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Communiqués et dossiers de presse

Mort ou vie cellulaire : un choix « cornélien » mathématisé

04 Mar 2010 | Par INSERM (Salle de presse) | Cancer | Génétique, génomique et bio-informatique | Santé publique

A l’Institut Curie, l’équipe Inserm dirigée par Emmanuel Barillot(1) vient d’établir un modèle mathématique prédisant la décision des cellules face à une situation où elles peuvent soit vivre, soit mourir. Ce choix a de multiples conséquences car les dérèglements dans les processus de mort cellulaire sont au cœur de nombreuses pathologies. Ainsi, les cellules cancéreuses font la sourde oreille aux signaux censés déclencher leur suicide. A l’inverse, quand la mort des neurones est accélérée, des maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou de Huntington peuvent se développer.
Mieux connaître les processus de vie et de mort des cellules est donc la clef de futurs traitements. Mais quand, pourquoi et comment une cellule décide-t-elle de mourir ? Et quelle voie emprunte-t-elle alors, sachant qu’il existe plusieurs manières de mourir pour une cellule et que chacune de ses voies met en jeu une multitude d’interactions entre protéines ?
Grâce à leur modèle mathématique publié dans PLoS Computational Biology du 5 mars 2010 les chercheurs de l’Institut Curie vont pouvoir anticiper les choix de la cellule et établir des stratégies pour élaborer de nouveaux traitements.



La cellule se retrouve parfois confrontée à un choix « cornélien » : vivre ou mourir. Cette brique de l’organisme dispose de mécanismes lui permettant de survivre dans des conditions a priori néfastes. A l’inverse, face à une situation trop critique, elle peut être éliminée. Mais le dilemme ne s’arrête pas là pour la cellule, puisqu’elle peut aussi choisir parmi plusieurs façons de mourir. L’une d’elles lui permet de s’autodétruire lorsqu’elle est trop endommagée. Il s’agit de l’apoptose. Le dérèglement de ce mécanisme est indispensable à l’apparition des cancers. Il participerait aussi au développement du sida. L’autre voie conduisant à la mort de la cellule est la nécrose. La destruction de la membrane cellulaire entraîne alors le déversement de ses composants dans les tissus limitrophes. Elle peut être à l’origine d’une inflammation.

Ces décisions cellulaires sont la résultante de cascades de protéines, d’activation ou de désactivation de voies de signalisation faisant intervenir une multitude de molécules et de réactions chimiques dans la cellule. La représentation d’un seul de ces chemins conduisant la cellule à la mort se résume souvent par un réseau d’interactions entre des centaines de molécules, digne d’un plan de métro tentaculaire. « Alors si l’on tente de figurer les différentes options offertes à la cellule dans des conditions spécifiques, difficile de s’y retrouver. D’où l’idée de la biologie des systèmes de recourir à des modèles mathématiques pour décortiquer cet univers extrêmement complexe » explique Andrei Zinovyev, responsable de cette étude à l’Institut Curie.

L’équipe « Bioinformatique et biologie des systèmes du cancer » dirigée par Emmanuel Barillot(1) a tout d’abord identifié les clés « moléculaires » orientant la cellule dans ses choix. Un grand nombre de données de la littérature scientifique a ainsi été répertorié. Ensuite, bioinformaticiens, biologistes et mathématiciens en cumulant leur expérience ont pu modéliser ce choix. Les chercheurs de l’Institut Curie peuvent désormais prédire le choix d’une cellule dans telle ou telle situation. La cellule va-t-elle décider de mourir ou alors survivre ? Et si elle meurt, le fera-t-elle par apoptose ou par nécrose ? Ce modèle résume à la fois ces choix et les mécanismes sous-jacents. Il a d’ores et déjà permis d’identifier une protéine clé guidant la décision cellulaire.


« C’est aussi un outil pour orienter certaines expériences et gagner un temps précieux » précise Laurence Calzone, post-doctorante à l’Institut Curie et à l’origine de cette étude. En effet, ce modèle prédit le comportement des cellules lors de la survenue d’une perturbation (altération génétique, inhibition de protéines…) sur les mécanismes de mort, reste ensuite aux biologistes à vérifier in vivo cette hypothèse.

Mais le recours à cette approche mathématique va aussi aider les biologistes à comprendre comment les cellules cancéreuses échappent à l’apoptose. Déjà, deux grandes catégories de gènes émergent : les gènes pro-apoptotiques (caspases-8 et -3, APAF1, cytochrome c, BAX, SMAC) et les gènes anti-apoptotiques (BCL-2, cIAP1/2, XIAP, cFLIP, NFKB1, RELA, IKBKG, IKBKB). Ces gènes ont, pour certains, déjà un lourd passif en cancérologie. Ce modèle va indéniablement accélérer la découverte de nouveaux gènes impliqués dans l’apparition des cancers.

En outre, il permet de reproduire parfaitement la réponse cellulaire aux molécules anti-cancéreuses. Ce modèle est construit pour répondre à une question biologique précise, ici, le choix de la cellule en réponse à un signal. Mais d’autres questions peuvent bien sûr être envisagées.
Ce schéma illustre les mécanismes par lesquels différentes espèces biochimiques participent à la décision cellulaire entre survie et mort par apoptose ou par nécrose.

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© Institut Curie/Inserm, E. Barillo

Chaque rond bleu (noeud) est une composante du système qui peut représenter une protéine et ses différentes modifications, un complexe ou un processus cellulaire. Chaque flèche correspond à une influence d’un noeud sur un autre, influence activatrice en vert ou inhibitrice en rouge.

Avec ce modèle mathématique, l’équipe d’Emmanuel Barillot synthétise cet univers extrêmement complexe.

(1) Emmanuel Barillot est chercheur de l’Institut Curie où il dirige l’unité « Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie d’un système complexe » Institut Curie/U 900 Inserm/Ecole des Mines.

Requiem pour une cellule
Dans tous les organismes, les cellules se développent, se reproduisent, puis meurent. Mais il existe plusieurs façons de mourir. Quand une cellule est fortement malmenée, par exemple lors de brûlures ou de fortes compressions, elle meure violemment en éclatant. Le contenu cellulaire est alors dispersé dans le milieu environnant, ce qui peut provoquer une réaction inflammatoire. Cette mort accidentelle porte le nom de « nécrose ».

L’apoptose : une mort cellulaire programmée
Les cellules peuvent également « décider » de mourir, c’est la mort cellulaire programmée ou apoptose. Cette mort se rencontre tout au long de la vie, et ce, dès les premiers instants du développement embryonnaire. C’est grâce à elle que l’embryon prend forme et que le corps et les organes sont progressivement modelés. Environ 85 % des neurones en formation dans le cerveau d’un embryon sont ainsi éliminés. Un « ménage » nécessaire pour éviter un surplus de cellules qui serait nuisible à la bonne marche du cerveau. En plus d’éliminer les cellules excédentaires, l’apoptose permet de se débarrasser des cellules endommagées qui pourraient être nocives. Sous l’effet du soleil, de certains agents chimiques et physiques, de certains virus, voire même spontanément, l’ADN peut être endommagé. Les cellules qui présentent des altérations trop importantes de leur matériel génétique sont ainsi éliminées le plus vite possible, ce qui contribue à diminuer sinon à supprimer le risque de cancer. Concrètement, quand une cellule ordonne sa propre mort, elle déclenche une cascade de protéines qui se passent ainsi l’information et qui entraîne des modifications tant biochimiques que morphologiques de la cellule. Le processus d’apoptose dure en moyenne de 30 à 60 minutes pour une cellule.

Quand l’apoptose se dérègle
La moindre anomalie dans ce processus peut entraîner des dysfonctionnements à l’échelle de l’organisme.
De nombreuses pathologies en témoignent :
• Lorsque l’apoptose est bloquée, les cellules endommagées ne sont plus éliminées : il y a alors risque de cancer.
• De même, c’est une accélération du programme apoptotique conduisant à une disparition anormale d’une partie des neurones qui serait à l’origine de certaines maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou de Huntington.
• Quant au virus du sida, il déclencherait l’apoptose intempestive d’une variété de globules blancs, qui ont un rôle de « tueurs professionnels » des cellules infectées, autorisant ainsi le développement de maladies et infections opportunes.
Contacts
Contact Presse

Institut Curie
Céline Giustranti
01.56.24.55.24

Sources

"Mathematical Modelling of Cell-Fate Decision in Response to Death Receptor Engagement"

L. Calzone1,2,3, L. Tournier1,2,3, S. Fourquet1,2,3, D. Thieffry4, B. Zhivotovsky5, E. Barillot1,2,3, A.Zinovyev1,2,3

1 Institut Curie, Paris
2 Ecole des Mines ParisTech, Paris
3 Inserm U900, Paris
4 TAGC - Inserm U928 & Université de la Méditerranée, Marseille
5 Karolinska Institutet, Stockholm, Suède

PLoS Computational Biology, 5 mars 2010

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