Aujourd’hui, Anne Tursz et Jon M. Cook de l’Unité Inserm 988 “CERMES 3” dévoilent les premières données sur les néonaticides, ces décès survenant le jour de la naissance. Bien que de tels décès aient toujours existé, les chercheurs ont montré leur sous-estimation en comptabilisant 5,4 fois plus de néonaticides dans les données judiciaires que dans les statistiques officielles de mortalité. En analysant les dossiers judiciaires de 3 régions de France sur une période de 5 ans (1996-2000), les chercheurs sont également parvenus, pour la 1ère fois hors services cliniques, à identifier les caractéristiques sociales et psychologiques des mères auteurs de néonaticides.
…Une sous-estimation du nombre de cas – Le profil des mères décrypté
Les résultats publiés dans l’édition Fetal & Neonatal de la revue Archives of Disease in Childhood sont disponibles en ligne : https://fn.bmj.com/content/early/2010/11/25/adc.2010.192278.abstract
Le terme “néonaticide” a été inventé dans les années 70 par Philip J. Resnick pour définir les infanticides survenant dans les premières 24h de vie. Ces dernières années, la couverture médiatique de cas sensationnels, tels que la découverte de 8 corps de nouveau-nés dans le nord de la France en juillet, laissait supposer une accentuation du phénomène. Mais à ce jour, il existe peu de données pour évaluer son ampleur et son évolution dans le temps. En 2005, l’analyse du nombre d’homicides chez les nourrissons de moins d’un an (infanticides) avait déjà révélé une sous-estimation de ce problème. Depuis, Anne Tursz et Jon M. Cook se sont penchés sur les néonaticides, ces décès peu connus et souvent associés, dans les médias, au « déni de grossesse ». L’étude rétrospective a été menée dans 26 tribunaux de 3 régions françaises (Bretagne, Ile-de-France, Nord-Pas de Calais), comportant plus d’un tiers des naissances du territoire métropolitain entre 1996 et 2000. Les chercheurs ont recueilli les données judiciaires correspondant aux décès de nouveau-nés survenant pendant cette période.
Par recoupement avec les statistiques officielles de mortalité (1), l’analyse des données provenant des tribunaux a permis de chiffrer la sous-estimation globale des néonaticides. Les chercheurs rapportent 2,1 néonaticides sur 100 000 naissances contre 0.39 dans les statistiques officielles, soit 5,4 fois plus de néonaticides dans les données judiciaires.
L’étude épidémiologique menée par Anne Tursz et ses collaborateurs rapporte également les principales caractéristiques des mères auteurs de néonaticides. Sur un total de 27 cas de néonaticides (dont 9 où la mère n’a jamais été retrouvée), les chercheurs ont dressé le profil des mères formellement identifiées comme étant à l’origine du décès. Leurs catégories professionnelles ont été comparées à celles de la population générale du même âge et des mêmes régions. En parallèle, le contenu des expertises psychiatriques et médico-psychologiques a été analysé.
Le profil des mères néonaticides
Les résultats de cette étude ouvrent de nouvelles perspectives en termes de prévention. Les données montrent par exemple que l’ensemble des mères n’a pas eu recours à la contraception du fait d’un manque de connaissances, d’une utilisation irrégulière ou d’un refus de principe. Pour Anne Tursz, “identifier le profil de ces mères permettra de mieux cibler à l’avenir les femmes vulnérables afin de leur proposer des solutions adaptées. Les données recueillies suggèrent que l’action préventive exclusivement tournée vers les jeunes, les pauvres, les femmes seules, sans emploi ou avec un déni de grossesse, comme on le voit dans les médias, n’est pas appropriée”.
Les auteurs soulignent qu’il serait important de développer une collecte de données sur les causes de décès des nourrissons au niveau national, de manière prospective et en réalisant des études cas/témoins. En effet, seule une telle approche permettrait de développer une action préventive ciblée, grâce à l’identification scientifiquement solide de facteurs de risque maternels, estiment les chercheurs.
Note
(1) Etablies grâce au codage des causes de décès à l’aide de la Classification internationale des maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)