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Les individus apprennent à évaluer le niveau de prudence, de patience ou de fainéantise dont font preuve les autres après avoir observé leur comportement, mais surtout, cela influe sur leurs propres décisions, sans même qu’ils s’en rendent compte. Une découverte qui pourrait avoir des retombées en neurosciences. Les décisions de nos voisins inspirent-elles les nôtres ? C’est ce que laissent entendre les travaux de Jean Daunizeau et Marie Devaine, deux chercheurs Inserm à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière à Paris (Inserm/ CNRS/ UPMC). Ils ont étudié le comportement de personnes soumises à des choix faisant appel à la prudence, la patience ou l’effort et montrent qu’après avoir observé le comportement d’autres individus, elles se mettent à les imiter, sans même s’en rendre compte !
A la base de ces travaux une question fondamentale pour comprendre comment nous prenons nos décisions dans la vie de tous les jours : s’agit-il d’une question de personnalité inscrite dans nos gènes ou d’un processus hérité de l’éducation et de nos interactions sociales ? Pour le savoir, les chercheurs ont étudié trois caractéristiques qui guident la plupart de nos décisions : la prudence, la patience et l’effort (ou selon le point de vue : la prise de risque, l’impatience et la fainéantise). Pour cela, Ils ont combiné les mathématiques à la psychologie cognitive. « On reproche souvent à la psychologie sociale d’être une science trop empirique et dont les résultats sont difficilement reproductibles. Pour contourner ce problème, nous faisons appel à la modélisation mathématique », clarifie Jean Daunizeau, responsable de ces travaux.
En pratique, les chercheurs ont recruté des volontaires qu’ils ont soumis à des tests décisionnels. Un ordinateur leur proposait des choix engageant divers degrés de patience, d’effort et de prudence. Ils devaient par exemple choisir entre remporter deux euros tout de suite ou dix euros quelques jours plus tard, appuyer sur une poignée souple pour un gain faible ou très dure pour une somme plus élevée ou encore, opter pour une loterie offrant de fortes chances de gagner un petit montant ou des chances moindres de remporter le gros lot. Les volontaires répondaient à une série de quarante choix de ce type, permettant ainsi aux auteurs de créer un algorithme représentatif de leur personnalité.
Dans un second temps, les volontaires devaient prédire les choix d’un personnage fictif inventé à partir de l’algorithme rendu plus prudent, fainéant, patient que le sujet lui-même, ou l’inverse. Spontanément, tous les volontaires imaginaient que ce personnage ferait les mêmes choix qu’eux, quelle que soit la manière dont ils se comportaient. Néanmoins, après plusieurs erreurs et une période d’adaptation, ils finissaient par prédire de mieux en mieux les réponses de l’algorithme. Tout se passe comme si les gens présument que les autres pensent et agissent comme eux, c’est ce qu’on appelle un biais de faux consensus. « Ce phénomène a déjà été décrit dans d’autres contextes, explique Jean Daunizeau, pour des choix esthétiques ou moraux par exemple. Il stipule que les gens croient que leur jugement est celui partagé par le plus grand nombre. On retrouve cela ici pour les choix faisant appel à la patience, l’effort ou la prudence ». Mais ce biais est progressivement compensé par l’apprentissage : après avoir observé le comportement du personnage fictif, les volontaires prédisent correctement 85% de ses choix. « En moyenne, les gens sont donc capables d’interpréter finement les attitudes des autres » expliquent les chercheurs.
Enfin, les auteurs ont soumis les volontaires à une troisième série de tests et ont constaté que les choix des volontaires étaient devenus plus semblables à ceux du personnage fictif. « Ce type de mimétisme est relativement inconscient : lorsqu’on leur pose la question, les volontaires ne se rendent pas compte que la nature de leurs choix a évolué, qu’ils font par exemple preuve de plus de patience ou de prudence. Ce phénomène s’appelle le biais de contagion sociale et signifie que notre attitude tend à s’aligner sur celle des autres. On le connaissait pour certains comportements mais on le découvre ici dans la prise de décision ».
La meilleure compréhension de l’influence des autres sur la manière dont les gens prennent des décisions pourrait avoir des retombées médicales. Un mimétisme fort est constaté chez des sujets sains. Qu’en est-il chez des personnes atteintes de pathologies psychiatriques qui affectent les relations sociales comme l’autisme ou la schizophrénie ? C’est ce que les chercheurs souhaitent vérifier: « s’il existe des différences à ce niveau-là, l’absence de mimétisme pourrait peut-être devenir un élément diagnostic. Il y aurait alors un enjeu clinique. », conclut l’équipe.