Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA. © Adobe Stock
Les trouble du spectre de l’autisme (TSA) résultent de particularités du neuro-développement. Ils apparaissent au cours de la petite enfance et persistent à l’âge adulte. Environ 700 000 personnes en France seraient concernées. Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement ciblant de façon spécifique l’autisme, pour améliorer les troubles du comportement ainsi que les altérations des interactions sociales associées. Les personnes peuvent toutefois avoir recours à des traitements pour d’éventuelles comorbidités comme les troubles du sommeil ou l’épilepsie. Dans les laboratoires de recherche, les efforts se poursuivent, non seulement pour identifier de nouvelles options thérapeutiques mais aussi pour améliorer le repérage précoce des TSA et leur prise en charge psychosociale tout au long de la vie.
L’autisme « typique », décrit par le pédopsychiatre Leo Kanner en 1943, est aujourd’hui intégré dans un ensemble plus vaste, celui des « troubles du spectre de l’autisme (TSA) ». Ce terme permet de rendre mieux compte de la diversité des situations. Ces troubles se caractérisent par :
En conséquence, certaines personnes présentent également des difficultés d’apprentissage. Les TSA peuvent également être associés à des comorbidités : troubles anxieux, problèmes de sommeil, déficits de la fonction motrice, épilepsie…
Au sein de cette grande diversité clinique, il est important de relever les « atouts » ou « talents » qui peuvent découler de ce développement cérébral atypique. Le développement de thérapeutiques doit donc cibler ce qui correspond aux plaintes des personnes tout en préservant leurs particularités.
Ces dernières années, les progrès des neurosciences et l’identification de facteurs de risque génétiques ou environnementaux ont permis de mieux appréhender les TSA, mais leurs causes demeurent encore assez mal comprises. Dans ce contexte, la recherche thérapeutique avance difficilement.
On peut citer l’exemple de plusieurs essais cliniques récemment abandonnés, en raison de résultats jugés peu concluants – alors que les molécules étudiées avaient au départ généré beaucoup d’espoirs.
Dès lors, comment faire avancer la science et identifier de nouvelles molécules qui pourraient avoir des effets bénéfiques sur les TSA ? D’autres pistes thérapeutiques sont-elles à l’étude ? Au-delà des essais cliniques, quels sont aujourd’hui les enjeux prioritaires de la recherche dans ce domaine ?
Une nouvelle étude, menée par des chercheurs et chercheuses de l’Inserm, du CNRS, de Inrae et de l’université de Tours, publiée très récemment dans le journal Neuropsychopharmacology, apporte des résultats prometteurs sur un médicament qui a beaucoup été utilisé dans le traitement de l’épilepsie : les ions bromures. Avec l’arrivée sur le marché de nouveaux médicaments pour les patients épileptiques, son usage a diminué, mais il s’agit encore d’un outil thérapeutique intéressant, notamment en cas d’épilepsie résistante aux traitements classiques.
L’épilepsie est une comorbidité fréquemment retrouvée chez les personnes atteintes de TSA : il est probable que certains facteurs de risque et processus physiopathologiques soient communs. Les scientifiques ont donc estimé qu’il pouvait être intéressant d’étudier plus particulièrement l’efficacité de ce traitement dans le contexte des TSA.
Inhibition et excitation des neurones
Dans le cerveau, le maintien d’un équilibre entre les phénomènes d’excitation et d’inhibition dans les circuits neuronaux est essentiel à son bon fonctionnement tout au long de la vie. On sait aujourd’hui que les déséquilibres entre excitation et inhibition des neurones sont à l’origine de nombreux troubles, en particulier de l’épilepsie. De même, certaines formes de TSA ont été associées à un dysfonctionnement des connexions neuronales inhibitrices.
Dans le cas de l’épilepsie, les ions bromures contribuent à corriger ce déséquilibre en favorisant l’inhibition, ce qui permet d’éviter les crises. L’hypothèse des scientifiques était donc qu’un effet similaire pouvait être attendu dans les cas de TSA, avec un impact clinique visible sur les comportements sociaux et stéréotypés.
Trois modèles de souris
L’équipe a donc testé ce traitement dans trois modèles précliniques de TSA. À chaque fois, les ions bromures ont eu un effet bénéfique sur le phénotype autistique, restaurant le comportement social et diminuant les comportements stéréotypés des animaux. Les ions bromures ont également permis de réduire leur anxiété.
Les résultats sont d’autant plus prometteurs que les tests ont été menés sur trois modèles de souris qui présentaient différentes mutations génétiques responsables du phénotype autistique.
« Le fait que des effets bénéfiques soient observés dans trois modèles différents permet d’être un peu plus confiant quant à la capacité du traitement à être généralisable à plusieurs sous-groupes d’individus autistes lors de futurs essais cliniques », soulignent Jérôme Becker, chercheur Inserm et Julie Le Merrer, chercheuse CNRS, derniers auteurs de l’étude.
Essai clinique à venir ?
Le projet a reçu un soutien important d’Inserm Transfert et de la cellule de Valorisation c-VALO[1]. Cela a abouti au dépôt de deux brevets, le premier sur la base des effets des ions bromures dans les trois modèles murins étudiés par les chercheurs, complété par un deuxième portant sur l’intérêt de combiner ce traitement avec une molécule facilitatrice de l’activité d’un récepteur à la surface des neurones (le récepteur au glutamate mGlu4), pour obtenir une synergie d’effets.
Toujours sur la base de ces résultats prometteurs, la prochaine étape sera de mettre sur pied un essai clinique sur un petit effectif de patients adultes.
Néanmoins, la recherche thérapeutique n’est pas le seul défi à relever pour améliorer le quotidien et la qualité de vie des personnes atteintes de TSA.
Identification précoce et interventions individualisées
Une priorité est de continuer à raccourcir les délais entre l’apparition des premiers signes évocateurs d’une trajectoire atypique et la mise en place d’interventions ciblées.
On sait désormais que plus ces signes sont identifiés tôt, dès les premières années de la vie, mieux on est capable d’accompagner et de prendre en charge les enfants et leurs familles. Identifier ces enfants de manière ultra-précoce, en s’intéressant par exemple à leur motricité dès le plus jeune âge ou à leur histoire pré- et périnatale, est à l’heure actuelle un axe de recherche intéressant.
Par ailleurs, continuer à proposer des prises en charge individualisées, reposant sur des équipes multidisciplinaires et sur des interventions dites « comportementales et développementales » comme le programme Denver ou la Thérapie d’échange et de développement (TED) a également un intérêt majeur pour accompagner de manière bénéfique le développement des enfants.
Lire le Grand angle du magazine de l’Inserm n° 45 : Autisme, un trouble aux multiples facettes
Accompagner le vieillissement
Autre défi de taille : la prise en charge des adultes autistes, dans un contexte plus général de vieillissement de la population.
Il existe aujourd’hui une absence de continuum de prise en charge tout au long de la vie. Cependant, depuis plusieurs années, de nombreux programmes de recherche se mettent en place un peu partout dans le monde pour comprendre comment les personnes autistes vieillissent, si elles sont plus à risque de troubles neurodégénératifs et quelles interventions contribuent à augmenter leur qualité de vie et à lutter contre leur isolement social.
On peut également citer l’importance des programmes de réhabilitation psychosociale dédiés aux adultes avec TSA et qui visent notamment à travailler leurs compétences cognitives et à accompagner leur insertion professionnelle et sociale.
L’accès à ces programmes et, de manière plus générale, à la prise en charge, demeure toutefois inégalitaire sur le territoire. Selon les chercheurs, cet enjeu devra être pris en compte aussi bien par les équipes de recherche que par les décideurs publics afin d’offrir les mêmes opportunités et le meilleur accompagnement à toutes les personnes atteintes de TSA, à tous les âges de la vie.
[1] C-VaLo est une expérimentation complémentaire aux SATT régionales qui existe depuis 2019. Il s’agit d’un nouveau dispositif d’investissement public pour accélérer et simplifier le transfert des résultats de la recherche académique. Les membres de C-VaLo sont l’université d’Orléans, l’INSA Centre Val de Loire, le CNRS, l’Inserm, l’INRAE, le BRGM, le CHU de Tours, le Conseil Régional Centre-Val de Loire et l’université de Tours.
Chronic sodium bromide treatment relieves autistic-like behavioral deficits in three mouse models of autism
Neuropsychopharmacology, avril 2022
DOI : https://doi.org/10.1038/s41386-022-01317-1
Cécile Derieux1,2,3, Audrey Léauté1, Agathe Brugoux1,2, Déborah Jaccaz4, Claire Terrier1,2, Jean-Philippe Pin 3, Julie Kniazeff3, Julie Le Merrer1,2, et Jerome A. J. Becker1,2,
1 Physiologie de la Reproduction et des Comportements, INRAE UMR0085, CNRS UMR7247, IFCE, Université de Tours, Inserm, 37380 Nouzilly, France.
2 UMR1253, iBrain, Université de Tours, Inserm, CNRS, Faculté des Sciences et Techniques, Parc de Grandmont, 37200 Tours, France.
3 Institut de Génomique Fonctionnelle (IGF), Université de Montpellier, CNRS, Inserm, 34094 Montpellier, France.
4 Unité Expérimentale de Physiologie Animale de l’Orfrasière, INRAE UE0028, 37380 Nouzilly, France
Chronic sodium bromide treatment relieves autistic-like behavioral deficits in three mouse models of autism
Cécile Derieux1,2,3, Audrey Léauté1, Agathe Brugoux1,2, Déborah Jaccaz4, Claire Terrier1,2, Jean-Philippe Pin 3, Julie Kniazeff3, Julie Le Merrer1,2, et Jerome A. J. Becker1,2,
1 Physiologie de la Reproduction et des Comportements, INRAE UMR0085, CNRS UMR7247, IFCE, Université de Tours, Inserm, 37380 Nouzilly, France.
2 UMR1253, iBrain, Université de Tours, Inserm, CNRS, Faculté des Sciences et Techniques, Parc de Grandmont, 37200 Tours, France.
3 Institut de Génomique Fonctionnelle (IGF), Université de Montpellier, CNRS, Inserm, 34094 Montpellier, France.
4 Unité Expérimentale de Physiologie Animale de l’Orfrasière, INRAE UE0028, 37380 Nouzilly, France
Neuropsychopharmacology, avril 2022