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L’Artemisia plante miracle, vraiment ?

  Originaire d’Asie, la plante Artemisia est utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise depuis des siècles. Près de 400 espèces de la plante poussent maintenant à travers le monde, parmi lesquels l’Artemisia annua (armoise annuelle). C’est de cette espèce qu’est extraite l’artémisinine, principe actif contenu dans les principaux traitements antipaludiques utilisés pour traiter la maladie […]

Le 02 Juil 2020 | Par INSERM (Salle de presse)

 

La composition et la qualité des remèdes non-pharmaceutiques à base d’Artemisia varient grandement du fait notamment de différences dans la composition des matières végétales utilisées. ©Krzysztof Ziarnek, Kenraiz / CC BY-SA

Originaire d’Asie, la plante Artemisia est utilisée dans la médecine traditionnelle chinoise depuis des siècles. Près de 400 espèces de la plante poussent maintenant à travers le monde, parmi lesquels l’Artemisia annua (armoise annuelle). C’est de cette espèce qu’est extraite l’artémisinine, principe actif contenu dans les principaux traitements antipaludiques utilisés pour traiter la maladie aujourd’hui.

Depuis plusieurs années, un débat portant sur l’efficacité de divers produits non pharmaceutiques à base d’Artemisia tels que des infusions ou des produits d’herboristerie agite la communauté scientifique. Si certains estiment que ces traitements à base de plante auraient un rôle à jouer dans la lutte contre le paludisme, notamment dans les zones endémiques et reculées, la plupart des chercheurs pointent du doigt l’absence de données d’efficacité solides.

La question n’en a pas fini d’être discutée, d’autant que dans le contexte de la pandémie de Covid-19, l’Artemisia se retrouve à nouveau sous le feu des projecteurs, après l’annonce du président malgache qu’une boisson à base d’extraits de la plante, baptisée Covid-Organics, pourrait constituer un remède contre le nouveau coronavirus SARS-CoV-2.

D’autres pays d’Afrique lui ont déjà emboîté le pas, notamment la République démocratique du Congo, qui souhaite lancer un essai clinique pour mesurer l’efficacité de la tisane d’Artemisia annua dans le traitement du Covid-19. Canal Détox fait le point pour couper court aux idées reçues sur cette plante décrite par certains comme « miraculeuse ».

Traiter le paludisme et éviter la résistance

Le traitement du paludisme recommandé par l’OMS repose aujourd’hui sur des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA). L’idée est de combiner un dérivé de l’artémisinine, dont l’action pour éliminer les parasites est rapide et efficace, avec un médicament visant à prévenir leur recrudescence. Cette combinaison thérapeutique a donc pour but de parvenir à une guérison du patient en éliminant totalement le parasite du sang pour éviter qu’il n’évolue vers une forme grave et potentiellement mortelle. À noter que les dérivés de l’artémisinine ne sont plus utilisés seuls en monothérapies depuis 2017 pour éviter l’émergence de souches résistantes du parasite Plasmodium falciparum.

Dans certaines régions du monde où le paludisme est endémique, l’accès aux CTA peut néanmoins être limité, ou représenter un coût trop important pour les patients. C’est pour cette raison qu’un usage, notamment sous la forme de tisane, de la plante complète qui contient l’artémisinine, a été promu par divers acteurs. Ce traitement naturel fonctionnerait grâce à la présence d’artémisinine et d’autres composés dans la plante, interagissant ensemble pour réduire le nombre de parasites dans le sang. Pour éliminer tous les agents infectieux dans le sang, une dose suffisamment importante de tisane devrait être prise, au risque qu’une nouvelle crise de paludisme ne survienne.

Problème : la composition et la qualité des remèdes non-pharmaceutiques à base d’Artemisia varient grandement du fait notamment de différences dans la composition des matières végétales utilisées, qui peut être influencée par divers facteurs génétiques et environnementaux (température, moment et lieu de la récolte…). De même, la méthode de préparation des tisanes et la dose de principe actif contenu dans celles-ci ne sont pas standardisées, et peuvent aussi varier d’un produit à l’autre. Si ces traitements peuvent donc améliorer les symptômes de certains patients, les doses non contrôlées et souvent insuffisantes peuvent conduire à un échec thérapeutique : tous les parasites ne sont pas éliminés, la maladie peut réapparaître.

Par ailleurs, la résistance à l’artémisinine a aussi une plus grande probabilité de se développer et se propager lorsqu’une population de parasites est exposée à des niveaux trop faibles de ce principe actif. Enfin, la question de la toxicité potentielle de la tisane n’a pas été évaluée avec précision dans toutes les populations et les données de sécurité sont encore parcellaires.

Mener des essais cliniques

Certains estiment que l’usage de la plante entière aurait une valeur ajoutée par rapport aux CTA car d’autres composés que l’artémisinine pourraient avoir une activité contre le parasite, ou pourrait agir en synergie avec elle, améliorant son efficacité et sa biodisponibilité, pour un effet antipaludique plus puissant. L’administration de la plante ne s’apparenterait donc pas à une monothérapie contenant seulement un principe actif contre le parasite, mais à une thérapie contenant plusieurs principes actifs agissant de concert. Le risque de développement d’une résistance par les parasites s’en trouverait réduit.

Plusieurs études, principalement in vitro, ont été menées sur le sujet. Les résultats sont encore contradictoires et difficilement applicables à l’Homme, mais dans l’ensemble, ils suggèrent que l’activité d’autres composants de la plante contre P. falciparum, comme les flavonoïdes, est négligeable par rapport à celle de l’artémisinine. Enfin, si certains composés semblent en effet travailler en synergie avec l’artémisinine, le risque est qu’ils soient rapidement dégradés dans la tisane.

Pour tester l’efficacité et l’innocuité de ces thérapies non-pharmaceutiques, la mise en place d’essais cliniques rigoureux est nécessaire. Les principales études de l’efficacité in vivo d’extraits d’Artemisia ont majoritairement été réalisées à l’aide de modèles animaux de paludisme. Les résultats présentent un intérêt certain et font avancer la recherche, mais ils ne peuvent être appliqués en l’état à l’Homme.

Quant aux études cliniques qui ont été menées, si elles semblent pour le moment écarter le risque d’effets indésirables, elles ont souvent porté sur un échantillon restreint de patients, avec de nombreux biais méthodologiques et/ou une période de suivi trop courte, ce qui compromet la portée des résultats d’efficacité.

Les efforts de recherche doivent être poursuivis afin de trancher ce débat. Dans un premier temps, il serait crucial de mener des études de meilleure qualité pour vérifier l’hypothèse selon laquelle la plante, administrée sous forme de tisane et en quantité suffisante, contiendrait plusieurs principes actifs contre le parasite, agissant ou non en synergie. Il est également évident que le débat ne pourra être résolu en l’absence de nouveaux essais thérapeutiques fondés sur une méthodologie plus robuste et sur de bonnes pratiques cliniques, incluant notamment des populations particulièrement à risque pour le paludisme, comme les femmes enceintes et les enfants.

Et le Covid dans tout ça ?

 Alors que c’est surtout un autre antipaludique, l’hydroxychloroquine, qui a fait parler de lui en pleine pandémie de Covid-19, le débat sur l’efficacité de l’Artemisia annua contre le Covid a aussi été lancé à la suite de l’annonce de plusieurs gouvernements africains exprimant un intérêt pour le remède malgache Covid-Organics et de manière générale pour cette plante dans le traitement de la pathologie.

Cet intérêt pour l’Artemisia dans le contexte d’épidémies de coronavirus n’est pas nouveau. Déjà pendant l’épidémie de SRAS en Chine au début des années 2000, des études avaient souligné les propriétés antivirales des extraits de la plante. Des essais cliniques sur les effets de la médecine traditionnelle chinoise (dont l’utilisation d’Artemisia) avaient été menés. Des effets positifs avaient été rapportés sur certains patients, même si leur rigueur méthodologique avait été critiquée.

L’idée a récemment été reprise dans un éditorial publié dans la revue Nature Plants en mars, qui suggère que certains traitements à base de plantes pourraient constituer des thérapies complémentaires aux traitements médicamenteux intéressantes. Il faudrait néanmoins tester rigoureusement cette hypothèse et s’assurer que les plantes n’interagissent pas avec les traitements médicamenteux donnés aux patients.

En Allemagne, des scientifiques ont lancé des études in vitro pour tester l’efficacité d’extraits de la plante contre le SARS-CoV-2. L’équipe a évalué son activité contre SARS-CoV-2 dans un modèle de cellules pulmonaires chez le singe, et suggère que des tisanes d’Artemisia auraient un effet antiviral. Par ailleurs, l’hypothèse d’un effet anti-inflammatoire de la plante a été avancée, mais aucune donnée clinique ne vient à ce jour l’appuyer. Ces résultats sont donc à prendre avec prudence, d’autant qu’aucune donnée chiffrée sur l’ampleur de l’effet antiviral n’a été partagée et que rien n’a encore été publié, ni en preprint, ni dans une revue à comité de lecture.

La plante ouvre donc des pistes de recherche intéressantes, mais en l’absence de données robustes ou d’études à plus long terme avec des doses contrôlées d’extraits d’Artemisia annua, elle ne constitue pas pour le moment un traitement contre le Covid-19. Des essais cliniques très rigoureux, menés de manière pluridisciplinaire avec une méthodologie solide sont donc plus que jamais nécessaires pour arriver à une conclusion dans cet épineux débat.

Ce texte a été réalisé avec le soutien du chercheur Inserm Eric D’Ortenzio, coordinateur scientifique de REACTing et de Benoît Gamain, Directeur de recherche CNRS UMR-S 1134, Inserm/Université de Paris

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