Grâce à un modèle de souris reproduisant une perturbation de la perception des sons aigus chez l’homme, des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’Inserm, du Collège de France, et de l’Université Pierre et Marie Curie, en collaboration avec une équipe de l’université d’Auvergne, ont pu élucider les anomalies en cause, et mettre en évidence une altération profonde du traitement des fréquences sonores. Ces travaux offrent une explication à la gêne considérable que représente le bruit pour la perception des fréquences aiguës chez certains malentendants. Ils suggèrent qu’un bilan auditif plus complet chez le praticien pourrait permettre d’améliorer le diagnostic de ces troubles, et de mieux prendre en charge les personnes concernées qui, malgré une perte auditive évaluée comme modérée par l’analyse audiométrique standard, nécessitent d’être appareillées, avec un ciblage fréquentiel approprié de la correction auditive.
Alors que leur examen audiométrique ne révèle qu’une perte auditive légère, certains patients se plaignent pourtant d’une gêne profonde et de difficultés de compréhension importantes de la parole dans les milieux bruités, qui les handicapent au quotidien. En étudiant une souris porteuse d’une mutation affectant certaines cellules sensorielles de l’oreille interne, des chercheurs ont établi un parallèle avec le tableau clinique de ces malentendants. Le projet a été mené par le Dr. Aziz El-Amraoui, et par le Pr. Christine Petit, dans l’unité de génétique et physiologie de l’audition (Institut Pasteur/Inserm/Université Pierre et Marie Curie) qu’elle dirige, en étroite collaboration avec l’équipe de biophysique neurosensorielle de l’UMR Inserm 1107 à l’Université d’Auvergne, conduite par le Pr. Paul Avan.
La souris étudiée présente une perte auditive en apparence très modérée, qui ne concerne que les sons aigus (sons de haute fréquence), qui sont traités à la base de la cochlée. Les défauts morphologiques observés par les chercheurs sont pourtant très importants à ce niveau : les cellules ciliées externes de la base de la cochlée ne peuvent plus répondre aux hautes fréquences, et leurs touffes ciliaires, qui jouent le rôle d’antenne de réception du son, sont gravement touchées (cf photographie).
L’introduction de sons interférents a conduit les chercheurs à mettre en évidence, chez cette souris, un phénomène inédit : une perturbation considérable de la détection des sons aigus en présence de sons beaucoup plus graves (deux octaves) et d’intensité bien moindre. Les chercheurs ont pu identifier l’origine de ce défaut : indemne de toute atteinte, la région apicale de la cochlée, qui traite normalement les sons graves, répondrait, chez la souris mutante, non seulement aux sons graves, mais également aux sons aigus. Elle se substituerait ainsi fonctionnellement à leur région habituelle de codage, la base de la cochlée, qui a perdu sa sensibilité. Dans une cochlée saine, les sons aigus ne peuvent pas atteindre la région apicale, en raison des caractéristiques physiques de la membrane qui les propage. Les anomalies de la touffe ciliaire chez la souris mutante permettraient aux vibrations des sons aigus d’emprunter une autre voie de propagation aux caractéristiques physiques bien différentes.
Transposés à l’homme, ces résultats pointent l’existence, chez certains individus, d’audiogrammes faussement optimistes, qui dissuadent à tort de les appareiller. Pour améliorer le diagnostic, il serait donc judicieux de proposer de manière plus routinière aux personnes présentant une gêne auditive en présence de bruits de basse fréquence des tests auditifs complémentaires, permettant notamment d’analyser finement la réponse fréquentielle des cellules sensorielles auditives. Les prothèses auditives prescrites dans une telle situation devraient veiller à rétablir sélectivement la détection des hautes fréquences, tout en évitant l’interférence par les sons graves.
Illustration : Touffes ciliaires de cellules ciliées externes provenant d’une souris normale (en haut) et d’une souris mutante (en bas), analysées par microscope électronique. – Copyright Institut Pasteur – V. Michel & K. Kamiya
Cette étude a été financée par le grant ERC-hair bundle ”2011-ADG_20110310”, le Labex ”Lifesenses”, la société japonaise ”Promotion of Science and Uehara Memorial Foundation”, Réunica Prévoyance, Humanis, Errera Hoechstettee, la fondation BNP-Paribas et la fondation ”Voir et Entendre”.