Microglies (en jaune, cellules immunitaires du cerveau), activées par la nature pro-inflammatoire d’un régime enrichi en huile de tournesol (microscopie à fluorescence). © Clara Sanchez/Inserm
L’obésité est un problème de santé publique majeur, qui touche près de 650 millions d’adultes dans le monde[1]. Cette maladie est souvent associée à une inflammation systémique et cérébrale ainsi qu’à des troubles de l’anxiété ou cognitifs, comme par exemple des déficits de mémoire. Dans une nouvelle étude, des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Université Côte d’Azur, au sein de l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire, ont essayé de comprendre plus précisément la manière dont l’alimentation pouvait entraîner l’obésité, ainsi que les comorbidités qui lui sont associées. Ils se sont intéressés plus spécifiquement aux acides gras oméga 6 (ω6) et oméga 3 (ω3), explorant les effets sur la santé de divers régimes alimentaires avec des ratios d’acides gras variables (voir encadré ci-dessous). Leurs résultats indiquent un qu’un régime enrichi en ω6 (dans ce cas précis, en huile de tournesol) est fortement associé à des altérations du métabolisme, de l’inflammation et des fonctions cognitives, tandis qu’un régime enrichi en ω3 (ici, en huile de colza) présente certains effets préventifs. Ces travaux permettent d’envisager des interventions diététiques se fondant sur un faible rapport ω6/ω3 (en préférant donc plutôt l’huile de colza à l’huile de tournesol) pour lutter contre l’obésité et les troubles neurologiques qui lui sont associés. Ils sont publiés dans Brain Behavior and Immunity.
Selon l’OMS, depuis 1975, le nombre de cas d’obésité a presque triplé à l’échelle planétaire. La pathologie est associée à de nombreuses comorbidités (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, arthrose, cancers et troubles cognitifs) et à une mortalité élevée. Ses causes sont complexes et impliquent l’interaction de plusieurs facteurs. Une alimentation non équilibrée est néanmoins reconnue comme le facteur contributif majeur de la maladie.
Par ailleurs, de précédentes études[2] ont montré que l’obésité était associée non seulement à un dysfonctionnement métabolique, mais aussi à une inflammation chronique au niveau des organes périphériques (les tissus adipeux, le foie, les muscles squelettiques et le pancréas), ainsi qu’au niveau du système nerveux central (on parle alors de neuro-inflammation). Cette neuro-inflammation dans l’obésité se caractérise par l’augmentation de marqueurs pro-inflammatoires au niveau de la région de l’hypothalamus, région du cerveau connue pour contrôler le comportement alimentaire[3]. Cependant, la nature des lipides nutritionnels qui pourraient être responsables de cette neuro-inflammation n’a pas encore été élucidée.
Dans une nouvelle étude, des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm, du CNRS et d’Université Côte d’Azur se sont spécifiquement intéressés à certains acides gras essentiels au bon fonctionnement de notre organisme, et connus pour avoir des propriétés anti- et pro-inflammatoires : les omégas 3 et 6 (voir encadré ci-dessous). Leur objectif : mieux comprendre si dans le cadre d’un régime riche en lipides (dit « régime obésogène ») ces omégas 3 et 6 sont impliqués dans le phénomène de neuro-inflammation, et s’ils peuvent être associés au développement de l’obésité.
Leurs travaux partent par ailleurs du constat d’une tendance toujours plus forte dans les pays développés à une consommation excessive d’omégas 6, dont les propriétés inflammatoires sont bien documentées dans la littérature scientifique[4].
Omégas 3 et omégas 6 : l’importance de l’équilibre entre les acides gras
Omégas 3 et omégas 6 sont des acides gras essentiels au bon fonctionnement de notre organisme qui n’est pas en mesure de les produire ni de les synthétiser par lui-même. Ils doivent donc être apportés par l’alimentation, mais leur consommation doit respecter un certain équilibre (on parle de ratio oméga 6/oméga 3), afin de combiner les propriétés pro-inflammatoires des omégas 6 avec les propriétés anti-inflammatoires des omégas 3.
- les acides gras oméga 6: par exemple les acides linoléique et gamma-linolénique se retrouvent dans de nombreuses huiles telles que celles de tournesol et de maïs ;
- les acides gras oméga 3: par exemple les acides eicosapentaénoïque et docosahéxanoïque se retrouvent dans les poissons gras, ou l’acide alpha-linolénique dans les huiles telles que celles de lin, de chanvre, de colza, de noix ou de soja.
Les scientifiques ont évalué, dans des modèles animaux, les effets sur la santé de trois régimes alimentaires obésogènes – riches en lipides – présentant chacun un ratio d’acides gras variable.
Pour composer ces régimes spécifiques, les chercheurs ont utilisé des huiles végétales disponibles dans le commerce, à savoir de l’huile de colza (riche en oméga 3) et de l’huile de tournesol (riche en oméga 6). L’un contenait un ratio d’acides gras oméga 6/oméga 3 élevé, c’est-à-dire, très enrichi en omégas 6 et donc en huile de tournesol. Le second présentait un ratio intermédiaire, équilibré en omégas 3 et en omégas 6 ; le dernier était très enrichi en omégas 3, et donc en huile de colza.
Ils ont pu mesurer grâce à divers examens les effets variables de ces régimes sur la prise de poids et le stockage de graisse, la réponse au niveau de l’homéostasie glucidique[5], le développement de l’anxiété et troubles cognitifs, ainsi que l’inflammation du cerveau.
Au terme de l’expérience qui a duré jusqu’à 5 mois, les scientifiques ont ainsi pu observer (résultats résumés dans le schéma ci-dessous) :
- une altération du métabolisme, de la neuro-inflammation et des fonctions cognitives, notamment une augmentation de l’anxiété et des troubles de la mémoire spatiale chez les souris obèses soumises au régime enrichi en omégas 6, et donc en huile de tournesol ;
- un effet protecteur du régime enrichi en omégas 3, riche en huile de colza, sur la prise de poids, la régulation de l’homéostasie glucidique et le développement de troubles cognitifs.
« Alors qu’on attribuait jusqu’alors à l’obésité l’augmentation de l’état inflammatoire, dans cette étude nous montrons que l’état inflammatoire dépend du type de régime auquel est exposé l’animal. Autrement dit, c’est le fait d’être nourri avec un régime riche en omégas 6 qui est responsable des phénomènes inflammatoires observés et non l’obésité elle-même », explique Clara Sanchez, chercheuse post-doctorante à l’Inserm, première autrice de l’article.
« Cette étude montre aussi pour la première fois l’effet protecteur contre l’obésité et les phénomènes inflammatoires associés que peut présenter un régime enrichi en lipides, à condition de favoriser la consommation d’omégas 3. Ces travaux permettent d’envisager des interventions diététiques se fondant sur un faible rapport ω6/ω3 pour lutter contre l’obésité et les troubles neurologiques qui lui sont associés », explique Carole Rovère, chercheuse Inserm dernière autrice de l’article.
Dans leur découverte, les scientifiques ont par ailleurs observé chez ces souris, une modification de la forme de certaines cellules du cerveau situées dans l’hypothalamus, les microglies, qui semblent s’activer en réponse à un régime riche en omégas 6. Leurs travaux consisteront désormais à mieux comprendre le rôle spécifique de ces cellules dans l’obésité.
[1]OMS, 2016
[2]Gregor et Hotamisligil, 2011 ; Thaler et al., 2012
[3] Baufeld et al., 2016 ; Cansell et al., 2021 ; De Souza et al., 2005 ; Le Thuc et Rovère, 2016 ; Salvi et al., 2022
[4] L’OMS préconise de consommer cinq omégas 6 pour un oméga 3. Alors qu’au sein des sociétés occidentales, ce rapport explose – il serait 3 fois supérieur aux recommandations actuelles d’omégas 6.
[5]L’homéostasie glucidique est un état d’équilibre entre les apports (absorption intestinale suite à un repas ou production de glucose par le foie) et l’utilisation de glucose (entrée de glucose et utilisation dans les organes).
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