Une équipe de recherche de l’Université Paris Descartes, de l’Inserm et du Centre Hospitalier Sainte-Anne, sous la direction du Professeur Marie-Odile Krebs, a mis en évidence que des modifications épigénétiques accompagnent l’émergence d’un épisode psychotique dans une cohorte de jeunes personnes à risque âgées de 15 à 25 ans. Ces modifications compromettent des systèmes de réponse au stress oxydatif et à l’inflammation. Grâce à ce nouveau travail, les chercheurs apportent un nouvel éclairage à cette maladie dont la principale explication biologique reposait jusqu’alors sur des perturbations de la sécrétion de la dopamine au niveau cérébral.
L’ étude a été publiée le 26 avril 2016 2016 dans Molecular Psychiatry
Les troubles psychotiques touchent préférentiellement une population jeune avec un retentissement social majeur. Plusieurs années avant le déclenchement d’un véritable épisode psychotique, certaines modifications du comportement (isolement, agressivité) ou certains symptômes non spécifiques (anxiété, troubles de la concentration ou du sommeil), puis plus spécifiques (distorsions perceptuelles, idées fixes …) sont généralement présents. Certains outils d’évaluation permettent de définir des critères « d’état mental à risque ». Environ un tiers des personnes ayant un « état mental à risque » développeront un trouble psychotique dans un délai de trois ans. Il existe donc un important intérêt clinique à comprendre les mécanismes physiopathologiques accompagnant cette évolution afin de mieux définir des stratégies de suivi et surtout d’interventions thérapeutiques.
Pour étudier l’entrée dans la psychose, l’équipe de chercheurs a suivi une approche originale : étudier les modifications du profil de méthylation[1] (mesuré grâce à un prélèvement sanguin) de jeunes sujets à risque (cohorte ICAAR) suivis sur une durée d’un an. Ils ont comparé le profil des individus chez qui un épisode psychotique survient et ceux qui ne déclenchent pas la maladie. Leurs conclusions pointent l’implication de modifications épigénétiques dans le déclenchement d’un épisode psychotique. Celles-ci surviennent préférentiellement dans les promoteurs des gènes impliqués dans la protection contre le stress oxydatif, dans le guidage axonal et dans la réponse inflammatoire.
Des changements épigénétiques dynamiques accompagnent l’entrée dans la psychose
L’étude a été menée chez 39 sujets jeunes dont 14 ont développé une transition psychotique dans l’année qui a suivi leur entrée dans la cohorte. Les analyses ont porté sur plus de 400 000 sites de méthylation, répartis sur l’ensemble du génome (encore appelé le « méthylome »). Elles ont intégré à la fois la dimension temporelle (comparaison avant et après l’émergence de la psychose) mais ont également nécessité de constituer un groupe contrôle adapté (composé de jeunes ayant sollicité des soins et/ou une aide psychologique mais n’atteignant pas les critères de sujets à risque). Dès l’entrée dans le suivi, les personnes qui vont développer une psychose présentent une hyperméthylation du promoteur du gène GSTM5[2] . Au cours du suivi, on observe une hypométhylation du promoteur du gène GSTT1 et une hyperméthylation du gène GSTP1. Or, ces trois gènes protègent du stress oxydatif. D’autres modifications significatives ont été constatées au niveau de gènes liés à l’inflammation et au guidage axonal des neurones.
Des pistes pour développer des outils de dépistage moléculaire précoce et des thérapeutiques ciblées
Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension des bouleversements biologiques qui accompagnent la survenue d’une psychose. Jusque-là, les perturbations de la sécrétion de la dopamine au niveau cérébral étaient la principale explication physiopathologique de la psychose. Grâce à ces nouvelles données, son émergence pourrait être reliée à un stress inflammatoire ou oxydatif rompant l’équilibre (homéostasie) déjà fragilisé par une vulnérabilité génétique, environnementale ou neuro-développementale.
[1] Les modifications épigénétiques sont matérialisées par des marques biochimiques présentes sur l’ADN. Elles n’entrainent pas de modification de la séquence d’ADN mais induisent toutefois des changements dans l’activité des gènes. Les mieux caractérisées sont les groupements méthyle (CH3 : un atome de carbone et trois d’hydrogène) apposés sur l’ADN.
[2] Membre de la famille gluthation transférase (GST), ce gène code pour des enzymes clefs de la protection contre le stress oxydatif.