Beaucoup de malades obèses continuent malgré leurs efforts à avoir une prise alimentaire trop importante (hyperphagie) au regard de leurs réserves et leurs besoins. Pourtant, l’hormone de la faim, appelée Ghréline, est retrouvée le plus souvent à un taux normal voire bas chez ces patients. L’équipe Inserm de l’Unité 1073 « Nutrition, inflammation et dysfonction de l’axe intestin-cerveau » (Inserm/Université de Rouen) vient d’élucider ce mécanisme à l’origine de cette hyperphagie paradoxale. Certains anticorps ont une affinité plus forte avec la ghréline chez les patients obèses, entrainant une stimulation plus longue de l’appétit.
Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Communications, datée du 25 octobre 2013.
L’obésité touche plus de 15% des adultes en France, et ses mécanismes de constitution restent encore incomplètement élucidés. Normalement, une régulation fine du poids et de la prise alimentaire est coordonnée par une zone spécialisée du cerveau (l’hypothalamus). Elle permet d’adapter la prise alimentaire en fonction des réserves et des besoins. Ainsi, après une période de surabondance alimentaire et de prise de poids, un sujet sain aura spontanément tendance à réduire son alimentation pendant quelque temps pour revenir à son poids antérieur.
Chez beaucoup de malades obèses, ce mécanisme est défectueux : ils continuent, malgré leurs efforts, à avoir une prise alimentaire trop importante (hyperphagie) contribuant à maintenir un poids élevé, ou même à l’augmenter encore. Leur cerveau devrait pourtant intégrer l’information de l’excédent et réduire la prise alimentaire pour favoriser une perte de poids. Cette observation est d’autant plus surprenante que, l’hormone de la faim appelée ghréline, produite par l’estomac et agissant sur l’hypothalamus, est retrouvée le plus souvent à un taux normal, voire bas, chez les patients obèses.
L’étude menée par Sergueï Fetissov et l’équipe de l’unité mixte de recherche 1073 « Nutrition, inflammation et dysfonction de l’axe intestin-cerveau » (Inserm/Université de Rouen) dirigée par Pierre Déchelotte, en collaboration avec l’équipe du Pr Akio Inui à l’Université de Kagoshima (Japon), révèle le mécanisme moléculaire de cette hyperphagie paradoxale.
Les chercheurs ont mis en évidence dans le sang des patients obèses la présence d’anticorps particuliers, ou immunoglobulines qui reconnaissent la ghréline et modulent l’appétit.
En se liant à la ghréline, les immunoglobulines protègent l’hormone de la faim de sa dégradation rapide dans la circulation. La ghréline peut alors agir plus longuement sur le cerveau et stimuler l’appétit.
Coupe de l’estomac de rat qui montre des cellules productrices de ghréline (en rouge) et des cellules immunitaires (en vert). © Inserm / S. Fetissov
« Les immunoglobulines ont des propriétés différentes chez les patients obèses, explique Sergueï Fetissov, chercheur au sein de l’unité Inserm de Rouen et principal auteur de l’étude. Elles ont une « attirance » plus forte pour la ghréline que celle observée chez des sujets de poids normal ou chez des patients anorexiques. C’est cette différence en « affinité » qui permet aux immunoglobulines de transporter plus de ghréline vers le cerveau et renforcer son action stimulante sur la prise alimentaire », poursuit-il.
L’équipe de recherche a confirmé ce mécanisme par des expériences chez le rongeur. Lorsque de la ghréline était administrée associée à des immunoglobulines extraites du sang des patients obèses, ou à des immunoglobulines provenant de souris génétiquement obèses, elle stimulait plus fortement la prise alimentaire. A l’inverse, lorsque la ghréline était administrée seule, ou associée à des immunoglobulines de personnes ou de souris non obèses, les rongeurs régulaient davantage leur appétit en limitant leur prise alimentaire.
Cette étude prolonge d’autres travaux de l’équipe de recherche, publiés en 2011[1], sur le rôle des immunoglobulines interférant avec différentes hormones agissant sur l’appétit, la satiété ou l’anxiété dans des situations d’anorexie, de boulimie ou de dépression, et sur l’implication probable de la flore intestinale (microbiote) dans ces interactions.
« Nos résultats pourraient également être utilisés pour l’étude du phénomène inverse, la perte d’appétit, observée par exemple dans le cas de situations d’anorexie » conclut Pierre Déchelotte.
[1] Fetissov S.O., Déchelotte P. The new link between gut-brain axis and neuropsychiatric disorders. Curr Op Clin Nutr Metab. 14(5):477-82, 2011.