Ce travail a également permis de découvrir, par une analyse génomique comparative, de nouveaux facteurs de virulence dont l’implication dans les formes cérébrales et fœto-placentaires de listériose a été démontrée expérimentalement. Il suggère en outre l’importance d’utiliser de nouvelles souches de référence, représentatives des lignées hypervirulentes identifiées ici, pour les études expérimentales du pouvoir pathogène de Listeria monocytogenes.
Tissu infecté par Listeria (la bactérie apparaît en rouge). YH Tsai, M Lecuit, © Institut Pasteur
Responsable d’infections alimentaires pouvant être particulièrement graves, notamment chez la femme enceinte et les personnes âgées, la bactérie Listeria monocytogenes fait l’objet en France, comme dans de nombreux autres pays, d’une surveillance microbiologique étroite, assurée à l’Institut Pasteur par le Centre national de référence (CNR) des Listeria, en lien avec l’Institut de veille sanitaire (InVS). Les chercheurs de l’unité Biologie des infections (Institut Pasteur/Inserm), dirigée par Marc Lecuit (Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, Hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP) et qui héberge le CNR Listeria, en collaboration avec le groupe mené par Sylvain Brisse, dans l’unité Génomique évolutive des microbes (Institut Pasteur/CNRS), viennent de publier les conclusions d’une large étude portant sur près de 7000 souches de Listeria monocytogenes collectées depuis neuf ans dans le cadre des activités de surveillance.
Le génotypage des bactéries a en premier lieu révélé une grande hétérogénéité au sein de l’espèce L. monocytogenes et montré que les souches peuvent être classées en familles génétiques (ou groupes clonaux) distinctes. Grâce à l’analyse de données épidémiologiques, les chercheurs ont démontré que certains de ces groupes clonaux sont beaucoup plus fréquemment associés aux infections humaines, alors que d’autres sont fortement associés aux aliments. L’analyse des données cliniques détaillées de plus de 800 patients a montré que les souches les plus fréquemment associées aux infections sont davantage isolées chez les sujets les moins immunodéprimés, tandis que les souches les plus associées aux aliments infectent majoritairement les personnes les plus immunodéprimées. De plus, les souches les plus associées aux infections semblent les plus invasives, car elles affectent plus fréquemment le système nerveux central et le fœtus que les souches les plus associées aux aliments. Ces résultats suggèrent l’existence de souches hypervirulentes, hypothèse que les scientifiques ont confirmée grâce à un modèle murin de listériose qu’ils avaient précédemment développé[1].
Afin de découvrir les bases génétiques de cette hypervirulence, les chercheurs ont entrepris un séquençage génomique d’une centaine de souches représentatives des groupes clonaux majoritaires. L’analyse comparative de ces séquences génomiques a permis d’identifier un grand nombre de gènes fortement associés aux groupes clonaux hypervirulents, dont l’un a été démontré expérimentalement comme impliqué dans le tropisme cérébral et fœto-placentaire de L. monocytogenes.
Alors que la majorité des recherches menées sur L. monocytogenes s’effectue aujourd’hui à partir de souches dites « de référence » qui ne sont pas hypervirulentes, ces travaux plaident pour le recours à des souches hypervirulentes représentatives des infections humaines, afin d’améliorer la pertinence clinique et physiopathologique des travaux de laboratoire.
De manière plus générale, les résultats de cette analyse soulignent l’intérêt et la puissance de l’approche intégrative et multidisciplinaire utilisée par les chercheurs, prenant en compte la biodiversité des souches d’une espèce (ici L. monocytogenes) et les données épidémiologiques, cliniques, bactériologiques et expérimentales pour l’étude de la biologie des infections.
[1] Voir le communiqué de presse du 17 septembre 2008