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Diagnostiquer l’endométriose avec un test salivaire, vraiment ? Un point sur les nouvelles données

endométriose

Crédits : Inserm

L’endométriose est une maladie gynécologique répandue qui touche une femme sur dix. Pourtant, jusqu’à présent, elle demeurait relativement mal connue du grand public. Ce n’est que récemment que les pouvoirs publics ont commencé à s’y intéresser.

En janvier 2022, le président Emmanuel Macron a ainsi annoncé le déploiement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose. Par ailleurs, le Plan interministériel 2023-2027 pour l’égalité entre les femmes et les hommes, présenté le 7 mars 2023 par la Première ministre Élisabeth Borne, a annoncé l’accélération des actions de recherche contre l’endométriose. Un programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) confié à l’Inserm (PEPR Santé des femmes, santé des couples) devrait permettre de matérialiser cette ambition, puisqu’il a pour objectif de développer les connaissances sur cette maladie mais aussi sur la fertilité et l’assistance médicale à la procréation.

Si ces mesures ont été bien accueillies par les patientes, la situation actuelle n’en reste pas moins compliquée, tant les retards de diagnostic sont fréquents et la prise en charge pas toujours adaptée.

Dans ce contexte, l’annonce en 2022 qu’un test salivaire avait été développé par la start-up lyonnaise Ziwig pour diagnostiquer rapidement et de manière non invasive l’endométriose n’était pas passée inaperçue. Les résultats publiés à l’époque dans le Journal of Clinical Medicine avait été considérés comme une première étape prometteuse qui ouvrait la porte à une confirmation à grande échelle en population générale.

Dans la suite de ce travail, l’équipe de recherche publie ce mois-ci de nouvelles données dans le journal NEJM Evidence. Canal Détox se penche sur leur portée clinique concrète.

 

Lire notre premier Canal Détox portant sur les données de 2022

 

Des retards de diagnostic

L’endométriose est une maladie caractérisée par la présence anormale, en dehors de la cavité utérine, de fragments de tissu semblable à celui de la muqueuse de l’utérus. Ces fragments vont s’implanter et proliférer sur de nombreux organes sous l’effet de stimulations hormonales. Les principaux symptômes sont des douleurs (notamment pelviennes, surtout pendant les règles) et, dans certains cas, une infertilité.

Il n’existe aujourd’hui pas de technique de dépistage de la maladie, que ce soit pour les femmes à risque ou en population générale. Les patientes qui présentent des symptômes peuvent se voir proposer un examen clinique (examen gynécologique) qui permet ensuite d’orienter la prescription d’une échographie ou d’une IRM. Seuls ces examens couplés à une biopsie (lorsque celle-ci est possible) sont capables de donner des réponses fiables aux patientes.

Cette situation, associée à une connaissance insuffisante de l’endométriose par les professionnels de santé, engendre des retards de diagnostic importants, et explique qu’à l’heure actuelle, il s’écoule en moyenne un délai de 6 à 10 ans avant que le diagnostic ne soit définitivement posé. Disposer d’un test rapide, fiable et non invasif pouvant être proposé aux femmes qui présentent des symptômes constituerait donc une avancée majeure.

De nouvelles perspectives pour les patientes

Le test salivaire mis au point ici a été développé à partir d’un échantillon de 200 femmes dont 153 présentaient un diagnostic d’endométriose. Concrètement, les scientifiques avaient cherché à identifier chez ces patientes des biomarqueurs caractéristiques de la maladie et étaient parvenus à isoler 109 microARN[1] exprimés différemment chez ces femmes par rapport à des femmes non atteintes mais présentant des symptômes évocateurs d’endométriose.

Dans leur premier article de 2022, les chercheurs avaient ainsi pu montrer que leur test présentait une sensibilité de 96 %, c’est-à-dire qu’il pouvait identifier 96 % des patientes atteintes d’endométriose, avec une excellente spécificité (très peu de faux positifs, voir encadré ci-dessous). Cependant, quelques limites méthodologiques avaient aussi été pointées.

 

Sensibilité et spécificité d’un test de diagnostic

La sensibilité et la spécificité expriment la capacité d’un test à catégoriser les patients (négatifs ou positifs pour la maladie considérée) :

  • la sensibilité est la probabilité du résultat positif du test chez les sujets porteurs de la maladie. On parle aussi de « taux de vrais positifs » ;
  • la spécificité est la probabilité du résultat négatif de test chez des patients non malades. On parle aussi de « taux de vrais négatifs ».

 

La nouvelle étude parue dans NEJM Evidence en juin 2023 est une analyse intermédiaire portant sur 200 nouvelles patientes (159 avec endométriose et 41 témoins) recrutées dans plusieurs centres en France. Il s’agit d’une analyse réalisée en cours d’essai, avant que toutes les patientes prévues aient été recrutées et/ou avant la fin de la période de suivi initialement prévue. Elle devrait être suivie à terme de résultats plus complets portant sur 800 femmes supplémentaires qui ont maintenant été recrutées.

L’équipe de recherche a ici procédé une nouvelle fois à un séquençage à haut débit des petits ARN pour identifier les microARN particulièrement exprimés chez les femmes présentant un diagnostic d’endométriose. De ces données ont été extraites les valeurs d’expression des 109 microARN précédemment identifiés, confirmant une nouvelle fois que le test a une forte sensibilité (96 %) et une forte spécificité (95 %). Ces résultats valident donc le panel de 109 microARN publié en 2022.

Il aurait toutefois pu être intéressant de refaire une nouvelle analyse sans rechercher spécifiquement ces 109 biomarqueurs, afin d’identifier indépendamment, et sans être influencé par les précédents résultats, un panel de microARN permettant le diagnostic mais aussi de répondre à d’autres questions essentielles au parcours de soins des patientes comme la réponse au traitement médical ou encore le risque de récidive après chirurgie.

Il est aussi important de noter que ce test a été développé et validé auprès d’une cohorte de patientes présentant des symptômes différenciant entre celles avec endométriose et celles du groupe témoin. Ces résultats ne peuvent donc pas être transposés à la population générale, comme un test de dépistage généralisé mais comme un test de diagnostic qui s’adresserait à la population de patientes qui présente des symptômes évocateurs d’endométriose selon les recommandations européennes.

Lors de la publication de la première étude, il avait été souligné que certaines femmes atteintes d’autres pathologies inflammatoires chroniques, comme la maladie de Crohn, pourraient présenter des signes d’inflammation similaires à ceux de l’endométriose en matière d’expression de biomarqueurs. Il semblait donc possible que les profils de microARN de ces patientes soient également similaires à ceux des femmes atteintes d’endométriose et qu’il soit difficile de distinguer ces maladies.

Cependant, parmi les microARN identifiés, il semblerait que certains permettent de caractériser d’autres mécanismes physiopathologiques que l’inflammation impliqués dans l’endométriose, par exemple des mécanismes liés à l’immunité ou à la prolifération cellulaire… Cet aspect pourrait expliquer la précision diagnostique du test salivaire aussi bien pour les stades précoces que pour les autres formes de l’endométriose.

L’analyse des 800 femmes additionnelles recrutées par l’équipe devrait désormais permettre d’apporter de nouvelles confirmations et perspectives. Cette étude représente une innovation technique, scientifique et médicale destinée à résoudre un problème de santé publique qui est l’errance diagnostique des patientes et à les orienter vers des choix thérapeutiques adéquats.

Texte rédigé avec le soutien de Daniel Vaiman, chercheur Inserm à l’institut Cochin à Paris, et Samir Hamamah, professeur de médecine et de biologie de la reproduction à la Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes

[1] Un microARN est un ARN non codant qui joue un rôle important dans la régulation de l’expression des gènes. 

ChatGPT : l’IA prête à remplacer les chercheurs et les médecins, vraiment ?

chat GPT

© Photo de BoliviaInteligente sur Unsplash

 

Depuis quelques mois, ChatGPT est au cœur de l’actualité. Ce prototype d’agent conversationnel s’appuyant sur l’intelligence artificielle (IA) a été développé par la firme californienne OpenAI à partir des modèles de traitement du langage les plus avancés. Au-delà de ses capacités conversationnelles, ChatGPT est capable de générer des textes de manière autonome pour apporter des réponses aux questions des utilisateurs.

Des performances qui soulèvent déjà leur lot de questionnements et de préoccupations : des universités craignant la fraude aux examens l’ont interdit, des chercheurs l’ont testé pour écrire un article scientifique… En creux, la médiatisation de ChatGPT pose la question plus vaste de la place de l’IA dans nos vies, et de la valeur ajoutée qu’elle pourrait ou non avoir dans certains domaines, notamment dans le champ scientifique. La question éthique a, de ce fait, de plus en plus d’importance : comment s’assurer de la véracité des informations relayées par un tel outil ? Dans le domaine clinique, un diagnostic posé par une IA est-il réellement fiable ? Certaines professions sont-elles amenées à disparaître, remplacées par des systèmes d’IA plus performants ?

Canal Détox se penche sur le sujet, en s’intéressant spécifiquement aux implications de l’IA en pratique clinique et dans la recherche biomédicale.

 

Des promesses déçues en médecine

Dans les sciences biomédicales, l’IA est depuis plusieurs années considérée comme une méthode prometteuse, pouvant potentiellement bénéficier au patient. Parmi les innovations attendues : l’optimisation de la prise en charge du patient, l’amélioration du diagnostic des maladies, la prédiction de l’état de santé futur du patient et la personnalisation de son suivi. En radiologie et en oncologie par exemple, des financements massifs ont déjà été alloués à des équipes de recherche travaillant sur le sujet.

Cependant, la réalité du terrain est plus nuancée. De nombreux systèmes d’IA développés ces dernières années se sont en fait avérés plutôt décevants. Parmi les exemples les plus connus, on peut citer celui de l’IA IBM Watson Health. Ce système a été conçu pour guider la pratique des médecins, afin de les aider à améliorer les soins et de proposer les traitements les plus adaptés aux patients, notamment en oncologie. Toutefois, pour développer et entraîner l’IA, des données jugées de mauvaises qualités ainsi que des populations non représentatives auraient été sélectionnées, et une méthodologie inadéquate aurait été utilisée. Les modèles finaux présentaient des performances faibles susceptibles d’entraîner des erreurs médicales si les professionnels de santé avaient suivi les recommandations de l’IA à la lettre.

D’autres études ont montré que l’intelligence artificielle pouvait être utilisée en clinique pour prédire le risque de maladie cardiovasculaire ou encore le devenir de patients atteints de certains cancers. Cependant, la fiabilité des résultats variait grandement en fonction de la qualité des données utilisées pour alimenter les systèmes d’IA.

Ces cas illustrent un paradoxe que de nombreux chercheurs tentent de mettre en avant depuis plusieurs années. En théorie, l’IA est censée être plus efficace pour développer un modèle diagnostique ou pronostique, par rapport aux méthodes traditionnellement utilisées en médecine, car elle est capable d’intégrer une plus grande quantité de données et de paramètres. Néanmoins, dans les faits, elle ne fait pas toujours mieux (voir encadré).

Par conséquent, on constate aujourd’hui un contraste inquiétant entre les promesses de l’IA, et l’absence d’applications et de démonstrations rigoureuses de sa pertinence clinique. Des travaux ont récemment montré que la majorité des études utilisant l’IA ont de nombreuses limites. Les systèmes d’IA sur lesquelles elles s’appuient sont en effet généralement entraînés à partir de données issues de populations de patients de faible qualité, avec des protocoles inadaptés et des échantillons trop petits et/ou peu représentatifs. Ces systèmes sont par ailleurs rarement validés de façon indépendante, ce qui limite la possibilité de les implémenter et de généraliser leur usage au niveau mondial.

En outre, une prise en charge adaptée et réellement personnalisée repose aussi en partie sur la relation qu’entretient le médecin avec son patient, sur sa capacité à intégrer des éléments de contexte socio-culturels, à décrypter les états émotionnels de la personne en face de lui… Autant d’éléments que l’IA est encore bien loin de pouvoir intégrer.

Ces faiblesses méthodologiques posent des questions quant à la fiabilité de l’IA et à son implémentation concrète dans les systèmes de santé – et sur les risques liés à son utilisation dans la prise en charge des patients.

 

L’exemple de la transplantation rénale pour comparer IA et méthodes traditionnelles

En cas d’insuffisance rénale, la greffe de rein est le meilleur traitement possible en matière d’espérance de vie, de qualité de vie et de coût sociétal. L’échec de greffe après transplantation est donc particulièrement redouté. Néanmoins, prédire en avance le risque d’échec de la greffe, afin d’adapter le suivi et le traitement du patient, est une tâche difficile, car une multitude de paramètres entrent en jeu.

Si l’IA a récemment été mise en avant comme un outil pronostic permettant de prédire le risque d’échec d’une greffe rénale, peu d’études ont été dédiées, avant aujourd’hui, à la comparaison des performances de l’IA à celles de méthodes statistiques traditionnelles.

Dans une étude publiée en janvier 2023, des scientifiques de l’Inserm, de l’AP-HP et d’Université Paris Cité ont cherché à confronter l’IA aux modèles statistiques traditionnels de prédiction. En utilisant des données structurées et validées, émanant de cohortes internationales de patients, les chercheurs ont développé des modèles de prédiction fondés sur l’IA et des modèles s’appuyant sur des méthodes statistiques traditionnelles. Ils ont ensuite comparé leurs performances respectives dans la prédiction du risque d’échec de la greffe rénale.

Les résultats, publiés dans la revue Kidney International sont sans équivoque : quel que soit le type d’algorithme utilisé, l’IA obtient des performances de prédiction du risque d’échec de la greffe rénale comparables aux modèles statistiques traditionnels.

 

Écrire des articles scientifiques grâce à l’IA ?

Si l’on revient au cas de ChatGPT, il est clair que cette IA n’a été pensée ni pour accompagner la pratique des chercheurs ou des médecins, ni pour proposer des diagnostics. Néanmoins, il est en théorie possible pour n’importe quel utilisateur de soumettre à l’IA les inquiétudes qu’il pourrait avoir concernant sa santé – avec le risque d’obtenir des conseils erronés qui mettraient sa santé en danger.

Par ailleurs, si on quitte la pratique clinique pour s’intéresser aux implications dans la recherche pharmacologique, il est intéressant de s’arrêter sur une étude menée par des chercheurs espagnols, qui a fait l’objet de vives discussions. Ces derniers ont fait rédiger à ChatGPT un article scientifique complet sur le rôle des IA dans la découverte des médicaments. Une prouesse qui devrait inquiéter la communauté scientifique ? Pas tant que cela si l’on en croit l’expérience des chercheurs : en effet, ceux-ci ont dû largement retravailler et corriger l’article, ChatGPT n’ayant pas été capable, entre autres, de donner des références scientifiques correctes. Autre point d’importance, l’IA n’est entraînée qu’avec des données allant jusqu’à 2021 : elle ne dispose donc pas des informations les plus récentes.

Plus inquiétant en revanche, des chercheurs américains ont demandé à l’IA de rédiger de toutes pièces 50 résumés de recherche médicale à partir d’une sélection de résumés déjà publiés dans des revues scientifiques prestigieuses. Les chercheurs ont ensuite comparé les résumés produits par l’IA aux résumés originaux, en les soumettant à un détecteur de plagiat et à un détecteur de contenus d’IA. Ils ont aussi demandé à un groupe de chercheurs de repérer parmi les résumés ceux qui étaient authentiques et ceux qui avaient été générés de façon automatique.

Résultat : aucun plagiat n’a été détecté. De plus, si le détecteur d’IA n’a repéré que 66 % des résumés générés, les chercheurs n’ont pas fait beaucoup mieux en n’identifiant correctement que 68 % des résumés générés. Un constat qui soulève une interrogation pour le futur : si des résumés scientifiques peuvent facilement être générés par n’importe qui grâce à l’IA et si les experts ne parviennent pas toujours à les identifier, comment les chercheurs pourront-ils toujours s’assurer que les résultats scientifiques sur lesquels ils fondent leurs réflexions ne sont pas inventés ?

Plus largement, que ce soit pour développer un modèle de prédiction diagnostique ou pour rédiger un texte scientifique en s’appuyant sur ChatGPT, la question de la crédibilité, de la rigueur scientifique et de la véracité des informations relayées par l’IA est cruciale. Ce phénomène est en outre exacerbé par le manque de transparence quant au développement des modèles fondés sur l’IA qui ne connaissent du monde que l’information parfois biaisée et incomplète qu’on leur donne.

 

Et pour l’avenir ?

Ni les médecins ni les chercheurs ne seront remplacés par l’IA de sitôt. En effet, les limites méthodologiques de ces systèmes sont importantes, et leurs performances doivent encore être améliorées. À l’heure actuelle, rien ne vaut les interactions humaines pour proposer une prise en charge adaptée, fondée sur les particularités de chaque patient et l’expertise des médecins pour valider un diagnostic.

Il est toutefois nécessaire de réfléchir dès maintenant aux nombreuses problématiques méthodologiques et éthiques que l’IA soulève, et à la manière dont ces outils peuvent non pas remplacer les scientifiques et les médecins, mais au contraire représenter une valeur ajoutée quant à l’optimisation du suivi du patient et à l’amélioration des prises de décisions cliniques.

 

Texte rédigé avec le soutien de Alexandre Loupy, Marc Raynaud et Agathe Truchot au sein du Centre de recherche cardiovasculaire de Paris (Parcc) (unité 970 Inserm/Université de Paris ), équipe Paris Transplant Group 

Des applications pour contrôler la fertilité, vraiment ?

femme avec smartphone

© Photo Yura Fresh/ Unsplash

Alors qu’un nombre croissant de femmes à travers le monde se détournent de la contraception hormonale, plusieurs centaines de millions d’entre-elles ont recours chaque jour à des applications permettant de suivre leurs cycles menstruels et de contrôler leur fertilité. Développées pour la plupart aux États-Unis et dans certains pays d’Europe, ces applications recueillent des informations intimes collectées auprès des usagères – notamment concernant la date des dernières règles, les symptômes liés au cycle, l’état de santé général, les humeurs, la libido, l’usage de préservatifs lors des rapports sexuels…

La plupart des applications de suivi menstruel sont gratuites. D’autres donnent également la possibilité, via des options payantes, d’affiner les prédictions et d’obtenir des conseils personnalisés.

Quelles sont les données scientifiques disponibles pour évaluer l’efficacité de ces applications ? Leur fiabilité pour garantir une contraception naturelle aux femmes est-elle avérée ? Et enfin, la protection des données personnelles est-elle assurée pour préserver le droit à la vie privée des usagères ? Canal Détox fait le point.

 

Un contexte propice à l’essor des applications

Le rejet des modes de contraception médicaux conventionnels (pilule, DIU, patch…) et notamment des contraceptifs hormonaux est une tendance qui s’accentue déjà depuis une quinzaine d’années, suite notamment à la commercialisation des pilules de 3e et 4e générations qui s’était accompagnée d’une augmentation des cas de thromboses veineuses. De manière plus générale, afin de se réapproprier leurs corps et d’éviter les effets secondaires liés à la prise d’hormones, de nombreuses femmes ne veulent plus avoir recours à la pilule. Elles souhaitent adopter des modes de contraception plus « naturels », et les applications de suivi du cycle menstruel répondent à ce besoin.

La popularité grandissante de ces applications soulève plusieurs questions éthiques en ce qui concerne la protection des données personnelles des usagères et aussi les défauts de fiabilité de prédiction des applications pour le contrôle de la fertilité.

Aux États-Unis, les craintes relatives à la protection de la vie privée et des données personnelles sont exacerbées dans le contexte du renversement historique de l’arrêt Roe vs. Wade qui ouvre la voie à la criminalisation de l’avortement dans de nombreux États. En effet, certains observateurs ont alerté sur le risque que les données numériques renseignées dans ces applications de suivi menstruel soient utilisées par la justice pour identifier des femmes ayant ou souhaitant avorter.

 

Efficacité des applications : encore des limites 

Des publications scientifiques récentes ont permis d’y voir plus clair quant à l’efficacité des applications pour aider les femmes à contrôler leur fertilité et à éviter une grossesse non désirée.

Plus de la moitié de ces applications s’appuient sur des paramètres peu fiables pour prédire la période de fertilité et la date d’ovulation. En effet, comme l’ont montré des études rigoureuses et des revues de littérature, elles se fondent sur la méthode du calendrier des règles, en fait une « méthode Ogino »[1] version numérique. Or, celle-ci connait des limites significatives puisque des variations de durée de cycles de 7 jours et plus concernent la moitié de la population féminine. Même les femmes avec des cycles très réguliers ont des jours d’ovulation variables. Des données publiées suggèrent ainsi qu’en s’appuyant uniquement sur la méthode du calendrier, la plupart de ces applications font des erreurs de prédiction.

En revanche, il existe des paramètres plus fiables comme la température corporelle (+ 0,2/0,4 °C après l’ovulation), l’aspect de la glaire cervicale[2] ou la concentration urinaire de l’hormone lutéinisante (qui augmente juste avant l’ovulation). Or ils sont rarement pris en compte dans les algorithmes des applications.

Dans les faits, si certaines applications peuvent proposer un suivi fondé sur de nombreux paramètres et donc une efficacité théorique élevée, elles se heurtent aussi à l’utilisation qu’en font les femmes dans leur vie de tous les jours. En effet, beaucoup d’utilisatrices éprouvent des difficultés à suivre les consignes requises par les applications. Noter régulièrement les dates des règles, prendre sa température ou interpréter l’aspect de la glaire cervicale sont des procédures contraignantes, qui, si elles ne sont pas suivies à la lettre, vont rendre les algorithmes de prédiction inopérants.

Contraception naturelle et indice de Pearl

L’indice de Pearl est le nombre de femmes qui tombent enceintes malgré l’utilisation d’une contraception pendant une période d’un an.

L’une des applications les plus populaires, Natural Cycles, avait fait du bruit dans les médias en annonçant qu’elle avait un indice de Pearl de 8 (nombre de grossesses sur 100 malgré l’utilisation d’une contraception), comparable à celui de la pilule. Cependant, des études ont pointé du doigt des failles méthodologiques pour parvenir à ce résultat. Par ailleurs, la plupart des données disponibles sur la contraception naturelle et les applications de suivi de la fertilité indiquent que leur indice de Pearl se situe en moyenne autour de 24.

 

Des craintes avérées sur la protection des données

L’autre question éthique majeure associée à l’utilisation de ces applications – la protection des données personnelles – a fait l’objet de nombreux travaux, portés notamment par des ONG qui défendent la vie privée. Il ressort de ces investigations que la plupart des applications ne prennent pas suffisamment de mesures pour protéger les données personnelles des utilisatrices, les partageant notamment avec des sociétés tierces (dont Google et Amazon). Or, les femmes sont rarement informées sur le risque de voir leurs données sur leur vie sexuelle intime exploitées par des tiers à des fins commerciales ou autres.

Face à ces différents constats, vu le nombre croissant de femmes qui utilisent ces applications à travers le monde, le comité d’éthique de l’Inserm a publié un rapport en septembre 2022 (voir encadré) appelant à une vigilance éthique pour éclairer le choix des femmes dans les méthodes de contrôle des cycles et de la fertilité.

Pour plus d’informations à ce sujet : lire le rapport du comité d’éthique de l’Inserm « Enjeux éthiques de l’usage des applications numériques de suivi menstruel à des fins de contraception ou de conception »

 

Texte réalisé avec le soutien de Catherine Vidal, neurobiologiste, membre du comité d’éthique de l’Inserm, co-responsable du groupe Genre et recherches en santé. 

 

[1] La méthode Ogino consiste à s’abstenir de tout rapport sexuel pendant la période de fécondité de la femme.

[2] Les cellules qui tapissent le col de l’utérus sécrètent du mucus qu’on appelle la glaire cervicale, dont l’aspect change au cours du cycle. En période de fertilité, la consistance et la structure de la glaire permettent au sperme de passer pour aller féconder l’ovule.

Des implants miniatures dans le cerveau pour rétablir la motricité, vraiment ?

De récents travaux ont documenté la possibilité d’enregistrer l’activité électrique de milliers de neurones différents dans plusieurs régions du cerveau.  Ici, trajectoire de récepteurs diffusant dans la membrane et s’accumulant aux synapses.  Inserm/Delapierre, Patrick

Innovation miraculeuse ou nouveau coup de com’ : c’est la question qui agite la sphère médiatique depuis la présentation du nouvel implant cérébral de la compagnie Neuralink, dirigée par le milliardaire Elon Musk. Cet implant très fin, de la taille d’une pièce de monnaie, fonctionnerait grâce à la technologie Bluetooth et pourrait être placé dans le cerveau au cours d’une opération peu invasive grâce à un robot de pointe également développé par la compagnie.

Lors d’une conférence de presse en ligne début septembre 2020, Elon Musk a présenté cette nouvelle « interface cerveau-machine », qui été testée chez le porc. Décrite comme une avancée majeure, sa portée semble encore en fait assez réduite. Ainsi, la possibilité d’enregistrer l’activité des neurones grâce à un implant cérébral, comme cela a été fait chez l’un des animaux testés, n’est pas nouvelle. Elle a déjà été démontrée par de nombreux autres groupes de recherche. De tels travaux ont par exemple fait l’objet d’une publication récente dans le journal Science Advances, documentant la possibilité d’enregistrer l’activité électrique de milliers de neurones différents dans plusieurs régions du cerveau, dans des modèles animaux.

Par ailleurs, aucune interprétation de l’activité cérébrale enregistrée par l’implant de Neuralink n’a été proposée pendant la conférence. Or, le succès des interfaces cerveau-machine repose en grande partie sur la possibilité d’extraire du sens de ces enregistrements pour les transformer ensuite en « commande » par un ordinateur.

L’objectif des interfaces cerveau-machine

Les implants cérébraux sont développés pour assurer une liaison directe entre le cerveau et un ordinateur, afin que les individus puissent effectuer des tâches sans passer par l’action des nerfs périphériques et des muscles. L’objectif est de permettre à des personnes souffrant de certains handicaps moteurs, notamment de tétraplégie, de retrouver une certaine autonomie.

Concrètement, ces patients pourraient imaginer effectuer un mouvement, générant ainsi une activité cérébrale caractéristique et mesurable à l’aide ces implants. Ces signaux pourraient ensuite être transmis à un ordinateur afin de les analyser et de les transformer en commande pour une machine ayant une utilité pour le patient (par exemple une prothèse ou un exosquelette, mais également un implant rétinien ou encore un logiciel de voix artificielle…). De fait, Neuralink souhaite que son dispositif puisse aboutir à une solution durable pour les personnes souffrant de handicaps moteurs ou de maladies neurologiques.  

Néanmoins, les données présentées par Elon Musk suggèrent que son équipe n’est guère plus avancée que d’autres groupes pour atteindre ce résultat, d’autant que l’affirmation que l’implant a pu être retiré en toute sûreté du cerveau de l’un des animaux n’est pas étayée. Si le milliardaire aimerait prochainement lancer des tests chez l’humain, la transposabilité de résultats obtenus chez le porc n’est pas non plus assurée.

L’annonce de Neuralink s’inscrit néanmoins dans un contexte de recherche très dynamique portant sur les interfaces cerveau-machine. De nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années, grâce à des innovations développées et testées très rigoureusement et progressivement au cours de la dernière décennie et à des travaux sur un nombre restreint de patients pour prouver l’intérêt de certains dispositifs avant de les tester plus massivement.

En 2013, une équipe américaine à l’université de Pittsburgh a ainsi franchi une étape importante, en apportant une « preuve de concept » qu’un dispositif implanté à la surface du cerveau permettait de guider un bras robotisé. A la même période, un autre groupe aux Etats-Unis montrait l’intérêt des implants profond miniaturisés. Plus récemment, des implants de surface ont été utilisés pour commander un exosquelette chez deux patients tétraplégiques, sans leur permettre néanmoins de pouvoir remarcher.

Mieux intégrer les implants dans le cerveau

Au-delà de ces succès préliminaires, si les interfaces cerveau-machine restent encore éloignées de la clinique, c’est parce qu’une problématique importante persiste. Comment insérer sans risque ces implants dans un organe aussi fragile que le cerveau, tout en s’assurant de leur bon fonctionnement ?

Les laboratoires de recherche qui travaillent sur le sujet sont confrontés à la difficulté de faire pénétrer dans le cerveau des implants à très haute densité pour capter l’activité cérébrale dans toute sa complexité, et pour les y laisser à long terme sans provoquer de réaction inflammatoire ou de lésions. En promettant d’implanter son dispositif via une procédure chirurgicale peu invasive, grâce à un robot qu’elle aurait développé, Neuralink montre donc qu’elle a bien compris l’enjeu majeur actuel de la recherche : l’intégration des implants dans le cerveau et la biocompatibilité (la capacité pour ces implants à fonctionner dans le cerveau sans provoquer de réaction biologique délétère).

Schématiquement, deux stratégies d’intégration des implants cérébraux ont jusqu’ici été testées par différentes équipes à travers le monde. Les procédés les plus invasifs, qui reposent sur l’insertion d’implants dans le cortex, permettent d’enregistrer les signaux d’une population de neurones avec une très grande précision spatiale. Ils sont toutefois associés au risque de complications et à une perte de signal à long terme.

Quant aux procédures non invasives, s’appuyant sur des implants placés à la surface du crâne grâce à des électrodes (comme le dispositif développé dans le cadre du projet OpenVIBE de l’Inserm dès 2009) ou juste sous la boîte crânienne, ils ne permettent pas encore de mesurer avec précision l’activité cérébrale et de rendre compte de la complexité de l’architecture du cerveau.

Neuralink dit pouvoir éviter ces deux types d’écueils mais sans expliquer sa technique ni rendre public le fonctionnement de son robot. Or, pour que ces innovations aient réellement un impact pour les patients, la recherche ne peut pas se passer d’investigations solides au long cours, d’expérimentations en laboratoire pour évaluer la biocompatibilité ou d’évaluations par les pairs.

Enfin, la prudence quant à de possibles dérives éthiques doit continuer à guider la recherche sur les interfaces cerveau-machine, en tenant toujours compte de la complexité du cerveau, qui ne peut se résumer à une circuiterie électronique dopée par l’intelligence artificielle.  Des travaux récents ont apporté des pistes nouvelles pour utiliser les implants afin de réactiver la plasticité cérébrale. Intégrant mieux toute cette complexité, se passant de la « machine », cette approche pourrait avoir un impact clinique plus intéressant et plus significatif à long terme.

Texte rédigé avec le soutien de François Berger, Directeur du BrainTech Lab (Inserm U 1205)

Guérir d’un coup de ciseaux, vraiment ?

Depuis les années 2000, les chercheurs ont entre les mains la totalité du génome humain, et disposent d’une série d’outils efficaces pour supprimer ou remplacer les gènes de leur choix. Ces modifications du génome font beaucoup parler d’elles dans les médias, surtout depuis l’arrivée en 2012 d’une nouvelle famille de « ciseaux génétiques », efficaces et bon marché : les « Crispr ». Mais que peut-on réellement faire avec ces ciseaux ? Peuvent-ils nous aider à faire grossir nos muscles ou notre cerveau sur commande ? Et grâce à eux, peut-on espérer réparer n’importe quel gène malade ?

Des organes imprimés en 3D…vraiment ?

Imprimer des tissus vivants est-il si facile que ça ? Et arrive-t-on aujourd’hui à obtenir des organes fonctionnels ?

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