contexte, à la santé mentale ? Canal Détox fait le point dans ce nouvel article de son hors-série sur la santé des femmes.

Des problèmes pour la santé maternelle bien documentés

C’est souvent sous l’angle de la santé maternelle que la question du sexe, du genre et du changement climatique a été étudiée.

Soulignons tout d’abord que les chaleurs extrêmes augmentent l’aire de répartition géographique de certains vecteurs de maladies notamment les tiques ou les moustiques, et donc la propagation des maladies à transmission vectorielle telles que le paludisme ou le virus Zika. Or ces maladies ont des impacts particulièrement délétères sur la santé des femmes enceintes et des nouveau-nés.

Des études ont montré que les femmes enceintes étaient particulièrement à risque d’être piquées par des moustiques, du fait de plusieurs changements physiologiques et comportementaux qui se produisent pendant la grossesse. Une étude menée en Gambie a par exemple montré que la température corporelle des femmes enceintes attire plus facilement les moustiques. Par ailleurs, les femmes enceintes vont plus souvent quitter la protection des moustiquaires pour uriner la nuit et se font ainsi piquer par des moustiques, plus actifs aux heures nocturnes. Ceci a des conséquences à la fois sur la santé des mères, qui vont développer plus fréquemment des maladies portées par les moustiques, mais aussi sur celle des enfants qu’elles portent. Le paludisme maternel augmenterait en effet le risque d’avortement spontané, d’accouchement prématuré, de mortinatalité et d’insuffisance pondérale à la naissance. Quant au virus Zika, il est aujourd’hui bien établi que si la mère est infectée pendant la grossesse, le risque de malformations congénitales, dont la microcéphalie, est accru.

Les résultats de travaux qui s’intéressent aux effets de la chaleur et de la pollution atmosphérique sur la santé maternelle et infantile sont plus contrastés. Mais dans l’ensemble, les données disponibles suggèrent une augmentation de plusieurs problèmes, dont le risque de prééclampsie, de mortinatalité (enfants nés sans vie après 6 mois de grossesse) et de fausses couches.

Une grande analyse de littérature scientifique publiée dans le journal JAMA Network s’est intéressée à 32 798 152 naissances aux États-Unis et a montré une association significative entre exposition à de fortes températures et complications lors de l’accouchement. En France, l’exposition des mères à la chaleur au cours de la grossesse a été associée à un risque accru de prématurité et à une diminution du poids de naissance. De moindres performances pulmonaires étaient également observées chez les nouveau-nés filles, suggérant ainsi que des inégalités liées au sexe sont présentent dès le début de la vie. L’exposition aux particules fines ou à l’ozone a aussi été associée à un risque accru de naissance prématurée et à un faible poids de naissance dans la plupart des études considérées.

Par ailleurs, le dérèglement climatique affecte la santé sexuelle et reproductive des femmes et leur capacité à recevoir un accompagnement gynécologique adapté. Comme le souligne un rapport du Fonds des Nations Unies pour la population, des données montrent que les catastrophes climatiques entraînent notamment des perturbations majeures dans l’accès à la contraception et que les décès maternels liés à des avortements pratiqués dans des conditions dangereuses sont susceptibles d’être beaucoup plus nombreux dans ces situations d’urgence.

Une équipe Inserm étudie l’impact de la pollution atmosphérique sur le placenta

Comment l’exposition à la pollution de l’air pendant la grossesse impacte-t-elle son bon déroulement et le développement de l’enfant à naître ?

C’est ce qu’une étude de l’Inserm et de l’université de Grenoble tente de comprendre. En comparant les données obtenues chez près de 1 500 femmes enceintes, elle a ainsi pu observer que l’exposition à ces polluants durant la grossesse était associée à des modifications épigénétiques susceptibles d’altérer le développement du fœtus, en particulier au niveau métabolique, immunitaire et neurologique. Les résultats obtenus par les scientifiques montrent en outre que les périodes de susceptibilité aux polluants de l’air seraient différentes en fonction du sexe du fœtus, impactant ainsi le développement de façon différenciée entre les filles et les garçons.

Pour aller plus loin, consultez nos communiqués :

https://presse.inserm.fr/vulnerabilite-du-placenta-a-la-pollution-de-lair-quels-effets-sur-le-developpement-de-lenfant-a-naitre/68392/

https://presse.inserm.fr/quel-impact-de-la-pollution-atmospherique-sur-le-placenta/31777/

La répartition genrée des rôles augmente la vulnérabilité aux catastrophes climatiques et aux maladies

La santé maternelle n’est toutefois pas la seule problématique à prendre en compte quand on s’intéresse aux intersections entre sexe, genre, santé et changement climatique. Certains travaux soulignent ainsi que dans de nombreuses sociétés, les inégalités de genre, le rôle attribué aux femmes et le poids des normes culturelles peuvent accroître leurs vulnérabilités face au changement climatique, avec des effets directs et indirects sur leur santé.

Une analyse portant sur les effets des catastrophes climatiques dans 141 pays a ainsi montré que, si ces évènements créent des difficultés pour tout le monde, ils tuent en moyenne plus de femmes que d’hommes, ou du moins ils tuent les femmes à un âge plus jeune que les hommes.

Il faut néanmoins noter que cet effet est beaucoup plus marqué dans les pays où les femmes ont un statut social, économique et politique particulièrement bas. Quand les inégalités entre les genres sont moindres, hommes et femmes sont touchés par les catastrophes climatiques de manière moins différenciée.

La même étude a souligné que les différences physiques entre les hommes et les femmes n’expliquent probablement pas toutes les inégalités qui peuvent parfois être constatées lors de catastrophes climatiques. Les normes sociales et culturelles jouent quant à elles un grand rôle. Comme le rappelle un rapport de l’OMS intitulé Gender, Climate Change and Health, dans les sociétés où les femmes ont peu d’indépendance et jouent un rôle principalement au sein de leur foyer, s’occupant des enfants et des personnes âgées, elles ont souvent moins la possibilité de s’enfuir et d’aller chercher du secours et des aides alimentaires, notamment parce qu’elles ont plus tendance à rester sur les lieux de la catastrophe pour aider leurs proches. D’autres facteurs comme les normes vestimentaires ou comportementales (interdiction d’apprendre à nager par exemple) peuvent avoir un impact sur la mobilité des femmes et leur capacité à fuir.

Enfin, sans même parler de survie face à des catastrophes, les femmes sont aussi plus vulnérables face à certaines maladies du fait des tâches quotidiennes qu’elles sont amenées à effectuer. Prenons l’exemple de l’eau, aussi décrit dans le rapport de l’OMS : les femmes sont chargées dans de nombreux pays d’aller chercher l’eau utilisée par le foyer.

Or alors que les épisodes de sécheresse deviennent de plus en plus fréquents sur la planète, on constate une réduction de la disponibilité et de la fiabilité de l’approvisionnement en eau douce. Les trajets pour la collecte de l’eau se font parfois plus longs provoquent de l’épuisement, des douleurs et des lésions osseuses pour les femmes qui en sont responsables.

En outre, lorsque l’eau est rare, les pratiques hygiéniques sont souvent sacrifiées à des besoins en eau plus pressants, tels que la boisson et la cuisine. Le manque d’hygiène peut être à l’origine de maladies telles que le trachome[1] et la gale, également appelées « maladies de l’eau », qui touchent d’autant plus les femmes qu’elles font souvent passer les besoins en eau du reste du foyer avant les leurs.

Et la santé mentale ?

La question de la santé mentale commence plus récemment à être abordée. Si les hommes et les femmes voient leur santé mentale se dégrader face aux effets du changement climatique, les manifestations diffèrent souvent selon le genre.

Dans le contexte de catastrophes climatiques, les femmes sont plus souvent exposées à la violence sexiste, à des migrations forcées et à d’autres facteurs de stress socio-économiques qui ont des effets néfastes sur la santé mentale, avec notamment un risque plus élevé d’anxiété et de dépression.

Le stress lié à la perte de revenus et à l’endettement qui découle de certaines situations liées au changement climatique, par exemple les sécheresses ou les inondations, peuvent néanmoins aussi se répercuter sur la santé mentale des hommes, avec un risque de suicide plus élevé. Certaines données établissent par exemple un lien entre la sécheresse et le suicide chez les hommes en Australie.

Enfin, l’éco-anxiété est un phénomène de plus en plus étudié. Si les résultats varient d’une étude à l’autre, et que la question du genre n’est pas encore tranchée, plusieurs travaux suggèrent tout de même que les femmes, surtout jeunes, sont plus sujettes à l’éco-anxiété que les hommes. Toutefois, la plupart des données sur l’éco-anxiété proviennent des pays occidentaux, et des recherches futures seront donc nécessaires dans d’autres pays.

En conclusion, les effets du changement climatique sur la santé affectent différemment les hommes et les femmes principalement en raison de facteurs socio-économiques et culturels sous-jacents. Des facteurs physiologiques entrent aussi en jeu dans ces inégalités de genre, mais ils ont encore été insuffisamment étudiés. Le changement climatique menace d’aggraver les inégalités de santé existantes entre les hommes et les femmes dans tous les pays, avec toutefois des différences plus marquées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Pour la recherche, un enjeu est de continuer à intégrer la perspective du sexe et du genre dans les travaux sur les effets sanitaires du changement climatique, et ce afin de mieux orienter les politiques publiques existantes en matière de climat, de développement et d’accès aux soins pour réduire les inégalités.

Un mot sur le sexe et le genre

 Si l’on synthétise, on peut définir ces deux concepts de la manière suivante :

  • le « sexe » fait référence aux caractéristiques biologiques et physiologiquesqui différencient les hommes des femmes (comme les gonades, les organes reproductifs, les chromosomes, les hormones) ;
  • le genre est une construction sociale, psychologique et culturelle qui s’effectue dans le cadre du processus de socialisation. Différentes sociétés et cultures peuvent donc avoir des conceptions différentes de ce qui est « masculin » ou « féminin ».

La littérature scientifique porte le plus souvent sur les interactions entre sexe et changement climatique, ou étudie le sexe et le genre de manière indifférenciée, mais de plus en plus de publications s’intéressent spécifiquement au genre en tant que construction sociale et à son lien avec les inégalités climatiques.

Dans ce texte, qui n’est pas exhaustif, nous avons choisi d’employer les deux concepts et de proposer au lecteur des références bibliographiques qui s’intéressent à la fois au sexe et au genre.

Texte rédigé avec le soutien de Johanna Lepeule, épidémiologiste, chargée de recherche dans l’équipe Inserm d’épidémiologie environnementale appliquée au développement et à la santé respiratoire à l’Institut pour l’Avancée des biosciences

[1]Le trachome est une maladie infectieuse de l’œil due à la bactérie Chlamydia trachomatis.

 

Références utiles

Bekkar B, Pacheco S, Basu R et al. Association of air pollution and heat exposure with preterm birth, low birth weight, and stillbirth in the US: a systematic review. JAMA Network Open. 2020;3(6):e208243 doi: 10.1001/jamanetworkopen.2020.8243.

Beltran AJ, Wu J, Laurent O. Associations of meteorology with adverse pregnancy outcomes: A systematic review of preeclampsia, preterm birth and birth weight. Int J Environ Res Public Health. 2014;11(1):91-172 doi: 10.3390/ijerph110100091.

Kuehn L, McCormick S. Heat exposure and maternal health in the face of climate change. Int J Environ Res Public Health 2017;14(8):853 doi: 10.3390/ijerph14080853.

Rothschild J, Haase E. Women’s mental health and climate change Part II: Socioeconomic stresses of climate change and eco-anxiety for women and their children. Int J Gynaecol Obstet. 2023;160(2):414-420 doi: 10.1002/ijgo.14514.

Sorensen C, Saunik S, Sehgal M, Tewary A, Govindan M, Lemery J, Balbus J. Climate Change and Women’s Health: Impacts and Opportunities in India. Geohealth. 2018 Oct 17;2(10):283-297. doi: 10.1029/2018GH000163. PMID: 32159002; PMCID: PMC7007102.

https://www.unwomen.org/en/news-stories/explainer/2022/02/explainer-how-gender-inequality-and-climate-change-are-interconnected

https://iris.who.int/bitstream/handle/10665/144781/9789241508186_eng.pdf

Les femmes vivent plus longtemps et en meilleure santé que les hommes, vraiment ?

Au cours des deux derniers siècles, la population mondiale a, dans son ensemble, connu un accroissement de sa durée de vie. Avec une constante : dans la plupart des pays, l’espérance de vie des femmes est plus longue que celle des hommes. Les chiffres de 2019, avant la pandémie de Covid-19, suggèrent que, dans les pays les plus développés, les femmes vivent en moyenne 5 à 7 années de plus que les hommes.  Cette différence est moins marquée dans les pays à plus faibles revenus, mais elle existe tout de même. Mais si l’on veut mieux comprendre les inégalités de sexe et de genre en matière de santé et de mortalité, il est important d’aller plus loin dans la réflexion et de ne pas s’intéresser uniquement aux chiffres de l’espérance de vie.

Quelles sont les raisons de cet écart entre les hommes et les femmes : sont-elles biologiques, résultent-elles de différences comportementales ou sociétales ? Les hommes sont-ils prédisposés à certaines maladies et, à l’inverse, existe-t-il des maladies pour lesquelles le fait d’être un homme serait « protecteur » ? Comment réduire les écarts de morbidité et de mortalité entre les hommes et les femmes ?

Répondre à ces questions est utile pour tenter d’évaluer la pertinence de mesures de santé publique visant à réduire les inégalités, mais aussi pour prédire les tendances futures en matière de mortalité et d’espérance de vie. Ce nouveau Canal Détox propose donc une réflexion plus approfondie sur ce sujet.   

 

Un écart qui se réduit ?

On l’a souligné, les femmes vivent globalement plus longtemps que les hommes. L’ampleur de cet écart a néanmoins évolué au cours du temps. Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il a ainsi augmenté au cours de la période 1950-1970, puis il s’est réduit dans les décennies suivantes. Des travaux avaient suggéré que cela pouvait s’expliquer par une diminution plus rapide de la mortalité due aux maladies cardiovasculaires chez les hommes que chez les femmes, en particulier chez les personnes âgées de 70 à 74 ans, et par une consommation tabagique croissante chez les femmes, de plus en plus similaire à celle des hommes.

L’écart entre les hommes et les femmes pourrait toutefois se creuser à nouveau. Une étude récemment publiée dans la revue JAMA Internal Medicine a ainsi montré qu’aux États-Unis, l’écart entre les femmes et les hommes s’est à nouveau creusé pour atteindre 5,8 ans, son niveau le plus élevé depuis 1996. Un effet de la pandémie de Covid-19, une maladie qui a souvent causé des complications plus sévères chez les hommes et s’est souvent avérée plus mortelle, a été suggéré.

 

Comprendre les différences entre les hommes et les femmes

Quelle que soit la manière dont cet écart évoluera dans les prochaines années, les scientifiques continuent à mener des travaux pour mieux en comprendre les raisons.

Certains travaux ont mis l’accent sur des différences biologiques, notamment au niveau génétique et hormonal, qui pourraient favoriser l’espérance de vie des femmes. Soulignons d’abord que cette différence ne se retrouve pas qu’au sein de l’espèce humaine mais aussi chez d’autres mammifères. Une hypothèse avancée par certains chercheurs est que l’avantage lié au sexe féminin pourrait être lié au double chromosome X (alors que les personnes de sexe masculin ont un chromosome X et un chromosome Y). Les informations génétiques importantes sur le chromosome X sont donc dupliquées chez les femmes et peuvent compenser d’éventuelles mutations génétiques délétères pour la santé sur l’autre chromosome X.

Cependant, plusieurs études ont plutôt attribué la majeure partie de l’écart entre les hommes et les femmes à des facteurs liés aux comportements, au style de vie ou aux rôles sociaux attribués en fonction du sexe attribué à la naissance. Parmi les facteurs les plus souvent mis en exergue  pour expliquer pourquoi les hommes meurent plus jeunes : un tabagisme plus important et une consommation d’alcool généralement plus élevée chez les hommes (même si, on l’a mentionné, ces comportements sont de plus en plus observés chez les femmes), des risques professionnels spécifiques (les hommes sont en moyenne toujours plus représentés dans le travail sur les chantiers de construction par exemple).

Des travaux menés aux États-Unis soulignent que les hommes seraient aussi moins susceptibles d’être réguliers dans leur suivi médical et de se soumettre à des bilans de santé de routine en prévention. Cette différence disparait lorsque l’on prend des patients souffrant d’une pathologie chronique diagnostiquée. Lorsqu’ils sont dans ce cas, les hommes et femmes suivent leurs traitements et consultent les professionnels de santé de la même manière.

Enfin, les hommes sont aussi plus à risque de connaître une situation d’isolation sociale. Or, pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, les personnes ayant moins de liens sociaux ont tendance à avoir des taux de mortalité plus élevés, à des âges plus jeunes.

 

Plus grande espérance de vie, moins bonne santé ?

Si les femmes continuent donc à vivre en moyenne plus longtemps que les hommes, la recherche à tout de même mis en évidence un paradoxe : à tout âge de la vie, les femmes semblent en moyenne être en moins bonne santé que les hommes.

Si on regarde dans le détail, pour un âge donné, les hommes sont certes plus susceptibles de souffrir de maladies chroniques potentiellement mortelles, notamment de maladies cardiovasculaires, de certains cancers, de cirrhose du foie et de maladies rénales. Là encore, ces différences sont dues à des facteurs biologiques mais aussi environnementaux et comportementaux.

En revanche, les femmes sont, au niveau mondial, plus susceptibles de souffrir de maladies aiguës et d’affections chroniques non mortelles, telles que l’arthrite, les troubles thyroïdiens, les troubles de la vésicule biliaire, ou encore les migraines. Ces troubles entraînent une moins bonne évaluation de l’état de santé et diminuent la qualité de vie, mais contribuent peu au risque de décès. Vivant plus longtemps, les femmes arrivent aussi dans la vieillesse en accumulant un plus grand nombre de problèmes de santé non mortels mais handicapants, et elles sont plus nombreuses à souffrir de la maladie d’Alzheimer, dont le facteur de risque principal est l’âge.

Tous ces différents éléments permettent de comprendre, avec un peu plus de nuance, les différences qui sont observées entre hommes et femmes, que ce soit en matière d’espérance de vie ou plus généralement d’état de santé. De telles données permettent de réfléchir plus en détail aux mesures de santé publique qu’il serait utile de mettre en place. Parmi les axes privilégiés : tenter d’agir sur les causes des décès « évitables » qui aujourd’hui contribuent largement aux écarts entre les sexes, en développant des stratégies de prévention efficaces pour lutter contre certains déterminants environnementaux et comportementaux de santé (alimentation, consommation de tabac et d’alcool, sédentarité…) auprès de publics bien ciblés.

 

Espérance de vie en bonne santé

Au-delà de l’espérance de vie, d’autres indicateurs importants ont été pensés pour décrire l’état de santé d’une population et les éventuelles inégalités qui peuvent exister.

L’espérance de vie en bonne santé en est un exemple. Cet indicateur mesure le nombre d’années qu’une personne peut compter vivre sans souffrir d’incapacité et de maladie dans les gestes de la vie quotidienne. Si l’espérance de vie en bonne santé est là encore plus élevée pour les femmes que pour les hommes en moyenne, l’écart est moindre.

Par exemple en France, en 2020, une femme pouvait vivre jusqu’à 85,1 ans et les hommes jusqu’à 79,1 ans (soit une différence de 6 ans). Mais si l’on regarde dans le détail et qu’on considère l’espérance de vie en bonne santé, une femme de 65 ans pouvait en 2020 espérer vivre 12,1 ans sans incapacité et un homme, 10,6 ans (soit une différence de « seulement » 1,5 ans). Les femmes vivent donc plus longtemps que les hommes, mais pas forcément en bonne santé. Passé un certain âge, elles sont nombreuses à souffrir de maladies invalidantes, de pathologies neurodégénératives ou encore d’arthrose.

Texte rédigé avec le soutien de François Alla, professeur de santé publique à l’université de Bordeaux et chercheur rattaché au laboratoire Bordeaux Population Health (Inserm/université de Bordeaux)

Le soutien-gorge mis en cause dans le cancer du sein, vraiment ?

C’est une rumeur qui court depuis une vingtaine d’années et qui revient régulièrement sur le devant de la scène : le port de soutien-gorge augmenterait le risque de développer un cancer du sein. Si les études sérieuses sur le sujet sont rares, on peut toutefois affirmer que ce n’est pas le cas. A l’occasion d’Octobre Rose et du lancement d’une nouvelle série Canal Détox sur la santé des femmes, on revient sur cette idée reçue, dont il semble encore difficile de se débarrasser.

Entre octobre et décembre 2024, l’Inserm publiera pour sa rubrique Canal Détox une série de six textes dont les thématiques diverses ont toutes en commun d’aborder la santé des femmes. L’idée :  montrer comment la recherche scientifique, notamment la recherche à l’Inserm, se saisit de ces problématiques afin de mieux comprendre les inégalités de santé et d’améliorer la prise en charge de toutes et tous, mais aussi de lutter contre la désinformation. 

C’est l’ouvrage Dressed to Kill, publié en 1995 par le médecin américain Sydney Singer, qui a été l’un des premiers à semer le trouble et à accuser le soutien-gorge d’être responsable de cancer du sein. Dans son « étude », qui n’a jamais été examinée par des experts ni publiée dans une revue à comité de lecture, Singer avance que les femmes qui ne portent pas de soutien-gorge ont « 1 chance sur 168 » de développer un cancer du sein contre « 3 à 4 chances » pour celles qui portent un soutien-gorge 24 heures sur 24 (autrement dit aussi la nuit). Son hypothèse est alors la suivante : le port du soutien-gorge avec armatures entraverait la circulation lymphatique, empêcherait l’évacuation des « toxines » et offrirait un terrain idéal pour la formation de tumeurs.

Mais aucune étude scientifique rigoureuse n’a jamais confirmé ces observations. À l’inverse, une étude américaine de 2014 a par exemple infirmé catégoriquement cette « rumeur » selon laquelle le port du soutien-gorge serait un facteur de risque du cancer. Pour les auteurs, qui ont comparé un groupe de 1 044 femmes ménopausées touchées par des carcinomes invasifs du sein avec un groupe de 469 femmes en bonne santé, le risque serait le même, quel que soit la taille du bonnet du soutien-gorge, la présence ou non d’armatures, le nombre d’heure moyen porté par jour ou encore l’âge à partir duquel ces femmes ont commencé à porter un soutien-gorge régulièrement.

Dernière observation : l’augmentation du nombre de cancers du sein n’est absolument pas corrélée avec l’apparition du soutien-gorge (un brevet pour le premier soutien-gorge “moderne” a été déposé en 1889). On observe en effet une augmentation du cancer du sein depuis 1920 en France, celle-ci étant particulièrement marquée surtout depuis la fin du XXe siècle.  Un doublement du nombre de cas a notamment été identifié entre 1990 et 2018.

L’origine de cette augmentation serait plutôt à chercher du côté de l’évolution du comportement des femmes. De plus en plus d’études mettent en avant le rôle délétère de la consommation d’alcool et le tabagisme. D’autres facteurs sont également étudiés : le fait d’avoir des enfants plus tard et en moins grand nombre, mais aussi d’être en surpoids ou de ne pas pratiquer d’activité physique augmenteraient les risques de cancer. On estime par exemple que 10 % des cancers du sein survenant après 50 ans sont liés au surpoids.

 Texte tiré du livre Fake News Santé de l’Inserm, publié aux Editions du Cherche-Midi

Des compléments alimentaires à base de mélatonine contre les troubles du sommeil, vraiment ?

L’insomnie est un problème de santé publique majeur, puisque 20 % des Français[1] seraient affectés. Et ce n’est que la face visible de l’iceberg : une part encore plus grande de la population serait ponctuellement concernée par des difficultés à s’endormir ou aurait une quantité de sommeil insuffisante et/ou de mauvaise qualité. Si certains patients touchés par l’insomnie peuvent avoir recours à des médicaments (notamment des somnifères), l’approche privilégiée pour la prise en charge initiale des troubles du sommeil implique d’agir sur les mauvaises habitudes et d’aider les personnes concernées à adopter un comportement adapté pour favoriser le sommeil nocturne. Néanmoins, il n’est pas toujours aisé de mettre en place les bons réflexes, et les difficultés peuvent persister. Pour régler leurs problèmes de sommeil, certains choisissent alors de se tourner vers tout un tas de remèdes dont les vertus sont régulièrement vantées sur les réseaux sociaux ainsi que dans les publicités.

C’est le cas notamment de compléments alimentaires à base de mélatonine[2], auxquels on prête très souvent de grandes qualités pour favoriser l’endormissement et améliorer le sommeil, mais aussi pour lutter contre le décalage horaire et même selon certains, pour traiter certaines maladies, notamment certains troubles de santé mentale. Mais qu’en est-il réellement ? Que disent les études scientifiques actuelles ? Comprend-t-on bien tous les mécanismes en jeu ? On revient sur le sujet dans notre nouveau Canal Détox.

Mélatonine, la panacée ?

La mélatonine est une hormone synthétisée au niveau de la glande pinéale, située à l’arrière du cerveau, dont la fonction est d’apporter à l’organisme l’information sur la rythmicité jour/nuit, et de favoriser ainsi l’endormissement. Concrètement, la synthèse de la mélatonine s’accroît en fin de journée, lorsque l’intensité de la lumière diminue, signalant au cerveau qu’il sera bientôt temps d’aller dormir. Puis, sa concentration augmente pour atteindre son maximum vers 3 ou 4 heures du matin, avant de redevenir minimale peu de temps après le réveil.

La mélatonine a pour fonction principale la synchronisation de notre horloge biologique sur le rythme circadien, ce cycle de 24 heures auquel la plupart des fonctions de notre organisme sont soumises.

En prenant la mélatonine de synthèse contenue dans des compléments alimentaires, l’idée est de « forcer » un peu la nature, pour augmenter la concentration de mélatonine dans l’organisme et favoriser l’endormissement. Une promesse qui séduit les consommateurs.

De nombreux compléments alimentaires contenant de la mélatonine ont ainsi fait leur apparition sur le marché français. Des données ont indiqué qu’en 2018, jusqu’à 1,4 millions de boîtes auraient été vendues, témoignant de l’intérêt du public pour ce type de produits. Et au-delà des indications liées au sommeil, on voit de plus en plus de messages marketing affubler de multiples propriétés thérapeutiques à la mélatonine, concernant la plupart des maladies humaines, du cancer à la Covid-19 en passant par les maladies psychiatriques comme la dépression.

Le problème, c’est que les fondements scientifiques qui sous-tendent ces promesses demeurent encore fragiles pour certaines indications. De manière générale, les études qui s’intéressent aux effets de la prise de mélatonine sur le sommeil ou sur différents troubles comportent souvent des limites méthodologiques. Par exemple, les doses de mélatonine contenues dans les compléments testés (et dans ceux qui sont commercialisés), la durée des expériences et du suivi des participants ainsi que les critères d’inclusion varient souvent d’une étude à l’autre, ce qui complique la possibilité de généraliser les résultats. C’est d’autant plus vrai que les effets de la mélatonine peuvent varier en fonction de différents facteurs dont l’âge, la consommation de caféine, le fait d’être fumeur ou des interactions avec d’autres pathologies ou médicaments.

Les études les plus solides montrent que la mélatonine a des effets bénéfiques pour traiter les troubles du sommeil qui dépendent d’une dérégulation du rythme circadien (par exemple, en cas de décalage horaire, mais aussi de retard de phase du sommeil, très prévalent chez l’adolescent).

La mélatonine peut être un traitement très efficace chez des personnes souffrant de cécité totale, dont le rythme circadien n’est pas synchronisé sur une journée classique (notamment parce que ces individus ne perçoivent pas la lumière du jour), et qui souffrent souvent de fait d’insomnies récurrentes et/ou de somnolence en journée. Les consensus internationaux concluent que l’administration de mélatonine est le traitement de choix pour retrouver un rythme circadien normal de 24h chez l’aveugle en situation de « libre-cours », et permet de retrouver un sommeil de qualité et réduire un grand nombre de symptômes associés (cognitifs, de la santé mentale, métaboliques).

Certaines revues de la littérature scientifique soulignent aussi qu’en population générale, ces compléments peuvent être bénéfiques pour raccourcir un peu le temps d’endormissement surtout chez les sujets de plus de 55 ans[1], même si les effets varient en fonction des individus et de la formulation des produits consommés.

En revanche, peu d’effets ont été rapportés concernant la fréquence des réveils pendant la nuit ou sur la qualité du sommeil.

Certains chercheurs se sont aussi intéressés aux effets de la mélatonine pour traiter les complications liées au sommeil dans plusieurs troubles neurologiques ou psychiatriques. On sait que pour nombre de ces maladies l’horloge biologique peut être désynchronisée, et ce phénomène est responsable à la fois des problèmes de sommeil et de l’humeur. Prendre de la mélatonine a donc été envisagé comme une possible solution. Des effets intéressants ont d’ailleurs été observés dans le cadre de quelques études sur la maladie de Parkinson par exemple. Néanmoins, ces effets n’ont pas été validés dans de grandes cohortes de patients et il est donc prématuré de recommander de prescrire largement la mélatonine dans le cadre de ces pathologies.

 

Et la toxicité ?

Au-delà de la question de l’efficacité, la question de la sécurité se pose également. En 2018, l’Anses s’en était saisie après avoir reçu des déclarations d’effets indésirables susceptibles d’être liés à la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine. Il faut néanmoins mettre le nombre de cas rapporté à l’Anses en perspective par rapport aux nombres de compléments alimentaires à base de mélatonine vendus chaque année.

Globalement, les problèmes sont rares et la mélatonine est généralement considérée comme peu à risque.  Des études, menées principalement dans des modèles animaux, ont d’ailleurs suggéré qu’il faut des doses très élevées, bien plus que celles contenues dans des compléments alimentaires, pour observer des effets toxiques. Parmi les effets secondaires, globalement sans gravité, qui ont pu être observés : des maux de tête, des nausées, des somnolences, des vertiges et des maux d’estomac.

Il faut tout de même rappeler que chez certains patients, des interactions médicamenteuses ayant des conséquences plus graves peuvent survenir. Il faut être particulièrement vigilant en cas de grossesse ou d’allaitement, d’épilepsie, de problèmes de coagulation ou encore de maladies auto-immunes.

Il est également important d’avoir en tête que les compléments alimentaires à base de mélatonine se prennent avant d’aller dormir ou en fin de journée pour certains troubles, mais qu’à tout autre moment de la journée, ils peuvent engendrer une somnolence. Cela peut être problématique dans certaines activités, par exemple si l’on doit conduire.

De nombreux parents se questionnent aussi sur l’opportunité de donner de la mélatonine à leurs enfants, quand ceux-ci souffrent de troubles de sommeil, d’autant que les professionnels de santé sont souvent démunis face à l’insomnie pédiatrique. Un récent consensus européen conclut que la mélatonine n’est ni un « bonbon » ni un produit toxique, et qu’elle peut être donnée aux enfants qui souffrent de troubles de l’endormissement, à des doses faibles, et pendant une durée courte, en accord avec un médecin qui connaît bien le domaine du sommeil.

De manière générale, même si les risques sont faibles, mieux vaut ne pas s’auto-médiquer et faire appel à un médecin qui pourra mieux déterminer si la mélatonine peut avoir un réel intérêt pour un patient donné, en fonction de ses troubles. On peut aussi rappeler ici que prendre de la mélatonine ne traitera pas le « fond » des troubles de sommeil si ceux-ci sont liés par exemple à des problèmes de stress ponctuels, et qu’en cas de trouble chronique, mieux vaut consulter un professionnel.

 

Des pistes à creuser

Plusieurs priorités de recherche sont désormais nécessaires, afin d’aller plus loin et surtout de sortir d’une situation où des résultats de recherche sont parfois extrapolés pour des raisons marketing, afin de prêter à la mélatonine des vertus quasi miraculeuses.

En premier lieu, il faudrait mener des travaux pour mieux comprendre quelle est la dose de mélatonine la plus efficace et la mieux tolérée, en fonction des troubles, mais aussi de l’âge et du sexe. Un plus grand nombre d’essais cliniques randomisés, avec des critères d’inclusion et de doses plus homogènes, permettrait de réaliser des méta-analyses plus solides sur le sujet.

Il serait aussi intéressant d’évaluer l’efficacité à plus long terme de la prise de compléments à base de mélatonine pour mieux comprendre l’impact d’une interruption du traitement ou d’une prise quotidienne, à long terme, de ces molécules.

 

Texte rédigé avec le soutien de et avec Claude Gronfier, chronobiologiste, chercheur Inserm au centre de recherche en neurosciences de Lyon et Armelle Rancillac chercheuse Inserm en neurosciences, au Collège de France.

 

[1] Par ailleurs, selon l’enquête INSV/MGEN 2023, 37% des Français sont insatisfaits de la qualité de leur sommeil, en majorité les femmes (44%).

[2] Si la mélatonine est principalement vendue sous la forme de compléments alimentaires, elle  aussi disponible sous la forme de deux médicaments (CIRCADIN dosé à 2 mg par comprimé et SLENYTO dosé à 1 mg par comprimé, tous deux à libération prolongée). Sur la marché français, le circadin dispose d’une AMM (autorisation de mise sur le marché) pour traiter l’insomnie chez les + de 55 ans, et le Slenyto  dispose d’une RTU (recommandation temporaire d’utilisation) chez l’enfant de 2-18 ans. Elle peut aussi être prescrite par le médecin via une préparation magistrale, réalisée pour un patient déterminé chez le pharmacien, pour les troubles circadiens et psychologiques.

 

Des techniques miracles pour récupérer plus vite après l’effort et tenir toute la durée des JO, vraiment ?

© Inserm/Flore Avram

Participer aux Jeux Olympiques : c’est le graal pour les sportifs de haut niveau qui ont commencé leurs entraînements il y a déjà plusieurs mois, voire des années. Tenir la performance sur toute la durée des épreuves est un enjeu de taille pour ces athlètes qui visent la médaille olympique, et ce quelle que soit la discipline concernée. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à partager leurs « secrets » avec leur communauté, racontant avoir trouvé la méthode de préparation et de récupération la plus efficace pour leur permettre d’enchaîner les épreuves. Mais existe-t-il vraiment une technique miracle qui permettrait à notre corps de récupérer en un temps record ?  Canal Détox s’est penché sur quelques-unes des techniques qui semblent avoir le vent en poupe parmi les sportifs. Ventouses, cryothérapie, immersion en bain… Que dit la science ?

 Qui dit JO dit programme de compétition chargé pour les athlètes ! Alors que les épreuves s’enchaînent à un rythme soutenu, les courtes périodes de repos doivent être optimisées et considérées comme des moments clés au service de la performance sportive. D’autant qu’un état de fatigue prolongé dû à un temps de récupération insuffisant ou à une mauvaise préparation peut augmenter le risque de blessures pendant la compétition sportive[1].

 

Ventouses, cryothérapie, immersion en bain…

 De très nombreuses techniques de récupération sont utilisées par les athlètes de haut niveau afin notamment de limiter la fatigue musculaire et les douleurs. Il serait difficile de toutes les citer, même si certaines ont été beaucoup médiatisées.

Récemment, une vidéo du nageur et champion olympique Florent Manaudou a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, alors que son dos est apparu marqué de plusieurs tâches circulaires de couleur rouge pâle. Il n’est pas le seul : régulièrement, c’est le footballeur international Karim Benzema qui expose fièrement son corps marqué. La technique utilisée par ces athlètes est celle de la ventousothérapie, appelée aussi hijama ou cupping, employée aussi bien en préparation qu’en récupération musculaire – et dans certains cas pour réduire la douleur.

Cette technique traditionnelle est surtout populaire en Chine, en Corée, au Japon et en Arabie saoudite. Des ventouses, en verre ou en plastique, sont utilisées pour exercer des pressions rapides et vigoureuses sur la peau grâce à un dispositif mécanique de pompage ou via le réchauffement de la ventouse à l’aide d’une flamme. La technique peut être déclinée de différentes manières, certaines sollicitant par exemple l’utilisation d’aiguilles ou de scalpels en plus des ventouses dans l’objectif de provoquer un saignement.

Quelques articles scientifiques se sont intéressés à la ventousothérapie et aux effets de cette pratique pour aider les athlètes à récupérer ou à réduire leurs douleurs, d’autres ont été publiés pour tenter d’en expliquer les mécanismes d’action potentiels. Néanmoins, le nombre d’études cliniques réalisées, ainsi que la qualité globale de ces études reposant souvent sur des petits échantillons de participants, ne constituent pas de preuves scientifiques suffisantes pour attester de l’efficacité de cette thérapie dans la gestion de la douleur, ni sur la fatigue musculaire. Pire, les effets néfastes eux sont documentés si la technique est mal utilisée. C’est pour cela d’ailleurs que la pratique des ventouses a été interdite par l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes en 2021.

On retrouve un peu les mêmes conclusions[3] en ce qui concerne la cryothérapie, technique qui consiste au refroidissement de l’organisme corporel par exposition entière du corps pendant 2 à 3 minutes à un froid sec (-100 °C à -170 °C). Dans le milieu sportif, cette technique est considérée par certains comme utile pour prévenir les blessures ou traiter les douleurs musculaires après l’exercice, surtout dans le cas des sports d’endurance extrême (triathlon, marathon, etc.), ainsi pour les disciplines qui entraînent des chocs musculaires immédiats importants, comme par exemple le rugby.

Si des présomptions d’effets bénéfiques de la cryothérapie sur la récupération musculaire existent, les études réalisées sont encore trop peu nombreuses pour l’affirmer définitivement. La littérature scientifique manque de preuves cliniques de qualité, et notamment d’études randomisées pour attester de résultats significatifs. La pratique pose par ailleurs des problèmes de sécurité. Brûlures locales au 1er ou 2e degré, céphalées ou accentuation des douleurs présentes sont quelques-uns des effets secondaires qui ont parfois été rapportés.

Enfin, l’immersion en bain est l’une des méthodes de récupération les plus courantes dans le sport. Cette technique consiste à se plonger jusqu’au cou dans l’eau, en alternant des températures chaudes et froides pendant quelques minutes… Une méta-analyse (analyse d’un corpus de 52 publications) récente s’est intéressée à son efficacité selon différents protocoles, concluant à un effet potentiellement bénéfique de l’immersion sur la récupération musculaire 24 heures après un exercice de haute intensité, même si, comme dans les deux cas précédents, il manque des données solides et d’autres études répliquant ce résultat pour établir un niveau de preuve suffisant.

À chaque athlète sa technique de récupération

Vous l’aurez compris, il n’existe pas de méthodes miracles pour récupérer plus vite après l’effort. Aucune des méthodes décrites plus haut n’a encore fait consensus et toutes comportent des risques. Ce qui est sûr, c’est que tout comme l’entraînement, la récupération doit être adaptée et personnalisée selon les disciplines et selon l’athlète, puisque les muscles sollicités et les impacts liés à la pratique sportive sont différents, tout comme le niveau et le type de fatigue ressentie après l’effort. D’ailleurs, une étude publiée dans The International Journal of Sports Physiology and Performance met en avant l’importance de l’individualisation du programme de récupération des athlètes pour maximiser les performances et prévenir les effets néfastes tels que la sous-récupération, le surmenage, le syndrome de surentraînement, les blessures ou les maladies.

Enfin, ces programmes de récupération personnalisés doivent toujours s’accompagner de trois éléments clés pour garantir la performance : une bonne hydratation, une alimentation adaptée, ainsi que du sommeil en quantité suffisante.

 

Texte rédigé avec le soutien de Carole Cometti, directrice du CEP de l’Inserm (Centre d’expertise de la performance)

[1] https://bjsm.bmj.com/content/50/17/1030

[2] Métabolite du glucose produit par les tissus de l’organisme lorsque l’apport en oxygène est insuffisant, notamment dans le cadre d’une activité physique intense.

[3] Lire le rapport de l’Inserm : Évaluation de l’efficacité et de la sécurité de la cryothérapie du corps entier à visées thérapeutique

Bien s’étirer pour lutter contre les courbatures, vraiment ?

vignette BD Canal Détox étirements_femme avec chat s'étirant tous les 2© Inserm/Flore Avram

On s’attaque peut-être ici à l’un des mythes les plus répandus en matière de sport et de récupération après l’effort : les étirements permettent-ils de limiter les courbatures ?  Malgré tout ce qu’on peut entendre lorsqu’on se rend dans certaines salles de sport ou sur quelques comptes « fitness » sur les réseaux sociaux, la réponse est non. Les étirements ne sont pas un exercice utile pour récupérer après un effort sportif. Mais alors pourquoi faire des étirements ? De nombreuses publications scientifiques se penchent sur le sujet des étirements notamment pour tenter d’optimiser les entraînements des sportifs, qu’ils soient des athlètes occasionnels ou de haut niveau, mais leurs conclusions sont parfois contradictoires. On tente donc d’y voir plus clair avec ce nouveau Canal Détox, le troisième de notre série publiée à l’occasion des JOP 2024 !

Avant même de se poser la question du meilleur moment pour réaliser les étirements ou du type d’étirements qui serait le plus bénéfique, il faut bien comprendre à quoi ils servent. Les données disponibles convergent sur ce point : les étirements permettent d’accroître la souplesse mais aussi d’améliorer la mobilité. En effet, plus l’on est souple, plus l’on est capable de maintenir l’amplitude des mouvements des articulations. Et perdre en souplesse, c’est risquer que les muscles ne puissent s’étendre complètement lors d’un mouvement, ce qui peut se traduire par une augmentation du risque de douleurs articulaires et de lésions musculaires. Ces bénéfices des étirements sont observés à des degrés divers selon l’état de santé et le niveau sportif d’une personne mais globalement, on peut dire que s’étirer est une pratique intéressante et utile à tous.

Il est néanmoins faux de considérer que les étirements sont un exercice facile qu’il faut nécessairement pratiquer après une session de sport pour récupérer et lutter contre les courbatures.

Les courbatures sont en fait dues à des microlésions musculaires qui apparaîssent au cours de l’effort, la douleur survenant ensuite, plusieurs heures à quelques jours après, sous l’effet de processus inflammatoires. Or, aucune donnée dans la littérature scientifique ne permet d’affirmer que les étirements ont un effet anti-inflammatoire et donc anti-douleur, même s’ils peuvent momentanément produire une sensation agréable. Qui plus est, des étirements mal réalisés et/ou trop intenses juste après un effort peuvent accentuer les microlésions dans les muscles et donc accroitre la douleur qui sera associée aux courbatures.

Étirements et vieillissement

Des travaux scientifiques essayent de capitaliser sur les bénéfices des étirements dans le contexte du vieillissement, avec l’idée que favoriser les étirements chez les personnes âgées est bénéfique pour favoriser la souplesse et la mobilité, augmenter la force musculaire et donc pour améliorer l’état de santé général.

C’est d’autant plus crucial que le manque de souplesse chez les personnes âgées peut causer des troubles de l’équilibre, une limitation des mouvements et une altération des paramètres spatio-temporels pendant la marche (vitesse de marche, longueur de la foulée, fréquence de la marche et amplitude des mouvements). Ces altérations peuvent entraver les activités quotidiennes et réduire par conséquent la qualité de vie. De plus, la réduction de l’amplitude des mouvements peut augmenter le risque de chute chez les personnes d’âgées.

Les recherches se poursuivent pour définir les programmes d’étirements les plus adaptés pour les personnes âgées, mais aussi pour des populations en contexte clinique, dans le cadre d’une rééducation après une opération de chirurgie orthopédique par exemple.

Quand, comment, pour qui ?    

Au-delà de ces considérations générales, que faut-il recommander aux sportifs en matière d’étirements, que ce soit lorsque l’on pratique en amateur ou pour des athlètes de haut niveau ? Quand est-il pertinent de s’étirer et comment ?

La littérature scientifique est assez hétérogène sur le sujet. On l’a vu, les étirements après un effort ne favorisent pas la récupération et ne limitent pas les courbatures.

Et avant l’effort alors ? De manière générale, les études s’accordent pour dire que des exercices d’étirements de courte durée peuvent être réalisés dans le cadre d’un échauffement complet et que les étirements dynamiques sont plus souvent recommandés par rapport aux étirements statiques[1]. Cependant, l’intérêt des étirements dynamiques par rapport à d’autres types d’étirements reste encore débattu par les spécialistes.

De plus, il faut être prudent lorsqu’on pratique à haut niveau. Si de toute évidence pour certains sports (par exemple la gymnastique ou le patinage artistique), la souplesse fait partie des facteurs déterminants de la performance et les étirements doivent être intégrés à la routine pré-exercice, pour d’autre types de sport où la force et la vitesse sont des paramètres centraux, les étirements peuvent avoir un impact délétère sur la performance. L’une des raisons est qu’avoir des muscles moins « raides », comme c’est le cas après un étirement, ne favorise pas la vitesse des gestes ni l’explosivité[2].

Si l’on résume donc, dans l’absolu, pour un sportif occasionnel sans objectif compétitif, un étirement bien réalisé avant un effort n’handicapera pas outre mesure sa recherche de performance et participera à améliorer sa souplesse globale. Mais pour un sportif compétiteur, l’étirement juste avant l’activité peut se faire au détriment de sa force, et n’est donc pas toujours recommandé. Les conseils de l’entraîneur et la prise en compte du sport pratiqué, de l’entraînement global du sportif, de son niveau de souplesse et de son état physique général seront dans tous les cas déterminants pour décider ou non de s’étirer avant l’effort, et de quelle manière.

Enfin, plus largement, il pourrait être intéressant, peu importe le niveau sportif, de pratiquer des étirements plutôt au cours de sessions dédiées, à distance dans le temps d’un effort sportif, afin d’améliorer le niveau de souplesse globale sans impact sur la performance. C’est d’autant plus intéressant qu’il a aussi été montré que plus l’on est souple, moins le fait de réaliser des étirements avant un effort aura un impact délétère sur la performance.

Une chose est certaine : lorsque l’on fait du sport, surtout avec un objectif précis en tête, il est utile de bien s’entourer, et de se faire conseiller par un professionnel, qu’il s’agisse d’un entraîneur, d’un athlète plus aguerri, d’un kinésithérapeute, d’un médecin du sport…

Dans une récente étude, des sportifs (occasionnels et de haut niveau) ont été interrogés sur leur pratique des étirements. Seuls 37 % d’entre eux rapportaient avoir été supervisés pour la réalisation de leurs étirements. Il pourrait être intéressant de renverser cette tendance, en encourageant toutes les personnes qui font régulièrement du sport à aller chercher les conseils et l’accompagnement d’un professionnel, afin d’apprendre à s’étirer avec la bonne intensité, la bonne technique et le bon positionnement, et en accord avec ses propres objectifs de performance et de souplesse.

 

Texte rédigé avec le soutien de Nicolas Babault, chercheur au CAPS de l’Inserm (unité 1093 Inserm/Université de Bourgogne) et professeur à l’université de Bourgogne 

[1]Les étirements statiques consistent à pratiquer un mouvement pour « tendre » un muscle et à maintenir la position pendant plusieurs secondes. À l’inverse, les étirements dynamiques se caractérisent par l’absence de maintien d’une position. En effet, il s’agit d’effectuer lentement des mouvements actifs, répétés dans des amplitudes de plus en plus grandes, pour amener les muscles en position d’étirement.  

[2]L’explosivité est la capacité à enclencher, en un temps court, une forte contraction musculaire.

Consommer plus de protéines quand on pratique du sport à haut niveau, vraiment ?

Canal Détox BD semaine 2© Flore Avram/Inserm

Gagner en force musculaire, construire du muscle, réduire la masse grasse, améliorer la récupération musculaire… Autant de promesses qui sont faites aux consommateurs lorsqu’ils décident d’acheter des compléments alimentaires à base de protéines. Il est vrai qu’avoir un apport élevé en protéines est souvent conseillé pour les sportifs, au-delà de l’apport journalier recommandé. Le recours à des poudres protéinées pose néanmoins question, des inquiétudes pour la santé en cas de surconsommation ayant parfois été rapportées.

Comment expliquer l’importance accordée aux protéines dans le sport de haut niveau ? Quel est le rôle des protéines dans les performances sportives ? Faut-il éviter les poudres protéinées ? Canal Détox fait le point.

Les protéines sont des constituants indispensables à notre corps et environ 40 % d’entre elles sont stockées dans nos muscles. Elles jouent différents rôles importants dans l’organisme, dont un rôle de transport et un rôle structural. Ainsi, des protéines comme l’hémoglobine assurent par exemple le transport de l’oxygène dans le corps et l’élimination du dioxyde de carbone. Le rôle structural des protéines détermine quant à lui la forme des cellules et intervient dans le renouvellement des tissus, notamment des tissus musculaires.

 

Protéines et acides aminés

Les protéines sont constituées d’une chaîne de composés individuels, appelés « acides aminés ». Cette chaîne est spécifique pour une protéine donnée. Les acides aminés sont indispensables à la synthèse des protéines.

Même si le corps humain en produit certains, neuf acides aminés ne peuvent pas être synthétisés par l’organisme. Ces derniers, dits « acides aminés essentiels », doivent donc être apportés par l’alimentation, essentiellement sous forme de protéines. La quantité de chaque acide aminé nécessaire au besoin d’un organisme et à la fabrication des protéines dépend notamment de l’âge, de la taille, de la masse musculaire et de l’activité physique.

L’apport journalier recommandé (AJR) est de 0,8 à 1 g de protéines par kilogramme de poids corporel par jour pour les personnes de plus de 19 ans. Ce qui représente par exemple une consommation de 60 à 75 g par jour pour une personne de 75 kg.

Cet apport journalier peut être facilement atteint grâce à un régime équilibré. Lors d’un repas équilibré, un quart des aliments sélectionnés doit apporter des protéines. Les protéines sont présentes dans beaucoup d’aliments de notre quotidien, sous forme de protéines animales comme dans la viande de poulet (100 g contient environ 22 g de protéines), le poisson (100 g contient environ 20 g de protéines), le lait, ou encore les œufs ou bien sous forme de protéines végétales comme dans les céréales (blé, avoine) et les légumineuses (lentilles, pois chiches…).

 

Protéines et masse musculaire

Si consommer une quantité de protéines en accord avec l’AJR recommandé est suffisant pour la majorité des personnes, qu’en est-il pour les sportifs de haut niveau ? On entend régulièrement que les sportifs chevronnés devraient avoir recours à une supplémentation en protéines. Certains affirment même qu’une consommation élevée de protéines est indispensable pour atteindre ses objectifs de performance sportive.

On sait en effet que la sollicitation répétée d’un muscle normal, comme c’est le cas chez les sportifs, favorise l’accroissement de sa masse de deux façons. La première en entraînant une augmentation de la synthèse de protéine, qui ne peut se faire qu’avec des acides aminés essentiels apportés par l’alimentation.

La deuxième est que les stimuli mécaniques du muscle entraînent la survenue de microlésions musculaires. Celles-ci vont favoriser la stimulation des cellules souches du muscle et leur incorporation à la fibre musculaire, ce qui va participer à l’augmentation de la masse musculaire. Ces microlésions sont ensuite réparées grâce à l’intervention de protéines. Il est donc important d’avoir un bon apport alimentaire en acides aminés essentiels pour que tout ce mécanisme se fasse correctement.

Mais si les protéines sont centrales dans le régime d’un sportif de haut niveau, quelle doit être la quantité exacte consommée au quotidien ? Il est difficile de répondre de manière précise et de généraliser. En fait, et de manière assez logique, la quantité doit être pensée en fonction de l’activité pratiquée et de son intensité. Le mot clé ici : l’équilibre. Un entraînement intensif devra être équilibré par un grand apport en protéines, et un entraînement plus « léger » ne demandera qu’un petit apport supplémentaire, voire simplement de modifier légèrement son alimentation. Un déséquilibre pourrait avoir un effet délétère.

Pour trouver cet équilibre, le mieux est de demander de l’aide à un spécialiste (par exemple un préparateur sportif ou un médecin) qui pourra apporter des conseils sur les quantités qui sont les plus pertinentes en fonction des attentes, des objectifs et des entraînements pratiqués.

 

Quelles sont les sources de protéines ?

Quelles possibilités ont les sportifs pour consommer plus de protéines ? Une alimentation équilibrée faisant la part belle à des aliments riches en protéines (animales ou végétales) est le premier réflexe à avoir pour augmenter son apport.

Les sportifs choisissent parfois d’avoir recours à des compléments alimentaires en poudre à base de protéines. Quand on parle de ces compléments, on cite souvent la protéine « whey », aussi appelée lactosérum, ou bien la « caséine ». Ces deux protéines sont issues du lait et ont la caractéristique de contenir les neuf acides aminés essentiels, que le corps ne peut pas fabriquer lui-même.

Il faut bien avoir en tête que ces produits ne sont pas miraculeux. Les protéines en poudre ne sont utiles que si elles accompagnent un entraînement sportif intense et régulier, et qu’elles sont consommées dans le cadre d’une alimentation équilibrée, sur les conseils d’un entraîneur sportif qualifié.

D’autant qu’on sait que, contrairement aux protéines consommées via l’alimentation, on ne consomme pas en même temps d’autres nutriments utiles à l’organisme comme des fibres par exemple, lorsqu’on prend ces compléments. Attention donc, si l’on utilise ces poudres, de continuer aussi de consommer des protéines animales et/ou végétales dans le cadre de son régime alimentaire pour éviter les carences.

 

Les risques possibles

Y a-t-il un risque à consommer des protéines au-delà de l’apport journalier recommandé ?

De manière générale, la consommation à long terme de tout nutriment en grandes quantités peut avoir des effets néfastes sur la santé humaine. Dans la population générale, une consommation de protéines de manière régulière supérieure aux apports journaliers recommandés peut avoir un impact sur la capacité du foie, de l’intestin et des reins à détoxifier l’ammoniaque[1]. Parmi les effets indésirables qui peuvent alors être observés : inconfort intestinal et troubles digestifs, hyperammonémie (élévation de l’ammoniac dans le sang), hyperinsulinémie (élévation de l’insuline), déshydratation, nausées, lésions hépatiques et rénales, fatigue, maux de tête…

Certains travaux ont particulièrement insisté sur les effets délétères sur les reins et le risque d’insuffisance rénale. Cependant, en l’état actuel des connaissances, ce sont surtout les personnes ayant déjà des problèmes rénaux chroniques qui semblent être les plus vulnérables (chez elles, il est recommandé de ne pas dépasser 0,8 g d’apport protéique par kg de poids corporel par jour). D’autres craintes existent sur des possibles risques cardiovasculaires liés à un apport trop grand en protéines, même si les données sur le sujet sont encore parcellaires.

Sur les risques spécifiques à la consommation de poudres, la présence d’additifs comme des édulcorants, des émulsifiants ou des épaississants peut aussi présenter des risques pour la santé à long terme. Par ailleurs, certaines de ces poudres peuvent contenir des produits dopants comme des hormones de croissance et des stéroïdes anabolisants. Des labels antidopage existent, il est important de rester vigilant. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a mis en place une nutrivigilance sur les compléments alimentaires en général et ces produits en particulier.

Si les protéines sont un allié pour les grands sportifs et peuvent les aider dans leur recherche de performance, il faut néanmoins rester prudent afin de limiter aux mieux les effets potentiellement délétères qu’une surconsommation ou un recours à des compléments alimentaires pourrait entraîner.

Pour éviter les faux pas, le mieux est encore de se faire aider d’un spécialiste de la préparation physique qui saura vous conseiller au mieux pour maximiser vos efforts et les résultats ou d’un expert en nutrition pour adapter au mieux son alimentation.

 

 

Texte rédigé avec le soutien de Catherine Coirault, directrice de recherche Inserm au Centre de Recherche en Myologie, et de Catherine Feart-Couret, chargée de recherche au Bordeaux population health research center.

[1] Dans un foie sain, l’ammoniac n’est présent dans l’organisme qu’en très petites quantités. Chez les personnes en bonne santé, l’intestin et le foie doivent détoxifier environ 5000 mg d’ammoniaque par jour.

Médecine psychédélique : du tourisme thérapeutique aux essais cliniques

© Photo de Possessed Photography sur Unsplash

En février 2024, débutait un essai clinique français impliquant l’usage d’une substance psychédélique, le premier depuis plus de cinquante ans. Mené au CHU de Nîmes, il vise à tester les effets de la psilocybine chez des patients atteint de troubles d’usage de l’alcool associés à la dépression. La France rejoint ainsi les nombreuses études conduites dans la dernière décennie à l’étranger – notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis – explorant les effets thérapeutiques des substances psychédéliques pour le traitement de divers troubles psychiatriques.

Bien que présenté par certains professionnels de santé mentale comme un traitement « révolutionnaire », l’usage des psychédéliques à des fins thérapeutiques n’est pas nouveau. D’abord parce qu’une première vague d’essais cliniques avait été conduite en Europe et en Amérique du nord au cours des années 1950-1970. Rappelons en outre que de nombreuses sociétés autochtones des Amériques mobilisent traditionnellement ces substances issues de plantes dans le cadre de rituels thérapeutiques : l’ayahuasca en Amazonie, les champignons psilocybes ou peyotl en Mésoamérique, ou encore le cactus San Pedro dans le monde andin.

Depuis une trentaine d’années, une forme de tourisme thérapeutique s’est développée dans ces régions, et tout particulièrement en Amazonie péruvienne, où se rendent chaque année de nombreux voyageurs internationaux qui souhaitent participer à des pratiques rituelles mobilisant l’usage de l’ayahuasca, un breuvage hallucinogène préparé à partir de plantes endémiques. Principalement issus des classes moyennes ou supérieures américaines et européennes, ces personnes voyagent dans le cadre d’une quête thérapeutique, pour tenter de régler des troubles de santé mentale, améliorer leur bien-être général ou encore faire face à de évènements de vie difficiles. Cette démarche s’inscrit généralement dans un parcours de soins ayant mobilisé, le plus souvent sans succès, d’autres formes de thérapies plus « conventionnelles » dans leur pays d’origine.

Ce tourisme psychédélique a eu un impact important sur les communautés autochtones et leurs pratiques culturelles. Ce phénomène soulève notamment des questions relatives aux dynamiques d’appropriation culturelle – dans la mesure où nombre des « centres chamaniques » accueillant la clientèle internationale sont fondés et dirigés par des occidentaux – mais également aux effets potentiels sur le mode de vie de ces communautés lorsqu’elles s’engagent dans l’industrie du tourisme.

Enfin, s’ils s’appuient sur des pratiques et savoirs « traditionnels », les centres d’Amazonie péruvienne proposant des « retraites chamaniques », transforment également ces pratiques, pour proposer une offre très standardisée aux clients internationaux.

Ceux-ci se voient ainsi presque systématiquement proposer une expérience fondée sur le recours à des plantes dites « purgatives » (vomitives ou laxatives) utilisées à des fins de purification, des retraites dans la jungle accompagnant l’ingestion d’autres plantes (« diètes ») et de rituels d’ayahuasca, souvent accompagnés de groupes de parole, voire d’un accompagnement psychothérapeutique. Au sein de ces institutions éminemment interculturelles, on voit ainsi les guérisseurs autochtones adapter leurs pratiques traditionnelles et adopter un vocabulaire emprunté à la médecine et à la psychologique occidentale. Nombre d’entre affirment par exemple être à même de guérir le « burnout » ou la « dépression ».

Un intérêt scientifique renouvelé

La popularité de ce tourisme psychédélique est l’un des facteurs qui a contribué à renouveler l’intérêt de la science et de la médecine pour les propriétés thérapeutiques de ces substances. Mais cet intérêt a également été soutenu par le travail d’associations anglo-saxonnes comme la fondation Beckley ou MAPS, qui militent depuis plusieurs décennies pour la reprise des essais cliniques sur ces substances.

Ces efforts ont conduit à une réintroduction progressive de ces substances dans la recherche. Depuis le début du 21e siècle, un nombre croissant d’essais clinique a été initié, principalement dans les pays anglo-saxons, mais également en Suisse, en Allemagne ou au Brésil. Ces recherches visent à évaluer l’efficacité des psychédéliques dans le traitement de divers troubles de santé mentale (dépression, anxiété, syndrome de stress post-traumatique, troubles obsessionnels-compulsifs ou addictions), notamment pour les patients ne répondant pas aux interventions thérapeutiques conventionnelles ou aux traitements médicamenteux actuellement disponibles.

Les premiers résultats de ces études, publiés dans de prestigieuses revues scientifiques, laissent entrevoir plusieurs applications thérapeutiques possibles pour ces substances. Parmi les travaux les plus aboutis, des études mettent par exemple en évidence l’efficacité de l’ayahuasca et de la psilocybine, substance active des champignons hallucinogènes, dans le traitement de la dépression, ou du LSD dans le traitement de l’anxiété. Dans l’attente des résultats définitifs d’essais cliniques de phase 3, certains pays, dont l’Australie et les États-Unis, ont déjà accordé des autorisations préliminaires de mise sur le marché de certains psychédéliques pour le traitement de certains troubles tels que le syndrome de stress post-traumatique et la dépression.

En France, en plus de l’étude lancée à Nîmes début 2024, trois autres essais devraient prochainement voir le jour. La première étude testera les effets du LSD dans le traitement de l’alcoolisme, la seconde ceux de la psilocybine sur cette même indication, et la dernière, menée sur plusieurs sites hospitaliers français, les effets de la psilocybine sur la dépression résistance aux traitements. Je collabore pour ma part avec les équipes de ces deux derniers projets.

Des défis cliniques et éthiques

Si la dynamique en faveur de la mise à disposition des patients de ces substances est forte, il ne suffira pas de consolider les résultats scientifiques pour que les psychédéliques soient déployés rapidement dans la pratique médicale. La « médicalisation » des psychédéliques suscite en effet d’importantes enjeux socio-économiques, culturels et éthiques, et pose des questions tout à fait inédites en termes cliniques.

A la différence des traitements psychotropes habituellement prescrits, les effets – et donc les bénéfices – de ces substances dépendent en effet fortement du contexte d’administration. Il est donc indispensable d’accompagner leur administration dans des salles dédiées et adaptées, par des équipes formées et mobilisées pendant plusieurs heures, le temps que les effets de la substance s’atténuent.

Pour en savoir plus lire notre article dans le magazine 60 de l’Inserm : “Substances psychédéliques : une révolution pour traiter la dépression ?”

La disposition psychologique des patients joue également un rôle central dans l’efficacité des psychédéliques. Des séances de préparation sont ainsi nécessaires en amont afin d’expliquer et de prévenir les effets parfois éprouvants de ces substances, tel que l’anxiété. De nombreuses études soulignant l’importance d’articuler l’usage de ces substances à des séances de psychothérapie, qui permettent d’inscrire ces expériences dans un processus thérapeutique.

Ces substances nécessitent donc un dispositif plus lourd et coûteux que les thérapies médicamenteuses conventionnelles, ce qui pose la question de sa capacité à être diffusé largement et des inégalités d’accès qui pourraient se poser.

Enfin, les psychédéliques sont connus pour susciter des expériences « mystiques », amenant certains patients à faire l’expérience du « divin », à « voir » des personnes décédées ou à se « remémorer » des expériences traumatiques supposées. Comment accompagner au mieux ces expériences, qui peuvent être vécues par les patients comme plus réelles que la réalité ordinaire? Quel statut leur accorder au sein de la prise en charge thérapeutique ? Alors que la suggestibilité est augmentée lors de ces expériences, quelles bonnes pratiques les cliniciens doivent-ils adopter pour éviter d’influencer les patients lors de leurs interventions ?

Autant de questions passionnantes et nouvelles dans le domaine de la psychiatrie, sur lesquelles les chercheurs et cliniciens ne pourront pas faire l’impasse.

 

 Texte rédigé avec le soutien de David Dupuis, chargé de recherche à l’Inserm, docteur en anthropologie et commissaire de l’exposition « Visions chamaniques” au Musée du Quai Branly.

Mincir grâce aux médicaments « coupe-faim », vraiment ?

balance© Photo i yunmai/Unsplash

Des vidéos sur TikTok qui vantent les mérites d’un médicament contre le diabète de type 2 « détourné » pour perdre du poids, des unes de journaux qui s’interrogent pour savoir si nous pourrions tous devenir « minces » grâce à une nouvelle génération de traitements de l’obésité… Ce n’est pas une nouveauté : la perte de poids est fréquemment présentée comme une préoccupation majeure dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Sur ces plateformes, des messages de prévention pour lutter contre l’obésité, qui constitue une priorité de santé publique, fondés sur des bases scientifiques solides, sont véhiculés aux côtés de nombreux stéréotypes associant beauté et minceur ainsi que de recettes « miraculeuses » pour perdre du poids. Dans ce contexte où la confusion règne et où le public se retrouve exposé à des injonctions contradictoires, le sujet des « coupe-faim », des molécules présentées comme efficaces pour perdre du poids, trouve régulièrement un écho important.

Mais à quoi renvoie réellement ce terme de « coupe-faim » et est-il vraiment adapté ? Au-delà des tendances et des soi-disant remèdes pour perdre du poids qui s’affichent sur les réseaux sociaux, quelles approches thérapeutiques sont réellement pertinentes pour les personnes en situation d’obésité ? Canal Détox fait le point.  

À l’échelle de la planète, le surpoids et l’obésité sont en augmentation depuis 1990 dans la plupart des pays, comme l’indique un récent article dans The Lancet, et touchent plus d’une personne sur huit dans le monde. Il s’agit d’un problème de santé publique très important, d’autant que cette maladie chronique est associée à de nombreuses comorbidités (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires, du foie, des articulations…). Toutes les données scientifiques et cliniques actuellement disponibles soulignent que, pour être efficace, la prise en charge de l’obésité doit être multidisciplinaire et tenir compte du contexte et de l’environnement propre à chaque personne.

Ainsi, des interventions pour transformer les habitudes alimentaires et lutter contre la sédentarité sont nécessaires. Elles doivent néanmoins être combinées à un accompagnement personnalisé qui tienne compte des freins psychologiques, du mode de vie et de l’histoire personnelle de chacun, de la nécessité de traiter les comorbidités, mais aussi du fait que la perte de poids est conditionnée par une grande variabilité interindividuelle. En bref, la médecine de l’obésité doit être globale et holistique.

Dans certains cas, quand l’obésité est installée de manière durable et particulièrement complexe à prendre en charge, il peut être nécessaire d’avoir recours à des outils médicamenteux ou à la chirurgie bariatrique. Toutefois, cette dernière est réservée uniquement aux cas les plus sévères, c’est-à-dire à des personnes avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 35 kg/m² avec une complication associée ou avec un indice de masse corporelle supérieur à 40 kg/m².

 

Liraglutide et sémaglutide

Sur le plan des médicaments, un traitement de première génération, l’orlistat, a longtemps été prescrit aux patients souffrant d’obésité (IMC > 30 kg/m²). Cette molécule fonctionne en bloquant l’action d’une enzyme qui permet l’absorption des graisses. Néanmoins, bien qu’une réduction du risque de diabète ait été observée, son efficacité demeure assez limitée, la perte de poids moyenne constatée avec ce traitement étant relativement modérée

Ces dernières années, d’autres avancées thérapeutiques se sont matérialisées grâce au développement d’une nouvelle classe de médicaments qui imitent l’hormone glucagon-like peptide 1 (GLP-1) : les analogues du GLP-1. Ces médicaments contiennent généralement soit du liraglutide, soit du sémaglutide. Ces deux molécules analogues du GLP-1 ont notamment pour effet d’augmenter la sensation de satiété, et donc de permettre aux personnes de mieux contrôler leurs apports alimentaires.

À l’heure actuelle, le liraglutide peut être prescrit à raison d’une injection par jour, mais il n’est pas remboursé par la Sécurité sociale. Quant au sémaglutide, il n’est aujourd’hui autorisé en France que pour le traitement du diabète de type 2 et commercialisé sous le nom de marque Ozempic.

Le sémaglutide sous une forme plus dosée que l’Ozempic a par ailleurs été développé pour le traitement de l’obésité (il s’agit d’un médicament appelé Wegowy). Déjà autorisé aux États-Unis, il a pu être proposé à près de 10 000 personnes avec une obésité sévère avec au moins une comorbidité (IMC > 40 kg/m²) en France dans le cadre d’une expérimentation qui doit se poursuivre jusqu’à l’automne 2024. Cependant, des retours des agences réglementaires sont désormais attendus pour étendre sa prescription à un plus grand nombre de patients.

Les « coupe-faim », un terme inadapté ?

Dans les médias, les analogues du GLP-1 sont souvent désignés comme des « coupe- faim ». Un terme que certains médecins estiment être inadapté. En effet, ces médicaments régulent l’appétit et augmentent la sensation de satiété. Résultat : l’envie de manger n’est plus une préoccupation centrale et permanente, et les patients reprennent le contrôle de leur appétit, sans pour autant que toute sensation de faim disparaisse.

 

La folie de l’Ozempic

Ces bases étant posées, revenons sur la popularité qu’a connue l’une de ces molécules, l’Ozempic, sur les réseaux sociaux. Au cours de l’année écoulée, dans des vidéos ou des articles partagés de nombreuses fois, certains créateurs de contenus ont conseillé aux personnes qui les suivent d’utiliser ce médicament (indiqué, rappelons-le, pour le traitement du diabète de type 2), comme un « coupe-faim », afin de perdre quelques kilos. Cette tendance, qui consiste à détourner un médicament prescrit dans des circonstances bien spécifiques pour favoriser la perte de poids, est problématique à plusieurs égards.

Premièrement, parce que prendre un médicament pour une autre indication que celle pour laquelle il a été mis sur le marché, ici simplement pour perdre quelques kilos, comporte des risques pour la santé. Parmi les effets secondaires associés à l’Ozempic, on retrouve par exemple fréquemment des problèmes digestifs qui peuvent avoir un impact sur la qualité de vie.

On peut aussi citer une étude parue en octobre dans la revue JAMA, qui suggère que la prise d’analogues du GLP-1 pour perdre du poids peut entraîner des affections gastro-intestinales rares mais sévères (pancréatite, obstruction intestinale, pathologies biliaires ainsi qu’un retard dans le passage des aliments de l’estomac vers l’intestin grêle). S’exposer à ce type d’effets alors que l’on n’est pas malade et qu’on souhaite juste perdre quelques kilos n’est pas anodin. Enfin, ce médicament peut entraîner une perte de poids importante qui peut être dangereuse sans contrôle médical.

Il faut bien avoir en tête qu’il n’y a pas de solution « miracle » pour perdre du poids. Cela repose toujours sur une combinaison de facteurs individuels (adapter son mode de vie et son alimentation, avoir une activité physique régulière, changer son rythme de sommeil, agir sur le stress…) et non sur la prise d’un médicament unique qui résoudrait d’un coup tous les problèmes. Les facteurs impliqués dans l’obésité sont différents d’une personne à l’autre et doivent être analysés. Du fait, en fonction de notre patrimoine génétique, nous prenons (et perdons !) du poids différemment en réponse à l’environnement.

Deuxièmement, on sait qu’il existe déjà des tensions d’approvisionnement sur l’Ozempic : même les personnes diabétiques qui en ont vraiment besoin peuvent avoir du mal à s’en procurer. Soulignons que le mésusage et le détournement de ce médicament existe en France mais ne correspondrait qu’à 1,5 % des prescriptions selon les données de la Caisse nationale d’assurance maladie. Il n’est donc pas directement en cause dans ces tensions d’approvisionnement. Néanmoins, il s’agit d’une tendance à surveiller et à ne pas prendre la légère, ne serait-ce que pour assurer l’accès à long terme du médicament aux patients qui en ont besoin.

 

Que disent les essais pour le traitement de l’obésité ?

Au-delà de ces considérations, les scientifiques s’accordent pour dire que les analogues du GLP-1 s’avèrent prometteurs pour les personnes en situation d’obésité et pour qui la perte de poids est un impératif de santé.

Plusieurs essais cliniques (notamment les essais STEP) ont montré que chez des participants en situation d’obésité, sans diabète, la prise d’un médicament comme le Wegovy à une dose de 2,4 mg par semaine entraîne une perte de poids allant de 10 à 20 % sur un an. Par ailleurs, plusieurs études ont aussi indiqué une amélioration notable des paramètres métaboliques chez les participants (glycémie, cholestérol, inflammation…). Un suivi sur plus de trois ans a également permis de montrer une diminution de la mortalité cardiovasculaire chez des personnes obèses ou en surpoids ayant un historique de maladie cardiovasculaire.

Toutefois, là encore, la prise de ces médicaments doit se faire avec l’accompagnement d’un médecin, dans le cadre d’une prise en charge globale et en tenant bien entendu compte des éventuels effets secondaires. Ces options thérapeutiques ouvrent également de nouvelles questions sur la durée du traitement dans cette maladie chronique, avec un risque de reprise de poids en cas d’arrêt, sur lesquelles la recherche doit se pencher.

Une chose est sûre : si ces médicaments peuvent aboutir à une perte de poids importante et soutenue sur le long terme chez les patients obèses et s’ils représentent donc un outil très important à ajouter à l’arsenal thérapeutique, il faut aussi rappeler qu’aucune molécule « miracle » ne pourra à elle seule mettre fin à l’obésité.

Ces progrès ne doivent pas non plus faire oublier que l’obésité est un problème de santé publique global, majeur et qui prend un peu plus d’ampleur chaque année. Il est donc nécessaire de continuer à proposer une prise en charge complète, interdisciplinaire et, à mesure que les connaissances progressent sur la biologie de l’obésité, de plus en plus personnalisée, pour répondre aux problématiques spécifiques à chaque individu.  Mais aussi d’insister sur les mesures de prévention et politiques de santé publique, tout aussi essentielles pour agir sur les comportements et les modes de vie. Soutenir la recherche est primordial pour continuer à faire progresser les connaissances sur cette maladie complexe, et notamment tous ses mécanismes biologiques sous-jacents.

 Texte rédigé avec le soutien de Karine Clément, médecin, professeure de nutrition, directrice du laboratoire NutriOmique (Inserm/Sorbonne Université/APHP) et présidente de l’Association française d’étude et de recherche sur l’obésité – AFERO (afero.fr)

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