Longtemps considérée comme une théorie obsolète, la transmission des caractères acquis revient sur le devant de la scène grâce à l’essor des recherches en épigénétique1. Dans cette dynamique, une équipe de l’Institut de biologie de l’École normale supérieure (CNRS/ENS/Inserm)2 vient de décrire comment, chez la paramécie, les types sexuels se transmettent de génération en génération par un mécanisme inattendu. Ils ne sont pas déterminés par la séquence du génome, mais par de petites séquences d’ARN, transmises par le cytoplasme maternel. Celles-ci inactivent spécifiquement certains gènes au cours du développement. Ainsi, une paramécie peut acquérir un type sexuel nouveau et le transmettre à sa descendance sans qu’aucune modification génétique ne soit impliquée. Ces travaux, publiés dans Nature le 7 mai 2014, pointent un nouveau mécanisme sur lequel peut jouer la sélection naturelle et qui permet donc l’évolution des espèces.
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Les paramécies, organismes unicellulaires eucaryotes, sont hermaphrodites : lors de leur reproduction sexuelle, appelée conjugaison, les partenaires s’échangent réciproquement du matériel génétique. Les paramécies présentent néanmoins deux ‘types sexuels’, appelés E et O. La conjugaison ne peut avoir lieu qu’entre types sexuels différents. Dès les années 1940, des chercheurs comme Tracy Sonneborn avaient remarqué que le type sexuel ne se transmettait pas à la descendance en suivant les lois de Mendel : un nouveau type de transmission des caractères, ne dépendant pas des chromosomes, devait être à l’œuvre. Cependant, ils n’avaient pas réussi à l’élucider.
Les paramécies possèdent deux noyaux : un micronoyau germinal qui est transmis lors de la reproduction sexuelle et un macronoyau somatique, issu de ce dernier, où s’expriment les gènes de la cellule. Le mécanisme de transmission des types sexuels se base sur de petits ARN, appelés scnARN, qui sont produits durant la méiose. La fonction originelle de ces ARN est d’éliminer du macronoyau toute une série de séquences génétiques, appelées éléments transposables, qui, à la manière des introns3, se sont introduits à l’intérieur des gènes au cours de l’évolution. Dans un premier temps, les scnARN scannent le macronoyau maternel afin d’identifier les séquences qui avaient été éliminées à la génération précédente, puis effectuent les mêmes réarrangements dans le nouveau macronoyau. Or, de façon inattendue, ce mécanisme de « nettoyage » du génome permet aussi à la cellule de mettre sous silence des gènes fonctionnels. Chez l’espèce Paramecium tetraurelia, chez les individus de type O, les scnARN éliminent le promoteur du gène mtA, ce qui annule son expression. Ainsi, c’est par le biais des scnARN hérités avec le cytoplasme maternel, et non d’une séquence génétique particulière, que le type sexuel de la paramécie est défini.
Ce processus de mise sous silence peut a priori toucher n’importe quel gène. Les paramécies peuvent donc, en théorie, transmettre à leur descendance sexuelle une infinie variété de versions du génome macronucléaire à partir du même génome germinal. Comme pour l’hérédité génétique, ce mécanisme peut conduire à des erreurs qui, de temps en temps, peuvent apporter à la descendance un avantage sélectif. Autrement dit, le génome du macronoyau somatique de la paramécie pourrait évoluer en continu et permettre, dans certains cas, une adaptation à court terme aux changements de conditions environnementales. Ceci, sans que des mutations génétiques soient impliquées. Cette forme d’hérédité de type lamarckien4 offrirait ainsi un levier d’action encore insoupçonné à la sélection naturelle.
(1) L’épigénétique fait partie de la génétique au sens large, c’est-à-dire l’étude des mécanismes de l’hérédité. Elle désigne plus particulièrement l’étude de la transmission héréditaire de caractères variables qui ne dépendent pas de séquences d’ADN variables.
(2) En collaboration avec le Centre de génétique moléculaire (CNRS), le laboratoire Biométrie et biologie évolutive (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), l’Institut Jacques Monod (CNRS/Université Paris Diderot) et le CEA (Institut de génomique). Des équipes polonaises, russes et américaines ont également collaboré à ces travaux.
(3) Portions de la séquence des gènes, souvent non-codantes, qui doivent être retirées pour que la séquence soit fonctionnelle.
(4) En référence à Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) dont la théorie sur l’évolution du vivant abordait la transmission des caractères acquis.